Bertrand Calenge : carnet de notes

samedi 31 octobre 2009

Transmettre…

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 31 octobre 2009
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Un coup de gueule de Michel Piquet, en commentaire d’un billet du bibliobsédé, pose quelques vraies questions : le terme de médiation n’est-il pas galvaudé (ce dernier supposant l’indépendance d’un intermédiaire commis au sein d’un conflit), et surtout le talent de transmission réclamé du bibliothécaire impose-t-il que ce dernier soit plus expert que son interlocuteur-client dans les contenus qu’il transmet ? Bon, d’accord, je schématise, mais si je comprends bien, la question posée par Michel Piquet interpelle à la fois le flou conceptuel de termes largement utilisés (jusqu’à parler de médiation 2.0…) et la nature même du statut d’intermédiaire qu’a le bibliothécaire.

L’imprécation étymologique envers l’usage « dévoyé »  d’un terme particulier ne m’émeut guère. Je n’éprouve par exemple aucun remords à transformer le sens social et vécu du ‘bibliothécaire’ pour en donner une autre définition que ‘le préposé à la garde de l’armoire aux livres’. Encore faut-il, et là je suis d’accord avec M.P., que la définition nouvelle soit rigoureusement étayée et repose sur un concept solide. Or je reconnais que l’invocation de la « médiation » est tout sauf rigoureuse. Non pour les raisons étymologiques invoquées, mais parce que  le terme évoque un vague entre-deux et surtout suppose, dans l’acception commune, un « médiateur » qui sait et un « médié » qui – le malheureux ! –  ignore…  Pourtant j’ai rarement entendu un bibliothécaire en université parler de ce type de médiation dans ses relations avec les enseignants-chercheurs ! Serait-ce réservé à la lecture publique ? Cela signifierait que les bibliothécaires-médiateurs y sont plus savants que leurs publics… ou du moins d’une bonne partie d’entre eux. Et vis-à-vis des usagers qui en savent plus que le bibliothécaire en face de lui (et ils sont légion !), de quel type de relation parle-t-on ?

Pour ma part, j’ai jusqu’à présent préféré le terme d’accompagnement à celui de médiation, justement pour reconnaitre la compétence – et non la soumission – de ‘mon’ usager interlocuteur : aider à trouver l’information idoine, ce n’est pas ‘savoir plus’, surtout si par exemple l’information requise concerne l’anatomie des poissons ou la chromatographie en phase gazeuse  (j’évoque ici quelques-unes de mes profondes limites cognitives…).

La neutralité du terme ‘accompagner’ est parfaite dans un monde stable, aux références établies et surtout partagées. J’aime bien l’idée de compagnonnage que ce terme sous-entend… Mais il est vrai que substituer ce terme d’accompagnement à celui de médiation ne règle rien, sinon évoquer une ambition qui se veut plus modeste et respectueuse de la diversité des publics.

Le problème, c’est que la pluralité des espaces de l’information et surtout la diversité des besoins, compétences et pratiques des personnes (bibliothécaires comme usagers) rend hasardeux le terme d’accompagnement, dans la mesure où il en rend indistinctes les différentes facettes.

L’expertise documentaire au service du public

La première de ces facettes, celle qui a provoqué le plus grand nombre d’écrits, concerne l’art de chercher face à une question documentaire. C’est là une compétence professionnelle à acquérir, maintenir et développer pour toutes celles ou ceux qui ont à affronter des questions d’ordre scolaire, pratique, professionnel ou scientifique. Certes, cet art de chercher ne peut se passer d’une réelle empathie avec le questionneur, mais il exige non seulement des apprentissages, mais également la confrontation réitérée à la diversité des questions. C’est un métier au sens le plus « dur » du terme…

C’est en même temps un accompagnement, car la mobilisation ‘recherchiste’ du bibliothécaire ne prétend aucunement maîtriser mieux que son client le champ des contenus au sein desquels il… cherche. Simplement, pour reprendre un vieil aphorisme, s’il ne connait pas la réponse, il sait où la trouver.

Au service de la découverte

La dimension professionnelle de cet ‘art de chercher’ m’a beaucoup fasciné, je le reconnais. mais le commentaire de Michel Piquet met le doigt sur une autre facette essentielle de la bibliothèque – au moins de lecture publique – : l’offre de la surprise, de la découverte. Le désir de surprise ne se limite pas à la découverte de romans ou de films, mais parcourt tous les types de documents. Et comme dans le cas précédent, c’est la position de l’usager, son intention, qui mobilisent bien d’autres compétences, et au premier chef l’art de séduire, d’attirer l’attention, d’exciter les papilles…

Il me semble que là, avant toute compétence strictement professionnelle, c’est effectivement – comme le souligne avec alacrité notre commentateur – une passion communicante qui est à l’œuvre : il faut convoquer ses propres intérêts, discuter avec le lecteur, laisser parler ses passions… La culture mobilisée n’est pas tant professionnelle que personnelle. Et, plus encore, le talent requis pour emporter l’intérêt tient de la connivence plutôt que de la connaissance.

Il est tout à fait juste de souligner, avec Michel Piquet (que décidément nous aurons suivi tout au long de ce billet), que la totalité des agents de la bibliothèque, quel que soit leur grade ou leur statut, peut intervenir dans ce dialogue humain de découverte et d’échange avec nos publics. Si par ailleurs je suis plus que sceptique sur la capacité de tout un chacun à « savoir chercher » – justement dans les domaines qui ne relèvent pas de la culture ou de l’intérêt personnels -, je devine qu’il est intéressant de creuser la nature des compétences à l’oeuvre dans cette proposition de découverte.

Transmettre ?

En effet on ne choisit pas ses publics – enfin le croit-on… -, et ceux qui viennent chercher une information précise sont – en bibliothèque publique au moins – sans doute moins nombreux que ceux qui sont demandeurs de découverte (du moins selon l’enquête du Credoc). Cette ambivalence oblige à questionner la fonction de la bibliothèque lorsqu’elle veut surprendre, faire découvrir. Et une idée me vient, somme toute très ancienne : et si nous ne faisions que transmettre ? Payés pour accumuler certes (une vieille fonction bien malmenée), mais surtout payés pour être curieux, attentifs aux textes, images et musiques. Et pour les faire partager à la communauté. Bref transmettre le savoir accumulé – en nos murs ou ailleurs -, le transmettre là où il est demandé et comme il est demandé.

Le stock nous échappe de plus en plus, Google en fait la démonstration quotidiennement. Mais la curiosité, l’écoute de la collectivité, le désir de transmettre et de partager nous demeurent sans concurrence publique. Et c’est cela au fond qui motive encore l’intérêt envers nos établissements. Pour répondre à cet appétit de découverte, il est indispensable de mobiliser l’ensemble de tous les agents, de toutes les curiosités, en dépit de tout statut (pourquoi d’ailleurs ne pas en outre convier la ‘société civile ‘ ?). Selon quels processus, quels talents, quelles compétences ? Le débat est ouvert…

Mais sans nul doute, parallèlement, en juste retour du statut spécifique des bibliothécaires et assimilés – au sens professionnel -, il est alors nécessaire de leur demander d’exercer complémentairement et expertement cet ‘art de chercher’  devenu si sophistiqué.

Non ?

mardi 18 août 2009

Le bibliothécaire « interconnexion » de la bibliothèque

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 18 août 2009
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Un récent billet de Marlène attire l’attention sur une de ces formules qu’adorent les anglo-américains :

« Les bibliothèques, c’est l’information. Ce que l’on trouve aussi chez Google.

Les bibliothèques, c’est la lecture. Ce que l’on trouve aussi chez Barnes & Noble.

Les bibliothèques, c’est la culture. Ce que l’on trouve aussi dans les musées.

Les bibliothèques, c’est la convivialité. Ce que l’on trouve aussi chez Starbucks.

Mais seules les bibliothèques se positionnent comme l’interconnexion (« the nexus ») de ces 4 besoins. »

Voilà ce qu’a proclamé Peter Parsic lors du congrès 2009 de l’ALA. Jolie formule, qui ne peut que rencontrer notre adhésion admirative !… J’en retiens une évidence, et une perplexité…

L’évidence

Elle est toute entière dans la citation ci-dessus. Il est vrai que, pour chacune des fonctions remplies par la bibliothèque, la concurrence est rude et la bibliothèque pas nécessairement la mieux armée. Mais elle est la seule à pouvoir réunir simultanément des différentes fonctions, en position de carrefour des possibles plus que ressource incontournable dans un domaine. Analysant à la BM de Lyon le succès des collections sur la danse, Patrick Bazin soulignait que ces collections n’avaient rien d’exceptionnel à côté d’autres établissements spécialisés sur la place de Lyon, mais que leur intérêt tenait au fait qu’elles étaient associées à d’autres contenus, littéraires, scientifiques et artistiques : le contexte fournit une multitude d’approches au-delà des seuls contenus documentaires…

La perplexité

Celle-ci réside dans l’impression d' »évidence » de la bibliothèque comme institution et lieu : « La bibliothèque, c’est… ».
Vraiment, c’ « est » ?
Non, pas d’emblée, pas par nature ou par substance (et sans ces bibliothécaires qui grèvent les impôts   ). Je suis toujours étonné par ces professionnels des bibliothèques qui sans cessent s’effacent au profit de LA BIBLIOTHÈQUE, sans jamais affirmer leur fonction ni leurs actions.
Pourtant oui, il existe des bibliothèques lamentables, et pas toujours à cause de collections insuffisantes ni du désintérêt des pouvoirs publics : règlements draconiens, silence imposé, contrôles avant communication, horaires réduits à la portion congrue, collections vieillies et peu entretenues, personnel d’accueil sourcilleux et méfiant, conditions de consultation spartiates, et que sais-je encore !

Le ‘nexus’

L’interconnexion entre ces merveilleuses fonctions d’information, de lecture, de  culture et de convivialité (bref le nexus cité par Peter Parsic), ce n’est pas seulement LA bibliothèque (un état, une institution, un lieu, voire une collection), mais aussi une entreprise d’acteurs professionnels. La bibliothèque vraiment publique est autant un appareil de services qu’un stock de ressources, et elle le sera encore plus avec la numérisation et la disponibilité élargie de ces ressources. L’enjeu de la rareté (une collection exceptionnelle, des documents introuvables ailleurs,…) ne disparait pas pour les vrais chercheurs en quête de trésors inconnus du vulgum pecus, pas plus qu’il n’est inconsistant pour ceux dont le travail nécessite le recours aux documents originaux. En revanche, la disponibilité des ressources numérisées accessibles sur Internet affaiblit diablement cette rareté  pour le plus large public, même érudit. Encore faut-il à ce public :
–   une capacité à savoir chercher et discriminer ;
–   des engins ayant accès au réseau (eh oui, il y a encore 40 % de nos concitoyens qui n’ont pas d’accès domiciliaire à Internet) ;
–   une, ou plutôt des mises en ordre qui proposent des itinéraires de découverte et de connaissance.

Et puis il reste aussi cette potentialité extraordinaire de l’esprit humain en recherche et en éveil, la sérendipité (cette forme de hasard bienvenu apparaissant grâce à une curiosité et une ténacité entretenues) : à la bibliothèque d’offrir des opportunités en ce sens : assemblements documentaires, mais aussi événements culturels, disposition des lieux, conseils de lecture, modalités d’accessibilité, etc. , tout est bon pour stimuler le savoir.

Et si c’était cela que la population et les pouvoirs publics attendaient de nous : des bibliothécaires capables de proposer la meilleure stimulation intellectuelle – éclairée, critique, bref intelligente ! – à tous les membres de la collectivité que nous servons ?

Pour réaliser cela, il faut des professionnel(le)s convaincu(e)s. Au fur et à mesure que croissent les ressources disponibles sur Internet, il nous est proportionnellement demandé davantage pour exister légitimement dans l’espace public. Non seulement en matière de collections adéquates, mais aussi et de plus en plus en matière de médiation numérique, de programme culturel, d’assistance aux usagers, etc. Bref d’inventivité…

Nous ne pouvons même plus nous prévaloir d’outils spécifiques accessibles à nous seuls : les métadonnées ont « bibliothécarisé » le monde des catalogues, donc le monde de l’information.Les bibliothécaires sont nus, et les contenus des bibliothèques comme les outils des professionnels ont migré et se sont développés hors les murs des établissements. Travaillant à Lyon, je sais que d’ici quelques années non seulement les disques de musique comme les films en DVD seront aisément (et parfois illégalement) téléchargés, mais 500 000 livres comme des milliers d’images et de manuscrits seront librement accessibles en ligne, les livres contemporains étant quant à eux largement édités voire téléchargeables contre une somme qui sera sans doute devenue plus modique qu’aujourd’hui, s’il n’apparait pas également d’autres modèles économiques, et l’accès domiciliaire à Internet aura conquis 85 % des foyers français. Bref, ni le stock ni les outils ne nous rendront indispensables, au contraire. Sauf si…

Sauf si nous savons tirer parti de notre art de proposer, d’assembler, de chercher, non en direction de la richesse des stocks ni de la sophistication des outils, mais en utilisant tous ces outils et toutes ces ressources abondantes et externes en direction de notre public, et surtout en inventant, suggérant, étonnant, stimulant, accompagnant la recherche de savoir et d’émotion, en pédagogisant notre société.

samedi 15 août 2009

Bibliothécaire selon Larry Beinhart

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 15 août 2009
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« Elle a ajouté, sur un ton plus conventionnel :
– Dites-moi ce que c’est, un bibliothécaire.
– C’est le contraire de tout ce que Stowe [un méchant dérisoire, lisez le roman !] représente, si l’on veut bien y réfléchir – ce que je fais depuis quelque temps. Une sorte de communisme, sans l’idéologie ou Marx ou toutes ces conneries. Notre métier, c’est de distribuer du savoir. Gracieusement. Entrez, s’il vous plait, entrez, prenez un peu de savoir gratis, non, ce n’est pas plafonné, continuez, vous pouvez vous en gaver, non, ce n’est pas une arnaque, ce n’est pas un échantillon gratuit pour vous appâter et vous facturer plus tard, ou bien pour vous tapisser l’esprit de logos et de slogans. Un bibliothécaire n’a pas un statut social très élevé, et nous ne gagnons pas non plus beaucoup d’argent ; plus qu’un poète bien sûr, mais moins qu’un type qui sait bien faire la manche. Alors nos idéaux comptent beaucoup pour nous, et aussi l’amour des livres, l’amour du savoir, l’amour de la vérité et de la liberté d’information, le désir que les gens puissent découvrir les choses par eux-mêmes. Qu’ils puissent lire, oh, des histoires d’amours ou des romans policiers, ce qu’ils veulent. et que les pauvres puissent avoir accès à Internet.
– Vous êtes un type bien. »

Larry Beinhart a reçu le Grand prix de littérature policière 2006 pour son roman « Le bibliothécaire » (en France chez Gallimard, Folio policier).

Merci Larry smileys Forum

jeudi 4 juin 2009

Biblio-fr s’arrête…..

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 4 juin 2009
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La nouvelle se répand bruissante dans toutes les bibliothèques : biblio-fr s’arrête. Dans un premier temps (personnel) je m’en veux d’avoir écrit ce billet qui a provoqué moult réactions (une collègue est même venue me voir en me regardant comme un meurtrier virtuel smileys Forum), dans un deuxième temps une grande impression de vide, m’a envahi, comme beaucoup d’entre vous j’imagine, devant cette perte symbolique aussi irréelle dans son annonce que le serait la disparition de l’ABF.

Cette disparition était, je le sais, évoquée par Hervé Le Crosnier bien avant mon billet, et nul n’imaginera – j’espère bien ! – que j’aie le pouvoir d’anéantir une liste de diffusion comptant plus de 17 000 abonnés, ce qui me rassure.
Quant à cet arrêt de la liste, lisez bien le message de Sara et Hervé jusqu’au bout : « Nous diffuserons toutes les idées qui pourraient s’inscrire dans la suite de l’aventure de biblio-fr : si vous voulez créer un site web, un blog, une autre liste de débat… qui participe du projet global d’intéresser les
bibliothécaires, nous diffuserons votre message. À vous de trouver les mots, de convaincre vos lecteurs.
 »

Biblio-fr ne s’arrête pas vraiment, il fait appel à l’intelligence de ses presque 18 000 abonnés actuels (et aux désabonnés). C’est un défi qui sollicite le recours à la collectivité des bibliothécaires et personnes intéressées par les bibliothèques. Cette dimension collective à laquelle les bibliothécaires se disent tellement attachés…

Alors, à vos claviers ! Faisons surgir les suggestions d’une communication adaptée à des milliers de bibliothécaires souvent maladroits dans la manipulation des outils du web 2.0, mais avides d’informations souvent triviales, de débats sur des questions parfois dérisoires, tellement avides !!

Mais ne proposons pas de refaire un « couteau suisse » de l’information bibliothécaire : les questions techniques de gestion professionnelle disposent désormais d’un service de Questions-Réponses ad hoc grâce à l’Enssib, offres et demandes d’emploi gagneraient à disposer d’un fil spécifique, etc. Il faudra à mon avis proposer des pistes complémentaires, et non tellement généralistes qu’elles en deviendraient cacophoniques.

Bref, et comme toujours avec biblio-fr, c’est nous qui avons la parole, cette fois-ci pas pour demander, informer ou récriminer, mais pour construire un nouveau visage à biblio-fr… Merci à Hervé et Sara pour offrir cette ultime opportunité !

Et il va bien falloir maintenant que je participe aussi à cette réflexion collective smileys Forum . Rendez-vous donc encore sur biblio-fr !!

mardi 14 avril 2009

Du pirate et du bibliothécaire

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 14 avril 2009
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Un billet de Joël Faucilhon, déjà lu par beaucoup dans sa version feuilletonnesque et régulièrement remis à l’honneur par quelques blogueurs, attire l’attention sur le fait que la communauté des « pirates » devient de plus en plus exigeante autant en termes de qualité que de ‘métadonnées’ (pour reprendre le terme qui a imparfaitement remplacé celui de catalogue), et que cette communauté pirate poursuit à la fois la plus large diffusion des textes mais aussi leur pérennité (choix des formats, etc.), bref l’objectif que visent les conservateurs (sous-entendu : les bibliothécaires qui œuvrent pour la mémoire…). Plus encore, JF souligne également que les différentes communautés de « pirates » veillent à constituer des corpus de textes mêlant originalité et cohérence, et en tire argument pour les rapprocher des bibliothécaires.

Sur le dernier point, j’ai le sentiment que l’auteur connaît très bien les bibliothèques (bibliothécaires) pour leur rendre un hommage si rare. Merci beaucoup ! Pour l’analogie proprement dite entre ‘conservateurs’ et ‘pirates’, je reste perplexe. Je vois bien que l’auteur n’envisage pas cette facette du métier qui consiste à offrir à une communauté « physique » un espace vivant, social, discuté : il parle ici des conditions de mise en œuvre d’une pérennité organisée des textes à l’intention d’un public réuni par le fil d’Internet et non plus localisé en une collectivité spécifiquement localisée.

Que de vieilles techniques mises en œuvre par les bibliothécaires soient reprises – en les réadaptant parfois – face à la masse des opportunités d’information offertes, nul n’en doute et nul ne devrait s’en étonner : la « bibliothécarisation du monde » est constatée depuis longtemps. Que soit posée la question d’une pérennité (potentielle) des formats d’encodage est on ne peut plus légitime, tous les bibliothécaires soucieux de ‘conserver’ en conviendront. Que chaque collectionneur – personne physique ou morale, individu ou collectivité constituée, même non officiellement – aie le souci des connexions, correspondances, cohérences des divers textes qu’il rassemble et ordonne, on le sait depuis que les bibliothèques – d’abord privées – existent.

Peut-on pour autant assimiler une communauté de ‘pirates’ (avec les guillemets, c’est sans intention péjorative, j’aurais pu dire ‘une association’) aux acteurs publics que sont les bibliothécaires ? Sans doute oui, si on considère les seules exigences techniques qui sont mis en oeuvre dans leurs  projets respectifs.

Mais les moyens suffisent-ils ? Par rapport aux bibliothécaires, il manque quand même à ces ‘communautés pirates’ trois éléments importants d’un point de vue ‘professionnel’ :

  • leur mandat ne relève que d’eux-mêmes : nulle instruction de personne, nul contrôle autre qu’interne, nul financement autre que personnel, nulle responsabilité vis-à-vis de quelque collectivité publique que ce soit. Désolé de le rappeler, mais l’action des bibliothécaires s’inscrit dans le cadre d’un service non pas spontané, mais prescrit par des autorités (plus ou moins convaincues, j’en conviens) ;
  • la communauté des personnes qu’ils servent ( car, comme dans toute communauté, il y a les nombreux individus consommateurs, et les trop rares individus acteurs et producteurs !) reste totalement virtuelle et mouvante. Un bibliothécaire ‘lambda’ connait une exigence bien éloignée des audimats d’Internet : non le service virtuel, mais l’imagination au service bien réel de toutes les personnes de la collectivité, internautes experts ou pas ! Un bibliothécaire ne choisit pas son public, celui-ci lui pré-existe, en ligne… ou le plus souvent pas !
  • la coopération qu’ils prônent n’est guidée que par le souci de la réussite des entreprises personnelles de chacun des ‘pirates’, et surtout par le désir d’accroître leurs ressources moissonnables. En soi, cette revendication est rien moins que raisonnable, mais elle ne s’inscrit que dans le souhait d’une exploitation personnelle durable.

En revanche, la démarche décrite par JF me semble très intéressante lorsqu’elle balaye nombre de présupposés : sur la spécificité des techniques bibliothécaires, sur l’ « exclusivité communautaire » de ces dernières, sur la tentation confiscatoire qui nous anime parfois dès qu’on évoque une possible correspondance entre une communauté et un réservoir organisé.

Nous sommes entrés dans une époque particulière : les techniques que nous défendons sont appropriées et développées en dehors de notre cénacle, les communautés de savoir ne sont plus créées par les seules instances ‘officielles’ dont nous pensions être parmi les plus éminents représentants, nos préoccupations documentaires (identification, conservation, mise à disposition, introduction dans des corpus cohérents,…) peuvent être développées hors notre contrôle… Alors, à quoi servons-nous ?

Il est temps de cesser de rêver à d’hypothétiques arguments de savoir universel, ou à une bibliothèque universelle placée sous les auspices de savants que nous aurions homologués. L’avenir des bibliothèques de statut public tient dans leur étroite imbrication avec les instances publiques qui gèrent aujourd’hui la société. Communes, universités, départements, tel est maintenant notre terrain d’action. Si ces instances démissionnent, renoncent à aborder le complexe tricotage des échanges publics, et laissent les seuls acteurs individuels (pirates ou non !) conduire le bal, alors je crois que les bibliothèques de statut public n’ont pas d’avenir.

Sauf si bien sûr ces décideurs, et avec eux ‘leurs’ bibliothécaires fontionnaires, veulent servir l’ensemble des publics des collectivités où ils sont acteurs : car fondamentalement l’initiative revient aux tutelles de ces collectivités. A nous de les convaincre, de leur donner envie !!!

Sans cela,  nous ne serions que des ‘pirates masqués’. Drôles de pirates, d’ailleurs, payés par habitude et sans projet politique ?
Ou inutiles, tant les acteurs privés sont mieux au fait des attentes des consommateurs ?

vendredi 3 avril 2009

Le(la) bibliothécaire, chaînon manquant de demain ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 3 avril 2009
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Depuis plus de 15 ans, les bibliothécaires territoriaux sont appelés à une forme de disparition, non comme cadre d’emploi mais comme métier. Et je m’interroge sur l’avenir des bibliothèques, comme beaucoup d’autres avec moi, devant leur situation professionnelle… J’avais commencé ce billet mi-février, et l’avais laissé inachevé comme tant d’autres, jusqu’à ce qu’un éditorial enssibien d’Anne-Marie Bertrand me rappelle à l’ordre, non sans raison. La raison primant, je m’empresse donc de reprendre ce billet que j’avais commencé…

Les bibliothécaires représentent, au moins dans les établissements territoriaux, la colonne vertébrale de l’innovation, du service et de l’organisation (ceux de l’Enseignement supérieur ont eux bien à souffrir, et rares sont ceux qui connaissent un sort meilleur que celui constaté à la fin du XXe siècle) : il ne faut jamais oublier que si l’État a consenti à créer  quelques centaines de bibliothécaires (depuis 1992) dans ses établissements totalisant encore plus de 1 500 conservateurs, au sein des bibliothèques territoriales ce sont quelques maigres centaines de conservateurs qui sont venu renforcer, et dans les seuls plus gros établissements, une cohorte de plus de 1 500 bibliothécaires (les chiffres ici ne sont que des ordres de grandeur, parfaitement exacts et symétriques dans leur proportion même s’ils ne sont pas des recensements).

Situation

Après le dernier râle du CAFB au début des années 1990, la formation des bibliothécaires – au sens statutaire – a connu une période d’incertitude et d’inventivité, voulant associer de nouvelles règles statutaires et d’anciennes exigences de formation professionnelles issues du compagnonnage. Saisis en tenaille entre l’exigence de rentabilité immédiate de leurs recruteurs, l’exigence d’adaptation au formatage global des cadres territoriaux par le  CNFPT (qui préférait la polyvalence fonctionnelle aux métiers nécessairement segmenteurs), et l’exigence d’acquisition de compétences requises par des institutions professionnelles qui imaginaient de ‘vrais’ bibliothécaires et étaient d’ailleurs conviées à contribuer  directement à leur formation, ces agents ont rapidement été désorientés, et les multiples conventions passées successivement entre le CNFPT et l’Institut de formation des bibliothécaires puis l’Enssib se sont toujours heurtées à des contradictions insolubles.

Les décrets les plus récents ont d’une certaine façon réglé ce problème de façon apparemment équilibrée :
– l’exigence d’un niveau encadrement est respectée – selon les critères des fonctions publiques – du fait de l’ouverture des concours à des détenteurs de licences ou équivalents ;
– la nature des épreuves du concours s’est en grande partie tournée vers des questions professionnelles, exigeant des candidats moult lectures personnelles ;
– la ‘territorialité’ du cadre d’emploi, l’ ’employabilité’ fonctionnelle et même la ‘formation à la prise de fonctions de responsabilité’ ont été prises en compte de façon transversale via le CNFPT, sur des durées n’excédant pas 3 à 4 semaines de formation.

On se demande pourquoi les conservateurs territoriaux n’ont pas été inscrits dans le même moule ! Ni les ingénieurs de l’Equipement, les architectes ou les médecins fonctionnaires !

Questions de métier

Toujours est-il qu’on n’exige pas initialement d’un bibliothécaire autre chose qu’un diplôme totalement généraliste, sans imaginer que des licences professionnelles (voire mastères professionnels, puisqu’on s’y dirige y compris pour tous les enseignants de nos bambins) puissent être valorisées. Les agents techniques qualifiés (i.e. les BAS, comme les AQC – c’est pareil : pour les non-initiés, un bibliothécaire-adjoint spécialisé est exactement identique à un assistant qualifié de conservation du patrimoine et des bibliothèques !) doivent disposer d’un DUT ou d’un DEUST spécifique ! Mais pas leurs « chefs » ?…

Les conservateurs ont la vie belle en comparaison : 18 mois d’études en milieu protégé (l’Enssib est leur ENA) leur fournissent non seulement enseignements, travaux collectifs et mises en situation, mais aussi confrontations, échanges, mises en perspectives et questionnements sur un champ professionnel. D’une certaine façon les futurs BAS et AQC aussi, avec deux années d’IUT (ils ont encore plus de temps, eux…) peuvent se forger des savoir-faire et compétences partagées. Mais les bibliothécaires, pourtant cadres essentiels de la quasi-totalité des bibliothèques territoriales, non ?

J’apprécie depuis longtemps les bibliothécaires, ces forçats des projets impossibles, ces agents pris entre les délires managériaux et la réalité du terrain à encadrer, ces spécialistes experts dont la compétence intellectuelle n’est que tolérée, ces inventeurs habiles qui savent transformer un enjeu ou une idée en service efficace ou fonction opérationnelle rigoureuse. Tous ne savent pas le faire sans doute, mais ma vie m’a toujours appris à les respecter, accompagner et servir, tant j’ai vu d’établissements ne tourner et inventer, in fine, que grâce à leurs bibliothécaires. Et puis, ceux qui connaissent mon parcours savent à quel point j’ai essayé d’œuvrer pour la reconnaissance de ces professionnels trop peu reconnus.

Suggestions ?

Puisque pour l’instant le recrutement et la formation des conservateurs ne sont pas remises en cause (recrutement ‘généraliste’ de haut niveau intellectuel et formation adaptée de 18 mois en en grande école), pourquoi ne pas suivre le mouvement de mastérisation des enseignants et ne pas réclamer pour les bibliothécaires un recrutement – similaire à l’actuel – appuyé sur une liste de mastères ad hoc plutôt que sur licences généralistes ?

Les formations post-recrutement n’ont guère d’avenir (eh non, puisqu’il faudrait payer les lauréats durant leur formation !) ? Eh bien, basons-nous sur les diplômes requis pour se présenter au concours (tant que les concours dureront…). Et jouons la carte de formations, certes sans doute au sein de l’Université – mais pas seulement – , attentives au développement de compétences professionnelles ! Sincèrement, dès qu’il s’agit d’organiser et développer un service d’information, je préfère à un licencié ès lettres , même pourvu de bonnes lectures et lauréat d’un concours que je sais actuellement sélectif, un diplômé du CNAM (INTD) ou d’un master ad hoc. Sans méjuger des talents du dit licencié, d’ailleurs…
Sans compter qu’une VAE (validation des acquis par l’expérience professionnelle) intégrée pourrait enrichir ce vivier de masters avec les multiples acteurs qui, après bien des années d’expérience, verraient leur compétence reconnue et universitairement et professionnellement.

Sauf que les bibliothécaires et autres conservateurs ont toujours été malhabiles à préciser les contours de leur métier : managers, érudits, pédagogues, logisticiens, voire informaticiens, travailleurs sociaux ou savants, ils sont en tant de lieux qu’ils sont éminemment remplaçables dès que leur fonction les appelle à les occuper tous. Ce qui est en jeu aujourd’hui n’est pas tant leur hypothétique ‘spécialisation’ technique, savante ou managériale, que leur situation justement ambigüe entre toutes ces dimensions. Et cela ne peut se résoudre et se construire qu’au sein de convictions échangées, donc d’échanges avec d’autres professionnels, de savoirs à la fois transmis et partagés, d’expériences dialoguées, bref de savoirs et compétences inscrits dans la durée au sein de formations diplômantes relativement denses préalables à la prise de fonctions, avant ou après concours. C’est en fait, il faut le reconnaître, le modèle de la formation des métiers médicaux et  para-médicaux : tout simplement du savoir transmis par les cours, l’expérience pratique, le retour sur expérience et l’analyse renouvelée, et les échanges entre pairs et avec les maîtres… et pas seulement un recrutement au feeling, sur quelques questions-tests bien ciblées, sans exigence de confrontation préalable à la matière professionnelle.

Je suis plus que jamais convaincu que notre métier est un métier de praticiens. Cette assertion ne retire rien aux indispensables fondements théoriques qui doivent être acquis et débattus, aux cursus qui doivent suivre leur rythme, mais affirme la nécessité fondamentale de leur confrontation à une triviale et bien réelle pratique, que ce soit à travers des formes de recherche d’ailleurs plus proches de la recherche-action que de la recherche ‘académique’, qu’à travers des échanges, stages, rapports, bref confrontations à la subtile matière de la quotidienneté.

Alors, quels bibliothécaires pour demain ?

mardi 10 février 2009

Empruntez un bibliothécaire !

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 10 février 2009
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Le titre de ce billet est dû à J-C Brochard pour un billet remarquable qu’il vient de publier. Bien sûr, nombre de collègues connaissent ce type de service apparu dans les pays anglo-saxons et nordiques (« Borrow a librarian« ) et en ont apprécié la dimension disons… pittoresque et surprenante ! Mais, comme le souligne JC Brochard, on n’en connait pas d’épigones en France. Pourquoi ?

La première explication qui vient à l’esprit est le manque de temps. Je suis plus que sceptique quand je vois la multiplication des animations et activités innovantes dans nos établissements. Il faut bien du temps pour les concevoir et les réaliser !! Il faut donc chercher ailleurs…

Une intuition (vilain mot pas scientifique) me suggère que nous apprécions particulièrement de déléguer le « dialogue » ou la « valeur ajoutée » à des processus que nous mettons en œuvre. Par exemple :
–  Offrir aux lecteurs la possibilité d’ajouter leurs commentaires à des notices bibliographiques ou à toute autre production bibliothécaire délègue au système de gestion du catalogue ou du service particulier le soin d’engranger et de rendre visible des avis ou opinions. Je ne suis pas sûr qu’il entame un dialogue et encore moins qu’il engage la personne des bibliothécaires eux-mêmes…
–  L’opportunité technologique de mise en œuvre de portails thématiques sophistiqués autorise davantage l’exacerbation de la production de contenus soigneusement ciblés, qu’elle n’encourage l’exposition  des bibliothécaires à la diversité des interrogations des publics concernés…
–  L’étude de l’usage des cahiers de suggestions montre clairement leur fonction dérivative et extériorisante, plus que d’ouverture au débat.
– Les activités d’accompagnement personnel sont soit organisées dans des ‘services pédagogiques’ aux prestations structurées, soit déléguées à des personnels non-bibliothécaires (moniteurs, autrefois emplois-jeunes,…).
– Un travail de recherche de Laurence Bourget, alors élève-conservateur de l’enssib avait relevé en 2004, parmi les cinq priorités majeures des chercheurs en sciences sociales en termes d’accès aux ressources de la bibliothèque, un suivi personnel par un bibliothécaire ‘personnel’ au fait de leur problématique, attentif à leurs pistes de recherche, disponible par tous moyens non institutionnels (i.e. pas seulement derrière un bureau de référence, mais aussi par mail, rendez-vous au labo,…) : cette dimension existe-t-elle dans les profils de poste et plans de charge de travail des professionnels en SCD ?

Je n’affirme pas que nombre de bibliothécaires n’engagent pas de dialogues personnels, ni rechignent à passer des heures à débrouiller un problème individuel, au contraire (et heureusement !). Mais en termes d’organisation les faits sont têtus : les bibliothécaires sont conscients qu’ils développent un capital de connaissances et de savoir-chercher, mais préfèrent déléguer – ou organiser – la transmission du capital en question à des instruments ou processus de services qui (tout web 2.0. veulent-ils être parfois) restent fondamentalement dépersonnalisés… ! Encore une fois, pourquoi ?

Examinons trois pistes :

  • La première semble évidente : il faut gérer des flux. Et dans une organisation le temps est mesuré au flux des visiteurs, non à leur hypothétique et inégal besoin d’accompagnement. En outre, les bibliothèques s’inscrivent volontairement dans une conception d’égalité du service public qui rechigne à dépenser du temps pour un individu au détriment des autres.
  • la seconde tient à une révérence inconsciente aux documents proposés. Le bibliothécaire ne serait qu’un orienteur au sein de la collection qu’il a patiemment et savamment sélectionnée, actualisée et mise en ordre. Cette révérence intègre les circuits reconnus d’appropriation de ces collections : par exemple, il faut prêter !  Je renvoie au remarquable billet de Xavier Galaup préoccupé par  le cantonnement des ‘discothèques’ à l’activité de prêt de ‘galettes’; l’existence même de ces services serait mise en péril par le téléchargement de musique (comme si l’activité fondamentale des espaces musique était … de prêter des supports smileys Forum)
  • La troisième piste tient peut-être à une longue tradition française d’une conception des agents publics : le fonctionnaire est éminemment remplaçable et n’a pas à s’exposer (à tous les sens du terme), il est au service d’une administration et n’a pas à exprimer sa personnalité, etc. Sans compter que l’éminente « remplacabilité théorique  » (?) du fonctionnaire le conduit davantage à s’inscrire dans des processus collectifs dépersonnalisés qu’à assumer ouvertement sa compétence personnelle au service des publics qu’il sert. Allons, soyons honnête : disons que l’organisation même des services encourage souvent cette attitude plus qu’elle n’est revendiquée par les agents…

Alors, dans ce contexte, poser la question d’un service explicite « empruntez un bibliothécaire » me semble pertinente. Non pour nier la valeur des services de référence recevant sur rendez-vous (quand il en existe), ni celle des services d’orientation au champ pré-défini (car il en existe), mais pour reconnaitre au coeur de l’organisation des services, dans leur dimension la plus triviale (les temps de travail, la répartition des tâches, les temps de rendez-vous, etc. ), à la fois l’acceptation et la reconnaissance des besoins -exprimés individuellement- des personnes qui composent notre public (besoins par nature imprévisibles, même s’il concernent le champ vaste de l’information), et les richesses incomparables de nos nouvelles ressources documentaires exclusives à l’heure du savoir explosé et inflationniste : les bibliothécaires eux-mêmes (champs individuels de compétences, trajectoires personnelles d’acquisition de connaissance et de savoir-faire,…).

Il faut s’en convaincre : plus l’information sera abondante et accessible aisément, plus les bibliothécaires seront irremplaçablessmileys Forum. Encore faut-il oser inscrire cette nécessité dans des services explicitement construits sur cette richesse totalement individuelle. Non ?

samedi 29 novembre 2008

J’en ai marre de biblio.fr

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 29 novembre 2008
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Voilà 15 ans que, fidèlement et avec obstination, biblio-fr se fait dans nos boîtes aux lettres le relais des humeurs, annonces, débats, informations, offres et demandes d’emploi, bref de tout ce qui constitue le quotidien des angoisses des bibliothécaires. Une mine entomologique anthropologique, de mon point de vue, mais est-ce aujourd’hui encore un service, un espace de véritable échange ?

J’ai honte de mon métier quand j’assiste à certaines joutes que je n’ose même pas qualifier d’idéologiques (ce serait leur faire trop d’honneur, compte tenu des arguments échangés), à des affirmations sans preuves, à des questions ahurissantes dont la teneur témoigne de l’ignorance du minimum minimorum du métier, etc. Je ne source pas, je sais, mais vous avez essayé de sourcer sur un débat dans biblio-fr ?

On dira avec raison que c’est le flot de la vie, des envies, des rancoeurs, des philosophies parfois, de l’utilitarisme souvent, qui s’écoule… Ce n’est pas grave !!! Non, ce n’est pas grave, mais ça commence à ressembler à un dépotoir !

Pardon à Hervé Le Crosnier, créateur et animateur, et encore plus pardon au quotidien à Sarah Aubry, inlassable ‘collationneuse’ qui régule cet espace parcouru par un nombre impressionnant d’abonnés. Je respecte l’idée, le travail de tri que j’imagine très difficile et surtout abondant, et surtout cette prémonition géniale entre toutes qu’était, en 1993, celle de mettre en réseau les bibliothécaires, enseignants en sciences de l’information et personnes intéressées par les bibliothèques et la documentation. Le succès est indubitablement au rendez-vous : tout le monde connait biblio-fr.

Enfin ‘tout le monde’, presque ! Aujourd’hui oui pour les demandeurs ou offreurs d’emploi, oui pour ceux qui jettent une bouteille à la mer faute d’une formation professsionnelle idoine, oui pour ceux qui veulent promouvoir leur programme culturel (curieuse idée, soit dit en passant, de ne pas plutôt consacrer cette énergie aux publics destinataires : j’avoue hésiter à aller découvrir depuis Lyon la soirée contes de la bibliothèque de St Pineau les Charentes qui se déroule ce vendredi à 21h…), oui pour ceux qui veulent balancer leurs états d’âme voire s’étriper dans des débats que je qualifierais parfois d’hallucinants (je veux bien citer des noms sous la torture, mais heureusement beaucoup comprendront ce que je veux dire !). Mais les autres ? Les professionnels en quête d’un espace d’échange vraiment professionnel ?

« La mauvaise monnaie chasse la bonne » : ce vieil adage médiéval est on ne peut plus d’actualité hélas pour nos porte-monnaie. Mais je crains que biblio-fr en soit également la victime. Désolé, Hervé et Sarah, mais biblio-fr est devenu une pétaudière insipide ! Je reste abonné à la liste de par mes fonctions : je guette l’infime perle que je pourrai réadresser à un service du fait de ses compétences. Bien entendu, je guette aussi les perles qui me fourniraient des informations pertinentes. Le bilan calculé sur ces dernières semaines frise le taux de rentabilité des gisements aurifères du Jura suisse !!!!

Bien sûr, je n’oublie pas les offreurs et demandeurs d’emploi pour lesquels biblio-fr est une ressource essentielle, indispensable même. Bien sûr, je n’oublie pas son rôle majeur comme vecteur d’information sur les colloques, séminaires et autres conférences professionnelles. Bien sûr enfin je n’oublie pas son importance essentielle pour signaler une parution d’intérêt professionnel. Mais zut alors (et je suis poli), je n’ai pas besoin de voir ma boite aux lettres envahie par des déclarations d’intention, des annonces d’heures du conte, des changements d’adresse, etc.

L’idée est généreuse : le lien. Le problème, c’est le succès, et avec le succès la possible médiocrité des contributions. Quand j’ai douze messages qui signalent des modifications d’horaire ou d’ouverture de bibliothèques lointaines, et douze autres manifestes syndicaux, et encore douze annonces d’animations très locales, douze appels au peuple d’organismes de formation en mal de stagiaires pour une session spécialisée à Théodoric-le-vieux, et pour couronner le tout douze messages de personnes qui se plaignent des concours, des horaires, des  lecteurs, des chefs, de l’Etat, voire de la wifi ou de la RFID, je craque !!!!!!!

J’aime bien le butinage, mais à mon gré. Beaucoup de mes collègues se sont désabonnés de biblio-fr, épuisés (ils comptent sur moi pour faire le désherbage et le réadressage éventuel !). Et moi j’ai acquis l’art de juger aux titres des messages avant d’en supprimer 95% sans les lire, avec la secrète envie d’ajouter biblio-fr à la liste des spammeurs…

Sans compter que j’ai professionnellement honte de la teneur de beaucoup de pseudo-débats qui s’y déroulent. En fait, c’est le jeu de la messagerie: pas un  vrai débat, mais une succession d’affirmations catégoriques qu’on découvre au fil des jours. Même un  forum fait mieux. La messagerie n’est pas support de développement cohérent d’une argumentation. Et j’ai remarqué que la quasi-totalité des professionnels que je lis attentivement sur leurs sites, et qui à mon avis font avancer pour certains la réflexion, n’écrivent jamais de messages sur biblio-fr (sauf Dominique Lahary, maître polyvalent de la pensée poly-jaillissante. Bravo !)

Et pourtant, nous savons tous que biblio-fr est ‘quelque part’ indispensable. Mais comment ? Sous quelle forme ? Pour quoi faire ? J’imagine fort bien que biblio-fr se voulait à l’origine une sorte de dazibao. Bravo, surtout en 1993 ! Mais les bibliothécaires, à défaut d’en faire d’abord une pépinière d’idées et de débats, en ont fait un fourre-tout : composante d’un marketing mal pensé, substitut d’ANPE, journal d’annonces, mur à graffitis, etc. Abattre biblio-fr au nom de la modernité ? Mais les blogs actuels, même de qualité, restent des univers personnels, non des lieux de débat. Comment redonner à biblio-fr ou à un autre lieu une fonction de débat collectif et non de « mur à messages », non maîtrisée par UN blogueur mais par un arbitre qui ne se contente pas des commentaires dissimulés à la fin de son billet ?

J’imagine fort bien que ces questions animent les pilotes de biblio-fr. Mais vous, qu’en pensez-vous ?

mercredi 22 octobre 2008

Des journalistes aux bibliothécaires ? Et vice-versa ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 22 octobre 2008
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Un billet fascinant de Novovision, intitulé ‘Accès à l’information : le retour des médiateurs’, insiste sur le fait que « Les enjeux de l’information, comme le signalait déjà Alexandre Serres en 2004, ne sont plus dans « la maîtrise des stocks », mais dans la gestion « des flux ». Ils ne sont plus dans la « validation a priori » de l’information, mais dans la validation « a posterori »« . Et Narvick d’en conclure qu’il s’agit là d’un « déplacement de l’épicentre du journalisme ».

Les bibliothécaires se positionnent-ils dans la validation a priori ou dans celle a posteriori ? Un regard hâtif sur leurs activités laisserait penser qu’ils fonctionnent effectivement sur ce modèle que Narvick appelle de ses voeux pour les journalistes : loin de ‘créer’ l’événement, les bibliothécaires sélectionnent a posteriori l’information produite par les éditeurs.
Dans un billet ultérieur Affordance parle de journadocumentaliste en citant un article d’Alain Joannès sur Journalistiques : ce dernier fournit une liste ordonnée de liens outils de travail du journaliste qui fait écrire en commentaires à notre honoré et permanent Silvère qu’il existe une curieuse similitude entre notre métier et celui de journaliste. Je passe sur les échanges houleux qui suivent…

L’information se déploie largement hors de ce cadre qu’est l’édition traditionnelle : les sites institutionnels ou personnels véhiculent une masse de savoir que même les éditeurs renoncent à en mettre en forme le flux, et débordent massivement les productions habituelles des journaux et revues, comme les collections des bibliothèques. Les bibliothécaires en sont tout désarmés… Ils peuvent se demander si leur métier ne les emmène pas « ailleurs ». Je n’en suis pas si sûr.

Bien sûr, les techniques de recherche et de validation de l’information diffusent largement au sein des différents métiers qui en traitent, ne serait-ce qu’à cause du ‘support-source’ (et de ses caractéristiques) qui constitue leur envahissant terreau de ressources communes, Internet.

Mais ne confondons jamais techniques et contenus de métier. La « création d’information » est une notion évidemment réservée aux journalistes : à eux la charge d’assembler aujourd’hui peut-être plus des fils épars sur la Toile plus que le résultat d’enquêtes personnelles invisibles. A nous de prendre en charge une communauté pour lui donner des informations multiples, de la formation, de l’assistance à trouver leur manne, et même des lieux de partage et d’échange (conférences, services personnalisés, etc.). Par tous moyens.

Et pour rester dans les techniques respectives des deux métiers, les nouveaux journalistes sauront peut-être extraire la substantifique moelle de ce flux, mais il faudra aussi de nouveaux bibliothécaires pour signaler leur travail, et proposer de nouveaux modes de médiation, comme inventer de nouveaux liens sociaux, développer l’appétit de savoir d’une population précise, etc.

On n’a pas fini d’imaginer l’avenir !!

samedi 13 septembre 2008

Métier d’arts

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 13 septembre 2008
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La ‘bibliothécarisation du monde’ conduit les bibliothécaires à aller au-delà de leurs techniques éprouvées pour s’immerger dans une société irriguée par de nombreux flux d’information plus ou moins structurée – sinon par les algorithmes des moteurs de recherche -, et à concevoir prioritairement des politiques documentaires pour leurs collectivités. Le travail se diversifie selon les différents angles de ces politiques, donc selon les différents publics/usages visés : renouvellement de la responsabilité documentaire sur les contenus, médiation numérique (j’adore cette expression), programmation culturelle, etc. Fonctions et procédures innovantes se multiplient, souvent avec bonheur… Si de nouvelles compétences interactives apparaissent (management, traitement numérique, marketing, …), deux savoir-faire très anciens en connaissent également des évolutions profondes tout en conservant leur pertinence : l’art de documenter, et surtout l’art de chercher.

L’art de documenter

L’art de documenter est depuis très longtemps (Gabriel Naudé en témoigne) la pierre de touche du métier de bibliothécaire : l’art de savoir construire une offre de supports documentaires pertinents pour une population. Ce talent reposait sur trois piliers entre autres : la disponibilité de documents, les espaces disponibles, et le budget. Les besoins de la population étant  davantage un pari… C’est cet art qui a connu l’émergence des politiques documentaires, lesquelles ont formalisé ce talent autour des intentions de la collectivité et des usages des publics visés. Ce talent et cette formalisation s’exerçaient sur des documents maitrisés, parce qu’acquis et manipulables (hors la littérature grise, d’usage plus spécifique et souvent pâture de documentalistes) : on les introduisait dans le ‘système bibliothèque’ pour constituer une offre documentaire pertinente.
Mais les supports pertinents migrent en partie sur Internet, et la dissémination, dans et surtout hors les bibliothèques, des flux d’information documentée comme de cette patrimonialité potentielle  fait qu’un professionnel doit jongler entre le manipulable (ce qui est sous la maîtrise : l’imprimé, et plus anecdotiquement le numérisé en local), et le non manipulable (de plus en plus numérique sur Internet). Le second grandissant de façon exponentielle.
Comment proposer une offre documentaire dans ces conditions ? La réponse gestionnaire tiendrait dans la distinction entre le manipulable (plans de classement, procédures de désherbage, …) et le non manipulable (vaste flou regroupé sous l’appellation de bibliothèque électronique ou services numériques). Les usages des publics et la relation de la bibliothèque à ceux-ci imposent une approche non divisée. La solution réside dans le souci des besoins des publics de la bibliothèque réelle : sélectionner et surtout mettre en perspective l’ensemble des sources d’information potentiellement pertinentes, qu’elles soient matérielles et acquises, ou ‘virtuelles’ et identifiées. L’offre documentaire de la bibliothèque ne nait plus seulement de l’ordre des documents élus par l’institution, mais de l’ensemble des ressources disponibles. Et c’est en partant de l’analyse des interrogations du public que cet ensemble relativement instable peut proposer une mise en perspective, une contextualisation qui donne son vrai sens au « service public de la surprise » (selon Dominique Lahary).
« Savoir trouver les bons livres » fait appel désormais à trois talents complémentaires (et non exclusifs des anciennes compétences) :
la temporalité : le paysage documentaire comme les préoccupations des publics étant mobiles, l’offre contextualisée de la bibliothèque est en recomposition permanente ;
le recours à des sources diverses : il faut guetter non seulement les nouveautés intéressantes et fiables dans le monde stable et surtout instable (voir ci-après), mais aussi aiguiser son empathie avec ‘ses’ publics ;
l’explication, la mise en scène : la mise en espaces ne suffit plus, il faut inventer de nouvelles expositions adaptées à l’univers d’Internet. Ce qui suppose de plus en plus la capacité à écrire et pas seulement à indexer ou à discuter en banque de renseignement. Ecrire, c’est exposer, organiser, illustrer, etc.
L’expression de ces trois nouvelles compétences, ajoutées aux anciennes, est pour moi merveilleusement exprimée dans Points d’actu. L’art de documenter, ainsi revisité au regard des nouvelles pistes de découvertes possibles, jongle entre de multiples références… et abandonne toute illusion de stabilité référentielle définitive, car l’ offre potentielle est à la fois stable -l’imprimé- et mouvante -l’électronique-. En confrontant cette offre diverse aux besoins d’une population, l’art de documenter donne d’ailleurs une nouvelle vigueur aux collections matérielles : elles ne sont plus seulement gardiennes des savoirs anciens pour les amateurs, elles deviennent ressources pour mettre en perspective des préoccupations contemporaines. On utilise la mémoire pour éclairer le présent.

L’art de chercher

Parallèlement, examinons la quotidienneté du travail à un bureau de référence. L’exercice du métier de bibliothécaire a longtemps placé en exergue cette autre ancienne activité fondatrice, la recherche bibliographique ( AAh, les cours de l’Enssib au siècle dernier ! Les apprentissages fastidieux des sources essentielles !). Certes, la recherche bibliographique demande un réel talent pour débrouiller l’écheveau, aboutir au bon document. Mais elle était  jusque là fondée essentiellement sur une mise en ordre du monde par les bibliothécaires (voir remarquable thèse de Muriel Amar sur l’indexation), lesquels produisaient l’essentiel des compilations bibliographiques, d’où un système circulaire d’organisation du travail longtemps efficace : des pros élaborent les recueils bibliographiques ou des bases de données selon des méthodes normalisées, et d’autres pros -en front office– utilisent des méthodes similaires et les outils ainsi élaborés pour répondre aux besoins de recherche d’information, après un long apprentissage des sources et pratiques des premiers pros.

Cette cartographie complexe d’une certitude faiblement évolutive ne fonctionne plus qu’imparfaitement. La dissémination de l’information -encore !- est envahissante, et les bibliothécaires ne peuvent que très imparfaitement produire une mise en ordre stable : à côté et même souvent avant les textes maîtrisés, il y a moult autres sources possibles, non produites ni maîtrisées par les bibliothécaires. La bibliographie de référence (autre qu’identificatrice de documents matériels) devient de plus en plus improbable…
Là encore, une évolution est à l’œuvre. Si l’art de chercher exige toujours – et avant tout – de comprendre le contexte de la question posée (là encore le demandeur est premier !), deux autres savoir-faire se sont imposés :

– la veille sur les sources potentielles aborde désormais la diversité et la variabilité d’Internet : rares sont les sources stables dans leur qualité, fréquentes et peu annoncées sont de nouvelles ressources très pertinentes. A une question donnée s’impose désormais une sorte d’errance intuitive, d’autant plus efficace qu’elle se renouvelle constamment. Autant que les sources elles-mêmes comptent le chemins d’accès : une recherche efficace passe par des itinéraires déjà vérifiés mais aussi par des essais de raccourcis, il faut savoir rapidement si la source est imprimée ou électronique, quels types de sources doivent être croisés pour confirmer l’approche, etc. ;
– le plus étonnant est que le listage des sources bibliographiques, autrefois préalable à cet exercice, est devenu impossible : le bibliothécaire utilise en fait une cartographie mentale éminemment mouvante, faite davantage de procès itératifs que de points de repères pouvant être récapitulés…
Nombre de documentalistes ont déjà fait un bon bout de ce nouveau chemin : aux bibliothécaires de le découvrir et de l’arpenter à leur tour !

Documenter, chercher, deux arts constants dans le métier de bibliothécaire. A regarder les nouvelles compétences réclamées pour ces nouveaux talents, on voit bien qu’ils deviennent indissociables et complémentaires dans l’univers du bibliothécaire sur Internet, ou plutôt dans l’univers du bibliothécaire qui ne doit plus ignorer Internet. L’évolution est possible ! Par exemple, le Guichet du Savoir (l’art de chercher) et Points d’actu (l’art de documenter) ne sont-ils pas le fruit du travail des mêmes bibliothécaires ?…

C’est plutôt stimulant, non ?

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