Un coup de gueule de Michel Piquet, en commentaire d’un billet du bibliobsédé, pose quelques vraies questions : le terme de médiation n’est-il pas galvaudé (ce dernier supposant l’indépendance d’un intermédiaire commis au sein d’un conflit), et surtout le talent de transmission réclamé du bibliothécaire impose-t-il que ce dernier soit plus expert que son interlocuteur-client dans les contenus qu’il transmet ? Bon, d’accord, je schématise, mais si je comprends bien, la question posée par Michel Piquet interpelle à la fois le flou conceptuel de termes largement utilisés (jusqu’à parler de médiation 2.0…) et la nature même du statut d’intermédiaire qu’a le bibliothécaire.
L’imprécation étymologique envers l’usage « dévoyé » d’un terme particulier ne m’émeut guère. Je n’éprouve par exemple aucun remords à transformer le sens social et vécu du ‘bibliothécaire’ pour en donner une autre définition que ‘le préposé à la garde de l’armoire aux livres’. Encore faut-il, et là je suis d’accord avec M.P., que la définition nouvelle soit rigoureusement étayée et repose sur un concept solide. Or je reconnais que l’invocation de la « médiation » est tout sauf rigoureuse. Non pour les raisons étymologiques invoquées, mais parce que le terme évoque un vague entre-deux et surtout suppose, dans l’acception commune, un « médiateur » qui sait et un « médié » qui – le malheureux ! – ignore… Pourtant j’ai rarement entendu un bibliothécaire en université parler de ce type de médiation dans ses relations avec les enseignants-chercheurs ! Serait-ce réservé à la lecture publique ? Cela signifierait que les bibliothécaires-médiateurs y sont plus savants que leurs publics… ou du moins d’une bonne partie d’entre eux. Et vis-à-vis des usagers qui en savent plus que le bibliothécaire en face de lui (et ils sont légion !), de quel type de relation parle-t-on ?
Pour ma part, j’ai jusqu’à présent préféré le terme d’accompagnement à celui de médiation, justement pour reconnaitre la compétence – et non la soumission – de ‘mon’ usager interlocuteur : aider à trouver l’information idoine, ce n’est pas ‘savoir plus’, surtout si par exemple l’information requise concerne l’anatomie des poissons ou la chromatographie en phase gazeuse (j’évoque ici quelques-unes de mes profondes limites cognitives…).
La neutralité du terme ‘accompagner’ est parfaite dans un monde stable, aux références établies et surtout partagées. J’aime bien l’idée de compagnonnage que ce terme sous-entend… Mais il est vrai que substituer ce terme d’accompagnement à celui de médiation ne règle rien, sinon évoquer une ambition qui se veut plus modeste et respectueuse de la diversité des publics.
Le problème, c’est que la pluralité des espaces de l’information et surtout la diversité des besoins, compétences et pratiques des personnes (bibliothécaires comme usagers) rend hasardeux le terme d’accompagnement, dans la mesure où il en rend indistinctes les différentes facettes.
L’expertise documentaire au service du public
La première de ces facettes, celle qui a provoqué le plus grand nombre d’écrits, concerne l’art de chercher face à une question documentaire. C’est là une compétence professionnelle à acquérir, maintenir et développer pour toutes celles ou ceux qui ont à affronter des questions d’ordre scolaire, pratique, professionnel ou scientifique. Certes, cet art de chercher ne peut se passer d’une réelle empathie avec le questionneur, mais il exige non seulement des apprentissages, mais également la confrontation réitérée à la diversité des questions. C’est un métier au sens le plus « dur » du terme…
C’est en même temps un accompagnement, car la mobilisation ‘recherchiste’ du bibliothécaire ne prétend aucunement maîtriser mieux que son client le champ des contenus au sein desquels il… cherche. Simplement, pour reprendre un vieil aphorisme, s’il ne connait pas la réponse, il sait où la trouver.
Au service de la découverte
La dimension professionnelle de cet ‘art de chercher’ m’a beaucoup fasciné, je le reconnais. mais le commentaire de Michel Piquet met le doigt sur une autre facette essentielle de la bibliothèque – au moins de lecture publique – : l’offre de la surprise, de la découverte. Le désir de surprise ne se limite pas à la découverte de romans ou de films, mais parcourt tous les types de documents. Et comme dans le cas précédent, c’est la position de l’usager, son intention, qui mobilisent bien d’autres compétences, et au premier chef l’art de séduire, d’attirer l’attention, d’exciter les papilles…
Il me semble que là, avant toute compétence strictement professionnelle, c’est effectivement – comme le souligne avec alacrité notre commentateur – une passion communicante qui est à l’œuvre : il faut convoquer ses propres intérêts, discuter avec le lecteur, laisser parler ses passions… La culture mobilisée n’est pas tant professionnelle que personnelle. Et, plus encore, le talent requis pour emporter l’intérêt tient de la connivence plutôt que de la connaissance.
Il est tout à fait juste de souligner, avec Michel Piquet (que décidément nous aurons suivi tout au long de ce billet), que la totalité des agents de la bibliothèque, quel que soit leur grade ou leur statut, peut intervenir dans ce dialogue humain de découverte et d’échange avec nos publics. Si par ailleurs je suis plus que sceptique sur la capacité de tout un chacun à « savoir chercher » – justement dans les domaines qui ne relèvent pas de la culture ou de l’intérêt personnels -, je devine qu’il est intéressant de creuser la nature des compétences à l’oeuvre dans cette proposition de découverte.
Transmettre ?
En effet on ne choisit pas ses publics – enfin le croit-on… -, et ceux qui viennent chercher une information précise sont – en bibliothèque publique au moins – sans doute moins nombreux que ceux qui sont demandeurs de découverte (du moins selon l’enquête du Credoc). Cette ambivalence oblige à questionner la fonction de la bibliothèque lorsqu’elle veut surprendre, faire découvrir. Et une idée me vient, somme toute très ancienne : et si nous ne faisions que transmettre ? Payés pour accumuler certes (une vieille fonction bien malmenée), mais surtout payés pour être curieux, attentifs aux textes, images et musiques. Et pour les faire partager à la communauté. Bref transmettre le savoir accumulé – en nos murs ou ailleurs -, le transmettre là où il est demandé et comme il est demandé.
Le stock nous échappe de plus en plus, Google en fait la démonstration quotidiennement. Mais la curiosité, l’écoute de la collectivité, le désir de transmettre et de partager nous demeurent sans concurrence publique. Et c’est cela au fond qui motive encore l’intérêt envers nos établissements. Pour répondre à cet appétit de découverte, il est indispensable de mobiliser l’ensemble de tous les agents, de toutes les curiosités, en dépit de tout statut (pourquoi d’ailleurs ne pas en outre convier la ‘société civile ‘ ?). Selon quels processus, quels talents, quelles compétences ? Le débat est ouvert…
Mais sans nul doute, parallèlement, en juste retour du statut spécifique des bibliothécaires et assimilés – au sens professionnel -, il est alors nécessaire de leur demander d’exercer complémentairement et expertement cet ‘art de chercher’ devenu si sophistiqué.
Non ?