Bertrand Calenge : carnet de notes

vendredi 24 avril 2009

A partir d’une idée comme ça : et si on louait les best-sellers ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 24 avril 2009
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Une bibliothèque peut – doit ? – multiplier ses services en fonction des besoins de sa population. Parmi ceux-ci, les services numériques ont la part belle dans les ‘biblioblogs’ (normal : ceux qui tiennent les dits blogs sont plutôt experts en ce domaine), même si quelques-uns, ici ou , se hasardent à témoigner d’un quotidien professionnel beaucoup moins marqué par l’innovation technologico-servuctive (pardon pour le néologisme). Oublions un instant cet impératif de la médiation numérique, et revenons à la quotidienneté des établissements avec leurs publics bien réels…

De l’emprunt comme facteur effectif de l’activité des bibliothèques publiques

Dans un dernier billet, j’évoquais le service du prêt, soulignant qu’il était indispensable pour ce service spécifique de tenir compte des premiers visés, les emprunteurs et leur appétence. Étant entendu bien sûr que par ailleurs les participants à une conférence, les visiteurs d’une exposition, les demandeurs d’emploi ayant à rédiger leur CV ou les collégiens en mal de documentation pour leur exposé nécessitent  par ailleurs d’autres processus de service. Ce service du prêt, si négligé dans les ‘biblioblogs’ déjà cités, représente à la fois la plus grosse charge de travail des bibliothèques publiques d’aujourd’hui (équipement, prêt, retour, rangement, etc.) et la demande la plus pressante des utilisateurs qui se pressent à nos portes (au moins celle qui s’exprime la plus spontanément et la plus… énergiquement). Sans compter que la question des prêts reste, pour les élus, un indicateur majeur de l’activité (pardon à la BPI !).
Quand à Lyon on prête près de 3,5 millions de documents par an, et qu’on évalue les charges logistiques qui en découlent à tous niveaux (transactions, manipulations, navette, réglages informatiques, gestion des conflits, adéquation de l’offre à la demande, etc.), on ne peut qu’être sidéré : je parie – évaluation au doigt mouillé – que largement plus de 50 % du temps de travail général y est directement consacré ! Cela ne signifie pas, je le répète, qu’il ne faille pas développer de nouvelles formes d’accompagnement, numériques ou présentielles. Mais les faits et les publics sont têtus : le prêt reste – encore – à la fois un argument majeur de notre attractivité et une part importante de notre activité…

Pour continuer à être utiles demain, et donc à exister encore, il faudra sans nul doute inventer de nouvelles formes de rencontres avec nos publics. Mais l’époque actuelle nous apprend surtout à devoir distinguer les objectifs et circuits des services mis en œuvre. Si on parle du service du prêt, on parle des emprunteurs, de leurs demandes, de leurs pratiques.

La demande, la demande, vous dis-je !….

Comme je le rappelais dans le billet signalé plus haut, un taux de rotation fournit une activité générale d’un segment de collection pris dans son ensemble  – donc d’une activité de prêt globalisée. En revanche, il ne fournit  aucune indication sur la pression possible de la demande sur un titre spécifique. Si on analyse cette activité et cette pression, non globalement mais titre à titre, le paysage change. Certains titres ne sont guère empruntés (mais peut-être sont-ils utiles en consultation ?), d’autres connaissent un succès d’emprunt modéré… et quelques-uns sont soumis à une pression gigantesque de la demande d’emprunt. Ce sont souvent des romans ou des essais médiatiques : pour l’anecdote, et j’espère ne pas trahir un secret d’État, la trilogie Millenium a connu à Lyon plus de 850 réservations sur l’année 2008 ! Quant à promouvoir un titre via Internet, l’opération n’est pas sans risque : créer un buzz autour d’un titre confidentiel, c’est génial, mais comment la bibliothèque peut-elle répondre à une demande massive sur ce titre (demande au fond légitime, puisque c’est elle qui a lancé le buzz) si elle n’en possède qu’un ou deux exemplaires ?

Certes, un titre spécialisé peut connaître un vrai succès auprès de spécialistes (on connait le cas pour des manuels de logiciels hyper-pointus… et très coûteux), mais cette demande reste, du point de vue de la masse des demandes, minoritaire. Ma question porte sur la pression massive.

Louer des best-sellers ?

Si une bibliothèque poursuit une politique d’acquisition cohérente, qui laisse sa place à la demande (par exemple achat en 2 exemplaires d’un titre populaire), que peut-elle faire quand la demande pressante excède ses capacités financières ? Céder à cette demande, c’est renoncer à proposer un panorama mûrement pesé de la production. Refuser l’écoute de cette demande, c’est s’exposer à recevoir les récriminations des plus fidèles visiteurs voire à leur renoncement. Coincés ?

Les bibliothèques publiques du Québec (voyez ici, ou – juste à titre d’exemples, il y en a des centaines, comme le relevait Réjean Savard – et d’autres aux États-Unis, et m’a-on dit aux Pays-Bas ou en Allemagne) ont envisagé la question sous un angle rationnel : oui, on achète les best-sellers (à la fois parce qu’ils représentent une image actuelle du monde d’aujourd’hui et parce qu’ils sont demandés), mais si la demande devient excessive on refuse de consacrer les deniers publics à l’appétit de quelques centaines de consommateurs avides, pour ne pas déséquilibrer la collection compte tenu des moyens consentis.

Alors, pour ces amateurs forcenés (et souvent pressés), on propose un deal : la bibliothèque achète selon sa politique d’acquisition X exemplaires du titre et les intègre à sa collection aux conditions normales d’accès et d’emprunt. Si vous êtes si pressés, la bibliothèque en achète XXX exemplaires en plus, et  vous pouvez les louer à un prix modique (2 à 5 €). Ces titres ne font pas partie de la collection, ils sont la réponse à votre demande urgente. D’ailleurs, lorsqu’ils seront en fin de vie, et de succès, on les soldera auprès des amateurs. Et les ressources tirées des locations et de la vente finale permettront de réalimenter ce stock à usage urgent, voire pourquoi pas de contribuer à enrichir l’offre documentaire pérenne de la bibliothèque.

L’offre réfléchie des bibliothécaires n’est pas remise en cause. En fait, on répond aux ‘maniaques’ (que je respecte : j’en suis un parfois moi-même), avec un service qui s’auto-alimente financièrement, les recettes des locations et des ventes en fin de vie équilibrant le renouvellement des best-sellers, qui ne sont d’ailleurs pas si nombreux en termes de titres.

Objections ?

Objections, Votre Honneur (ou Monsieur le Président, pour ne pas verser dans les séries américaines…) :

Première objection : on pervertit la constitution réfléchie de la collection
Si le budget d’acquisition était piloté par la seule demande, l’objection serait  recevable. Dans mon hypothèse, on privilégie au contraire la réflexion à moyen et long terme, en dérivant les exigences les plus présentes vers un ‘budget annexe’ alimenté par les plus exigeants. Bien entendu, un tel dispositif exige des contraintes, par exemple qu’un titre ‘loué en best-seller’ ne puisse être acquis que si la bibliothèque en a déjà acquis X exemplaires pour un prêt régulier, selon les modalités ordinaires de prêt. Pour ceux qui veulent débattre plus avant de l’offre et de la demande, voyez ici et par exemple.

Deuxième objection : on crée une bibliothèque à deux vitesses
Deux vitesses ? On voit tout de suite l’interrogation : certains pourront, moyennant finances, obtenir rapidement un titre qu’autrement ils auraient attendu plusieurs mois. Ce serait de l’inéquité ! L’objection a déjà été lancée à Victoriaville au Québec (ici), mais la réponse en commentaire du directeur des services culturels de Victoriaville mérite d’être citée :

« La collection documentaire d’une bibliothèque vise à répondre à la majorité des besoins de lecture d’une population. Les acquisitions sont équilibrées, tout en tenant compte de la popularité d’un titre, qui sera acquis à un plus grand nombre d’exemplaires, afin de répondre à la demande. D’ailleurs, le nombre de personnes qui réservent un titre est l’indicateur le plus fiable. La bibliothèque achète un exemplaire supplémentaire dès que le nombre de réservations du titre atteint dix. Il y a donc un plus grand nombre d’exemplaires sur les rayons pour l’emprunt régulier de livres.
La location des «titres à succès ou best sellers» est une formule qui vise à permettre à un plus grand nombre de personnes d’accéder simultanément à la lecture du roman de l’heure. Pour une somme minime, 3 $ en passant, le lecteur peut obtenir le roman plus rapidement. Retenons que le titre populaire a une durée de vie assez courte. En effet, plusieurs veulent le lire dès sa sortie et après quelques mois, la demande pour le titre baisse significativement, étant déjà remplacée par un autre titre qui vient de sortir. C’est ainsi, que plus de personnes, vraiment plus de personnes, peuvent lire le roman fraîchement publié, pratiquement dès sa sortie. Pas mal, non !
De plus, cette formule est répandue dans les bibliothèques publiques du Québec.
En résumé :
1. un roman populaire est toujours disponible pour l’emprunt régulier ;
2. selon la demande, nous ajoutons des exemplaires destinés à l’emprunt régulier ;
3. la location répond à un besoin momentanée d’un grand nombre de personnes à lire le roman fraîchement éditée ;
4. la location permet de désengorger la file d’attente à l’emprunt régulier sur un titre populaire, donc plus de personnes peuvent emprunter le livre, et ce, plus rapidement encore ;
5. la mesure est économique autant pour la bibliothèque que pour l’usager ;
6. et, la bibliothèque est satisfaite de cette mesure, par la popularité qu’elle suscite. »

Troisième objection :  On risque de dériver vers une organisation de services à la demande

L’argument est loin d’être passéiste ou rétrograde. Il est vrai que la bibliothèque constitue fonctionnellement un service collectif  d’accompagnement (par ses financements, sa tutelle et ses publics destinataires) des populations d’une collectivité particulière. C’est sa différence profonde d’avec les services marchands : nous n’avons pas à construire notre créneau en fonction d’un service ou d’un produit, mais nous devons inventer les services et produits qui nous permettront de mieux servir un public prédéterminé, celui pour lequel nous sommes payés, bref les citoyens de notre collectivité.
Les services à la demande ont ceci de redoutable qu’en parcellisant les demandes et les services, ils tendent nécessairement à isoler chaque prestation pour en identifier les destinataires et leurs besoins. En soi, ce peut être une bonne chose (un cadre passionné de musique alternative n’a ni les mêmes demandes ni les mêmes pratiques ni les mêmes moyens qu’un chômeur en fin de droits cherchant à établir son CV dans un espace numérique).

Identifier les demandes et les demandeurs (ou plutôt les besoins) est très intéressant. Mais ce doit être conduit bien sûr en conservant en règle de conduite l’intérêt général d’une population,  donc d’un équilibre politique envers les besoins de toutes ses composantes. Simultanément au sein d’un même établissement – et selon des priorités dictées par le contexte local – on agira dans de multiples directions, ici la médiation auprès de publics isolés, là un programme culturel ambitieux, là encore une entreprise de médiation numérique, là enfin – revenons à notre propos – le service adapté aux emprunteurs avides…Donc prière de ne pas prendre cela comme une lubie – ou une idée géniale, j’aimerais mieux !-, mais comme une piste possible dans un éventail d’opportunités.

Quatrième objection : on a le droit ?

Désaffecter des documents, cela relève de l’autorité locale. Après avoir cherché (mais je ne suis pas expert), je n’ai rien trouvé qui empêche la vente de documents non patrimoniaux en fin d’activité (sous réserve des arrêtés et procédures ad hoc), ni la location de certains livres (attention, pas les DVD, dont l’usage n’est possible en bibliothèque qu’aux fins de prêt ) : voir par exemple la loi sur le droit de prêt.
Et puis, au fond, la question du droit n’est-elle pas souvent l’ultime argument défensif ? Si la loi n’est pas élastique, son interprétation reste soumise à quelques impératifs fondamentaux, et pour les institutions publiques celle de vérifier notamment l’égalité d’accès : bien distinguée financièrement, cette hypothétique offre de « best-sellers supplémentaires en location » peut-elle être considérée comme un « coeur » du service public, ou comme une activité facilitatrice accessoire ? La réponse n’est sans doute pas dans les grands principes, mais dans l’organisation générale de la bibliothèque.

Mais la vraie question ici c’est : qu’en pensez-vous ?

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mercredi 22 avril 2009

Prêts et indicateurs : taux de fonds actif, taux de disponibilité utile, etc.

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 22 avril 2009
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Ça y est, j’ai enfin achevé depuis quelques semaines la fastidieuse collecte des données statistiques requises par nos différentes tutelles. Fastidieuse par sa réitération, mais parfois passionnante par les analyses qu’elles permettent de conduire, surtout quand un collègue intrigué par une donnée vous interroge sur sa signification. Et, même si d’autres mesures ou études questionnent naturellement les professionnels, c’est souvent autour des emprunteurs et des prêts que tournent les interrogations.
En outre, j’ai noté que mon billet très technique sur les taux de rotation avait intéressé beaucoup de gens.
Alors, je vais m'(vous) offrir une pause méthodologique sur deux ou trois analyses intéressantes concernant les prêts, part la plus visible (et la plus éprouvante) dans notre activité, et en particulier cette fois-ci sur l’efficience des services rendus (point d’ailleurs pas du tout abordé dans les rapports statistiques destinés au ministère). On accroche la ceinture, et on y va !

Taux de fonds actif

Les taux de rotation permettent, sur une collection ou un segment de collection, de connaître son succès global. Mais, même très élevé, il ne garantit pas un égal succès à tous les exemplaires proposés à l’emprunt : les best-loaners peuvent masquer l' »inactivité » de nombre de titres. Par exemple, si 100 titres sont proposés et qu’on constate 500 prêts, on aura un taux de rotation de 5. Mais si, sur ces mêmes 100 titres, 50 ont été empruntés 10 fois chacun et 50 autres jamais, on aura encore un taux de rotation de 5 (si si ! relisez ! ça fait 500 prêts pour un volume global de 100 titres !)… sauf que la moitié de la collection n’aura pas trouvé son public – au moins d’emprunteurs – et que l’autre moitié aura été largement exploitée. Il est donc plus qu’utile de disposer d’une extraction qui ne repère que les exemplaires réellement empruntés au cours d’une année, et de confronter le résultat aux exemplaires disponibles à l’emprunt.

Taux de disponibilité utile

Dans la même démarche, intéressons-nous à la réalité du fonds tel qu’il peut être perçu par un emprunteur potentiel à un instant T : certes,on peut espérer qu’il aura à sa disposition un certain nombre de documents sur les étagères, mais présentant quel intérêt ? Sans vouloir qualifier la foule des emprunteurs de moutons de Panurge, force est de constater que rares sont les intérêts extra-ordinaires : comme l’expliquait un certain Morse aux Etats-Unis, plus un livre est emprunté, plus il a des chances de l’être (et la proposition inverse est également vraie). Or le libre accès, dont l’espace est compté, est ordinairement destiné aux documents qui ont la plus grande probabilité d’usage et donc d’emprunt (ce constat ne retire aucune valeur aux documents plus confidentiels, rangés eux en magasins). Il est donc intéressant de vérifier l’intérêt potentiel que peut présenter un rayon pour un utilisateur lambda. Pour cela, il faut disposer d’une photographie du rayon à un instant T (à Lyon, c’est le 31 décembre) : un certain nombre de documents sont alors absents car empruntés, mais ceux qui restent peuvent être répartis en 2 catégories, celle des documents qui ont connu au moins un emprunt dans l’année (et donc susceptibles d’en connaître au moins un autre), et celle des documents n’ayant pas connu un seul emprunt (ne sont-ils pas là pour « meubler », telles les bibliothèques au mètre autrefois affectionnées par les notaires de province ?). Il suffit d’effectuer un petit calcul simple : fonds théoriquement disponible (sur catalogue), moins titres empruntés (donc indisponibles), et moins titres jamais empruntés (donc potentiellement inintéressants) = l’offre documentaire active réellement proposée au visiteur. Rapporté en pourcentage sur le fonds théoriquement disponible, cela produit un taux de disponibilité utile. Faites l’expérience, ce peut être instructif : un segment de collection en libre accès qui s’enorgueillit de ses 1 000 volumes peut très bien ne comprendre que 10 à 15 % de titres potentiellement disponibles… ET utiles au public visiteur.

Analyse des réservations

Votre bibliothèque autorise les réservations en ligne ? Voilà un outil d’évaluation intéressant. On peut exporter une liste de toutes les notices et exemplaires qui ont connu une réservation au moins sur les 12 mois précédents, et l’ordonner par nombre de réservations sur le titre ou – en particulier pour les établissements multi-sites – par exemplaires localisés. On imagine que le résultat viendra conforter les best-sellers ? Ce n’est que partiellement exact : certes, si on aborde la question sous l’angle du nombre absolu de réservations par titre – sans tenir compte du nombre d’exemplaires disponibles de ce titre -, on retrouve effectivement en majorité des best-sellers (à Lyon, la trilogie Millenium bat tous les records, à juste titre si je suis mon avis de lecteur de base). La performance peut encourager à multiplier – en nombre raisonnable – les rachats d’exemplaires supplémentaires. Mais plus intéressant encore est le nombre de réservations par exemplaire, notamment dans le cas où le dit exemplaire est singulièrement solitaire dans la collection : je constate que, dans nombre de cas, la demande porte sur des titres a priori très pointus (manuels d’informatique spécialisés notamment) et maigrement acquis… Alors je m’interroge : si les best-sellers – en général littéraires – méritent d’être acquis en exemplaires multiples au vu de ces réservations, la même exigence ne saurait-elle s’appliquer à des titres moins médiatiques – et donc acquis en moindre nombre, quoi qu’en disent les tenants de « l’exigence culturelle » – ? Ne peut-on ‘déclencher’ l’acquisition d’un exemplaire supplémentaire dès que le nombre de réservations atteint un certain seuil, même pour un ouvrage technique ?

Tenir compte du public ?

On aura noté que mes trois exemples posent les pratiques et demandes des emprunteurs au cœur de l’analyse. Certains jugeront futile voire démagogique cet intérêt pour leurs demandes, et on me balancera peut-être encore l’absurde dichotomie entre la part de l’offre et celle de la demande. Sauf que l’organisation même de la collection et des agents autour des fonctions de prêt place de fait les emprunteurs au cœur de ce type de service (attention, je n’ai pas dit de toute la bibliothèque !). En clair, si une part de l’organisation bibliothécaire s’oriente vers le prêt, cette part doit être jugée à l’aune des pratiques des emprunteurs (et je n’en ai évidemment qu’effleuré l’étude). On n’appliquera évidemment pas les mêmes critères aux services patrimoniaux, aux services de questions-réponses, aux offres de corpus numériques, aux appareils d’assistance pédagogique, etc. Mais si on parle prêt, on parle emprunteurs, et c’est des pratiques de ces derniers qu’il est question.

Il y a quelques années, à une époque où j’avais instauré la possibilité de demandes de titres même hors catalogue, j’avais argumenté auprès d’une collègue discothécaire (on disait comme ça à l’époque) : tout titre demandé plus de X fois devait être acquis et  fourni à ses demandeurs, quelle que soit sa ‘valeur’ aux yeux de la collègue en question. Folie, disait-elle : on va être débordé ! L’expérience fut tentée, avec des garde-fous élaborés (le nombre d’exemplaires racheté restant limité). Bilan : le poids financier des best-loaners ne dépassait pas 5 % des crédits ! Ce maigre investissement méritait-il une telle acrimonie ? Sûrement, non, mais encore fallait-il tenter l’expérience ; c’est une leçon que j’ai retenue : toujours essayer avant de pouvoir déclarer la validité ou l’impéritie d’une hypothèse de travail…

Quand on prête, on accepte aussi les règles du jeu des emprunteurs, quitte à en mesurer l’impact dans les budgets consentis. J’y reviendrai…

vendredi 17 avril 2009

Droit de prêt et Hadopi : quelle parenté ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 17 avril 2009
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Un très beau billet de Philippe Axel sur la licence globale et Hadopi, signalé par Internet Actu dans sa revue de presse, mérite le détour, y compris pour nombre de ses commentaires. Philippe Axel y défend mordicus le principe de la licence globale, avec des arguments qui, à mon avis font mouche.

Bien sûr, d’autres ont fortement soutenu cette licence globale (comme Silvère, et je ne fais ici que rebondir sur son excellent billet d’il y a un an !), mais si je reviens sur cette très intéressante proposition, c’est qu’elle me rappelle un « ancien » débat du tournant de ce millénaire, déjà souligné par Silvère (mais il faut toujours enfoncer le clou, même si je le fais avec moins de talent !). Rappelez-vous, les bibliothèques publiques étaient accusées de concurrence déloyale envers les auteurs, les libraires et les éditeurs, prêtant gratuitement ou presque le même livre des centaines de fois et « donc » dérobant une clientèle potentielle aux acteurs de la création écrite. A la différence du contexte que nous connaissons avec Hadopi, une vraie étude avait alors été lancée par le Ministère de la Culture, qui montrait – ô surprise – que les plus gros emprunteurs étaient aussi les plus gros fréquemment acheteurs, et que l’on ne pouvait établir nul lien de cause à effet entre emprunt de livres et ventes en librairie. Encore avait-on du d’ailleurs écarter de l’étude quelques acteurs éditoriaux, par exemple les éditeurs pour la jeunesse, globalement favorable aux bibliothèques à la fois gros clients et prescripteurs efficaces.

Cela s’est terminé avec la loi du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs. Cette loi n’a heureusement pas décidé de qualifier les bibliothèques de « pirates publics » (l’antériorité historique et le caractère public aident !!), mais a instauré un « droit de prêt » payé en fait par la collectivité publique, en l’occurrence à 50 % par l’Etat (au prorata du nombre d’usagers des bibliothèques), et à 50 % par les collectivités locales au prorata des achats des bibliothèques (via une redevance à l’achat proportionnel au coût du livre, ce même si le livre acquis n’est pas destiné au prêt d’ailleurs !). En outre, les collectivités territoriales se voyaient  supplémentairement mises à contribution par une limitation réglementaire des remises auxquelles elles pouvaient prétendre dans leurs achats.

Ce système fonctionne ainsi aujourd’hui (encore qu’on puisse ne pas toujours comprendre les clés de répartition des ressources tirées de cette forme de licence globale par la société créée ad hoc pour gérer la manne). Soit dit en passant, je me suis toujours félicité que les bibliothèques aient gagné par ce moyen une reconnaissance à la légitimité d’un espace d’information relevant de l’espace public…

Mais ce qui est le plus intéressant, c’est que les arguments échangés au cours de ce débat rappellent furieusement ceux qui entourent Hadopi… et que le législateur (déjà majoritairement UMP et il y a moins de 5 ans) a alors opté finalement pour cette forme de licence globale (et qui plus est en y participant lui-même largement). Certes, le contexte budgétaire est nettement plus tendu aujourd’hui, mais la licence globale proposée pour Internet ne ferait pas intervenir les finances publiques !!

Pourquoi ce qui a été jugé pertinent pour le livre et les bibliothèques ne fonctionnerait-il pas pour contenus culturels en ligne et citoyens ? Même si aujourd’hui l’échelle est différente (quelques milliers d’établissements hier face à des millions d’abonnés à Internet aujourd’hui) et si les objets culturels peuvent être plus divers sur Internet (encore qu’on n’entende guère maintenant que les arguments de la seule industrie musicale, donc des disques), la problématique est étrangement similaire. J’imagine que la technocratie ne manque pas de crânes d’oeufs pour concocter une société de répartition de droits apte à produire des clés de répartition entre les différents acteurs notamment de l’industrie musicale (et au premier chef les artistes ? Non, je plaisante  smileys Forum).

Ou alors j’ai raté quelque chose ?

mardi 14 avril 2009

Du pirate et du bibliothécaire

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 14 avril 2009
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Un billet de Joël Faucilhon, déjà lu par beaucoup dans sa version feuilletonnesque et régulièrement remis à l’honneur par quelques blogueurs, attire l’attention sur le fait que la communauté des « pirates » devient de plus en plus exigeante autant en termes de qualité que de ‘métadonnées’ (pour reprendre le terme qui a imparfaitement remplacé celui de catalogue), et que cette communauté pirate poursuit à la fois la plus large diffusion des textes mais aussi leur pérennité (choix des formats, etc.), bref l’objectif que visent les conservateurs (sous-entendu : les bibliothécaires qui œuvrent pour la mémoire…). Plus encore, JF souligne également que les différentes communautés de « pirates » veillent à constituer des corpus de textes mêlant originalité et cohérence, et en tire argument pour les rapprocher des bibliothécaires.

Sur le dernier point, j’ai le sentiment que l’auteur connaît très bien les bibliothèques (bibliothécaires) pour leur rendre un hommage si rare. Merci beaucoup ! Pour l’analogie proprement dite entre ‘conservateurs’ et ‘pirates’, je reste perplexe. Je vois bien que l’auteur n’envisage pas cette facette du métier qui consiste à offrir à une communauté « physique » un espace vivant, social, discuté : il parle ici des conditions de mise en œuvre d’une pérennité organisée des textes à l’intention d’un public réuni par le fil d’Internet et non plus localisé en une collectivité spécifiquement localisée.

Que de vieilles techniques mises en œuvre par les bibliothécaires soient reprises – en les réadaptant parfois – face à la masse des opportunités d’information offertes, nul n’en doute et nul ne devrait s’en étonner : la « bibliothécarisation du monde » est constatée depuis longtemps. Que soit posée la question d’une pérennité (potentielle) des formats d’encodage est on ne peut plus légitime, tous les bibliothécaires soucieux de ‘conserver’ en conviendront. Que chaque collectionneur – personne physique ou morale, individu ou collectivité constituée, même non officiellement – aie le souci des connexions, correspondances, cohérences des divers textes qu’il rassemble et ordonne, on le sait depuis que les bibliothèques – d’abord privées – existent.

Peut-on pour autant assimiler une communauté de ‘pirates’ (avec les guillemets, c’est sans intention péjorative, j’aurais pu dire ‘une association’) aux acteurs publics que sont les bibliothécaires ? Sans doute oui, si on considère les seules exigences techniques qui sont mis en oeuvre dans leurs  projets respectifs.

Mais les moyens suffisent-ils ? Par rapport aux bibliothécaires, il manque quand même à ces ‘communautés pirates’ trois éléments importants d’un point de vue ‘professionnel’ :

  • leur mandat ne relève que d’eux-mêmes : nulle instruction de personne, nul contrôle autre qu’interne, nul financement autre que personnel, nulle responsabilité vis-à-vis de quelque collectivité publique que ce soit. Désolé de le rappeler, mais l’action des bibliothécaires s’inscrit dans le cadre d’un service non pas spontané, mais prescrit par des autorités (plus ou moins convaincues, j’en conviens) ;
  • la communauté des personnes qu’ils servent ( car, comme dans toute communauté, il y a les nombreux individus consommateurs, et les trop rares individus acteurs et producteurs !) reste totalement virtuelle et mouvante. Un bibliothécaire ‘lambda’ connait une exigence bien éloignée des audimats d’Internet : non le service virtuel, mais l’imagination au service bien réel de toutes les personnes de la collectivité, internautes experts ou pas ! Un bibliothécaire ne choisit pas son public, celui-ci lui pré-existe, en ligne… ou le plus souvent pas !
  • la coopération qu’ils prônent n’est guidée que par le souci de la réussite des entreprises personnelles de chacun des ‘pirates’, et surtout par le désir d’accroître leurs ressources moissonnables. En soi, cette revendication est rien moins que raisonnable, mais elle ne s’inscrit que dans le souhait d’une exploitation personnelle durable.

En revanche, la démarche décrite par JF me semble très intéressante lorsqu’elle balaye nombre de présupposés : sur la spécificité des techniques bibliothécaires, sur l’ « exclusivité communautaire » de ces dernières, sur la tentation confiscatoire qui nous anime parfois dès qu’on évoque une possible correspondance entre une communauté et un réservoir organisé.

Nous sommes entrés dans une époque particulière : les techniques que nous défendons sont appropriées et développées en dehors de notre cénacle, les communautés de savoir ne sont plus créées par les seules instances ‘officielles’ dont nous pensions être parmi les plus éminents représentants, nos préoccupations documentaires (identification, conservation, mise à disposition, introduction dans des corpus cohérents,…) peuvent être développées hors notre contrôle… Alors, à quoi servons-nous ?

Il est temps de cesser de rêver à d’hypothétiques arguments de savoir universel, ou à une bibliothèque universelle placée sous les auspices de savants que nous aurions homologués. L’avenir des bibliothèques de statut public tient dans leur étroite imbrication avec les instances publiques qui gèrent aujourd’hui la société. Communes, universités, départements, tel est maintenant notre terrain d’action. Si ces instances démissionnent, renoncent à aborder le complexe tricotage des échanges publics, et laissent les seuls acteurs individuels (pirates ou non !) conduire le bal, alors je crois que les bibliothèques de statut public n’ont pas d’avenir.

Sauf si bien sûr ces décideurs, et avec eux ‘leurs’ bibliothécaires fontionnaires, veulent servir l’ensemble des publics des collectivités où ils sont acteurs : car fondamentalement l’initiative revient aux tutelles de ces collectivités. A nous de les convaincre, de leur donner envie !!!

Sans cela,  nous ne serions que des ‘pirates masqués’. Drôles de pirates, d’ailleurs, payés par habitude et sans projet politique ?
Ou inutiles, tant les acteurs privés sont mieux au fait des attentes des consommateurs ?

jeudi 9 avril 2009

Le rapport statistique d’activité (2) : le programme culturel

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 9 avril 2009
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Revenons sur le rapport statistique d’activité demandé par la DLL auprès des bibliothèques publiques : après le comptage du patrimoine, les animations posent d’autres problèmes…
La plupart des bibliothèques municipales s’adonnent à des lectures, ateliers, expositions, conférences, quand elles n’organisent pas de festival ou ne participent pas activement à une fête de la lecture, semaine de la science ou mois du livre d’art au moyen de multiples manifestations. Vouloir en produire quelques données statistiques, rien de plus naturel à première vue…

Sauf que :

  • additionner un festival complexe combinant de multiples manifestations partenariales qui mobiliseront vingt institutions et 80% de la population, et une « fête du livre » sympathique qui animera pendant deux jours les locaux d’un établissement, c’est additionner un chou et un lapin ;
  • accueillir 60 000 personnes pour une exposition prestigieuse bénéficiant d’un large écho, et recevoir les habitants du quartier pour admirer les travaux d’un photographe méconnu, ne relèvent pas de la même intention, conviviale ici et médiatique là, ni bien entendu du même type de comptage ;
  • vouloir compter les manifestations – quelle que soit leur ampleur -, sans chercher au moins à en dénombrer les participants, revient à s’émerveiller de sa capacité créative sans tenir nécessairement compte du public que l’on a réellement séduit.

Comme il n’existe pas de typologie fiable des événements donnant lieu à décompte (une telle typologie permettant alors une analyse comparative), l’évaluation reste approximative et relativement dénuée de sens. Donnons-en deux exemples :
– une bibliothèque réalise 60 heures du conte (c’est la preuve d’un investissement lourd) mais touche à chaque fois moins de 20 bambins (c’est beaucoup de travail consenti pour bien peu de personnes ?). Mais si elle déclare la réalisation d’un seul ‘cycle’ de « bébé comptines », elle s’enorgueillira d’avoir reçu plus de 1 000 enfants ;
– une bibliothèque – la même ? – conçoit un travail de collecte de mémoire associant plusieurs centaines de personnes qui, par exemple, vont travailler activement ensemble à exposer leur mémoire, et reçoit 10 000 personnes visiteuses de cette mémoire et dialoguant avec ses constructeurs. Une autre mène à bien l’accueil d’une exposition prestigieuse extérieure qui , médias aidant, recevra 20 000 spectateurs : quels décomptes dans chaque cas ?

Compter pour compter, ou faire reconnaître une fonction essentielle ?

Les données quantitatives sont donc bien ambigües. Certains ont osé d’autres approches plus « qualitatives », associant questionnaires de satisfaction (mais avec quelle analyse ?) et impact médiatique (dont l’objet semble bien inadéquat dès qu’il s’agit d’une animation ‘de proximité’ – heure du conte par exemple). J’ai un faible pour cette évaluation majeure qu’est le débriefing conduit avec une personne au fait des objectifs et des moyens, mais étrangère à la réalisation de l’animation elle-même. Ceci dit, cette forme d’évaluation ne saurait supplanter les données quantitatives pour emporter la conviction de nos élus !…

Car telle est bien la question : en quoi la bibliothèque est-elle légitime pour conduire un programme culturel ambitieux ? Certes, dans les plus petites communes, la question ne se pose guère : la bibliothèque est la seule institution culturelle municipale, et on attend d’elle qu’elle soit lieu de vie, de rencontres, de découverte : à elle les cycles de spectacles, les concours, les ateliers à foison, les expositions itinérantes ou non ! Tout est bon pour faire lien… En revanche, dans les collectivités plus importantes, bien d’autres acteurs interviennnent avec le concours des subsides municipaux : théâtres, musées, centres culturels, orchestres, etc. Et on reprocherait presque à la bibliothèque de dériver ses ressources vers des activités attirant un public qui sans cela se serait mieux dirigé vers ces autres manifestations souvent fort coûteuses. En bref, pourquoi la bibliothèque vient-elle manger le pain des institutions spécialistes de l’événement, alors qu’elle est pensée sous l’angle de l’approvisionnement documentaire d’une population ?

L’évolution des pratiques d’acquisition de connaissance peut montrer qu’il s’agit d’un mauvais procès( quelques études conduites à Lyon – au hasard !- confortent la pertinence de l’analyse). Au-delà des manifestations purement festives, les animations peuvent être envisagées comme des modalités d’offre documentaire (version tradi) ou d’offre d’appropriation de connaissance (version mod) : assister à un concert peut être beaucoup plus enrichissant qu’emprunter un CD pour une écoute personnelle, découvrir la pensée d’un auteur à travers une conférence peut être beaucoup plus intéressant que lire les 350 pages – écrites petit – de son ouvrage. Il est extrêmement important de convaincre tous nos interlocuteurs qu’en établissant des programmes culturels, les bibliothèques construisent intentionnellement un appareil d’appropriation de connaissances complémentaire et parallèle aux collections mises ensemble à disposition, et aux services en ligne qu’elles peuvent imaginer.

Alors, on pourra (on devra ?) , à coté des entrées, des visites sur les services en ligne, des prêts et consultations, faire intervenir enfin en statistiques légitimes les manifestations du programme culturel. L’exercice n’est certes pas facile. De façon basique sans doute :

  • régulièrement – trimestriellement ? – décompte du nombre d’événements (je les appelle les ‘animations rendez-vous’ : tel jour à telle heure, à compter selon les dates de rendez-vous, et non selon les cycles au sein desquels ils peuvent s’inscrire), nombre d’expositions ;
  • avec la même régularité, décompte du nombre de participants (on y est arrivé à Lyon, avec pourtant plus de 2 200 ‘événements’ en 2008) ;
  • plus stratégiquement en identifiant chaque année au sein du foisonnement des animations, notamment dans le cadre d’un rapport d’activité, les grandes intentions , à travers notamment les cycles, fêtes, « journées de » – patrimoine, science, livre d’art, etc., rapportés à leur intention d’augmentation du savoir (bref la politique documentaire dans sa forme culturelle ?).

Mais on arrêtera de vouloir, dans la même fiche d’un rapport statistique annuel, mêler les cycles généraux et les manifestations particulières, et négliger cet élément politiquement essentiel du nombre de participants.

D’autres indicateurs ou évaluations à faire reconnaître nationalement…

Cette réflexion suggère de creuser deux autres pistes, parmi tous les indicateurs rendant compte du renouvellement actuel des services documentaires (donc aussi des statistiques, comptages et autres évaluations produites par les bibliothèques), les pistes des services pédagogiques, et celle des colloques, congrès  et autres journées d’études:

  • Les services pédagogiques peuvent prêter à confusion : Bien sûr, tous les bibliothécaires connaissent l’assistance individuelle aux usagers, jeunes ou vieux, de la visite de classe à l’aide à la manipulation de l’OPAC. Je ne vise pas cette forme ordinaire (mais combien noble et pesante) de l’activité quotidienne, mais bien l’organisation d’ateliers structurés autour d’un projet pédagogique et programmés de façon volontariste : ateliers numériques (aide à la recherche d’emploi, création d’un blog), ateliers documentaires (réalisation d’un travail de recherche de groupe dans un cadre scolaire, séance d’apprentissage de la lecture d’une photographie), ateliers d’écriture coordonnés avec un projet d’enseignant ou d’association d’insertion, etc. La distinction d’avec les animations me semble peser sur 3 points : l’intention délibérément pédagogique, l’association avec un partenaire conduisant un projet pédagogique, l’organisation d’une programmation construite en fonction de cette pédagogie.
  • les colloques, congrès et autres journées d’étude représentent une autre facette de l' »activité connaissante » des bibliothèques – au moins des plus importantes d’entre elles. Je ne parle pas des journées d’étude et autres assemblées à caractère professionnel – au sens bibliothécaire -, mais des réunions scientifiques organisées par ou en collaboration avec les bibliothèques concernées. Un listage précis de ces événements, avec leurs thématiques, et du nombre de participants, me semblerait indispensable pour juger du poids des bibliothèques dans l’avancée des connaissances.

Certaines de ces réflexions paraîtront sans doute incongrues ou incomplètes. Elles exigent certainement nombre d’affinements méthodologiques. Il n’empêche que ces avancées recensées nationalement contribueraient efficacement à faire prendre en compte nombre d’évolutions notables, qui modifieraient positivement la perception de la fonction réelle des bibliothèques dans la société, comme les objectifs et programmes des bibliothécaires eux-mêmes.

vendredi 3 avril 2009

Le(la) bibliothécaire, chaînon manquant de demain ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 3 avril 2009
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Depuis plus de 15 ans, les bibliothécaires territoriaux sont appelés à une forme de disparition, non comme cadre d’emploi mais comme métier. Et je m’interroge sur l’avenir des bibliothèques, comme beaucoup d’autres avec moi, devant leur situation professionnelle… J’avais commencé ce billet mi-février, et l’avais laissé inachevé comme tant d’autres, jusqu’à ce qu’un éditorial enssibien d’Anne-Marie Bertrand me rappelle à l’ordre, non sans raison. La raison primant, je m’empresse donc de reprendre ce billet que j’avais commencé…

Les bibliothécaires représentent, au moins dans les établissements territoriaux, la colonne vertébrale de l’innovation, du service et de l’organisation (ceux de l’Enseignement supérieur ont eux bien à souffrir, et rares sont ceux qui connaissent un sort meilleur que celui constaté à la fin du XXe siècle) : il ne faut jamais oublier que si l’État a consenti à créer  quelques centaines de bibliothécaires (depuis 1992) dans ses établissements totalisant encore plus de 1 500 conservateurs, au sein des bibliothèques territoriales ce sont quelques maigres centaines de conservateurs qui sont venu renforcer, et dans les seuls plus gros établissements, une cohorte de plus de 1 500 bibliothécaires (les chiffres ici ne sont que des ordres de grandeur, parfaitement exacts et symétriques dans leur proportion même s’ils ne sont pas des recensements).

Situation

Après le dernier râle du CAFB au début des années 1990, la formation des bibliothécaires – au sens statutaire – a connu une période d’incertitude et d’inventivité, voulant associer de nouvelles règles statutaires et d’anciennes exigences de formation professionnelles issues du compagnonnage. Saisis en tenaille entre l’exigence de rentabilité immédiate de leurs recruteurs, l’exigence d’adaptation au formatage global des cadres territoriaux par le  CNFPT (qui préférait la polyvalence fonctionnelle aux métiers nécessairement segmenteurs), et l’exigence d’acquisition de compétences requises par des institutions professionnelles qui imaginaient de ‘vrais’ bibliothécaires et étaient d’ailleurs conviées à contribuer  directement à leur formation, ces agents ont rapidement été désorientés, et les multiples conventions passées successivement entre le CNFPT et l’Institut de formation des bibliothécaires puis l’Enssib se sont toujours heurtées à des contradictions insolubles.

Les décrets les plus récents ont d’une certaine façon réglé ce problème de façon apparemment équilibrée :
– l’exigence d’un niveau encadrement est respectée – selon les critères des fonctions publiques – du fait de l’ouverture des concours à des détenteurs de licences ou équivalents ;
– la nature des épreuves du concours s’est en grande partie tournée vers des questions professionnelles, exigeant des candidats moult lectures personnelles ;
– la ‘territorialité’ du cadre d’emploi, l’ ’employabilité’ fonctionnelle et même la ‘formation à la prise de fonctions de responsabilité’ ont été prises en compte de façon transversale via le CNFPT, sur des durées n’excédant pas 3 à 4 semaines de formation.

On se demande pourquoi les conservateurs territoriaux n’ont pas été inscrits dans le même moule ! Ni les ingénieurs de l’Equipement, les architectes ou les médecins fonctionnaires !

Questions de métier

Toujours est-il qu’on n’exige pas initialement d’un bibliothécaire autre chose qu’un diplôme totalement généraliste, sans imaginer que des licences professionnelles (voire mastères professionnels, puisqu’on s’y dirige y compris pour tous les enseignants de nos bambins) puissent être valorisées. Les agents techniques qualifiés (i.e. les BAS, comme les AQC – c’est pareil : pour les non-initiés, un bibliothécaire-adjoint spécialisé est exactement identique à un assistant qualifié de conservation du patrimoine et des bibliothèques !) doivent disposer d’un DUT ou d’un DEUST spécifique ! Mais pas leurs « chefs » ?…

Les conservateurs ont la vie belle en comparaison : 18 mois d’études en milieu protégé (l’Enssib est leur ENA) leur fournissent non seulement enseignements, travaux collectifs et mises en situation, mais aussi confrontations, échanges, mises en perspectives et questionnements sur un champ professionnel. D’une certaine façon les futurs BAS et AQC aussi, avec deux années d’IUT (ils ont encore plus de temps, eux…) peuvent se forger des savoir-faire et compétences partagées. Mais les bibliothécaires, pourtant cadres essentiels de la quasi-totalité des bibliothèques territoriales, non ?

J’apprécie depuis longtemps les bibliothécaires, ces forçats des projets impossibles, ces agents pris entre les délires managériaux et la réalité du terrain à encadrer, ces spécialistes experts dont la compétence intellectuelle n’est que tolérée, ces inventeurs habiles qui savent transformer un enjeu ou une idée en service efficace ou fonction opérationnelle rigoureuse. Tous ne savent pas le faire sans doute, mais ma vie m’a toujours appris à les respecter, accompagner et servir, tant j’ai vu d’établissements ne tourner et inventer, in fine, que grâce à leurs bibliothécaires. Et puis, ceux qui connaissent mon parcours savent à quel point j’ai essayé d’œuvrer pour la reconnaissance de ces professionnels trop peu reconnus.

Suggestions ?

Puisque pour l’instant le recrutement et la formation des conservateurs ne sont pas remises en cause (recrutement ‘généraliste’ de haut niveau intellectuel et formation adaptée de 18 mois en en grande école), pourquoi ne pas suivre le mouvement de mastérisation des enseignants et ne pas réclamer pour les bibliothécaires un recrutement – similaire à l’actuel – appuyé sur une liste de mastères ad hoc plutôt que sur licences généralistes ?

Les formations post-recrutement n’ont guère d’avenir (eh non, puisqu’il faudrait payer les lauréats durant leur formation !) ? Eh bien, basons-nous sur les diplômes requis pour se présenter au concours (tant que les concours dureront…). Et jouons la carte de formations, certes sans doute au sein de l’Université – mais pas seulement – , attentives au développement de compétences professionnelles ! Sincèrement, dès qu’il s’agit d’organiser et développer un service d’information, je préfère à un licencié ès lettres , même pourvu de bonnes lectures et lauréat d’un concours que je sais actuellement sélectif, un diplômé du CNAM (INTD) ou d’un master ad hoc. Sans méjuger des talents du dit licencié, d’ailleurs…
Sans compter qu’une VAE (validation des acquis par l’expérience professionnelle) intégrée pourrait enrichir ce vivier de masters avec les multiples acteurs qui, après bien des années d’expérience, verraient leur compétence reconnue et universitairement et professionnellement.

Sauf que les bibliothécaires et autres conservateurs ont toujours été malhabiles à préciser les contours de leur métier : managers, érudits, pédagogues, logisticiens, voire informaticiens, travailleurs sociaux ou savants, ils sont en tant de lieux qu’ils sont éminemment remplaçables dès que leur fonction les appelle à les occuper tous. Ce qui est en jeu aujourd’hui n’est pas tant leur hypothétique ‘spécialisation’ technique, savante ou managériale, que leur situation justement ambigüe entre toutes ces dimensions. Et cela ne peut se résoudre et se construire qu’au sein de convictions échangées, donc d’échanges avec d’autres professionnels, de savoirs à la fois transmis et partagés, d’expériences dialoguées, bref de savoirs et compétences inscrits dans la durée au sein de formations diplômantes relativement denses préalables à la prise de fonctions, avant ou après concours. C’est en fait, il faut le reconnaître, le modèle de la formation des métiers médicaux et  para-médicaux : tout simplement du savoir transmis par les cours, l’expérience pratique, le retour sur expérience et l’analyse renouvelée, et les échanges entre pairs et avec les maîtres… et pas seulement un recrutement au feeling, sur quelques questions-tests bien ciblées, sans exigence de confrontation préalable à la matière professionnelle.

Je suis plus que jamais convaincu que notre métier est un métier de praticiens. Cette assertion ne retire rien aux indispensables fondements théoriques qui doivent être acquis et débattus, aux cursus qui doivent suivre leur rythme, mais affirme la nécessité fondamentale de leur confrontation à une triviale et bien réelle pratique, que ce soit à travers des formes de recherche d’ailleurs plus proches de la recherche-action que de la recherche ‘académique’, qu’à travers des échanges, stages, rapports, bref confrontations à la subtile matière de la quotidienneté.

Alors, quels bibliothécaires pour demain ?

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