Le collaboratif (le web 2.0. pour aller vite) peut-il devenir une injonction de projet politique pour les bibliothèques ? Ces dernières connaissent un mode de fonctionnement qui est fondé sur l’offre, mais qui n’a jamais négligé le poids de la demande : bien sûr on acquiert et propose les titres très demandés ou fortement prescrits, bien sûr on adapte horaires et services aux variations des pressions constatées ou attendues, bien sûr on établit – parfois timidement – des instances de dialogue (à travers clubs, cahiers de suggestions, associations diverses, commissions ad hoc, …), bien sûr on invente des services plus personnalisés, etc.
Ce faisant on adapte une offre particulière à des réalités d’usage de plus en plus diverses et prégnantes. Et cela reste une offre, envers et contre tout. Or un discours volontiers impératif parle de participation à un niveau plus élevé : l’usager lui-même créerait les conditions et l’objet du service final, les opérateurs (les bibliothèques comme institutions ?) fournissant simplement à cette activité autonome les seuls moyens de son développement technologique et de sa mise en forme discrète, sans intervenir sur l’essentielle richesse de cette production collective…
C’est à certains moments le discours tenu dans le cadre du web 2.0. Or ce discours me rappelle certaines ambitions spontanéistes (vous qui êtes nés après 1960, vous ne pouvez pas connaître ?!…) : le peuple a raison, parce qu’il s’exprime. Et quand on a dit cela, on est pris dans une contradiction insoluble : ou je laisse libre cours à une expression par essence merveilleusement productive de sens et de culture, ou je pose des cadres et des limites et des contraintes qui me font passer pour un passéiste ringard adepte de la parole d’autorité.
Or il ne faut pas oublier, chers collègues, une réalité qu’on me pardonnera de qualifier d’objective : même si nous sommes pleinement au service de nos concitoyens, nous le sommes dans le cadre contraignant d’administrations publiques régies par un complexe agencement de règles écrites (lois, décrets et circulaires) et d’objectifs politiques au sein desquels nous ne sommes que des rouages organisateurs de services. Dans ces circonstances, le « web 2.0. » n’est pas une révolution : c’est une modalité d’action, possible mais limitée. En clair, c’est un outil de travail au sein d’une structure d’offre – la bibliothèque institutionnelle – qui ne peut jamais avoir l’ambition de renverser les limites structurelles imposées par les règles administratives et institutionnelles !
Deux attitudes (éventuellement simultanées) sont possibles face à ce que j’appelle cette réalité ontologique :
– la dimension participative peut être appréhendée comme un atout marketing pour les services de la bibliothèque : les nouveaux usages bien pris en compte contribuent à générer de nouveaux flux vers la bibliothèque institutionnelle, sans que celle-ci modifie ses modalités de fonctionnement. En bref, on ripoline l’institution publique en la mettant au goût du jour… Les lecteurs donnent leur avis publiquement, c’est chouette, ça leur donne confiance et ça renforce la fidélisation comme l’image de modernité.
– la même dimension participative s’introduit comme élément moteur d’un nouveau mode de fonctionnement d’une institution publique. L’argument semble abscons ? Eh bien, imaginons que l’apport de nos multiples publics construise du savoir sans que les bibliothécaires soient autres que gestionnaires de cette production, sans sélection de cette construction. Bref, les bibliothèques proposent la plate-forme, et le contenu produit (et proposé) relève des acteurs collaboratifs : un wiki ? des dépôts d’images commentées ? des productions spontanées? etc. Mais dans tous les cas, il s’agit d’aboutir moins à un projet spontané et auto-géré qu’à un processus largement maitrisé par les opérateurs prescripteurs que nous représentons institutionnellement…
Les deux hypothèses sont également recevables, non ? Éventuellement simultanées ?
Sauf qu’il ne faut pas oublier le fondement institutionnel de nos établissements ! Dans tous les cas de figure, je suis persuadé que les belles théories du Web 2.0., faites de spontanéité et d’égalité d’expression, ne peuvent jamais s’appliquer en totalité aux bibliothèques de statut public… N’oublions jamais en effet que nos bibliothèques sont des instruments d’action publique, et qu’à ce titre elles relèvent d’un projet politique précis et localisé.
Les ambitions collaboratives ne peuvent passer outre cette inscription politique et administrative… Pour le web 2.0. – et même le web 2.1. voire le web 3.0 –, je suis d’accord à 100 % ou presque dans son principe tissé d’ambition démocratique. Mais il faut bien y penser dans le contexte qui est le nôtre, celui d’une expression non tant spontanée (là n’est pas la vraie démocratie…) que régulée dans les espaces institutionnels qui nous sont autorisés.
Y voyez-vous une contradiction fondamentale ?
P.S. : allons, arrêtons de nous prendre la tête ! Joyeux Noël à tous, et joyeuses agapes !! On en reparlera en 2009