Le titre de ce billet est celui d’un billet d’Actualitté du vendredi 13 novembre. Le titre comme la teneur m’ont frappé, à la fois parce qu’ils me rappellent que la question du bénévolat/volontariat est toujours d’actualité dans les communes rurales et les petites villes, et parce qu’ils interpellent les bibliothécaires « nantis » (même s’ils s’estiment justement bien maigrement dotés) des grandes villes ou villes moyennes, sur l’équilibre fragile des finances publiques, et donc sur le caractère facultatif du service qu’ils animent et défendent.
Tout bibliothécaire défend becs et ongles l’utilité sociale, éducative et culturelle du service qu’il développe avec passion, attentif aux populations qu’il est appelé à servir. Tout bibliothécaire est parallèlement soucieux des deniers publics et fait la chasse au gaspi : leur corporation est passée reine en improvisations géniales et montages habiles visant tous à proposer un service original, séduisant, surprenant, utile, … et pensent-ils à juste titre indispensable.
Quand la crise frappe…
Ce n’est pas moi qui leur dirai le contraire, ni les appellerai à modérer leur ambition créative. C’est la crise qui nous rappelle avec acuité que les budgets publics, et en particulier ceux des collectivités territoriales – mais ô combien aussi les collectivités universitaires -, sont mesurés à l’aune d’un équilibre des comptes impératif. Et un examen de ces comptes montre que les dépenses obligatoires (pour une commune l’entretien des bâtiments communaux, les questions de voirie, la sécurité publique, la maintenance des investissements,…) peuvent atteindre 80 à 90 % des dépenses inscrites au budget, la marge de manœuvre budgétaire offerte à l’impulsion politique étant chichement mesurée.
Ces derniers temps en France, la décentralisation et les difficultés de l’État ont d’ailleurs accru cette part obligatoire par transferts législatifs, sans que les besoins sociaux ainsi transférés de fait connaisse le transfert des moyens nécessaires à leur traitement. L’exemple de l’aide sociale déportée sur les départements à moyens égaux en même temps que survenait une explosion du chômage démontre le caractère de plus en plus contraint de ces budgets (autant que simultanément étaient supprimées des sources de recettes, par exemple la vignette). Bref, administrer un budget de collectivité locale conduit aujourd’hui à opérer des choix hélas souvent négatifs…
Le cas de la bibliothèque est intéressant à considérer dans ce contexte. Les argumentations, les démonstrations et les actions inventives des bibliothécaires – qui ont su faire front commun sur la question – ont souvent conduit à affirmer leur service comme central dans une politique du vivre ensemble. Et on ne peut que saluer ce progrès et cette énergie communicative. Mais voilà, si les dépenses obligatoires et parfois vitales progressent sans cesse sans que les recettes fassent autre chose que régresser, les arbitrages conduisent parfois à des choix radicaux, devant l’urgence des priorités sociales.
Et nous apprenons qu’en Grande-Bretagne des volontaires bénévoles (se) sont mobilisés pour conserver un service de lecture aux habitants dans un contexte de réduction générale des dépenses. Je vois l’ensemble des bibliothécaires français s’insurger, et je partage leur révolte : la bibliothèque doit être considérée comme un fondement du vivre ensemble autant que comme une utilité culturelle et éducative.

photo d’Actualitté
Quand les usagers s’emparent de l’utilité sociale…
Sauf que les volontaires bénévoles démont(r)ent paradoxalement que cette utilité sociale peut être portée par les citoyens eux-mêmes ! Ce qui est au fond une stratégie délibérée de nombre de bibliothécaires, avec les programmes de services co-construits avec les usagers, les objectifs de contribution active des publics à la diffusion du savoir (Human Library, wikis, etc.), et tutti quanti. A force de prétendre faire entrer le citoyen au cœur de la production/diffusion des connaissances, peut-on s’étonner qu’une solution au fond très « collaborative » soit avancée pour utiliser une force de travail dynamique, mobilisée justement par les projets des bibliothécaires ?
Je n’ironise nullement, ni ne glisse de sous-entendus. Juste quatre interrogations à méditer et débattre :
- Est-il possible décemment d’imaginer des bibliothèques contributives sans introduire les contributeurs dans le système bibliothèque ?
- Est-il imaginable de fermer un service adopté par des milliers de personnes, au prétexte qu’il n’y aurait plus assez de professionnels salariés (si la population prend le relais) ?
- sait-on politiquement définir la valeur ajoutée du professionnel salarié dans le service attendu ?
- Mesure-t-on réellement la part contributive du citoyen, telle qu’elle est espérée et revendiquée ? Vouloir donner la parole n’est-il pas au fond donner effectivement du pouvoir ?
N’imaginez pas un seul instant que je vais proposer des réponses à ces questions. C’est à vous que je les pose. Ni vous ni moi (ni une hypothétique loi sur les bibliothèques) n’arbitrerons cette angoissante question du vivre ensemble avec des moyens contraints.
Diaboliser le recours au volontariat bénévole est une solution courageuse mais confortable. Aucun bédépiste ne saurait totalement y souscrire, tant la dynamique des services en milieu rural ne peut se passer d’un tel volontariat, surtout quand la bibliothèque est encouragée à devenir intercommunale.
Bibliothécaires volontaires
C’est là que je retrouve mes anciennes amours, les bibliothèques départementales. En des temps très anciens, j’avais convaincu Michel Melot de porter auprès du Conseil supérieur des bibliothèques une « Charte du bibliothécaire volontaire« . Le principe de réalité nous avait conduit, moi et d’autres bédépistes, à proposer un cadre de réciprocité exigeante avec les milliers de bénévoles, qui devaient selon nous passer du bon vouloir (bene volens) au volontariat contractuel. D’un côté (volontaires) obligation de formation et engagement de service, de l’autre (BDP) offre de formation, indemnisation des déplacements, offre de services accrus, et du troisième (la commune) assurance du volontaire, paiement de la formation, garantie de moyens, reconnaissance de la contribution au service public.
Bref, était ainsi négociée de façon solennelle une reconnaissance exigeante et réciproque de la participation citoyenne. Ce qui restait pendant – et ne pouvait être organisé à ce niveau – était et reste la situation fréquente d’une articulation entre un professionnel rémunéré et une équipe de bénévoles. Ayant l’occasion encore de rencontrer beaucoup de ces situations, je constate le caractère inégal, totalement bricolé et précaire, des modes d’organisation imaginés… mais d’autant plus indispensables que chacun sait que les moyens publics ne sauraient recourir davantage au salariat pour une gestion optimale.
Même si quelques études existent sur cette question (article de Nelly Vingtdeux dans le BBF par exemple), et qu’une synthèse très intéressante a été commise par la FNCC sur la question, j’aimerais bien disposer de témoignages sur l’organisation concrète de la coopération entre professionnel(s) et bénévoles.
Rien ne dit que la situation anglaise ne peut pas diffuser en France, car la crise économique est encore et de plus en plus présente. On m’accusera de glisser sur une pente dangereuse. Je ne le pense pas. Je suis bien sûr persuadé que des professionnels compétents et motivés sont LA valeur sûre pour offrir le meilleur service à une population, et je me battrai contre les mesures d’économie qui méconnaitraient l’utilité sociale, culturelle et éducative de cet outil de qualité. Mais si les budgets connaissent une contraction sans précédent, arrive un moment où ce discours volontariste n’est plus audible…
Au-delà des imprécations et lamentations, comment les bibliothécaires sont-ils préparés à s’emparer positivement de telles contraintes ? En cas de réduction forte de personnel professionnel dans un contexte de ressources publiques exsangues, n’y a-t-il pas d’autre solution que diminuer les horaires d’ouverture et la gamme des services, au point de n’offrir qu’un service- croupion, voire de fermer totalement un service au prétexte que le nombre de professionnels disponibles est trop restreint ?