Bertrand Calenge : carnet de notes

vendredi 14 décembre 2012

« Bibliothèque : bénévoles et volontaires seuls remèdes aux fermetures » (?)

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 14 décembre 2012

Le titre de ce billet est celui d’un billet d’Actualitté du vendredi 13 novembre. Le titre comme la teneur m’ont frappé, à la fois parce qu’ils me rappellent que la question du bénévolat/volontariat est toujours d’actualité dans les communes rurales et les petites villes, et parce qu’ils interpellent les bibliothécaires « nantis » (même s’ils s’estiment justement bien maigrement dotés) des grandes villes ou villes moyennes, sur l’équilibre fragile des finances publiques, et donc sur le caractère facultatif du service qu’ils animent et défendent.

Tout bibliothécaire défend becs et ongles l’utilité sociale, éducative et culturelle du service qu’il développe avec passion, attentif aux populations qu’il est appelé à servir. Tout bibliothécaire est parallèlement soucieux des deniers publics et fait la chasse au gaspi : leur corporation est passée reine en improvisations géniales et montages habiles visant tous à proposer un service original, séduisant, surprenant, utile, … et pensent-ils à juste titre indispensable.

Quand la crise frappe…

Ce n’est pas moi qui leur dirai le contraire, ni les appellerai à modérer leur ambition créative. C’est la crise qui nous rappelle avec acuité que les budgets publics, et en particulier ceux des collectivités territoriales – mais ô combien aussi les collectivités universitaires -, sont mesurés à l’aune d’un équilibre des comptes impératif. Et un examen de ces comptes montre que les dépenses obligatoires (pour une commune l’entretien des bâtiments communaux, les questions de voirie, la sécurité publique, la maintenance des investissements,…) peuvent atteindre 80 à 90 % des dépenses inscrites au budget, la marge de manœuvre budgétaire offerte à l’impulsion politique étant chichement mesurée.
Ces derniers temps en France, la décentralisation et les difficultés de l’État ont d’ailleurs  accru cette part obligatoire par transferts législatifs, sans que les besoins sociaux ainsi transférés de fait connaisse le transfert des moyens nécessaires à leur traitement. L’exemple de l’aide sociale déportée sur les départements à moyens égaux en même temps que survenait une explosion du chômage démontre le caractère de plus en plus contraint de ces budgets (autant que simultanément étaient supprimées des sources de recettes, par exemple la vignette). Bref, administrer un budget de collectivité locale conduit aujourd’hui à opérer des choix hélas souvent négatifs…

Le cas de la bibliothèque est intéressant à considérer dans ce contexte. Les argumentations, les démonstrations et les actions inventives des bibliothécaires – qui ont su faire front commun sur la question – ont souvent conduit à affirmer leur service comme central dans une politique du vivre ensemble. Et on ne peut que saluer ce progrès et cette énergie communicative. Mais voilà, si les dépenses obligatoires et parfois vitales progressent sans cesse sans que les recettes fassent autre chose que régresser, les arbitrages conduisent parfois à des choix radicaux, devant l’urgence des priorités sociales.

Et nous apprenons qu’en Grande-Bretagne des volontaires bénévoles (se) sont mobilisés pour conserver un service de lecture aux habitants dans un contexte de réduction générale des dépenses. Je vois l’ensemble des bibliothécaires français s’insurger, et je partage leur révolte : la bibliothèque doit être considérée comme un fondement du vivre ensemble autant que comme une utilité culturelle et éducative.

photo d'Actualitté

photo d’Actualitté

Quand les usagers s’emparent de l’utilité sociale…

Sauf que les volontaires bénévoles démont(r)ent paradoxalement que cette utilité sociale peut être portée par les citoyens eux-mêmes ! Ce qui est au fond une stratégie délibérée de nombre de  bibliothécaires, avec les programmes de services co-construits avec les usagers, les objectifs de contribution active des publics à la diffusion du savoir (Human Library, wikis, etc.), et tutti quanti. A force de prétendre faire entrer le citoyen au cœur de la production/diffusion des connaissances, peut-on s’étonner qu’une solution au fond très « collaborative » soit avancée pour utiliser une force de travail dynamique, mobilisée justement par les projets des bibliothécaires ?

Je n’ironise nullement, ni ne glisse de sous-entendus. Juste quatre interrogations à méditer et débattre :

  • Est-il possible décemment d’imaginer des bibliothèques contributives sans introduire les contributeurs dans le système bibliothèque ?
  • Est-il imaginable de fermer un service adopté par des milliers de personnes, au prétexte qu’il n’y aurait plus assez de professionnels salariés (si la population prend le relais) ?
  • sait-on politiquement définir la valeur ajoutée du professionnel salarié dans le service attendu ?
  • Mesure-t-on réellement la part contributive du citoyen, telle qu’elle est espérée et revendiquée ? Vouloir donner la parole n’est-il pas au fond donner effectivement du pouvoir ?

N’imaginez pas un seul instant que je vais proposer des réponses à ces questions. C’est à vous que je les pose. Ni vous ni moi (ni une hypothétique loi sur les bibliothèques) n’arbitrerons cette angoissante question du vivre ensemble avec des moyens contraints.

Diaboliser le recours au volontariat bénévole est une solution courageuse mais confortable. Aucun bédépiste ne saurait totalement y souscrire, tant la dynamique des services en milieu rural ne peut se passer d’un tel volontariat, surtout quand la bibliothèque est encouragée à devenir intercommunale.

lovelibrarian

Bibliothécaires volontaires

C’est là que je retrouve mes anciennes amours, les bibliothèques départementales. En des temps très anciens, j’avais convaincu Michel Melot de porter auprès du Conseil supérieur des bibliothèques une « Charte du bibliothécaire volontaire« . Le principe de réalité nous avait conduit, moi et d’autres bédépistes, à proposer un cadre de réciprocité exigeante avec les milliers de bénévoles, qui devaient selon nous passer du bon vouloir (bene volens) au volontariat contractuel. D’un côté (volontaires) obligation de formation et engagement de service, de l’autre (BDP) offre de formation, indemnisation des déplacements, offre de services accrus, et du troisième (la commune) assurance du volontaire, paiement de la formation, garantie de moyens, reconnaissance de la contribution au service public.

Bref, était ainsi négociée de façon solennelle une reconnaissance exigeante et réciproque de la participation citoyenne. Ce qui restait pendant – et ne pouvait être organisé à ce niveau – était et reste la situation fréquente d’une articulation entre un professionnel rémunéré et une équipe de bénévoles. Ayant  l’occasion encore de rencontrer beaucoup de ces situations, je constate le caractère inégal, totalement bricolé et précaire, des modes d’organisation imaginés… mais d’autant plus indispensables que chacun sait que les moyens publics ne sauraient recourir davantage au salariat pour une gestion optimale.

Même si quelques études existent sur cette question (article de Nelly Vingtdeux dans le BBF par exemple), et qu’une synthèse très intéressante a été commise par la FNCC sur la question, j’aimerais bien disposer de témoignages sur l’organisation concrète de la coopération entre professionnel(s) et bénévoles.

envisioning

Rien ne dit que la situation anglaise ne peut pas diffuser en France, car la crise économique est encore et de plus en plus présente. On m’accusera de glisser sur une pente dangereuse. Je ne le pense pas. Je suis bien sûr persuadé que des professionnels compétents et motivés sont LA valeur sûre pour offrir le meilleur service à une population, et je me battrai contre les mesures d’économie qui méconnaitraient l’utilité sociale, culturelle et éducative de cet outil de qualité. Mais si les budgets connaissent une contraction sans précédent, arrive un moment où ce discours volontariste n’est plus audible

Au-delà des imprécations et lamentations, comment les bibliothécaires sont-ils préparés à s’emparer positivement de telles contraintes ? En cas de réduction forte de personnel professionnel dans un contexte de ressources publiques exsangues, n’y a-t-il pas d’autre solution que diminuer les horaires d’ouverture et la gamme des services, au point de n’offrir qu’un service- croupion, voire de fermer totalement un service au prétexte que le nombre de professionnels disponibles est trop restreint ?

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jeudi 13 décembre 2012

Autour d’une belle et nouvelle bibliothèque numérique

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 13 décembre 2012

Une excellente nouvelle qui ne peut que réjouir tous les citoyens (bibliothécaires ou non) soucieux de pouvoir disposer rapidement, aisément et gracieusement du capital intellectuel légué par les générations antérieures et pour certaines contemporaines :

Numélyo, la bibliothèque numérique de Lyon, a vu le jour !!

Des centaines de milliers de documents numérisés, livres anciens, estampes, revues, photographies contemporaines,… sont mis à la disposition de tout un chacun, librement, pour la consultation comme pour l’utilisation. Et comme ce n’est pas juste une base de données, Numélyo propose dossiers thématiques, organisation en collections, possibilité de constituer sa propre bibliothèque dans la bibliothèque, et opportunité de contribution à l’entreprise (pour les photos régionales notamment).

Bref, de la très belle ouvrage, et je félicite mes anciens collègues qui ont conduit ce chantier et en ont permis la bonne  émergence à l’espace public, même si le chantier est bien loin d’être achevé. Il ne le sera sans doute jamais, tant les exploitations possibles de la matière numérisée et structurée permet de productions originales et stimulantes…

Un point mérite d’être souligné : si évidemment nul n’ignore qu’un marché avec Google a permis la mise en œuvre d’une numérisation industrielle de plus de 300 000 livres anciens libres de droits, très abondants  aussi sont les manuscrits, estampes, affiches, photographies, … numérisés par les soins de la bibliothèque. Numélyo par son projet,  sa structure et ses opportunités est très proche du mastodonte coopératif américain qu’est Hathi Trust.

(Book Sculpture. Par Gwen's River City Images. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

(Book Sculpture. Par Gwen’s River City Images. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

A peine Numelyo est-il né que déjà des discours soupçonneux se font jour, sur des réseaux sociaux notamment – toujours aussi réactifs que souvent peu réfléchis smileys Forum-. Bref, ce serait trop beau pour être vrai… et si c’est trop beau on va trouver une faille rédhibitoire ! La faille tiendrait dans la phrase qui apparait dans les très courtes conditions juridiques d’utilisation : pour les œuvres libres de droit, « – En cas d’usage commercial, l’utilisateur s’adressera à la Bibliothèque municipale de Lyon« . Et aussitôt certains crient à la copyfraud, appropriation illégitime du domaine public par un acteur public, chose évidemment inconcevable… si elle est effective ! En effet, il n’est nullement écrit qu’il faut s’adresser à un service commercial, ni qu’une rétention sera opérée. Mais j’y vois la fièvre qui, comme aux beaux temps de l’Inquisition, voit le diable partout à force de le chercher.

Et le diable, on le devine, c’est l’entreprise privée qui a contractualisé pour numériser des collections importantes, tout en laissant à la bibliothèque concernée la libre disposition des fichiers pour l’accès et l’usage, en conservant l’exploitation commerciale des dits fichiers. Clause on ne peut plus raisonnable compte tenu de la destination publique de l’institution. A mon avis (strictement personnel), si les documents relèvent du domaine public, et que leur numérisation par une institution publique ne leur retire en rien leur liberté d’utilisation – même commerciale -, en revanche l’intervention d’un tiers non public dans le processus de numérisation crée à la collectivité des obligations de vérifications qui me semblent tout à fait légitimes, tant que la disponibilité des fichiers par l’opérateur public  et la liberté d’accès et d’usage à but non lucratif sont garanties. Et je ne parle pas des autres négociations subtiles avec les contributeurs et donateurs qui cèdent leurs collections pour un usage public. D’autres institutions, et des plus prestigieuses et patrimoniales, engagent des partenariats « public–privé » autrement plus contraignantes pour l’usage public non-lucratif.

Librairie extérieure à Ghent en Belgique, par Massimo Bartolini. (merci à la revue Le Libraire)

Librairie extérieure à Ghent en Belgique, par Massimo Bartolini. (merci à la revue Le Libraire)

Cette étonnante incrimination me conduit à alerter l’ensemble des bibliothécaires sur le risque qu’il y a à confondre la poursuite d’un but parfaitement légitime (la totale ouverture des données publiques) avec les moyens et étapes engagés par les acteurs qui, sans être indifférents à ce but, doivent conduire des dossiers :

  • en l’état actuel du droit, de la jurisprudence et des usages
  • avec des interlocuteurs multiples aux convictions différenciées
  • sans le secours d’un financement public de la chose publique, et donc en négociant avec des partenaires privés dans un cadre contractuel très réglementé, tout en garantissant la liberté d’usage du résultat dans un cadre au moins non commercial.

A titre personnel, je ne serais pas révolté par le fait qu’un partenaire privé, qui engage des fonds et une logistique importantes, prenne des garanties sur son retour sur investissement. On m’objectera que l’objet de la négociation consiste en documents du domaine public. Soit. Je peux en tirer deux conclusions alternatives :

  • Soit il est  urgent de ne rien faire tant que l’État ou d’autres acteurs publics n’engageront pas les investissements nécessaires (on va attendre longtemps, surtout en période de crise économique). Ce qui, soit dit en passant, laissera longtemps inaccessibles les documents à ceux qui n’auront pas le temps et  les moyens d’un déplacement et d’un séjour à Lyon, en même temps qu’il en masquera la richesse à ceux qui auraient pu les découvrir en dehors d’un projet de recherche opiniâtre.
  • Soit on peut ouvrir des portes de négociation avec des partenaires privés qui permettent la libre disposition des fichiers dans un cadre au moins non-commercial, cadre normal des activités d’intérêt général.

On me pardonnera de choisir mon camp, le deuxième. Et je suis plus préoccupé par les citoyens qui veulent obtenir pour leur propre usage (lecture, création, inclusion dans des cercles de proches, etc…) des éléments du savoir public grâce à l’ingéniosité des acteurs publics, que par le souci de voir respecter la lettre d’un principe de droit qui n’accepterait que le tout ou rien. Oui, je soutiens les initiatives en faveur des biens communs, et oui simultanément je soutiens les entreprises publiques qui veillent à ne poser aucune contrainte commerciale au libre accès des citoyens à leur patrimoine commun. En revanche, je m’insurge contre l’argutie juridique qui conduirait à une aporie confortable.

Et je dis un grand bravo à tous mes (anciens) collègues ! smileys Forum

mercredi 5 décembre 2012

Point(s) de rupture et masse(s) critique(s)

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 5 décembre 2012

La question des équilibres documentaires dans une collection courante est une question récurrente : on aimerait bien connaitre des recommandations officielles pour se rassurer. J’avais sur ce point rencontré un ingénieur béton fort intelligent, que le hasard avait amené à piloter le projet d’une grande médiathèque hélas encore dépourvue à ce stade d’un interlocuteur bibliothécaire. Appelé comme expert pour aider à la constitution d’une collection ex nihilo, je me suis entendu demander quel était le cahier des charges prescriptif et technique pour procéder à ces achats massifs. Mon interlocuteur, au bout d’une semaine de participation au dialogue/formation de l’embryon d’équipe, avait parfaitement compris la vanité de ce propos. « Eh, m’avoua-t-il ensuite, comme ingénieur j’ai créé des ports, et dans ce domaine le travail consiste essentiellement à jongler avec un certain nombre de prescriptions techniques comme la résistance du béton, etc. » ! smileys Forum

Comme je le relevais dans mon précédent billet, si les politiques documentaires ont apporté le recours d’un certain nombre d’outils, elles ne savent pas dire comment se constituent une collection équilibrée satisfaisante. Et si  j’ai souvent conspué les intégristes proscripteurs, craignant qu’un titre jugé moins digne ne contaminent un rayon, je reste perplexe devant ceux qui appliquent rigoureusement certains outils documentaires pour en suivre aveuglément les indications… devenues lignes directrices.

mécanique

La « détection du quorum »

Parlons pilotage des collections. Pour faire comprendre la délicate cuisine à laquelle nous nous livrons avec un recours raisonné aux outils de poldoc, j’utilise fréquemment l’expression de masse critique. Non dans son sens entendu en physique nucléaire, mais plutôt dans son acception biologique :

La masse critique est parfois évoquée pour désigner la quantité de bactéries qui doit être atteinte pour que le mécanisme de « quorum sensing » («perception du quota de leur population») les induise à exprimer des gènes particuliers de métabolisme secondaire.

Je trouve que cette notion de quorum sensing (détection du quorum) décrit assez bien l’alchimie interrelationnelle d’une collection avec les publics auxquels elle est destinée (et du bibliothécaire aux prises avec les deux  ). Car, ne l’oublions jamais, une collection non patrimoniale ne doit jamais être analysée comme un objet isolé, mais toujours dans le contexte singulier de « sa » population, qui seule lui donne sens et vie.

Le plus bel exemple que je connaisse  pour expliquer le processus dans un contexte documentaire est celui d’une étude conduite par un consultant il y a vingt ans (et malheureusement inaccessible, mais que j’avais pu consulter à l’époque), qui s’était interrogé sur la pertinence du taux de rotation appliqué aveuglément pour déterminer la présence ou l’élimination de documents dans des bibliothèques publiques. Évidemment, la tendance conduisait rapidement à éliminer une bonne part des titres dits documentaires, pour privilégier les romans et les bandes dessinées. Or, montrait-il avec des expérimentations grandeur nature, le processus était efficace… jusqu’à basculer à la frontière d’un certain seuil, à partir duquel les prêts connaissaient une chute prononcée.smileys Forum
On voulait conformer progressivement la collection aux utilisations mesurées, et le succès initial tournit à l’échec. Plus l’effet se rapproche, plus le désir s’éteint ? Les lecteurs semblent avoir besoin de rencontrer des collections qu’ils n’emprunteront que peu, pour pouvoir se précipiter vers les « best-lenders« . La collection est au fond attendue comme une mine d’opportunités éventuellement surprenantes, et non comme un distributeur automatique rassurant….

CC - Linde Sabroe (Flickr : lisepatron)
CC – Linde Sabroe (Flickr : lisepatron)

Masse critique, justement

Chacun pose alors l’inévitable question : quel est donc le seuil fatidique ? Est-il prévisionnellement mesurable ? A ma connaissance, il n’y a pas de réponse à cette question et, je me trompe peut-être, mais à mon avis il ne peut pas y en avoir. Non parce qu’on ne pourrait pas conduire des mesures fines de la collection, mais parce qu’on ne sait pas construire des mesures fines des relations entretenues entre les appétences et pratiques de nos publics articulées avec notre offre documentaire…

Plutôt que de chercher à trouver un seuil idéal calculable, il faut considérer les choses sous l’angle des masses documentaires en présence. Non chaque masse isolément, mais leur interaction contextualisée ‘dans’ une bibliothèque et un public.
Dans les espaces publics, chacun connait l’alchimie des  régulations de voisinage des « catégories » de visiteurs : si vingt ados dans un espace animé par deux cents personnes autorisent une commensalité presque tranquille, à partir d’un certain seuil (40 ? 50 ? 60 ?…) d’autres publics fuient. Dosage difficile…

Côté collections, je crois avoir déjà raconté cette expérience généreuse d’un essai de séduction des publics allophones, avec la disposition d’une ou deux revues en langues étrangères au sein d’une collection massivement francophone… pour en constater l’échec patent : maigreur de l’offre = faible séduction.

Et puis la masse critique est aussi – en plus des questions de place – un signal majeur pour le désherbage à venir : trois livres excellents perdus dans une accumulation d’œuvres inintéressantes sont invisibles. Comme cela vaut d’ailleurs pour les collections patrimoniales d’ailleurs : un manuscrit isolé dans une bibliothèque de petite ville dévolue à la lecture publique ne rencontre personne : les chercheurs recherchent, plus encore que des titres, des gisements !! Bref, on pourrait multiplier les exemples. Si vous en avez, je suis preneur !

Du côté des bibliothèques universitaires, la situation n’est guère différente : les contraintes budgétaires conduisent à vérifier avec soin l’utilisation effective des ressources électroniques, mais ne peuvent imposer mécaniquement la conduite à tenir ; lisez l’excellent billet de notre collègue clermontois, qui montre l’infinie subtilité de la prise de décision finale : acquérir ou désabonner !
Au passage, les ‘bouquets’ éditoriaux de ressources électroniques, dont les tarifications sont volontiers prohibitives et les modèles peu équilibrés -,  ne méritent pas par ailleurs les reproches d' »impertinence » qui les accablent – au prétexte que seuls quelques titres sont évalués intéressants – : s’ils laissent aux bibliothécaires la charge de construire la médiation de ces continents documentaires, ils offrent en fait (imposent  ) aux utilisateurs cette opportunité de masse critique tant prisée par les chercheurs (voir le rapport de l’étude Superjournal) !

Merci -encore ! - à Le Libraire (FB)

Oser la pensée complexe (encore !)

Bon, j’évite en général de bassiner mes lecteurs avec la passionnante approche pensée <-> action de la pensée complexe, mais là je ne résiste pas. J’estime que cette problématique de masse critique entre parfaitement en résonance avec le principe d’émergence (quand le nombre d’éléments d’un ensemble est suffisant pour changer la caractérisation de ce document), comme avec le principe dialogique : « Cette impossible séparation de l’ordre et du désordre dans toutes les perceptions et les actions humaines que le paradigme classique pourtant postulait » (lisez Jean-Louis Le Moigne et évidemment Edgar Morin !).

A vous ! Avez-vous exemples, contre-exemples, divergences ?

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