Bertrand Calenge : carnet de notes

samedi 31 octobre 2009

Transmettre…

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 31 octobre 2009
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Un coup de gueule de Michel Piquet, en commentaire d’un billet du bibliobsédé, pose quelques vraies questions : le terme de médiation n’est-il pas galvaudé (ce dernier supposant l’indépendance d’un intermédiaire commis au sein d’un conflit), et surtout le talent de transmission réclamé du bibliothécaire impose-t-il que ce dernier soit plus expert que son interlocuteur-client dans les contenus qu’il transmet ? Bon, d’accord, je schématise, mais si je comprends bien, la question posée par Michel Piquet interpelle à la fois le flou conceptuel de termes largement utilisés (jusqu’à parler de médiation 2.0…) et la nature même du statut d’intermédiaire qu’a le bibliothécaire.

L’imprécation étymologique envers l’usage « dévoyé »  d’un terme particulier ne m’émeut guère. Je n’éprouve par exemple aucun remords à transformer le sens social et vécu du ‘bibliothécaire’ pour en donner une autre définition que ‘le préposé à la garde de l’armoire aux livres’. Encore faut-il, et là je suis d’accord avec M.P., que la définition nouvelle soit rigoureusement étayée et repose sur un concept solide. Or je reconnais que l’invocation de la « médiation » est tout sauf rigoureuse. Non pour les raisons étymologiques invoquées, mais parce que  le terme évoque un vague entre-deux et surtout suppose, dans l’acception commune, un « médiateur » qui sait et un « médié » qui – le malheureux ! –  ignore…  Pourtant j’ai rarement entendu un bibliothécaire en université parler de ce type de médiation dans ses relations avec les enseignants-chercheurs ! Serait-ce réservé à la lecture publique ? Cela signifierait que les bibliothécaires-médiateurs y sont plus savants que leurs publics… ou du moins d’une bonne partie d’entre eux. Et vis-à-vis des usagers qui en savent plus que le bibliothécaire en face de lui (et ils sont légion !), de quel type de relation parle-t-on ?

Pour ma part, j’ai jusqu’à présent préféré le terme d’accompagnement à celui de médiation, justement pour reconnaitre la compétence – et non la soumission – de ‘mon’ usager interlocuteur : aider à trouver l’information idoine, ce n’est pas ‘savoir plus’, surtout si par exemple l’information requise concerne l’anatomie des poissons ou la chromatographie en phase gazeuse  (j’évoque ici quelques-unes de mes profondes limites cognitives…).

La neutralité du terme ‘accompagner’ est parfaite dans un monde stable, aux références établies et surtout partagées. J’aime bien l’idée de compagnonnage que ce terme sous-entend… Mais il est vrai que substituer ce terme d’accompagnement à celui de médiation ne règle rien, sinon évoquer une ambition qui se veut plus modeste et respectueuse de la diversité des publics.

Le problème, c’est que la pluralité des espaces de l’information et surtout la diversité des besoins, compétences et pratiques des personnes (bibliothécaires comme usagers) rend hasardeux le terme d’accompagnement, dans la mesure où il en rend indistinctes les différentes facettes.

L’expertise documentaire au service du public

La première de ces facettes, celle qui a provoqué le plus grand nombre d’écrits, concerne l’art de chercher face à une question documentaire. C’est là une compétence professionnelle à acquérir, maintenir et développer pour toutes celles ou ceux qui ont à affronter des questions d’ordre scolaire, pratique, professionnel ou scientifique. Certes, cet art de chercher ne peut se passer d’une réelle empathie avec le questionneur, mais il exige non seulement des apprentissages, mais également la confrontation réitérée à la diversité des questions. C’est un métier au sens le plus « dur » du terme…

C’est en même temps un accompagnement, car la mobilisation ‘recherchiste’ du bibliothécaire ne prétend aucunement maîtriser mieux que son client le champ des contenus au sein desquels il… cherche. Simplement, pour reprendre un vieil aphorisme, s’il ne connait pas la réponse, il sait où la trouver.

Au service de la découverte

La dimension professionnelle de cet ‘art de chercher’ m’a beaucoup fasciné, je le reconnais. mais le commentaire de Michel Piquet met le doigt sur une autre facette essentielle de la bibliothèque – au moins de lecture publique – : l’offre de la surprise, de la découverte. Le désir de surprise ne se limite pas à la découverte de romans ou de films, mais parcourt tous les types de documents. Et comme dans le cas précédent, c’est la position de l’usager, son intention, qui mobilisent bien d’autres compétences, et au premier chef l’art de séduire, d’attirer l’attention, d’exciter les papilles…

Il me semble que là, avant toute compétence strictement professionnelle, c’est effectivement – comme le souligne avec alacrité notre commentateur – une passion communicante qui est à l’œuvre : il faut convoquer ses propres intérêts, discuter avec le lecteur, laisser parler ses passions… La culture mobilisée n’est pas tant professionnelle que personnelle. Et, plus encore, le talent requis pour emporter l’intérêt tient de la connivence plutôt que de la connaissance.

Il est tout à fait juste de souligner, avec Michel Piquet (que décidément nous aurons suivi tout au long de ce billet), que la totalité des agents de la bibliothèque, quel que soit leur grade ou leur statut, peut intervenir dans ce dialogue humain de découverte et d’échange avec nos publics. Si par ailleurs je suis plus que sceptique sur la capacité de tout un chacun à « savoir chercher » – justement dans les domaines qui ne relèvent pas de la culture ou de l’intérêt personnels -, je devine qu’il est intéressant de creuser la nature des compétences à l’oeuvre dans cette proposition de découverte.

Transmettre ?

En effet on ne choisit pas ses publics – enfin le croit-on… -, et ceux qui viennent chercher une information précise sont – en bibliothèque publique au moins – sans doute moins nombreux que ceux qui sont demandeurs de découverte (du moins selon l’enquête du Credoc). Cette ambivalence oblige à questionner la fonction de la bibliothèque lorsqu’elle veut surprendre, faire découvrir. Et une idée me vient, somme toute très ancienne : et si nous ne faisions que transmettre ? Payés pour accumuler certes (une vieille fonction bien malmenée), mais surtout payés pour être curieux, attentifs aux textes, images et musiques. Et pour les faire partager à la communauté. Bref transmettre le savoir accumulé – en nos murs ou ailleurs -, le transmettre là où il est demandé et comme il est demandé.

Le stock nous échappe de plus en plus, Google en fait la démonstration quotidiennement. Mais la curiosité, l’écoute de la collectivité, le désir de transmettre et de partager nous demeurent sans concurrence publique. Et c’est cela au fond qui motive encore l’intérêt envers nos établissements. Pour répondre à cet appétit de découverte, il est indispensable de mobiliser l’ensemble de tous les agents, de toutes les curiosités, en dépit de tout statut (pourquoi d’ailleurs ne pas en outre convier la ‘société civile ‘ ?). Selon quels processus, quels talents, quelles compétences ? Le débat est ouvert…

Mais sans nul doute, parallèlement, en juste retour du statut spécifique des bibliothécaires et assimilés – au sens professionnel -, il est alors nécessaire de leur demander d’exercer complémentairement et expertement cet ‘art de chercher’  devenu si sophistiqué.

Non ?

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jeudi 29 octobre 2009

Excentrer la bibliothèque : l’invention de la proximité

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 29 octobre 2009
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Récemment, je notais dans un recueil de textes sur « Quel modèle de bibliothèque ? » (aux presses de l’Enssib : très très intéressant, lisez-le !!) la remarque récurrente d’une nécessité pour les bibliothèques de « s’excentrer » (pour citer Christophe Evans dans ce volume), bref de se penser hors leur centralité architecturalement et procéduralement située. Cette nécessité d' »excentration » m’a fait réfléchir à un souci de plus en plus revendiqué : la proximité, celle-ci s’entendant au travers d’une activité des bibliothécaires et de l’institution auprès de l’ensemble d’une population, hors le balisage rassurant et contrôlé de la bibliothèque bâtiment public.

Le problème est que la proximité ne rime pas nécessairement avec l' »excentration », tant cette notion de proximité permet des discours totalement différents sous le couvert rassurant et consensuel d’un mot-valise vidé de tout sens à proportion de sa récupération. On a déjà connu ça avec coopération ou réseau, et je crains que 2.0 en prenne le chemin (si un autre concept ne vient pas rapidement le concurrencer tant la technoculture change rapidement…).

Quelques exemples de décodage potentiel de  cette proximité dans les bibliothèques :

  • il faut sortir à la rencontre des personnes exclues… pour les faire venir à la bibliothèque ;
  • nouons des partenariats extérieurs pour réaliser nos manifestations culturelles ;
  • tenons un stand dans une fête de quartier ou une manifestation culturelle locale ;
  • développons le site web de la bibliothèque, consultable par les usagers depuis chez eux ;
  • effectuons des dépôts de livres dans les prisons, les hôpitaux, les PMI, etc.
  • allons présenter des livres, lectures et informations sur la bibliothèque dans les écoles…

Et on pourrait multiplier les exemples… pour se rendre compte finalement que, de tout temps, la plupart des bibliothécaires sont déjà partis à la recherche de leurs publics en de multiples lieux. Rien de nouveau sous le soleil, donc ?

De l’établissement au territoire

Bien sûr, les bibliothécaires (enfin la plupart d’entre eux) n’ont jamais manqué de sortir en quête de nouveaux publics… à condition d’entendre comme nouveaux publics ceux qui entreront finalement dans la bibliothèque. Je me souviens de ce dialogue à peine imaginé :
– « Mon mari a adoré le roman policier que je lui ai emprunté !
– Eh bien, dites-lui qu’on en a des centaines d’autres, tout aussi passionnants !
– Pas de problème, je vais lui en apporter d’autres : montrez-les moi »
Et le bibliothécaire de conclure en aparté : encore un qui ne veut pas entrer dans une bibliothèque (donc « un non-usager »).
Alors que si ça se trouve, le mari est malade, ou ses occupations professionnelles ne lui laissent pas le temps de venir à la bibliothèque, ou encore c’est une connivence amoureuse : surprise des lectures que sa femme lui propose ?!

Parler de proximité, est-ce en dernier objectif vouloir que la population fréquente les espaces de la bibliothèque – et de préférence consulte ou emprunte les collections soigneusement disposées ? Ou n’est-ce pas un renversement de perspective : parler d’une proximité qui déplace les services de la bibliothèque – collections comprises – au plus près de la population dans son cadre d’activités familiales, professionnelles ou sociales, sans nécessairement vouloir que ce cadre intègre le lieu bibliothèque voire s’y déplace ?

Cette hypothèse de proximité réellement nouvelle n’augure pas de la disparition de la bibliothèque-lieu, essentielle comme espace d’information critique et espace social public (si rare aujourd’hui !), mais pose la question de la bibliothèque vivante sur le territoire de la population qu’elle sert, au-delà des services offerts dans un lieu à cette population.
Et là, effectivement, ce positionnement prioritairement territorial constitue une exigence vraiment nouvelle, qui doit accepter voire rechercher les cercles relationnels (familiaux ou amicaux), accepter aussi des services de vraie proximité comme le distributeur de livres dans le métro, le comptoir de prêt dans un centre commercial, le bibliovélo en zone piétonne, le dépôt de livres en bar de lycéens, et pourquoi pas le « bibliothécaire public » comme on connait l’écrivain public ? Je délire, mais je devine qu’il est mille services originaux et utiles à inventer, pas nécessairement flamboyants… mais tellement au plus près des gens !

By Der Kreole - Wikimedia Commons

L’établissement comme base stratégique

L’exigence de proximité signe la montée en puissance du territoire, ce fondement essentiel de la bibliothèque, devenu toujours plus prégnant au fur et à mesure qu’Internet permet des « consommations culturelles » domiciliaires donc irrigue ce territoire humain au plus près de ses habitants.Mais elle signale aussi une révolution copernicienne : le territoire ne tourne plus autour de la bibliothèque – du moins vu du point de vue des bibliothécaires -.

Cette révolution propose un rôle supplémentaire à la bibliothèque : l’exigence de déplacement, voire l’ubiquité. Et le lieu bibliothèque, ses processus et son organisation doivent dans cette configuration être pensés aussi (mais bien sûr pas uniquement) comme une base stratégique d’action en direction des publics du territoire… sans nécessairement vouloir les y ramener.

Cette extériorisation de l’action apparait avec l’émergence de services en ligne profondément internetiens, n’impliquant aucun déplacement impératif vers le lieu (alors que ces services organisent évidemment leur back-office dans le lieu). Il reste à inventer aussi des services « physiques » sur le territoire déconnectés du déplacement : tiens, par exemple, comment, malade ou handicapé, bénéficier d’un prêt de livres sans d’abord s’être déplacé pour s’inscrire ? comment organiser un flux complexe de stocks, de prêts et de retours via des points relais (les « kiala » du livre) ? Comment proposer des permanences de bibliothécaires-conseil dans des lieux incongrus mais susceptibles de réclamer leur expertise (musée, salon automobile, hopital, … cafétéria ?) ? Peut-on encourager des cercles de lecteurs construits à travers la proximité relationnelle des lecteurs ? Quelle est la réalité de l’implication des bibliothèques dans le book-crossing aujourd’hui ? Etc.
Bref, organiser la bibliothèque en fonction de la proximité et pas seulement vouloir y ramener des visiteurs, s’investir au-dehors de la bibliothèque pour la seule satisfaction des besoins rencontrés, sans s’imaginer destination ultime de ces besoins…

On remarquera que les exemples que je cite ne partent pas nécessairement du préalable d’un dépôt organisé de documents à l’extérieur, mais un déplacement des compétences et des échanges. Est-ce une illusion ? Est-ce aberrant ? Connaissez-vous des exemples concrets « présentiels » ?

vendredi 24 avril 2009

A partir d’une idée comme ça : et si on louait les best-sellers ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 24 avril 2009
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Une bibliothèque peut – doit ? – multiplier ses services en fonction des besoins de sa population. Parmi ceux-ci, les services numériques ont la part belle dans les ‘biblioblogs’ (normal : ceux qui tiennent les dits blogs sont plutôt experts en ce domaine), même si quelques-uns, ici ou , se hasardent à témoigner d’un quotidien professionnel beaucoup moins marqué par l’innovation technologico-servuctive (pardon pour le néologisme). Oublions un instant cet impératif de la médiation numérique, et revenons à la quotidienneté des établissements avec leurs publics bien réels…

De l’emprunt comme facteur effectif de l’activité des bibliothèques publiques

Dans un dernier billet, j’évoquais le service du prêt, soulignant qu’il était indispensable pour ce service spécifique de tenir compte des premiers visés, les emprunteurs et leur appétence. Étant entendu bien sûr que par ailleurs les participants à une conférence, les visiteurs d’une exposition, les demandeurs d’emploi ayant à rédiger leur CV ou les collégiens en mal de documentation pour leur exposé nécessitent  par ailleurs d’autres processus de service. Ce service du prêt, si négligé dans les ‘biblioblogs’ déjà cités, représente à la fois la plus grosse charge de travail des bibliothèques publiques d’aujourd’hui (équipement, prêt, retour, rangement, etc.) et la demande la plus pressante des utilisateurs qui se pressent à nos portes (au moins celle qui s’exprime la plus spontanément et la plus… énergiquement). Sans compter que la question des prêts reste, pour les élus, un indicateur majeur de l’activité (pardon à la BPI !).
Quand à Lyon on prête près de 3,5 millions de documents par an, et qu’on évalue les charges logistiques qui en découlent à tous niveaux (transactions, manipulations, navette, réglages informatiques, gestion des conflits, adéquation de l’offre à la demande, etc.), on ne peut qu’être sidéré : je parie – évaluation au doigt mouillé – que largement plus de 50 % du temps de travail général y est directement consacré ! Cela ne signifie pas, je le répète, qu’il ne faille pas développer de nouvelles formes d’accompagnement, numériques ou présentielles. Mais les faits et les publics sont têtus : le prêt reste – encore – à la fois un argument majeur de notre attractivité et une part importante de notre activité…

Pour continuer à être utiles demain, et donc à exister encore, il faudra sans nul doute inventer de nouvelles formes de rencontres avec nos publics. Mais l’époque actuelle nous apprend surtout à devoir distinguer les objectifs et circuits des services mis en œuvre. Si on parle du service du prêt, on parle des emprunteurs, de leurs demandes, de leurs pratiques.

La demande, la demande, vous dis-je !….

Comme je le rappelais dans le billet signalé plus haut, un taux de rotation fournit une activité générale d’un segment de collection pris dans son ensemble  – donc d’une activité de prêt globalisée. En revanche, il ne fournit  aucune indication sur la pression possible de la demande sur un titre spécifique. Si on analyse cette activité et cette pression, non globalement mais titre à titre, le paysage change. Certains titres ne sont guère empruntés (mais peut-être sont-ils utiles en consultation ?), d’autres connaissent un succès d’emprunt modéré… et quelques-uns sont soumis à une pression gigantesque de la demande d’emprunt. Ce sont souvent des romans ou des essais médiatiques : pour l’anecdote, et j’espère ne pas trahir un secret d’État, la trilogie Millenium a connu à Lyon plus de 850 réservations sur l’année 2008 ! Quant à promouvoir un titre via Internet, l’opération n’est pas sans risque : créer un buzz autour d’un titre confidentiel, c’est génial, mais comment la bibliothèque peut-elle répondre à une demande massive sur ce titre (demande au fond légitime, puisque c’est elle qui a lancé le buzz) si elle n’en possède qu’un ou deux exemplaires ?

Certes, un titre spécialisé peut connaître un vrai succès auprès de spécialistes (on connait le cas pour des manuels de logiciels hyper-pointus… et très coûteux), mais cette demande reste, du point de vue de la masse des demandes, minoritaire. Ma question porte sur la pression massive.

Louer des best-sellers ?

Si une bibliothèque poursuit une politique d’acquisition cohérente, qui laisse sa place à la demande (par exemple achat en 2 exemplaires d’un titre populaire), que peut-elle faire quand la demande pressante excède ses capacités financières ? Céder à cette demande, c’est renoncer à proposer un panorama mûrement pesé de la production. Refuser l’écoute de cette demande, c’est s’exposer à recevoir les récriminations des plus fidèles visiteurs voire à leur renoncement. Coincés ?

Les bibliothèques publiques du Québec (voyez ici, ou – juste à titre d’exemples, il y en a des centaines, comme le relevait Réjean Savard – et d’autres aux États-Unis, et m’a-on dit aux Pays-Bas ou en Allemagne) ont envisagé la question sous un angle rationnel : oui, on achète les best-sellers (à la fois parce qu’ils représentent une image actuelle du monde d’aujourd’hui et parce qu’ils sont demandés), mais si la demande devient excessive on refuse de consacrer les deniers publics à l’appétit de quelques centaines de consommateurs avides, pour ne pas déséquilibrer la collection compte tenu des moyens consentis.

Alors, pour ces amateurs forcenés (et souvent pressés), on propose un deal : la bibliothèque achète selon sa politique d’acquisition X exemplaires du titre et les intègre à sa collection aux conditions normales d’accès et d’emprunt. Si vous êtes si pressés, la bibliothèque en achète XXX exemplaires en plus, et  vous pouvez les louer à un prix modique (2 à 5 €). Ces titres ne font pas partie de la collection, ils sont la réponse à votre demande urgente. D’ailleurs, lorsqu’ils seront en fin de vie, et de succès, on les soldera auprès des amateurs. Et les ressources tirées des locations et de la vente finale permettront de réalimenter ce stock à usage urgent, voire pourquoi pas de contribuer à enrichir l’offre documentaire pérenne de la bibliothèque.

L’offre réfléchie des bibliothécaires n’est pas remise en cause. En fait, on répond aux ‘maniaques’ (que je respecte : j’en suis un parfois moi-même), avec un service qui s’auto-alimente financièrement, les recettes des locations et des ventes en fin de vie équilibrant le renouvellement des best-sellers, qui ne sont d’ailleurs pas si nombreux en termes de titres.

Objections ?

Objections, Votre Honneur (ou Monsieur le Président, pour ne pas verser dans les séries américaines…) :

Première objection : on pervertit la constitution réfléchie de la collection
Si le budget d’acquisition était piloté par la seule demande, l’objection serait  recevable. Dans mon hypothèse, on privilégie au contraire la réflexion à moyen et long terme, en dérivant les exigences les plus présentes vers un ‘budget annexe’ alimenté par les plus exigeants. Bien entendu, un tel dispositif exige des contraintes, par exemple qu’un titre ‘loué en best-seller’ ne puisse être acquis que si la bibliothèque en a déjà acquis X exemplaires pour un prêt régulier, selon les modalités ordinaires de prêt. Pour ceux qui veulent débattre plus avant de l’offre et de la demande, voyez ici et par exemple.

Deuxième objection : on crée une bibliothèque à deux vitesses
Deux vitesses ? On voit tout de suite l’interrogation : certains pourront, moyennant finances, obtenir rapidement un titre qu’autrement ils auraient attendu plusieurs mois. Ce serait de l’inéquité ! L’objection a déjà été lancée à Victoriaville au Québec (ici), mais la réponse en commentaire du directeur des services culturels de Victoriaville mérite d’être citée :

« La collection documentaire d’une bibliothèque vise à répondre à la majorité des besoins de lecture d’une population. Les acquisitions sont équilibrées, tout en tenant compte de la popularité d’un titre, qui sera acquis à un plus grand nombre d’exemplaires, afin de répondre à la demande. D’ailleurs, le nombre de personnes qui réservent un titre est l’indicateur le plus fiable. La bibliothèque achète un exemplaire supplémentaire dès que le nombre de réservations du titre atteint dix. Il y a donc un plus grand nombre d’exemplaires sur les rayons pour l’emprunt régulier de livres.
La location des «titres à succès ou best sellers» est une formule qui vise à permettre à un plus grand nombre de personnes d’accéder simultanément à la lecture du roman de l’heure. Pour une somme minime, 3 $ en passant, le lecteur peut obtenir le roman plus rapidement. Retenons que le titre populaire a une durée de vie assez courte. En effet, plusieurs veulent le lire dès sa sortie et après quelques mois, la demande pour le titre baisse significativement, étant déjà remplacée par un autre titre qui vient de sortir. C’est ainsi, que plus de personnes, vraiment plus de personnes, peuvent lire le roman fraîchement publié, pratiquement dès sa sortie. Pas mal, non !
De plus, cette formule est répandue dans les bibliothèques publiques du Québec.
En résumé :
1. un roman populaire est toujours disponible pour l’emprunt régulier ;
2. selon la demande, nous ajoutons des exemplaires destinés à l’emprunt régulier ;
3. la location répond à un besoin momentanée d’un grand nombre de personnes à lire le roman fraîchement éditée ;
4. la location permet de désengorger la file d’attente à l’emprunt régulier sur un titre populaire, donc plus de personnes peuvent emprunter le livre, et ce, plus rapidement encore ;
5. la mesure est économique autant pour la bibliothèque que pour l’usager ;
6. et, la bibliothèque est satisfaite de cette mesure, par la popularité qu’elle suscite. »

Troisième objection :  On risque de dériver vers une organisation de services à la demande

L’argument est loin d’être passéiste ou rétrograde. Il est vrai que la bibliothèque constitue fonctionnellement un service collectif  d’accompagnement (par ses financements, sa tutelle et ses publics destinataires) des populations d’une collectivité particulière. C’est sa différence profonde d’avec les services marchands : nous n’avons pas à construire notre créneau en fonction d’un service ou d’un produit, mais nous devons inventer les services et produits qui nous permettront de mieux servir un public prédéterminé, celui pour lequel nous sommes payés, bref les citoyens de notre collectivité.
Les services à la demande ont ceci de redoutable qu’en parcellisant les demandes et les services, ils tendent nécessairement à isoler chaque prestation pour en identifier les destinataires et leurs besoins. En soi, ce peut être une bonne chose (un cadre passionné de musique alternative n’a ni les mêmes demandes ni les mêmes pratiques ni les mêmes moyens qu’un chômeur en fin de droits cherchant à établir son CV dans un espace numérique).

Identifier les demandes et les demandeurs (ou plutôt les besoins) est très intéressant. Mais ce doit être conduit bien sûr en conservant en règle de conduite l’intérêt général d’une population,  donc d’un équilibre politique envers les besoins de toutes ses composantes. Simultanément au sein d’un même établissement – et selon des priorités dictées par le contexte local – on agira dans de multiples directions, ici la médiation auprès de publics isolés, là un programme culturel ambitieux, là encore une entreprise de médiation numérique, là enfin – revenons à notre propos – le service adapté aux emprunteurs avides…Donc prière de ne pas prendre cela comme une lubie – ou une idée géniale, j’aimerais mieux !-, mais comme une piste possible dans un éventail d’opportunités.

Quatrième objection : on a le droit ?

Désaffecter des documents, cela relève de l’autorité locale. Après avoir cherché (mais je ne suis pas expert), je n’ai rien trouvé qui empêche la vente de documents non patrimoniaux en fin d’activité (sous réserve des arrêtés et procédures ad hoc), ni la location de certains livres (attention, pas les DVD, dont l’usage n’est possible en bibliothèque qu’aux fins de prêt ) : voir par exemple la loi sur le droit de prêt.
Et puis, au fond, la question du droit n’est-elle pas souvent l’ultime argument défensif ? Si la loi n’est pas élastique, son interprétation reste soumise à quelques impératifs fondamentaux, et pour les institutions publiques celle de vérifier notamment l’égalité d’accès : bien distinguée financièrement, cette hypothétique offre de « best-sellers supplémentaires en location » peut-elle être considérée comme un « coeur » du service public, ou comme une activité facilitatrice accessoire ? La réponse n’est sans doute pas dans les grands principes, mais dans l’organisation générale de la bibliothèque.

Mais la vraie question ici c’est : qu’en pensez-vous ?

samedi 7 mars 2009

Entre intime et collectif

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 7 mars 2009
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Il existe un paradoxe, ou plutôt une tension, au cœur de l’activité même des bibliothèques publiques. D’un côté on glose sur l’absolue intimité de la lecture, de la construction de soi et  de l’ « émotion culturelle » (si j’ose dire). De l’autre, on proclame la dimension collective de partage des savoirs que représenterait la nécessité des bibliothèques. Entre l’individuel et le communautaire, un ballet s’esquisse qui nécessite éclaircissement quant aux buts poursuivis et surtout aux services mis en œuvre.

Du côté intime, la lecture d’emprunt ou de consultation sur place (voire l’audition avec des casques ou la réservation de session Internet) a eu – et a toujours ? – la part belle dans les priorités institutionnelles. Certes, on soulignera qu’au cœur même de ces pratiques il existe une sociabilité commune de fréquentation des lieux (et étagères), comme il existe une immersion collective dans les textes, musiques ou images partagés à travers les collections. Mais, ne nous leurrons pas : c’est bien l’usage et la satisfaction individuels qui sont recherchés et servis.

Comment se présentent les ‘nouveaux services’ mis en œuvre aujourd’hui ? En notre époque d’individualisme forcené, il est paradoxal de constater que ce sont les services collectifs ou « sociaux » qui ont le vent en poupe. Des exemples?

  • les conférences, débats, concours, ateliers, bref les activités et manifestations des programmes culturels se multiplient, et rassemblent les gens ;
  • les séances collectives de formation (au numérique notamment, ou à la stratégie de recherche d’information) se développent ;
  • on se préoccupe des outils sociaux qui permettent contribution, critique, débat, voire construction collaborative de contenus ;
  • les espaces collectifs de travail en groupe se développent ;
  • etc.

Bref, même si in fine ce sont toujours des individus qui accroissent leur ‘capital de savoir’, l’organisation des services s’oriente insensiblement vers une approche plus collective qu’elle ne l’était au long des trente dernières années. Et ce qui est remarquable, c’est que ce mouvement flou se revendique de la personnalisation des services ! Comme si les pratiques les plus individuellement closes trouvaient satisfaction par mille autres moyens (dont les connexions domiciliaires à Internet) et que les bibliothèques jouaient davantage sur la dimension culturelle et éducative du lien social (peut-être poussées en cela par une pression collective inquiète justement des exigences sociales de l’individualisme ?)…

L’homme est un animal social. « Je est un nous », disait Norbert Elias. Je crois en cette vérité première. Et je crois qu’au-delà des utilisations évidemment individuelles de la bibliothèque, cette dernière joue prioritairement collectif ! Je me rappelle une explication passionnée de Jean-François Jacques qui, lorsqu’il travaillait à la bibliothèque de Romans, avait promu dans la bibliothèque d’un quartier réputé « difficile » une aide individuelle aux devoirs auprès des enfants avec quelques animateurs : ce service, qui ne touchait évidemment que quelques enfants, avait disait-il modifié le climat de la bibliothèque : même si tous ne pouvaient être aidés, tous savaient qu’ils pouvaient l’être, et les grands frères respectaient le lieu pour le service rendus aux plus jeunes…

Et vous, quelle est votre impression, ou votre conviction ?

mardi 10 février 2009

Empruntez un bibliothécaire !

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 10 février 2009
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Le titre de ce billet est dû à J-C Brochard pour un billet remarquable qu’il vient de publier. Bien sûr, nombre de collègues connaissent ce type de service apparu dans les pays anglo-saxons et nordiques (« Borrow a librarian« ) et en ont apprécié la dimension disons… pittoresque et surprenante ! Mais, comme le souligne JC Brochard, on n’en connait pas d’épigones en France. Pourquoi ?

La première explication qui vient à l’esprit est le manque de temps. Je suis plus que sceptique quand je vois la multiplication des animations et activités innovantes dans nos établissements. Il faut bien du temps pour les concevoir et les réaliser !! Il faut donc chercher ailleurs…

Une intuition (vilain mot pas scientifique) me suggère que nous apprécions particulièrement de déléguer le « dialogue » ou la « valeur ajoutée » à des processus que nous mettons en œuvre. Par exemple :
–  Offrir aux lecteurs la possibilité d’ajouter leurs commentaires à des notices bibliographiques ou à toute autre production bibliothécaire délègue au système de gestion du catalogue ou du service particulier le soin d’engranger et de rendre visible des avis ou opinions. Je ne suis pas sûr qu’il entame un dialogue et encore moins qu’il engage la personne des bibliothécaires eux-mêmes…
–  L’opportunité technologique de mise en œuvre de portails thématiques sophistiqués autorise davantage l’exacerbation de la production de contenus soigneusement ciblés, qu’elle n’encourage l’exposition  des bibliothécaires à la diversité des interrogations des publics concernés…
–  L’étude de l’usage des cahiers de suggestions montre clairement leur fonction dérivative et extériorisante, plus que d’ouverture au débat.
– Les activités d’accompagnement personnel sont soit organisées dans des ‘services pédagogiques’ aux prestations structurées, soit déléguées à des personnels non-bibliothécaires (moniteurs, autrefois emplois-jeunes,…).
– Un travail de recherche de Laurence Bourget, alors élève-conservateur de l’enssib avait relevé en 2004, parmi les cinq priorités majeures des chercheurs en sciences sociales en termes d’accès aux ressources de la bibliothèque, un suivi personnel par un bibliothécaire ‘personnel’ au fait de leur problématique, attentif à leurs pistes de recherche, disponible par tous moyens non institutionnels (i.e. pas seulement derrière un bureau de référence, mais aussi par mail, rendez-vous au labo,…) : cette dimension existe-t-elle dans les profils de poste et plans de charge de travail des professionnels en SCD ?

Je n’affirme pas que nombre de bibliothécaires n’engagent pas de dialogues personnels, ni rechignent à passer des heures à débrouiller un problème individuel, au contraire (et heureusement !). Mais en termes d’organisation les faits sont têtus : les bibliothécaires sont conscients qu’ils développent un capital de connaissances et de savoir-chercher, mais préfèrent déléguer – ou organiser – la transmission du capital en question à des instruments ou processus de services qui (tout web 2.0. veulent-ils être parfois) restent fondamentalement dépersonnalisés… ! Encore une fois, pourquoi ?

Examinons trois pistes :

  • La première semble évidente : il faut gérer des flux. Et dans une organisation le temps est mesuré au flux des visiteurs, non à leur hypothétique et inégal besoin d’accompagnement. En outre, les bibliothèques s’inscrivent volontairement dans une conception d’égalité du service public qui rechigne à dépenser du temps pour un individu au détriment des autres.
  • la seconde tient à une révérence inconsciente aux documents proposés. Le bibliothécaire ne serait qu’un orienteur au sein de la collection qu’il a patiemment et savamment sélectionnée, actualisée et mise en ordre. Cette révérence intègre les circuits reconnus d’appropriation de ces collections : par exemple, il faut prêter !  Je renvoie au remarquable billet de Xavier Galaup préoccupé par  le cantonnement des ‘discothèques’ à l’activité de prêt de ‘galettes’; l’existence même de ces services serait mise en péril par le téléchargement de musique (comme si l’activité fondamentale des espaces musique était … de prêter des supports smileys Forum)
  • La troisième piste tient peut-être à une longue tradition française d’une conception des agents publics : le fonctionnaire est éminemment remplaçable et n’a pas à s’exposer (à tous les sens du terme), il est au service d’une administration et n’a pas à exprimer sa personnalité, etc. Sans compter que l’éminente « remplacabilité théorique  » (?) du fonctionnaire le conduit davantage à s’inscrire dans des processus collectifs dépersonnalisés qu’à assumer ouvertement sa compétence personnelle au service des publics qu’il sert. Allons, soyons honnête : disons que l’organisation même des services encourage souvent cette attitude plus qu’elle n’est revendiquée par les agents…

Alors, dans ce contexte, poser la question d’un service explicite « empruntez un bibliothécaire » me semble pertinente. Non pour nier la valeur des services de référence recevant sur rendez-vous (quand il en existe), ni celle des services d’orientation au champ pré-défini (car il en existe), mais pour reconnaitre au coeur de l’organisation des services, dans leur dimension la plus triviale (les temps de travail, la répartition des tâches, les temps de rendez-vous, etc. ), à la fois l’acceptation et la reconnaissance des besoins -exprimés individuellement- des personnes qui composent notre public (besoins par nature imprévisibles, même s’il concernent le champ vaste de l’information), et les richesses incomparables de nos nouvelles ressources documentaires exclusives à l’heure du savoir explosé et inflationniste : les bibliothécaires eux-mêmes (champs individuels de compétences, trajectoires personnelles d’acquisition de connaissance et de savoir-faire,…).

Il faut s’en convaincre : plus l’information sera abondante et accessible aisément, plus les bibliothécaires seront irremplaçablessmileys Forum. Encore faut-il oser inscrire cette nécessité dans des services explicitement construits sur cette richesse totalement individuelle. Non ?

vendredi 30 janvier 2009

Autonomie de l’usager (suite) : « expliquer la démarche » ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 30 janvier 2009
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Dans un précédent billet, j’exposais la nécessité de répondre aux demandes des utilisateurs dans leur contexte, sans se dérober au nom d’une « autonomie de l’usager » volontiers invoquée sans considération des besoins particuliers du questionneur.

(Parenthèse : qu’on ne pense pas que je sois contre l’autonomie des publics. Cette autonomie peut être souhaitée – et alors encouragée et soutenue -, ou prescrite (cas des étudiants ou des professionnels d’un domaine) – et alors encore une fois accompagnée par mille actions volontaristes de formation. Mais elle ne saurait être décrétée à l’encontre de gens qui ne la souhaitent pas ni n’y sont obligés par leur métier ou leur statut.Fin de la parenthèse)

De fréquents commentaires concèdent qu’une réponse détaillée peut être justifiée, mais soulignent également, presque automatiquement, qu’il est utile voire nécessaire d’accompagner cette réponse détaillée par une « explication de la démarche » entreprise pour la formuler.

Bien sûr, il est toujours possible de recopier les termes de la requête fructueuse effectuée par le bibliothécaire dans une base de données spécifique. Mais pourquoi cette requête particulière ? et pourquoi dans cette base de données et pas dans une autre ?

Que voilà un joli concept, la démarche ! Quand, à l’occasion d’une consultation d’un  patient spécifique, un médecin convoque ses années d’étude et de rencontres avec des patients divers, peut-il vraiment « expliquer sa démarche » à ce dernier pour poser son diagnostic et prescrire un traitement spécifique ?
Certes, on peut exposer la démarche (comme nombre de toubibs le font pour assurer un climat de confiance avec leurs patients,  juger de leur capacité à comprendre la situation – et aussi rassurer le patient sur le professionnalisme du praticien smileys Forum ), mais croit-on vraiment qu’on explique  la « démarche » et qu’on fait en quelque sorte acte de formation à l’autonomie ? On donne les sources de la réponse, bien sûr, mais là c’est un acte qui fait appel à notre exigence de véracité, et ça n’a rien à voir avec de l’ « autonomie »…

Ce qui me trouble le plus dans ce terme de ‘démarche’ est sa négation implicite de la construction progressive d’un « savoir rechercher » qui associe géographie mentale des sites ressources, congruence avec le questionneur, connaissance des spécificités de requêtes propres à chaque outil de recherche, aptitude à juger de la pertinence des résultats d’une recherche, etc. Certes, c’est un art plus qu’une technique, mais cela n’enlève rien à son caractère professionnellement construit.

Ou alors on sous-estime la complexité de la chose ? C’est possible, tant l’art de chercher est fait de réflexes et d’imprégnations progressives pour celles et ceux qui le pratiquent.

Ou alors, et c’est plus grave, l’expression révèle un refus implicite de professionnalisme affirmé dans ce qui est pourtant à la base de notre légitimité aujourd’hui ? Non ?

jeudi 22 janvier 2009

A propos de l’autonomie de l’usager

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 22 janvier 2009
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Ayant eu l’occasion de présenter la bibliothèque de Lyon à un groupe d’étudiants en bibliothéconomie Sciences de l’Information, j’ai inévitablement évoqué le Guichet du savoir, précisant que ce service apportait une réponse complète et précise à toute question. Et inévitablement est venue la sempiternelle question : « Mais est-ce que cela ne va pas à l’encontre de l’autonomie de l’usager ? »…smileys Forum

Parmi les mythes inamovibles du bibliothécaire de lecture publique, on trouve, à côté de la coopération, de la démocratisation, du refus de toute censure et tutti quanti, l’autonomie de l’usager. Parlons-en cinq minutes…

Il existe mille acceptions du terme ‘autonomie’ : si philosophiquement c’est la capacité d’agir par soi-même en étant son propre régulateur, le terme est davantage utilisé aujourd’hui dans d’autres contextes :

  • dans le domaine des relations internationales, l’autonomie est un statut qui autorise une certaine latitude d’action législative et exécutive dans un cadre précis défini en relation avec celui qui confère l’autonomie (il est lui souverain, on le notera…) ;
  • dans le domaine médico-social, on parlera d’un malade autonome lorsqu’il sera capable d’exercer lui-même certaines fonctions essentielles (se préparer un repas, se déplacer dans un espace social, se tenir propre, etc.). Dans ce cadre, la dimension de l’autonomie varie selon les situations des soignants (aliéniste, soignant des maladies séniles, chirurgien,…), donc le regard de celui qui décrètera une personne autonome ou non en fonction de ses propres critères ;
  • pour le milieu éducatif, l’autonomie est une course à l’échalote constamment renouvelée : l’enseignant cherche une capacité de l’élève à assurer ses propres règles et procédures dans un milieu contraint, donc en fait à rendre siennes les règles et savoirs édictés par l’institution ;
  • le milieu familial connait également la question : les parents encouragent l’autonomie de l’adolescent, donc sa capacité de réflexion, de décision et de comportement personnels … en conformité avec le cadre jugé acceptable par les parents !

Bref, pour reprendre une phrase de Paul Lafargue en 1881, « « Il y a autant d’autonomies que d’omelettes et de morales : omelette aux confitures, morale religieuse ; omelette aux fines herbes, morale aristocratique ; omelette au lard, morale commerciale ; omelette soufflée, morale radicale ou indépendante, etc. L’Autonomie, pas plus que la Liberté, la Justice, n’est un principe éternel, toujours identique à lui-même ; mais un phénomène historique variable suivant les milieux où il se manifeste ».
Et l’autonomie prônée en bibliothèque, qu’est-ce que c’est ? A la lumière des exemples ci-dessus, on devine que le voeu (honorable) d’une totale maitrise par chaque individu de lui-même, de son environnement et des ses besoins et moyens d’information – ce qui pourrait être nommé souveraineté – n’est pas la préoccupation unique des bibliothécaires, qui persistent à utiliser le terme autonomie à tort et à travers. De quoi s’agit-il alors ? Décortiquons le discours…

La maitrise du lieu institutionnel

Peut être déclaré autonome celui qui a intégré les codes et règles posées par l’institution : on ne crie pas, on ne gêne pas les autres, on respecte les dates de retour, et même on a une vague idée des parcours possibles entre les salles, avec leurs différentes autorisations d’accès. Bref, on possède le code social du lieu.
Rien de choquant là-dedans. tout espace social génère ses codes, et tout nouvel arrivant dans n’importe quel espace social (un théâtre, un ministère, une école, la sécurité sociale, un magasin de quartier, ou la bibliothèque !) « sent » en général cette nécessité d’usage collectif. Mais cette autonomie-là n’est pas un objectif bibliothécaire : elle relève de l’éducation familiale, scolaire, sociale de tout individu. A la bibliothèque la charge de rendre lisibles ces codes sans intervention humaine autre qu’exceptionnelle.

La maîtrise des outils de l’institution

Dans un domaine plus proche de l’activité bibliothécaire, on recherchera l' »autonomie » de l’usager à travers sa maîtrise du catalogue, des bases de données, du système de classification (etc.) posés a priori par les bibliothécaires pour faciliter l’accès des usagers aux documents et à leur contenu.
Pour avoir (très) longuement pratiqué ces outils bibliothécaires dans leurs interfaces et signalements offerts aux utilisateurs, je crois pouvoir affirmer que l’absence d’autonomie de ces derniers dans leur usage, éventuellement déplorée,  révèle non une incapacité des utilisateurs, mais une déficience ergonomique, communicationnelle, voire conceptuelle des outils. Pitié, ne parlons plus formation des utilisateurs aux outils produits par les bibliothécaires ! Sauf cas très spécifiques – recherche avancée,… – la manipulation de « nos » outils devrait être aussi évidente que le décryptage des signaux routiers, le repérage dans une librairie, ou la fenêtre de requête d’un moteur de recherche !

La maîtrise des itinéraires de recherche documentaire

Nous en arrivons à la question qui tue : « Pourquoi apporter la réponse détaillée à un usager ? Il faut lui apprendre à chercher par lui même ! ». L’objection n’est pas stupide en elle-même, encore faut-il la contextualiser :

  • Si l’utilisateur a nécessité de maîtriser une compétence (dans un cursus scolaire ou universitaire : savoir chercher, discriminer, construire sa bibliographie ou recueillir les documents pertinents pour son TPE…) ou dans un contexte social plus ordinaire (communiquer avec ses petits-enfants éloignés, rechercher un  emploi,…), il est sans aucun doute nécessaire de se soucier de l’autonomie de l’utilisateur : la répétition de ses recherches ou son statut d' »apprenant » imposent à la bibliothèque la fourniture des moyens de lui permettre cette liberté de se mouvoir dans les contenus ou outils qui lui sont nécessaires quotidiennement. A souligner : l’individu emprisonné dans un cursus cherchera par tous moyens à contourner ses impératifs d’autonomie (« vous pouvez m’écrire mon devoir ? » ), l’individu avide de poursuivre son objectif personnel recherchera une assistance fondamentale aux compétences nécessaires (« vous pouvez m’apprendre à communiquer par mail ? »). La réponse institutionnelle de la bibliothèque ne peut évidemment être identique : au premier le détournement vers des techniques génériques adéquates à lui faire apprendre « son métier », au second la formation au savoir-faire dont il a un besoin urgent (et non l’écriture du mail à sa place) . Dans les deux cas on forme, mais pas dans le même contexte et c’est important !
  • Enfin, l’utilisateur peut souhaiter une information ponctuelle, pour diverses raisons toujours circonstanciées et hors de ces injonctions pérennes (professionnelle : « chirurgien devant opérer demain, j’ai besoin des derniers articles sur la chirurgie du fémur en cas de traumatisme affectant les tendons » ; personnelle : « doctorant en physique, je cherche l’origine du prénom de ma copine » ; angoissée : « mon poisson rouge présente des taches blanches ; est-ce que c’est une maladie ? » ; consumériste : « mon tailleur en laine et lycra a été taché par des débris de pizza : comment le détacher ? » ; etc.). Il est évident que les demandeurs n’attendent pas une méthode ou une hypothétique autonomie, mais une réponse, et de préférence vite. Va-t-on conseiller au chirurgien de se plonger dans les annales des revues de condyloplastie ? au doctorant d’explorer les arcanes de l’onomastique ? à l’adolescente de découvrir les travaux vétérinaires ou biologiques ? à la passante de découvrir les arcanes de la teinturerie ? Et pourquoi pas à la fidèle lectrice qui désire un roman « dans le genre de XXX » d’entamer un cursus de littérature comparée ?!smileys Forum

Entre autonomie de l’usager et confort du bibliothécaire

L’argument de l’autonomie de l’usager me semble souvent être un faux-nez ‘facile’ qui excuserait l’absence du bibliothécaire de la scène où se meut le public. Les bibliothécaires universitaires savent pour la plupart que leur service accompagne le travail éducatif bien au-delà de l’offre documentaire, via des formations et des ateliers en ligne ou en présentiel (encore parfois certains incriminent l’absence d’autonomie des étudiants sans mesurer leur propre déficit d’investissement dans cette politique pro-active…).
Les bibliothécaires de lecture publique, quant à eux, doivent faire face à un contexte beaucoup plus diversifié :
–   nombre de leurs utilisateurs sont des élèves ou étudiants dont ils attendent une capacité de recherche inégalement acquise ;
–   mais beaucoup de leurs utilisateurs sont certes savants (ou en voie de l’être) dans un domaine spécifique, tout en se tournant vers la bibliothèque morsqu’ils s’aventurent hors de leur champ de compétence ;
–    le ‘grand public’ avance en ordre dispersé, tantôt demandeur d’autonomie (!!), tantôt en recherche d’assistance personnelle…
L’argument de l’autonomie ne saurait revêtir un caractère universel dans cette diversité.

Comment s’y retrouver ?

Restons dans les bibliothèques publiques. Et restons dans l’autonomie.
Qu’est-ce qu’un usager autonome ? C’est sans aucun doute :
–   une personne qui a accepté les codes sociaux en vigueur dans le lieu…
–   qui se débrouille dans son champ de ‘compétence’ avec les outils dont elle dispose (fournis ou non par la bibliothèque) ;
–    et…. c’est tout !

Autonomie voulue, autonomie subie

Dans les bibliothèques publiques, le seul argument d’autonomie impérative porté à l’encontre des utilisateurs peut être celui lié aux situations éducatives (et encore faut-il accompagner l’injonction des mesures pédagogiques ad hoc). Au-delà, les alternatives sont simples :

–   ou l’utilisateur est expert dans le domaine qui l’intéresse, et il sera vite expert dans la maîtrise des itinéraires utiles (souvent bien plus d’ailleurs que le bibliothécaire) ;
–   ou l’utilisateur est en demande explicite de formation à des outils ou processus de recherche ;
–   ou il faut bien accepter d’aider, encore et encore, d’apporter la réponse,encore et encore…

Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il faut toujours expliquer l’itinéraire de recherche dans les réponses patiemment élaborées ! Quand j’amène ma voiture en panne chez le garagiste, je me fiche de savoir si c’est le delco qui a bousillé le furnibule, je veux qu’elle marche !

Ou alors les bibliothécaires ont tous le rêve secret de disparaître pour laisser la place à des publics devenus bibliothécaires ? Si c’est le cas, nous surestimons notre métier – qui devrait être nécessaire à chacun et non  un  palliatif temporaire d' »inconnaissance passagère » !! – autant que nous le sous-estimons : notre métier est de servir, non de transformer chacun en serviteur de lui-même…

Qu’en pensez-vous ? (la suite plus tard…)

mercredi 21 janvier 2009

Hommage au public inconnu : Publics par destination ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 21 janvier 2009
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Un très intéressant commentaire adressé par un collègue clermontois via un courriel (il estimait son commentaire trop long pour « encombrer » mon blog, – ce texte ne l’aurait pas encombré, au contraire) souligne la dure réalité de l’organisation et de la destination des services dans l’hommage  que je rendais à l’usager inconnu. Avec son accord, vous en retrouverez la teneur, enfin publiée en commentaire du dit billet. Comme je suis le maître de ce blog (hé hé !!), je pense que sa réflexion mérite de poursuivre notre réflexion (ou pour l’instant la mienne)…

Notre collègue met le doigt sur diverses incompatibilités, celle des lieux, celle des flux, celle enfin posées par les tutelles. Dans mon précédent billet, sans doute mû par une passion angéliste, j’avais pris l’exemple d’une bibliothèque municipale largement ouverte à la population par destination. Il est vrai qu’une telle bibliothèque dispose d’une plasticité inouïe : offerte aussi bien aux étudiants qu’aux amateurs, aux flâneurs qu’aux assidus, aux demandeurs d’emploi, étudiants, mères de famille, adolescents turbulents, papis assagis, curieux, …, elle ne peut formuler ses missions – et même ses objectifs – qu’en termes très ambitieux et surtout non exclusifs. Les heurts entre ces divers publics, ou plutôt entre leurs divers besoins et usages, n’en sont pas pour autant faciles à gérer et faire cohabiter, mais au moins le fondement de leur légitimité simultanée peut toujours être affirmée.

La situation de la bibliothèque destinée à un public précis pour un projet précis est vraiment différente : mise à disposition des ingénieurs d’une entreprise, elle doit intégrer dans les pratiques admises celles normalement acceptées par l’univers d’efficacité et d’efficience en vigueur dans l’entreprise ; offerte aux membres d’une université, elle doit conformer ces usages aux objectifs de cette dernière : formation de l’esprit critique, avancement de la recherche, etc. Ce sont là barrières infrangibles, relevant de la fonction même de la communauté au sein de laquelle fonctionne la bibliothèque.

Dans son commentaire, le collègue met le doigt en particulier sur deux questions : la confusion d’objectifs distincts dans une même institution, et la gestion des flux et des cohabitations. On commencera par le second.

La gestion des flux et cohabitations n’est pas que logistique. Elle est aussi pour les divers publics capacité des uns à supporter les pratiques des autres. Au début des années 1990, les chercheurs habitués de la BN s’insurgeaient devant l’ouverture promise, au sein de la future BnF, de ‘leurs’ espaces – et privilèges ? – à de vulgaires pékins (voire à des bébés qui, à en croire Leroy-Ladurie, allaient renverser leurs biberons sur des incunables !!!). On a conclu le débat par la dissociation entre un rez-de-jardin réservé aux personnes habilitées, et un haut-de-jardin ouvert de façon tolérante. Est-ce une réussite ou un échec ? Je n’en sais rien. Toujours est-il que les ségrégationnistes – et je pèse mes mots – ont gagné sur ce dossier.
Cette logique de cloisonnement est toujours à l’œuvre dans nombre de bibliothèques. La générale distinction entre espaces publics enfants et adultes se fonde sur des distinctions pas aussi évidentes qu’on pourrait le croire : la prise en compte malaisée des adolescents y reflète bien l’indécision des attitudes sociales, comme les arguments d’ergonomie de mobilier ou de niveau des lectures masquent également des schémas répulsifs de comportements dissociés (dans les deux sens : les secteurs adultes accueillent difficilement les habitudes enfantines, comme les sections enfants réagissent négativement aux envahissements de leurs espaces par des adultes studieux en quête de places de lecture).

Dans une bibliothèque publique, les bibliothécaires se trouvent toujours à devoir associer des flux de publics distincts et d’usages différents :
– entre différents espaces au sein d’un même établissement ou réseau ; on construit avec les publics une adéquation entre un  lieu spécifique et un cocktail particulier d’usages : la salle dévolue au patrimoine associe sa destination à certains usages, comme celle dévolue aux ateliers numériques à d’autres ; la petite bibliothèque de quartier construit un réseau de sociabilités autre que celui de la grande bibliothèque centrale. C’est un fait…
– entre différents temps au coeur du même espace. Un seul exemple suffira : entré dans une bibliothèque de quartier un jour à 15h, j’y ai trouvé nombre de personnes mûres voire âgées plongées dans les journaux et revues, et livres. Le temps passe, et soudain, aux alentours des 16h30, je vois la plupart de mes lecteurs qui plier son journal, refermer son livre, et se diriger vers la sortie. On fermerait ? Oh que non ! dans le quart d’heure qui suivait arrivaient les élèves et collégiens en sortie d’école qui, tout joyeux, emplissaient l’espace. Cette séparation des publics présente deux caractéristiques : ils partagent un  même service sur des plages différentes (comme la piscine ou le terrain de sport), et le partage s’effectue de leur propre chef.

Notre merveilleuse ambition de partage harmonieux de la connaissance passe, il faut l’accepter, par ces subtils aménagements du rêve avec une réalité plus sectaire moins tolérante qu’on pourrait la vouloir…
Nous n’organisons pas tant l’échange harmonieux que nous essayons de ménager l’espace de leur rencontre pacifiée ou au moins tolérable par les différents publics eux-mêmes.

Compte tenu de cette organisation acrobatique à visée universaliste des bibliothèques publiques, on en vient à imaginer qu’elle peut servir toutes les spécialisations d’usage. Après tout, les étudiants des publics comme les autres, non ? On a ainsi inventé les bibliothèques publiques ET universitaires, comme celles de Clermont-Ferrand ou Valence. Sauf que…

Les bibliothèques publiques s’adressent en effet aux individus d’une collectivité (travailleurs, enfants, mais aussi étudiants, chercheurs, techniciens, etc.), mais… dans le contexte précis de cette collectivité communale. Celui-ci concerne plus la synthèse des besoins du « vivre ensemble » que mille projets spécifiques exigeant chacun des moyens spécifiques pour atteindre leurs buts. Qui va demander à une bibliothèque publique de fournir tous les documents et services utiles à une entreprise de pointe ?
En outre, chaque projet collectif structuré construit sa propre organisation d’information utile. Une entreprise génère sa structure de documentation selon ses objectifs. Et l’entreprise universitaire construit, selon ses propres critères et objectifs, ses structures de formation, ressources, réseaux, etc., utiles à la réalisation de son objet.

Vouloir que la bibliothèque municipale assume les fonctions d’une bibliothèque universitaire, c’est soumettre ses moyens à des formes d’organisation qui ne sont pas nécessairement celles qui conviennent à des demandeurs d’emploi, des retraités ou des amateurs d’éclectisme. Comme le souligne le collègue clermontois, cela suppose une gestion des espaces qui, peu ou prou, conduit à différencier les publics en fonction de leurs usages.

Accueillir tous les publics, ce n’est pas se transformer en établissement multi-spécialisé. Si sans doute une bibliothèque municipale peut apparaitre parfois comme une bibliothèque étudiante, cela n’en fait pas nécessairement une bibliothèque universitaire… Une étude du public étudiant de la BPI montre bien les subtilités de cette distinction.

dimanche 4 janvier 2009

Du savoir inscrit au savoir construit

Filed under: Non classé — bcalenge @ dimanche 4 janvier 2009
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Les débats sur le choix de la numérisation des livres via des solutions concurrentes (ou parallèles) comme Hathi Trust, Google search books ou la BNUE s’égare volontiers dans les délires : soupçons d’hégémonie économique ou industrielle, jalousies nationales, anathèmes technologiques, damnations taxonomiques, etc. J’en ai déjà parlé lors d’un précédent billet.

Si notre rôle est de transmettre les richesses de nos rayonnages, il faut alors faire feu de tout bois, et recourir sans doute à la multitude des outils cités comme à bien d’autres outils : expositions, conférences, appareil éducatif, formation professionnelle, que sais-je encore ? Les bibliothèques sont un chainon dans cette suite de nécessités, dans laquelle la patrimonialité des données n’est pas l’élément le plus important (d’ailleurs, n’oublions jamais que nous ne sommes que des dépositaires et non des possédants : aucun des livres ou disques « vivants » que nous diffusons ne nous appartient -sauf le papier assemblé ou la galette de plastique), mais plutôt l’appropriation.

Ceci dit, les richesses documentaires des bibliothèques, pour les plus patrimoniales d’entre elles, appellent d’autres fonctions. Les rapports de voyage d’un botaniste du XVIIIe siècle n’appelleront pas sans doute l’intérêt du grand public, ni le terrier d’un domaine médiéval (sauf hasard…). L’essentiel de nos richesses patrimoniales, même et surtout libres de droits,  n’est pas appelée à connaître les « joies » (?) de la célébrité people, mais à faire avancer la connaissance. Qu’attend-on d’elles ?

On en attend de nouvelles productions positives pour l’époque contemporaine, telles des « nains sur les épaules des géants ». Autour de ces productions aujourd’hui numérisées, quelles forces est-on capable de mobiliser ? Ces forces existent non dans les bibliothèques elles-mêmes mais dans la ‘population’ concernée (équipes de chercheurs, généalogistes, amateurs, sociétés savantes, individus exigeants,…). Via les différents réservoirs existants (et pourvu qu’on dispose d’un minimum de droits d’exploitation de leurs contenus), il est possible de mobiliser des projets de construction de nouveaux savoirs diffusés : qu’il s’agisse d’équipes de recherche autour d’un corpus ancien, de généalogistes associés à des archivistes ( par exemple ici ), ou plus ‘simplement’ de recueils de témoignages et points de vue comme ici.

Posséder les écrits des ‘géants’ (disposer de leur patrimoine matériel – leurs traces, en quelque sorte), c’est une chose. Faire grandir de nouveaux géants avec les générations nouvelles que nous servons aujourd’hui, c’en est une autre. Les bibliothèques ont longtemps été le réservoir des richesses du passé, et c’est très bien ainsi. Mais ne doivent-elles leur valeur sociale qu’à leur vertu conservatoire ? Elles peuvent participer à la construction du savoir collectif d’aujourd’hui, non dans le seul cénacle des savants, mais dans la société entière. Un mien collègue, expert reconnu en ces documents anciens, est fascinant de ce point de vue : toujours prêt à illustrer ludiquement la plus improbable des animations enfantines, à mettre en perspective un fait d’actualité en apportant un témoignage ‘décalé’ et pourtant si significatif !

Le patrimoine, c’est la vie. Si nous n’en sommes pas convaincus, nous autres bibliothécaires, nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis.
Et ce patrimoine, c’est un tout, pas seulement le lieu bibliothèque (même s’il est majeur). Avant même la constitution des collections, vis-à-vis desquelles les ressources numériques nous taillent de grandissantes croupières, la bibliothèque me parait devoir être le lieu public fiable de mise en débat et en perspective du savoir d’une communauté, bref de construction collective d’une nouvelle dimension de connaissance, du patrimoine de demain.

« Des nains sur des épaules de géants »… mais peut-être, grâce à nos efforts, des nains élevés plus haut que leurs prédecesseurs en ayant assimilé leur force…

Que cette année 2009 vous soit propice ! smileys Forum

mardi 14 octobre 2008

L’actualité, un drôle de truc

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 14 octobre 2008
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L’actualité, qu’est-ce que c’est ? C’est une affaire de presse et de média. Bon, c’est tout ? L’actualité, c’est aussi ce qui fait jaser autour de la machine à café, c’est ce qui préoccupe des millions de gens soudainement inquiets, intéressés, questionnés, ‘perplexifiés’. Ce peut être dérisoire : « pourquoi des fumées blanches ou noires pour l’élection du pape » en même temps que ce peut être plus dramatique (la crise financière actuelle provoque beaucoup d’angoisses).

Bref, ce qui se passe et bouge dans le monde questionne les gens, et pas seulement pour des raisons futiles, comme on pourrait le penser parfois. Une expérience commentée par Affordance mérite réflexion : lors d’un récent débat entre les candidats à la présidence des Etats-Unis (ou plutôt entre leurs vice-présidents putatifs), Google a conduit une étude sur les comportements de la population vis-à-vis des moteurs de recherche (en fait Google bien sûr !) au moment de ce débat. Le résultat est fascinant : contrairement à ce que l’on pourrait penser, la population n’ « avale » pas béatement les arguments, mais se rue sur Internet pour… comprendre ! Les noms et termes les plus abscons passent en tête des moteurs de recherche (leaders iraniens peu connus, ….).

Bref, l’actualité intéresse. C’est un phénomène que j’avais déjà constaté lors de l’hiver 2005-2006, à l’époque où le chikungunya envahissait les médias jusqu’à la nausée. A cette époque, le terme (aisément identifiable) entrait dans le top 5 des moteurs de recherche ! « Les gens » n’en avaient-ils pas assez de ces infos ressassées à longueur de colonnes de journaux, de unes de journaux radio ou télé diffusés ?
Eh bien non. Ils voulaient savoir, confronter, éprouver le savoir à l’aune de sources multiples. Curieux, non ? Peut-être ne se satisfaisaient-ils pas des recopies des dépêches AFP ou Reuters restituées hors contexte ?

Et si l’actualité était un stimulant de curiosité intellectuelle, un ferment de culture ? La BM de Lyon a fait le pari de s’y accrocher avec des cycles de conférences et de débats, et avec Points d’actu, magazine proposant une mise en perspective de l’actualité avec les ressources et les compétences de la bibliothèque. Ca ne marche pas mal, merci. On pourrait essayer d’aller plus loin ?

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