Dans un récent billet -déjà plus d’un bon mois, mais quoi, il y a eu des vacances ! -, « Silvère Bibliobsession » s’interrogeait sur la proximité du métier de journaliste (dans son évolution du 3e millénaire) avec celui de bibliothécaire (dans un contexte itou). Il se trouve que j’ai récemment défendu des positions proches dans un récent ouvrage (que vous avez j’espère sinon déjà acheté du moins commandé !), en évoquant la proximité de certaines fonctions du bibliothécaire avec celles de l’éditeur, de l’archiviste, du documentaliste, etc. (j’avais omis le journaliste…). L’affirmation mérite d’être précisée dans son objet : je me méfie toujours des tentations d’un holisme « qui dilue chaque élément dans une globalité molle et rend incapable de penser précisément le distinct, qui réduit toute pluralité et gomme toute différence en une vision unitaire, uniforme. Qui rend l’action imprécise et conduit à l’impuissance et au totalitarisme » (Wikipedia, Méthodologie holiste, que je cite encore, oui !).
La convergence des techniques
Que les techniques soient homogénéisantes, c’est une évidence. Cela apparaît dans les outils utilisés : de plus en plus de bibliothécaires s’approprient le format EAD des archivistes lorsque les documents s’y prêtent (Pleade à la Bibliothèque de Lyon), comme les archivistes reprennent les formats MARC des bibliothèques pour leurs fonds de monographies. Cela prouve en passant que leurs fonds respectifs ne sont pas si étanches en termes de types de documents rassemblés… De plus, les outils disséminés sur Internet sont également utilisés par les différentes parties, pour les expositions virtuelles, pour les dossiers en ligne, etc. Comme la BM de Toulouse propose aux commentaires ses photos sur Flickr, les archives départementales proposent relecture et correction des écrits de l’Abbé Angot. La publication collaborative et hiérarchisée en ligne déjà connue des journalistes est découverte par les bibliothécaires (Points d’actu). Mais ces fusions techniques questionnent bien au-delà de ces métiers de l’information lorsque apparaît Librarything qui fait de tout un chacun un bibliothécaire, ou Wikio qui propose à tout un chacun d’être journaliste, ou Picardia par lequel le Conseil régional de Picardie propose à tout un chacun de contribuer à un projet éditorial… Convergence des techniques ou dissémination sociale de celles-ci ? La bibliothécarisation du monde est en marche…
La convergence des projets
La question des techniques n’est donc qu’accessoire. La convergence me semble davantage se produire dans les relations aux utilisateurs. Nous passons progressivement de métiers d’imposition à des métiers de médiation. Le bibliothécaire sûr de choisir les bons livres, l’éditeur souverain, le journaliste imposant sa lecture des événements, sont passés de mode : en laissant sa place au lecteur, ils modifient profondément leur façon de travailler et même de penser. En associant les généalogistes au traitement des archives, en guettant le buzz d’Internet, en proposant de tagger les photos des bibliothèques, les professionnels de l’information adaptent leurs pratiques de façon convergente, puisque les publics des uns sont les publics des autres. Le même généalogiste fréquente les archives et les bibliothèques, s’intéresse à l’actualité journalistique, contribue sur Wikipedia : il en résulte en quelque sorte une adaptation commune des services et des pratiques des métiers divers.
Autre point bien souligné par Eric Fottorino pour le journalisme, cité dans l’article de Bibliobsession dont je parlais : l’explosion de l’information disponible comme des canaux d’expression publique réduit le champ de la rareté de l’information que nous détenons. Bien sûr, il est des millions de livres qui ne sont pas sur Internet, bien sûr il est des archives que leur confidentialité réglementaire réserve aux institutions idoines, il est de la documentation protégée par le secret industriel ou commercial, mais tous ces métiers de l’information ne peuvent plus se cantonner à ce qui constituait leur champ d’excellence exclusif. Les pratiques comme les besoins de leurs publics – les mêmes publics rappelons-le – les conduisent à traiter également de cette masse électronique. Et dans ce cadre leurs métiers deviennent communément un art de la mise en perspective, de la construction d’une compréhension de l’information.
Encore un autre point de convergence qu’on pourrait évoquer : leur commun intérêt à la liberté d’informer, dans les colonnes des journaux, sur les étagères des bibliothèques, sur la liberté d’accès des archives –dans leur cadre légal-, et tutti quanti. Je suis frappé par cette double nécessité de la distance critique et de la véracité due à l’utilisateur, dans tous les codes de déontologie par exemple – quelle que soit leur validité légale respective – : bibliothécaires, journalistes, archivistes, documentalistes. Dire sans rien cacher, faire savoir, l’exigence est communément répandue, mais dans ces métiers cela relève de l’impératif (dé)ontologique. Sans cela, pas d’information critique, pas d’information vérifiée, mais risque de manipulation voire de propagande, bref point de métier d’information.
Convergence donc, mais pas pour des raisons techniques, mais sociales. Et convergence ne signifie pas fusion : un archiviste n’est pas un documentaliste, un bibliothécaire n’est pas un journaliste. Pas seulement pour des raisons identitaires, mais pour d’autres raisons socio-institutionnelles. Tous leurs publics ont beau rassembler les mêmes personnes, ces professionnels ne jouent pas le même rôle d’accompagnement social. En clair, le public comme les institutions n’attendent pas d’eux la même gestion de l’information au service des mêmes populations. Une diversité créatrice en somme… Voyez-vous d’autres raisons ?