Deux opportunités me conduisent à reprendre un de mes dadas : la structure des emplois, métiers, fonctions, etc. au sein des bibliothèques. Tout d’abord ce billet de Stéphanie qui relate sa découverte de l’absence de profils de postes dans le système Poppée de gestion des mouvements de personnels lorsqu’ils ne sont pas conservateurs, ensuite une intervention qu’on m’a demandé de faire lors d’une session du congrès de l’ABF il y a quelques jours, à Tours, sur le sujet « Diversité des métiers en bibliothèque ». J’ai certes déjà évoqué cette question sous divers angles ici, là, ou encore là (sans parler d’un article dans le BBF…). Mais elle mérite qu’on y revienne…
Statut, métier, emploi : quelles distinctions ?
Olivier Tacheau, sur son blog, s’interrogeait sur la distinction à apporter entre statut et profil de poste. Je ne reviendrai pas sur la lamentable manie qu’ont trop souvent les responsables d’établissement de recruter des Bac+5 pour occuper des postes de manutention (l’apparentement intellectuel ressenti lors du recrutement peut créer des désastres tant sur le plan des insatisfactions personnelles que des relations attendues avec le public), ni sur cet état de fait qui consiste à constater la surqualification, et pire la sur-responsabilisation, d’agents sous-payés en charge de responsabilités bien au-delà de leurs responsabilités statutaires et surtout de leur salaire..
L’ambiguïté – pour être ‘soft’ – de ces débats tient à la dualité simpliste posée entre deux situations : le statut et le profil d’emploi. Le statut, c’est plus qu’une somme de responsabilités réglementairement cadrée, c’est aussi une progression de carrière tout aussi régulièrement encadrée. Le profil d’emploi, c’est la définition d’une activité vivante et concrète sur un poste très précis, appelant diverses compétences tenant autant aux savoirs qu’aux savoir-faire et aux savoir-être (ces derniers étant étrangers aux positions statutaires). Dans les bibliothèques publiques, on recrute pour un profil d’emploi, et ce sont les qualités requises pour cet emploi qui sont recherchées ; le statut est vécu comme un support secondaire. Dans les bibliothèques académiques, j’ai l’impression qu’on s’appuie sur l’exigence de la réalité statutaire, et que le profil d’emploi cède à cette exigence majeure (mais je me trompe peut-être…, quoique l’expérience malheureuse de Stéphanie laisse bien penser que le statut précède l’emploi dans la plupart des cas !)
Sauf que ni un statut, ni un profil d’emploi ne peuvent définir le métier d’une personne. Un métier, qu’est-ce que c’est ? Sans me hasarder sur les subtiles définitions des spécialistes, j’aurais tendance à affirmer qu’un métier est un cadre collectif de définition de l’exercice d’une fonction partagée et reconnue, tant par les expertises et savoirs mis en oeuvre que par l’évaluation de l’efficacité professionnelle affectée à cette même fonction partagée et reconnue. Et un métier, c’est un cadre qui, outre la reconnaissance entre pairs et le respect des autres métiers, apporte une opportunité de carrière adéquate. Bref, un métier est un besoin social incarné dans des individus rémunérés pour celui-ci, en même temps qu’il cumule des savoir-faire partagés. Un métier, ce n’est ni un statut (cadre très franco-français qui organise, pour toute leur carrière, les agents en fonction des concours qu’ils ont réussis), ni un profil d’emploi spécifique (position éminemment singulière au sein d’un établissement donné dans un contexte de travail particulier). C’est un appareil de savoirs et de savoir-faire régulé collectivement et expertisé individuellement : le statut règle la carrière, non les expertises, et le profil d’emploi individualise la fonction en méconnaissant la carrière…
Plusieurs statuts pour le même métier ?
Il est urgent de définir – avec les acteurs -, ce que peuvent recouvrir les profils de métiers dans nos établissements. Dans un premier temps, cela suppose d’oublier la question des statuts, comme d’élaguer les profils de postes de leurs spécificités conjoncturelles. On peut alors essayer de définir un ensemble précis de compétences (savoirs et savoir-faire) et un certain panel de tâches requérant ces compétences, à un certain niveau de responsabilités et d’architecture relationnelles au sein d’un établissement. Cela va constituer un profil de métier. Certains préfèrent l’appellation d’emploi-type, que je trouve moins intéressante car elle évacue une autre dimension à prendre en compte : un agent recruté sur un métier doit pouvoir évoluer dans son métier : il faut alors construire des itinéraires possibles entre métiers, autorisant ainsi une progression de carrière valorisant les compétences consolidées et rendant possible le passage à un métier soit voisin (histoire de changer de responsabilités) soit mieux rémunéré et mieux reconnu (car exigeant l’acquisition de compétences plus sophistiquées).
Pour construire cet ‘arbre des carrières’, la fonction publique propose l’architecture des statuts. Cette architecture, considérée du point de vue des concours externes, est très rigide (cf la nature des épreuves). En revanche, la récente loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, et en particulier le projet de décret d’application examiné favorablement par le CSFPT en février dernier, prévoit la possibilité de détachement des agents au sein de leur propre collectivité, au sein d’une autre filière que la leur (ce qui était impossible auparavant). Encore faut-il repérer quels sont les filières qui autoriseront simultanément l’inscription d’un métier particulier au sein des fonctions générales décrites dans le cadre statutaire, et une évolution cohérente en direction d’autres métiers. On peut ainsi parfaitement déterminer que, pour un métier donné, plusieurs filières statutaires peuvent faire l’affaire.
Bien entendu, nombre de métiers dont les contenus entrent assez précisément dans les cadres statutaires d’une filière donnée (métiers de l’administration par exemple) ne nécessitent pas une telle souplesse. En revanche, nombre de « nouveaux métiers » s’accommoderont davantage d’une certaine souplesse de carrière entre filières. Ainsi, un animateur numérique pourrait être recruté soit via la filière animation soit via la filière culturelle, et progresser dans son métier – ou évoluer vers un métier voisin – en changeant éventuellement de filière.
Et par ailleurs, comme je le soulignais déjà, il est bien des emplois réglés dans des statuts imprécis qui sont à la recherche de leurs métiers, tels les adjoints du patrimoine (cadre statutaire)…
Arriverons-nous un jour à construire enfin une fonction publique de métiers ?