Bertrand Calenge : carnet de notes

dimanche 25 mars 2012

Les bibliothécaires, cet autre patrimoine

Filed under: Non classé — bcalenge @ dimanche 25 mars 2012

Chacun connaît la valeur d’image des bibliothèques, qui semble reposer sur 3 piliers profondément ancrés dans la culture collective :

  • le lieu de la mémoire, le stock de tous les savoirs passés
  • la garantie des savoirs possibles offerts à chacun
  • l’espace public démocratiquement accessible

Quittons un moment l’institution, et interrogeons-nous sur celles et ceux qui la font vivre. Qu’en est-il des valeurs professionnelles qui seraient reconnues aux bibliothécaires ? Quelle est l’éthique du bibliothécaire ? Chacun garde à l’esprit l’excellent livre de Michel Melot sur La Sagesse du bibliothécaire. Sans prétendre égaler son talent, je voudrais seulement évoquer quelques pistes pour cerner les caractéristiques qui font du bibliothécaire, tel qu’il est ancré dans la mémoire collective, une personne estimable :

  • une culture étendue, curieuse et ouverte : le bibliothécaire est avant un homme de savoir, qui ne doit pas exercer ce savoir comme expert disciplinaire mais avec un esprit aux aguets, toujours attentif aux émergences, aux voies peu arpentées ;
  • un respect de la communauté et du partage : le bibliothécaire se sait au service de chacun des membres de sa communauté, il n’exerce pas ses talents pour une minorité ni au service d’une élite, il est toujours inscrit dans le cadre institutionnel de la bibliothèque et se veut désintéressé ;
  • une affirmation d’une organisation et d’une structuration rigoureuses : le bibliothécaire est un classificateur, un descripteur rigoureux, et le savoir qu’il possède et véhicule est fondamentalement un savoir structuré ;
  • un souci de la véracité : le bibliothécaire garantit l’intégrité des savoirs qu’il traite et communique ; il n’est pas le héraut de la vérité, mais celui de la vérification d’une authenticité ;
  • une exigence de neutralité : le bibliothécaire ne prend pas parti, il n’évacue pas des textes au prétexte d’une conviction personnelle, même s’il ordonne le savoir qu’il gère et communique ; il est le porteur des témoignages, non le témoin. La neutralité n’est pas une objectivité impavide, mais un souci de mise en critique : « Ordonner une bibliothèque est une façon silencieuse d’exercer l’art de la critique » (Jorge Luis Borges)


Il me semble essentiel que, dans les bouleversements générés pour les bibliothèques par le numérique, par Internet et par les changements d’usages, ces valeurs restent profondément ancrées dans nos manières de penser notre métier : ce sont elles qui nous donnent la légitimité à prétendre être des points de repère dans les flux protéiformes de l’information…

Les exigences et les attentes de notre époque militent pour que nous nous emparions positivement de ces valeurs : elles ne sont pas, elles ne sont jamais des états de fait, mais un combat toujours renouvelé : c’est à cette aune qu’il faut lire les actions bibliothécaires de protestation contre les obstacles posés au système éducatif , contre l’imposition de lois mémorielles ou de censures édictant le ‘bien-penser’ , pour l’extension du domaine d’une information ouverte appartenant aux biens communs, etc.

Il me semble que c’est par cette affirmation de leur éthique ancienne et toujours vivante que les bibliothécaires pourront prétendre être, eux aussi,  un atout patrimonial des bibliothèques.

Qu’en pensez-vous ? Voyez-vous d’autres axes ?

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jeudi 15 mars 2012

Livres numériques et collection : lever l’ambiguïté

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 15 mars 2012

Curieux de toutes expériences de découverte idoine du savoir et du plaisir de la découverte, je me suis progressivement doté de livres, magazines et revues (en commençant respectivement à 3, 10 et 18 ans), puis beaucoup plus récemment d’une tablette nommée ipad2, enfin d’une liseuse de dernière génération.
Voici un premier constat tout à fait personnel (j’aurai l’occasion plus tard de disserter sur les avantages respectifs des uns et des autres…) : il m’a fallu faire le tri entre les contenus qu’il me semblait posséder réellement et ceux dont je connaissais le caractère fugitif. Aux premiers les livres achetés ou les epub et pdf glanés sur des sites libres de droits (en priant le ciel, les incendies, les cambriolages, les amis indélicats et mes sauvegardes…  d’être clémentssmileys Forum), aux seconds les emprunts aux bibliothèques ou amis, et les achats de fichiers numériques ‘DRMisés’ voire ‘streamisés’ des éditeurs.

De la bibliothèque personnelle…

Des premiers, je pouvais espérer me faire une bibliothèque personnelle. Des seconds, je ne pouvais faire qu’une consommation fugitive. Mais baste ! si l’ouvrage obtenu ‘fugitivement’ me semblait passionnant et était issu de la numérisation d’un document matériel existant,  je pouvais toujours me tourner vers les formes plus fiables des œuvres concernées, puisque celles-ci existaient sous les deux formats. Et, en cas d’indisponibilité commerciale de la forme stable, j’avais même la ressource des bibliothèques…

Le premier effet pervers apparait lorsque je crois acquérir un titre numérique pour alimenter ma bibliothèque personnelle (mon histoire à moi, mon axe de repérage voire de référencement), donc que je l' »achète », et qu’il apparait  que je ne peux en fait en disposer à ma guise : impossible de le prêter, de le déplacer à ma guise, voire de simplement le lire sans l’outil dédié. Ah bon ! je n’ai donc pas vraiment ‘acheté’ ce livre ?! Mais alors, puis-je espérer l’obtenir dans une version stable et maitrisée pour mon labyrinthe personnel ? Souvent, c’est impossible : l’œuvre n’existe plus que dans sa version fugitive, contrôlée par son éditeur, et non par l’éminent producteur de sa validité, moi…

Le verrouillage numérique d’un titre contemporain publié par ailleurs sous forme imprimée ou accessible par un moyen public ne me révolte que modérément, même si je considère le procédé inepte et contre-productif. En l’état actuel des règles juridiques et coutumières, je sais que je peux compter sur la pérennité de l’accès à la version imprimée, pérennité garantie par les bons soins que j’aurai accordé à ma bibliothèque personnelle, et par ceux – non moins attentifs – des bibliothèques de statut public qui en auront pris soin.

En revanche, je suis perplexe devant l’émergence de titres publiés exclusivement sous forme numérique. Non en raison de cette forme moderne d’édition, aussi légitime au XXIe siècle que l’étaient les presses de Gutenberg il y a plus de cinq siècles. Mais en raison de cette capacité  croissante à prétendre m’imposer une fugitive consommation informationnelle plutôt qu’à me laisser construire un espace propre de mémoire et de sentiments, ma mémoire de travaux auxquels je pourrai me référer sans doute aucun de leur permanence…

A titre personnel, je jongle entre ces différents états de publication : ici j’acquiers un livre imprimé, là je dispose d’un fichier epub dépourvu de DRM, là encore j’accepte la disparition programmée du magazine numérique que j’aurais de toutes façons jeté à la poubelle sous sa forme imprimée après l’avoir dévoré, etc. Mais c’est une stratégie personnelle ! Et si je devenais bibliothécaire ?

… à la bibliothèque institution

Dans la conjoncture nouvelle qui s’offre à lui, le bibliothécaire ne peut pas seulement raisonner uniquement en termes d’intérêt immédiat (pour son public) du document qu’il se propose d' »acheter ». Un impératif nouveau intervient dès la décision d’achat, celui de la pérennité souhaitée. Trivialement, les exigences préventives de la conservation s’imposent au bibliothécaire dès l’étape de l’acquisition (ce que défendait déjà Jean-Paul Oddos avant l’irruption du numérique), et ce pour tous les types de documents.

En effet, si le « système bibliothèque » pose au premier plan le partage (tiens, une nouvelle étymologie fantaisiste du terme collection : ‘co-lectors’, ceux qui sont ensemble lecteurs…), il ne s’agit pas seulement de mise en commun de documents épars (une simple mutualisation), mais aussi – et peut-être surtout – d’une communauté vivante de savoir inscrite dans son historicité. Ce qui suppose, bibliothécairement parlant, une mise en résonance d’une histoire collective et d’une généalogie des savoirs ici documentés. Et qui dit généalogie suppose stabilité des documents concernés, et donc leur conservation au moins dans leur dimension textuelle.

Dès qu’on prononce le mot de conservation, beaucoup de bibliothécaires considèrent que ce n’est pas vraiment leur affaire : laissons cela aux spécialistes du domaine, et concentrons-nous sur le service à offrir aux citoyens d’aujourd’hui…smileys Forum Sauf que :

  • la politique raisonnée de désherbage ne s’appuiera plus que sur l’implacable loi des conditions d’abonnement à la ressource ? Le lecteur conseillé par un ami s’entendra dire que « ben non, ‘on’ nous a retiré le livre » ?
  • quelle profondeur généalogique les bibliothèques seront-elles capables d’apporter à une question ? Si les pistes de réponse ne sont que synchroniques (i.e. ce qui est disponible sur le marché à un moment T) et non diachroniques (autorisant une accumulation de savoirs conservés), pourquoi s’encombrer encore de bibliothèques ? Des entreprises de courtage en information seront plus efficaces (et peut-être moins coûteuses à court terme) !
  • pour un nombre non négligeable de bibliothèques, quelle garantie de mémoire patrimoniale ne serait-ce que locale seront-elles capables d’apporter ?
  • en dehors de toute considération patrimoniale, quel prix la bibliothèque est-elle prête à payer chaque année pour conserver l’accès aux mêmes œuvres qu’elle a jugées utiles sur la durée… ?

Les livres, et avant eux les disques, voient leur avenir construits à l’aune du numérique. C’est un fait de plus en plus avéré, qui n’est pas extravagant pour un bibliothécaire ou une bibliothèque. La difficulté nait non de cette mutation de forme (encore qu’elle complexifie diablement la tâche des ‘pérenniseurs’), mais des conditions d’appropriation (i.e. rendre sien) de ce nouvel avatar. Un  renversement de perspective peut s’imposer alors à l’exercice bibliothéconomique : il ne faudrait plus passer les titres au crible de leur utilité ultérieure (éventuellement patrimoniale) après les avoir acquis, mais subir dès leur acquisition l’inéluctable indisponibilité contractuellement programmée de leur contenu textuel.

Pourquoi pas, dira-t-on ? Si l’intention est seulement de proposer ici et maintenant, pourquoi pas effectivement. Mais ce faisant, on ne fait que prétendre à entrer dans cet immense marché lucratif de l’ici et du maintenant. Et alors la concurrence est rude : si j’étais acteur en ce marché (et non bibliothécairesmileys Forum), je verrais bien des opportunités à proposer aux décideurs des bouquets de ressources éminemment accessibles et fugaces, à un prix convenable économisant ces fichues charges salariales et structurelles que représentent les institutions bibliothèques !!  Tout au plus pourrait-on maintenir quelques maigres équipes chargées de négocier les conditions du flux et en garantir la bonne accessibilité technique… Des bibliothécaires ? Pour quoi faire ?smileys Forum

Le livre numérique, et après ?

Dans les très nombreux discours qui relatent des expériences d’introduction du livre numérique dans les bibliothèques, il est urgent de discerner les processus à l’œuvre :

  •  ici je souhaite faire de l‘expérimentation, et j’en attends seulement une curiosité renouvelée à l’égard de mon institution, ou des enseignements sur la réception de cette offre nouvelle ;
  • là je m’engage délibérément dans la fourniture d’une consommation immédiate, scientifique ou de loisir, en persévérant par ailleurs dans la construction d’une mémoire contrôlée ;
  • ou là encore, j’assume la conversion numérique de toutes les formes de savoir enregistré, et je dois alors me poser la question de la préservation d’une mémoire sélective et maîtrisée.

Les trois positions se défendent et surtout peuvent se combiner sur des champs soigneusement précisés. A la lecture de nombreux articles et billets, je pressens que les stratégies manquent parfois de lucidité. Je souhaite simplement que les nouveaux entrants, interpellés par ces offres nouvelles, se posent bien la question des champs dans lesquels ils s’engagent, et ne prennent pas des vessies pour des lanternes. Au-delà du légitime service immédiat, la nécessité bibliothécaire du partage impose deux conditions : la possibilité de la conservation et la capacité de la dissémination.

Déporter la priorité de la bibliothèque sur les seules nouvelles dimensions du lieu accueillant et du bibliothécaire médiateur, en considérant comme secondaire une politique documentaire, c’est oublier qu’on attend d’abord de la bibliothèque qu’elle soit une capacité organisée d’offre de connaissances inscrite dans une histoire.
Et cela vaut également pour le sincère et dynamique désir d’offrir à nos contemporains une collection de livres numériques…

 

mardi 6 mars 2012

L’honneur des bibliographies

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 6 mars 2012

Une récente discussion avec une enseignante m’a sérieusement fait gamberger. Elle regrettait que la question de l’utilité médiatrice des bibliographies soit autant négligée, alors que leur nécessité (et leur formalisation normalisée) n’est guère discutée.  L’enseignante en question appartenait à la sphère dite documentaliste !! Ceux qui connaissent l’histoire des métiers de l’information hausseront le sourcil. En effet, si le talent documentaliste est depuis longtemps celui de proposer les documents eux-mêmes et non leurs seules références, le talent bibliothécaire s’appuie sur l’art de composer une bonne bibliographie, donc une mise en scène de références.  Et là une documentaliste me suggérait à moi, vieux bibliothécaire, de remettre à l’honneur l’art de constituer des bibliographies !! smileys Forum

 

Que sont les bibliographies devenues au XXIe siècle ?

Je ne parle pas ici de la bibliographie comme discipline (« la discipline concernant la recherche, le signalement, la description et le classement des textes imprimés ou multigraphiés dans le but de constituer des répertoires de livres destinés à faciliter la recherche intellectuelle » Louise-Noëlle Malclès) mais bien des listes structurées et cohérentes de documents, et parmi celles-ci non des bibliographies courantes ou systématiques, mais bien des bibliographies thématiques.

Si les bibliographies sont toujours une clé de voûte de la recherche, par ailleurs largement explicitée aux étudiants avancés, ce sont la plupart du temps des exercices imposés aux étudiants sans qu’ils en saisissent bien l’intérêt. La recherche scientifique en fait un fondement de validation, les autres manifestations tendent seulement à prouver le sérieux du travail engagé… On sait bien que l’abondance de la bibliographie qui accompagne un travail est parfois un argument légitimant plus qu’une preuve de l’étendue des recherches de l’auteur : il y a assez d’histoires amusantes qui courent quant aux bibliographies inventées ou recopiées !!

Et du côté des bibliothécaires ? Il reste de tenaces héritiers  de la bibliographie savante autour de quelques grandes entreprises, souvent avec le soutien d’associations ad hoc, et ce uniquement dans les bibliothèques patrimoniales ou de grands établissements.
Pour la plupart des professionnels, les bibliographies tournent autour de trois types de préoccupations : les bibliographies de cours recherchées à grands frais auprès des enseignants pour aider à construire une politique documentaire, les extractions plus ou moins ordonnées des catalogues locaux à fin d’information ou de promotion, et ces listes imprimées (ou plus rarement électroniques) qui accompagnent les manifestations culturelles ou scientifiques. Mais la constitution de bibliographies thématiques me semble aujourd’hui assez peu revendiquée comme une activité légitimante..

The times they are a changin’

Je ne pense pas qu’il s’agisse au fond d’un réel abandon de cette activité. Comme je le dis, nombre de bibliothécaires poursuivent toujours cette tâche ancienne. Mais pourquoi certains autres ont-ils lâché prise en la considérant comme activité accessoire, et pourquoi l’objet bibliographie n’a-t-il plus une place éminente dans notre profession ? J’y vois trois motifs :

– Une bibliographie permet de proposer un état de l’art pertinent à la question posée ; sous cet angle, elle doit bénéficier d’une stabilité des sources citées. Or la multiplication des sources électroniques rend instable cette nécessité, tant elles sont évolutives : je le signalais déjà à propos des questions de référencement…

– Une bibliographie est d’abord liste de références, et suppose un déplacement ultérieur vers la source de la référence. Le libre accès a déjà modéré l’intérêt du repérage des documents ‘cachés’. Et Internet, en autorisant l’accès immédiat par lien hypertexte, a rendu plus contraignant le déplacement. Il était plus facile alors d’étendre le libre accès et de multiplier les liens hypertextes, sans aborder la complexité de la mise en contexte d’une question.

–  Les canons de la légitimité ont évolué, en même temps qu’évoluaient dans le dernier demi-siècle les pratiques de lecture et les grands choix de fonctionnalités des services des bibliothèques. Une bibliographie, par quelque bout qu’on la prenne, est une prescription externe. Sans relations étroites avec le destinataire de cette bibliographie (par exemple de maître à élève, ou de gourou à disciple), elle offre un intérêt jugé limité, peu susceptible d’engager des relations actives avec l’utilisateur de la bibliothèque. Même si cette bibliothèque est vécue comme légitime, les prescriptions bibliographiques ne le sont plus guère…

Réinventer les bibliographies…

Pourtant, une bibliographie de bibliothécaire, ça sert ! A côté des entreprises ambitieuses de balayage d’un champ du savoir, à côté de l’exercice académique qui prouve que le chercheur a approfondi le champ de son travail, les bibliographies servent au quotidien des utilisateurs croisés dans les bibliothèques publiques : étudiants en quête du débroussaillage d’une problématique, visiteur qui souhaite aller plus loin en quelques suggestions, lecteur en quête de surprise et de pistes de découverte… Et le bibliothécaire peut à cette occasion prouver sa fiabilité dans la sélection des sources (pas comme d’autres !smileys Forum ).

Pour la plupart de ces bibliothécaires, le champ est largement ouvert à la constitution de ‘bibliographies contextualisées‘ :

  • Pratiquer les bibliographies personnalisées : les services de questions-réponse en ligne ambitionnent de donner une réponse précise à une question précise, et non une liste de références que le demandeur devrait parcourir en un jeu de piste sensé lui donner « de l’autonomie ». Mais la question est parfois de caractère bibliographique (elle l’est même souvent lorsqu’il s’agit d’étudiants). Fournir alors la bonne bibliographie est un exercice tout à fait intéressant : il faut proposer des références à la fois congruentes au demandeur, pertinentes par rapport au sujet, et organisées autant que commentées pour en faciliter l’utilisation…
  • S’engager dans les bibliographies commentées et même « journalistiques » :  les énumérations ordonnées de références sont quelque peu rebutantes pour ceux qui ne sont pas des chercheurs capables de cerner un champ de savoir à l’aide d’une telle série. Au-delà des listes utiles pour récapituler l’oeuvre d’un auteur (à condition de ne pas cantonner cette liste aux seules oeuvres présentes dans le catalogue…), l’intérêt d’une bibliographie est de donner l’envie de poursuivre ses découvertes, notamment lorsque la bibliographie est construite en dehors d’une sollicitation individuelle. Pour cela, les références doivent être commentées, et peuvent même prendre une forme quasiment journalistique (je pense encore à Points d’actu !). Bref, le savoir se met en perspective, même lorsqu’il n’est que références. Et sa lecture devrait représenter à elle seule une source de réflexion.
  • Oser les bibliographies surprenantes ou séduisantes : sur ce point, je me réfère volontiers au très intéressant article de Marianne Pernoo, qui montrait qu’il y avait mille façons intelligentes d’appareiller ensemble des documents apparemment éloignés les uns des autres : ou comment Phèdre, La faute de l’abbé Mouret et Titanic se rejoignent à travers un même ressort, tout sacrifier à la passion. Je vois dans cet exemple une merveilleuse possibilité ouverte à une médiation documentaire de la découverte et de la surprise, par des bibliographies commentées et contextualisées pariant sur cet effet de surprise..

Dans tous ces cas, une bibliographie de bibliothécaire s’inscrit pour son public dans l’opportunité d’un parcours, non dans l’immédiatement consommable ni dans le fugitif. Elle offre la possibilité d’une construction progressive de la connaissance ou de la découverte (et doit d’ailleurs être pensée comme telle), Elle doit susciter l’envie d’aller plus loin : la séduction d’une bibliographie n’abolit pas l’effort de cette itinérance pour son lecteur, mais doit en provoquer le désir. Elle se propose comme guide discret et attentif pour ceux qui souhaitent commencer ou poursuivre un voyage.

De la compilation au guide de voyage

Il ne s’agit pas d’imposer l’exercice de la composition d’une bibliographie, mais d’en maitriser les codes et d’être capable de le pratiquer efficacement. Ce qui signifie adapter l’entreprise aux pratiques de lecture des publics envisagés. Pour les bibliographies actives, celles qui se veulent actes concrets de médiation documentaire et non entreprises savantes (et aussi respectables que nécessaires !), je pressens trois exigences contemporaines :

  • une accroche séduisante : il faut partir de quelque chose qui permette au lecteur d’ « entrer » dans la bibliographie : un auteur jugé génial, une question stimulante, un sujet préoccupant, « la » lecture qui a suggéré à l’étudiant d’arpenter ce champ de recherche, etc. Les ‘bibliographies récapitulatives’ manquent souvent  de ce questionnement de mise en bouche ;
  • une extension à toutes les sources accessibles. Une bibliographie active doit à la fois veiller à proposer des titres ‘trouvables’, et balayer toutes les formes de références utiles : aujourd’hui, une bibliographie est toujours aussi une webographie (ce qui contribue d’ailleurs à en limiter la pérennité !)
  • l’art du bref : savoir étendre à l’infini la liste des références citées est toujours possible, savoir proposer les seules pistes pertinentes est évidemment préférable. Quand je suis en face d’étudiants, j’ai toujours envie de leur demander de produire une bibliographie efficace donc brève : quels sont les 10 ou 20 titres à lire pour embrasser le sujet ? Ce qui suppose bien sûr d’être sélectif, de justifier ces choix, de donner envie d’y aller voir, bref de commenter voire mettre en scène ces propositions. Cette dernière exigence s’accorde avec la difficulté du déplacement vers la source (quand évidemment il ne s’agit pas du clic possible en cas de référence avec URL)
Une bonne bibliographie, n’est-ce pas au fond une sorte de singulier guide de voyage ? Elle propose des points de vue ou des édifices emblématiques ou singuliers, elle alerte sur la difficulté de certains chemins escarpés, … Mais surtout, si elle n’évite pas  au promeneur la charge du voyage, elle lui donne l’envie de découvrir et l’accompagne dans son périple.

Il y a sûrement bien d’autres choses à dire… On parle beaucoup de dispositifs de médiation documentaire : si on rendait hommage enfin à quelques fondamentaux ?

P.S. : j’ai très volontairement négligé de parler des outils et des normes. En effectuant quelques recherches pour ce billet, j’ai été frappé par l’importance écrasante accordée aux codes de citation bibliographiques et aux outils utiles à l’élaboration d’une bibliographie (Zotero ou autres…). J’en ai trop peu lu sur l’art de la bibliographie, sa nécessité et ses méthodes…

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