Voilà 15 ans que, fidèlement et avec obstination, biblio-fr se fait dans nos boîtes aux lettres le relais des humeurs, annonces, débats, informations, offres et demandes d’emploi, bref de tout ce qui constitue le quotidien des angoisses des bibliothécaires. Une mine entomologique anthropologique, de mon point de vue, mais est-ce aujourd’hui encore un service, un espace de véritable échange ?
J’ai honte de mon métier quand j’assiste à certaines joutes que je n’ose même pas qualifier d’idéologiques (ce serait leur faire trop d’honneur, compte tenu des arguments échangés), à des affirmations sans preuves, à des questions ahurissantes dont la teneur témoigne de l’ignorance du minimum minimorum du métier, etc. Je ne source pas, je sais, mais vous avez essayé de sourcer sur un débat dans biblio-fr ?
On dira avec raison que c’est le flot de la vie, des envies, des rancoeurs, des philosophies parfois, de l’utilitarisme souvent, qui s’écoule… Ce n’est pas grave !!! Non, ce n’est pas grave, mais ça commence à ressembler à un dépotoir !
Pardon à Hervé Le Crosnier, créateur et animateur, et encore plus pardon au quotidien à Sarah Aubry, inlassable ‘collationneuse’ qui régule cet espace parcouru par un nombre impressionnant d’abonnés. Je respecte l’idée, le travail de tri que j’imagine très difficile et surtout abondant, et surtout cette prémonition géniale entre toutes qu’était, en 1993, celle de mettre en réseau les bibliothécaires, enseignants en sciences de l’information et personnes intéressées par les bibliothèques et la documentation. Le succès est indubitablement au rendez-vous : tout le monde connait biblio-fr.
Enfin ‘tout le monde’, presque ! Aujourd’hui oui pour les demandeurs ou offreurs d’emploi, oui pour ceux qui jettent une bouteille à la mer faute d’une formation professsionnelle idoine, oui pour ceux qui veulent promouvoir leur programme culturel (curieuse idée, soit dit en passant, de ne pas plutôt consacrer cette énergie aux publics destinataires : j’avoue hésiter à aller découvrir depuis Lyon la soirée contes de la bibliothèque de St Pineau les Charentes qui se déroule ce vendredi à 21h…), oui pour ceux qui veulent balancer leurs états d’âme voire s’étriper dans des débats que je qualifierais parfois d’hallucinants (je veux bien citer des noms sous la torture, mais heureusement beaucoup comprendront ce que je veux dire !). Mais les autres ? Les professionnels en quête d’un espace d’échange vraiment professionnel ?
« La mauvaise monnaie chasse la bonne » : ce vieil adage médiéval est on ne peut plus d’actualité hélas pour nos porte-monnaie. Mais je crains que biblio-fr en soit également la victime. Désolé, Hervé et Sarah, mais biblio-fr est devenu une pétaudière insipide ! Je reste abonné à la liste de par mes fonctions : je guette l’infime perle que je pourrai réadresser à un service du fait de ses compétences. Bien entendu, je guette aussi les perles qui me fourniraient des informations pertinentes. Le bilan calculé sur ces dernières semaines frise le taux de rentabilité des gisements aurifères du Jura suisse !!!!
Bien sûr, je n’oublie pas les offreurs et demandeurs d’emploi pour lesquels biblio-fr est une ressource essentielle, indispensable même. Bien sûr, je n’oublie pas son rôle majeur comme vecteur d’information sur les colloques, séminaires et autres conférences professionnelles. Bien sûr enfin je n’oublie pas son importance essentielle pour signaler une parution d’intérêt professionnel. Mais zut alors (et je suis poli), je n’ai pas besoin de voir ma boite aux lettres envahie par des déclarations d’intention, des annonces d’heures du conte, des changements d’adresse, etc.
L’idée est généreuse : le lien. Le problème, c’est le succès, et avec le succès la possible médiocrité des contributions. Quand j’ai douze messages qui signalent des modifications d’horaire ou d’ouverture de bibliothèques lointaines, et douze autres manifestes syndicaux, et encore douze annonces d’animations très locales, douze appels au peuple d’organismes de formation en mal de stagiaires pour une session spécialisée à Théodoric-le-vieux, et pour couronner le tout douze messages de personnes qui se plaignent des concours, des horaires, des lecteurs, des chefs, de l’Etat, voire de la wifi ou de la RFID, je craque !!!!!!!
J’aime bien le butinage, mais à mon gré. Beaucoup de mes collègues se sont désabonnés de biblio-fr, épuisés (ils comptent sur moi pour faire le désherbage et le réadressage éventuel !). Et moi j’ai acquis l’art de juger aux titres des messages avant d’en supprimer 95% sans les lire, avec la secrète envie d’ajouter biblio-fr à la liste des spammeurs…
Sans compter que j’ai professionnellement honte de la teneur de beaucoup de pseudo-débats qui s’y déroulent. En fait, c’est le jeu de la messagerie: pas un vrai débat, mais une succession d’affirmations catégoriques qu’on découvre au fil des jours. Même un forum fait mieux. La messagerie n’est pas support de développement cohérent d’une argumentation. Et j’ai remarqué que la quasi-totalité des professionnels que je lis attentivement sur leurs sites, et qui à mon avis font avancer pour certains la réflexion, n’écrivent jamais de messages sur biblio-fr (sauf Dominique Lahary, maître polyvalent de la pensée poly-jaillissante. Bravo !)
Et pourtant, nous savons tous que biblio-fr est ‘quelque part’ indispensable. Mais comment ? Sous quelle forme ? Pour quoi faire ? J’imagine fort bien que biblio-fr se voulait à l’origine une sorte de dazibao. Bravo, surtout en 1993 ! Mais les bibliothécaires, à défaut d’en faire d’abord une pépinière d’idées et de débats, en ont fait un fourre-tout : composante d’un marketing mal pensé, substitut d’ANPE, journal d’annonces, mur à graffitis, etc. Abattre biblio-fr au nom de la modernité ? Mais les blogs actuels, même de qualité, restent des univers personnels, non des lieux de débat. Comment redonner à biblio-fr ou à un autre lieu une fonction de débat collectif et non de « mur à messages », non maîtrisée par UN blogueur mais par un arbitre qui ne se contente pas des commentaires dissimulés à la fin de son billet ?
J’imagine fort bien que ces questions animent les pilotes de biblio-fr. Mais vous, qu’en pensez-vous ?