Bertrand Calenge : carnet de notes

samedi 29 novembre 2008

J’en ai marre de biblio.fr

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 29 novembre 2008
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Voilà 15 ans que, fidèlement et avec obstination, biblio-fr se fait dans nos boîtes aux lettres le relais des humeurs, annonces, débats, informations, offres et demandes d’emploi, bref de tout ce qui constitue le quotidien des angoisses des bibliothécaires. Une mine entomologique anthropologique, de mon point de vue, mais est-ce aujourd’hui encore un service, un espace de véritable échange ?

J’ai honte de mon métier quand j’assiste à certaines joutes que je n’ose même pas qualifier d’idéologiques (ce serait leur faire trop d’honneur, compte tenu des arguments échangés), à des affirmations sans preuves, à des questions ahurissantes dont la teneur témoigne de l’ignorance du minimum minimorum du métier, etc. Je ne source pas, je sais, mais vous avez essayé de sourcer sur un débat dans biblio-fr ?

On dira avec raison que c’est le flot de la vie, des envies, des rancoeurs, des philosophies parfois, de l’utilitarisme souvent, qui s’écoule… Ce n’est pas grave !!! Non, ce n’est pas grave, mais ça commence à ressembler à un dépotoir !

Pardon à Hervé Le Crosnier, créateur et animateur, et encore plus pardon au quotidien à Sarah Aubry, inlassable ‘collationneuse’ qui régule cet espace parcouru par un nombre impressionnant d’abonnés. Je respecte l’idée, le travail de tri que j’imagine très difficile et surtout abondant, et surtout cette prémonition géniale entre toutes qu’était, en 1993, celle de mettre en réseau les bibliothécaires, enseignants en sciences de l’information et personnes intéressées par les bibliothèques et la documentation. Le succès est indubitablement au rendez-vous : tout le monde connait biblio-fr.

Enfin ‘tout le monde’, presque ! Aujourd’hui oui pour les demandeurs ou offreurs d’emploi, oui pour ceux qui jettent une bouteille à la mer faute d’une formation professsionnelle idoine, oui pour ceux qui veulent promouvoir leur programme culturel (curieuse idée, soit dit en passant, de ne pas plutôt consacrer cette énergie aux publics destinataires : j’avoue hésiter à aller découvrir depuis Lyon la soirée contes de la bibliothèque de St Pineau les Charentes qui se déroule ce vendredi à 21h…), oui pour ceux qui veulent balancer leurs états d’âme voire s’étriper dans des débats que je qualifierais parfois d’hallucinants (je veux bien citer des noms sous la torture, mais heureusement beaucoup comprendront ce que je veux dire !). Mais les autres ? Les professionnels en quête d’un espace d’échange vraiment professionnel ?

« La mauvaise monnaie chasse la bonne » : ce vieil adage médiéval est on ne peut plus d’actualité hélas pour nos porte-monnaie. Mais je crains que biblio-fr en soit également la victime. Désolé, Hervé et Sarah, mais biblio-fr est devenu une pétaudière insipide ! Je reste abonné à la liste de par mes fonctions : je guette l’infime perle que je pourrai réadresser à un service du fait de ses compétences. Bien entendu, je guette aussi les perles qui me fourniraient des informations pertinentes. Le bilan calculé sur ces dernières semaines frise le taux de rentabilité des gisements aurifères du Jura suisse !!!!

Bien sûr, je n’oublie pas les offreurs et demandeurs d’emploi pour lesquels biblio-fr est une ressource essentielle, indispensable même. Bien sûr, je n’oublie pas son rôle majeur comme vecteur d’information sur les colloques, séminaires et autres conférences professionnelles. Bien sûr enfin je n’oublie pas son importance essentielle pour signaler une parution d’intérêt professionnel. Mais zut alors (et je suis poli), je n’ai pas besoin de voir ma boite aux lettres envahie par des déclarations d’intention, des annonces d’heures du conte, des changements d’adresse, etc.

L’idée est généreuse : le lien. Le problème, c’est le succès, et avec le succès la possible médiocrité des contributions. Quand j’ai douze messages qui signalent des modifications d’horaire ou d’ouverture de bibliothèques lointaines, et douze autres manifestes syndicaux, et encore douze annonces d’animations très locales, douze appels au peuple d’organismes de formation en mal de stagiaires pour une session spécialisée à Théodoric-le-vieux, et pour couronner le tout douze messages de personnes qui se plaignent des concours, des horaires, des  lecteurs, des chefs, de l’Etat, voire de la wifi ou de la RFID, je craque !!!!!!!

J’aime bien le butinage, mais à mon gré. Beaucoup de mes collègues se sont désabonnés de biblio-fr, épuisés (ils comptent sur moi pour faire le désherbage et le réadressage éventuel !). Et moi j’ai acquis l’art de juger aux titres des messages avant d’en supprimer 95% sans les lire, avec la secrète envie d’ajouter biblio-fr à la liste des spammeurs…

Sans compter que j’ai professionnellement honte de la teneur de beaucoup de pseudo-débats qui s’y déroulent. En fait, c’est le jeu de la messagerie: pas un  vrai débat, mais une succession d’affirmations catégoriques qu’on découvre au fil des jours. Même un  forum fait mieux. La messagerie n’est pas support de développement cohérent d’une argumentation. Et j’ai remarqué que la quasi-totalité des professionnels que je lis attentivement sur leurs sites, et qui à mon avis font avancer pour certains la réflexion, n’écrivent jamais de messages sur biblio-fr (sauf Dominique Lahary, maître polyvalent de la pensée poly-jaillissante. Bravo !)

Et pourtant, nous savons tous que biblio-fr est ‘quelque part’ indispensable. Mais comment ? Sous quelle forme ? Pour quoi faire ? J’imagine fort bien que biblio-fr se voulait à l’origine une sorte de dazibao. Bravo, surtout en 1993 ! Mais les bibliothécaires, à défaut d’en faire d’abord une pépinière d’idées et de débats, en ont fait un fourre-tout : composante d’un marketing mal pensé, substitut d’ANPE, journal d’annonces, mur à graffitis, etc. Abattre biblio-fr au nom de la modernité ? Mais les blogs actuels, même de qualité, restent des univers personnels, non des lieux de débat. Comment redonner à biblio-fr ou à un autre lieu une fonction de débat collectif et non de « mur à messages », non maîtrisée par UN blogueur mais par un arbitre qui ne se contente pas des commentaires dissimulés à la fin de son billet ?

J’imagine fort bien que ces questions animent les pilotes de biblio-fr. Mais vous, qu’en pensez-vous ?

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samedi 22 novembre 2008

Au service de tous les publics ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 22 novembre 2008
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Au cours des derniers mois, j’ai eu des discussions successives très stimulantes sur ce serpent de mer des bibliothécaires : le public. Ou plutôt ce qu’on imagine être ses attentes. En fait, quand il est discuté entre bibliothécaires seuls, le sujet est plutôt fatiguant ; on connait d’avance les interrogations, protestations et certitudes qui vont être assénées péremptoirement… La stimulation est née d’une très brève analyse non des contenus des discours différents seuls, mais des positions tenues par les acteurs des discussions.
Dans les années post-1968, on demandait agressivement : « d’où tu parles ? ». L’injonction se voulait réductrice, tentait de mettre l’interlocuteur en défaut, bref voulait finalement gagner un combat. Laissons cela de côté, et soyons entomologistes…

Les prés carrés

Toi tu t’occupes des enfants, moi des adultes. Même en affirmant, vieux poncif du métier, que l’enfant lecteur d’aujourd’hui est le lecteur adulte de demain (affirmation qui reste à démontrer en termes de taux de pénétration, et ce dès l’adolescence), la question de la lecture enfantine, et plus largement de sa découverte d’un monde actuel et d’une connaissance actuelle (plus que ‘du’ monde, généralisation à mon sens abusive) est-elle cantonnée à des spécialistes de l’enfance ou plus précisément d’un secteur enfants ? Inversement, que fait-on des enfants passionnés par un sujet qui veulent approfondir un domaine qu’ils maîtrisent parfois mieux que nombre d’adultes ? On les « garde » dans la section jeunesse en étendant le champ des acquisitions ou on construit des passerelles pour qu’ils soient accueillis dans des sections dites adultes avec le même respect et la même attention que des papys ou des mères de famille ? Bien sûr, tout bibliothécaire affirmera qu’il opte pour la deuxième solution, mais qu’en est-il de la réalité quotidienne, tant du côté bibliothécaires ‘pour enfants’ que du côté bibliothécaires ‘pour adultes’ ?
La scission peut se complexifier : le spécialiste des arts dédaignera une question (donc un membre du public…) qu’il renverra à un collègue experts en sciences, qui lui-même pourra réorienter le malheureux lecteur sur l’espace multimédia ou…  Et pour les grandes bibliothèques, on peut même jouer de l’effet réseau : « en 40 mn, et grâce aux transports en commun, vous pouvez vous rendre ici ou là pour obtenir quelque satisfaction documentaire » (‘le public’ n’a que ça à faire, c’est bien connu). On s’occupe des collections sectorisées et des responsabilités bibliothécaires ou de ce fameux public ?

Un public ou des publics ? Une bibliothèque ou des bibliothèques ?

A l’heure où dans les personnels des bibliothèques publiques les métiers se multiplient, il est très intéressant de consulter les personnes qui, oeuvrant pour la bibliothèque et surtout directement vers ‘les publics’, ont leur propre point de vue. Or là aussi les prés carrés ont la vie dure : un informaticien voudra sécuriser son réseau, un chargé de communication privilégiera l’événementiel, etc. Chacun a son filtre personnel (et encore plus professionnel) d’analyse de ces ‘publics’, et veut l’imposer. Après tout, c’est une des grandes perplexités de nombre de bibliothécaires face à leurs élus ou face à l’administration municipale : de ‘qui’ parlent-ils ?
Arrive le moment fatidique, l’instant de crise : le défaut de personnel. Pour diverses raisons (maladies, congés, grèves, etc.), il faut gérer la crise. Sur le papier, ce n’est pas grave, on a l’habitude de gérer la tension : on peut réaffecter les personnes selon les exigences du service au public. mais voilà que les prés carrés interviennent ! Caricaturalement : ici « je m’occupe des adultes et pas des enfants », là « je travaille sur un secteur documentaire et pas dans un autre », etc. Soit, il est des questions légitimes : comment gérer l’ouverture des services dans une institution publique lorsqu’il y a défaut de personnel ? Et notamment en cas de grève : ne pas faire grève, est-ce nécessairement se désolidariser de ses collègues ou briser leur mouvement ?
Mais mon sujet n’est pas là. Plus généralement, hors questions de tensions sociales, on s’occupe d’un secteur, ou on s’occupe du public ?  Et surtout, est-ce qu’on œuvre pour la bibliothèque entière ou pour un secteur particulier, le sien ?

Cultures professionnelles

Dans les bibliothèques publiques (mais est-ce leur seul cas ?), ‘le public’ est en fait ce qu’en font les bibliothécaires. Parfois, il est à leur image. Souvent même. Mais est-ce le vrai ‘public’ ? On m’a posé récemment une question : « faut-il prendre le public tel qu’il est, ou faut-il le prendre tel qu’on voudrait qu’il soit ? ». Banale question entre bibliothécaires. Mais est-elle si banale si on veut combiner tous les points de vue des multiples acteurs publics qui, en fin de compte, poursuivent difficilement au quotidien ces services variés, lesquels somme toute sont communs à l’ensemble des acteurs sociaux et culturels, même en dehors des bibliothèques ?
‘Le public’ n’existe pas : il, est des usages, ici confortés par l’habitude, là dispersés en de multiples pratiques (du web 2.0. entre autres), là encore nomades et avertis, mais là encore égarés par l’isolement social… Bref il est une population.

Connaissance et service public

Et si l’avenir de notre culture professionnelle consistait à réellement s’interroger sur les vrais désirs de connaissance de la population que nous sommes payés pour servir ? Bien sûr, on peut et il faut s’appuyer sur l’approfondissement  d’un savoir ou d’un savoir-faire professionnels, mais ces derniers n’offrent qu’une partie de la réponse (sauf en entretien de recrutement, où le savoir-être joue aussi sa partition !). Ils servent surtout à construire l’appareil de transmission et de repérage des savoirs utiles, et à inclure ces compétences cognitives dans un appareil PUBLIC cognitif et social offert à la population. Et c’est ce dernier objectif qui doit primer.
Concrètement ? Si bien sûr je ne peux pas nécessairement affronter efficacement la question trapue d’un visiteur en quête de ‘l’ombre et la lumière dans la peinture du XVIIIè s.’, je peux l’orienter dans un  plan de classement, lui faciliter l’usage de la bibliothèque, lui offrir le gîte à défaut toujours du couvert ad hoc ! Je peux même débrouiller la démarche d’un enfant dans une section jeunesse, même si c’est au prix d’un effort intellectuel (d’ailleurs non tant à cause d’un classement différent – faut pas exagérer – que d’une volonté de mise à niveau face à un interlocuteur pour moi inhabituel ). Et puis je peux tout simplement l’accueillir, minimum minimorum, pour qu’il vaque à ses préoccupations personnelles..

De nouveaux codes professionnels ?

L’essor des plans de développement des collections et la sectorisation des responsabilités documentaires ont été une avancée réelle dans les bibliothèques publiques : enfin – mais avec des réticences ô combien violentes ! – on se penchait sur les contenus ! Cette appropriation s’est effectuée par conviction, la plupart du temps. Mais d’autres mouvements, justement d’appropriation de territoire, ont conduit parfois à confondre compétences sur les contenus et activités de service au public.

Il est peut-être temps d’acter une distinction claire, qui considèrerait chaque agent distinctement – en termes de termes de responsabilités et d’engagement professionnel – l’individu bibliothécaire particulier et l’institution publique bibliothèque. Le premier terme a, je pense pour beaucoup, essentiellement opéré une mutation vers l’impératif des contenus. Il reste l’institution, et plutôt ces ‘publics’ : qu’attendent-ils d’une bibliothèque, ces nomades, habitués, fidèles, internautes, etc. ? De façon organisationnelle, la spécificité du bibliothécaire en termes de contenus doit-elle primer sur la diversité du public dans toutes les facettes de l’activité ?
Un bibliothécaire expert en arts est-il incompétent pour accueillir des enfants ? Un scientifique ne peut-il recevoir des amateurs de romans ? Bien sûr, il y a les fiches de poste – mais elles se modifient – ; bien sûr, il est des niveaux d’assistance qui exigent des compétences élevées,… mais on parle là de cas particuliers, voire exceptionnels. Finalement, la question réside-t-elle seulement dans le domaine d’expertise de contenus d’un individu (donc tendanciellement d’un  pré carré), ou dans la capacité d’une institution à servir une population ?

Il me semble qu’il est urgent de procéder  à un repositionnement majeur. L’exigence de compétences sur un contenu est essentiel, car l’avenir des bibliothèques réside dans leur capacité à savoir où chercher, à guetter les titres pertinents, à travailler non tant ce contenu lui-même que les itinéraires et les formes qui les rendront accessibles. Mais cette compétence spécifique ne doit pas se transformer en domaine réservé ; les bibliothèques publiques ont toujours un  second pan, l’errance et l’indécision des publics. Là, d’autres compétences entrent en jeu : le conseil, le décodage, l’accompagnement, l’écoute, etc. pourquoi faudrait-il que le contenu approfondi par un  agent soit étroitement corrélé à son autre service ‘basique’ d’accueil et de conseil élémentaire dans un  univers qu’il devrait connaître dans sa globalité ? C’est toujours LA bibliothèque qui offre un espace de connaissance ; ce n’est jamais un individu savant qui reçoit « chez lui ».
On ne travaille pas seulement à approfondir un contenu, large ou spécialisé, on travaille aussi – me semble-t-il – sur des publics qui ne sont pas ce que nous voudrions qu’ils soient ! Deux univers professionnels en un sont ouverts aux  bibliothécaires : le service direct au public qui – exigeant une connaissance des modes de fonctionnement de l’institution- prendra en compte le public dans sa nudité experte, et l’apport d’une expertise des contenus qui valorisera les collections et la plus-value de l »institution – et non de leur seul secteur ! Les deux coexistent dans l’activité quotidienne de chaque bibliothécaire !

Il ne faut pas rêver : d’infinies contraintes pèsent sur le fonctionnement des services. Des officiels profils de poste aux positions acquises, des craintes individuelles aux ‘stratégies territoriales’, de la tension accrue sur les postes disponibles en service public aux transformations des établissements, rien ne facilite cette reconfiguration du métier (ou devrais-je dire ce retour aux fondamentaux ?). Mais il est urgent, à mon avis, de considérer la dimension collective de la bibliothèque publique jusque dans l’organisation du travail.

Mais ce n’est que mon avis !  Donnez-moi le vôtre !!!

P.S. : Désolé, je manque à tous mes devoirs de bloggeur averti : pas un  lien dans ce billet ! Désolé pour le cul-de-sac (c’est comme ça que j’appelle un billet sur le web qui ne permette pas de rebondir. Ouh la honte !). Ceci dit, je ne prétends pas veiller (vive tous les autres veilleurs, et chapeau bas), je pose ici quelques réflexions en espérant stimuler vos neurones, et j’espère vos réactions pour… avancer aussi !

mercredi 12 novembre 2008

Le service, le lieu, le flux… et le comptage !

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 12 novembre 2008
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Quand j’analyse les accès via Internet à nos différents -et nombreux !- services, je suis pris de vertige.

D’un côté j’ai des entrées physiques sur les sites éventuellement multiples de la bibliothèque, et une activité documentaire de consultation et d’emprunt  de documents matériels. Et de l’autre j’ai des visites ‘virtuelles’ (en pleine expansion !), des « lectures » de produits ‘internetiens’ (plus nombreuses encore que les visites « physiques » !). La tentation est grande d’en faire l’amalgame.
Et puis je me retiens : un déplacement vaut-il un clic ? Une lecture attentive d’un livre vaut-elle parcours rapide d’une page Web avant de revenir en arrière ou de cliquer sur un lien  hypertexte ?
Mais en même temps l’emprunt est-il suivi d’une réelle lecture, et personnelle en plus (i.e. par celui qui a effectué l’opération d’emprunt) ?
Donc je présente imperturbablement mes données de façon parallèle : d’un côté les entrées, de l’autre les sessions (mais je résiste quand même à en faire l’addition smileys Forum)

Et puis n’oublions pas la foule qui se presse dans les espaces publics -sans emprunter, mais pour travailler, rencontrer, consulter Internet, que sais-je encore ! -, les si nombreux auditeurs des conférences, les abondants visiteurs des expositions, … eux aussi souvent dépourvus de cette légitimité de l’emprunt, et encore plus de l’inscription… Mais au moins on peut les compter à l’entrée (ou à la sortie) !

Les bibliothèques sont prises dans un maelström étonnant : tout le monde ou presque produit et diffuse de l’information. Nous, nous voulons promouvoir et défendre et servir une collectivité particulière (et parfois aussi une institution singulière…). Le premier réflexe est de ‘protéger le marché’, celui de la valeur de la distribution (le prêt, pour parler – très – vite) ; ‘conserver la clientèle’ (les inscrits, pour parler toujours aussi vite) ; développer nos services à l’aune de nos comptages éprouvés…

De plus, une évaluation ne vaut que si ses conclusions sont lisibles et acceptables par les personnes auxquelles elles sont destinées. En l’occurrence, pour nos institutions publiques, nos tutelles. Notre expérience nous prouve que si une étude qualitative ponctuelle est toujours regardée avec intérêt, les nécessités de la gestion (et de l’argumentation politique) imposent des données chiffrées. Il faut donc disposer de données discrètes même pour des actions peu réductibles à de tels dénombrements et surtout non comparables entre elles par ces moyens élémentaires.

Tout service s’inscrit dans un  lieu, mais celui-ci est tantôt l’espace de la bibliothèque, tantôt celui des univers Internet proposés, voire ceux des individus dans leur lieu de vie. Le lieu bibliothèque connaît moult usages bien connus (les entrées, les prêts,…) ou moins connus (l’assistance individuelle, le travail personnel,…), en même temps que le lieu se dissémine via divers outils (voyez cette page de la BU d’Angers par exemple).
Les décomptes associent toujours le lieu et le service, ou du moins le veulent.

Or le flux fonctionne de façon différente avec Internet. S’il se porte volontiers sur un « lieu » précis, c’est parce que ce lieu est un réservoir d’information autonome, tel que peut l’être Gallica. Mais deux mouvements tendent à dissocier le service d’un lieu précis :

  • les différentes formes de services encouragent à multiplier les espaces sur le web, espaces pas toujours spécifiquement ou uniquement bibliothèque (voyez par exemple ImagineOn, un site consacré au théâtre des enfants co-géré par un théâtre et la bibliothèque du Charlotte and Mecklenburg County). Comment qualifier les visiteurs et acteurs d’un wiki collaboratif de type Wiki-Brest qui serait initié et hébergé par une bibliothèque ?
  • la dynamique des services dissémine la bibliothèque hors de ses murs, comme on peut le voir avec Librarything ou avec le récent accord entre la BnF et OCLC autour de WorldCat, voire avec les espaces bibliothèque créés sur MySpace…

Il devient alors très difficile, voire impossible, d’argumenter avec des données simples le succès et la fréquentation réels d’une bibliothèque donnée. Bien sûr, on me dira que ce phénomène ne fait qu’amplifier une réalité bien connue des bibliothécaires : le large cercle des vrais lecteurs du volume emprunté par un inscrit identifié, le public de manifestations hors bibliothèque mais initiées par ou co-gérées avec la bibliothèque, les activités réalisées hors les murs,…
Seulement voilà, Internet tend à rendre ces usages, jusque-là jugés incidents, largement majoritaires, et nous n’en sommes qu’au début d’une véritable explosion.

Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, bien sûr ! Les décomptes de prêts, d’entrées, de spectateurs, …, comme de visites-sessions ou de questionneurs,… demeurent un outil incomparable. Mais il va falloir trouver le(s) moyen(s) d’analyser le flux !

Hors l’enquête directe (coûteuse) auprès de la population servie pour mesurer l’impact diffus et parcellisé de la bibliothèque, que voyez-vous ?

jeudi 6 novembre 2008

De l’offre documentaire à l’action bibliothécaire

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 6 novembre 2008
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Une mutation profonde me semble être à l’oeuvre dans les bibliothèques (publiques sûrement, universitaires sans doute) : la diminution de la valeur du stock documentaire en tant que tel et la montée en puissance du bibliothécaire agissant pour aider le public à construire sa connaissance. « Les bibliothécaires n’ont jusqu’ici que stocké de la connaissance pour la proposer, il s’agit maintenant de générer de la connaissance partagée », pourrait-on dire en paraphrasant Marx (Karl).

Quatre phénomènes m’ont alerté en ce sens :

  • De plus en plus, les réponses de bibliothécaires chevronnés aux requêtes parfois complexes des usagers se passent de tout recours aux collections. Sans même parler du basculement de l’information contemporaine du papier au numérique, le patrimoine écrit devient lui-même facilement (et combien plus !) manipulable sur Internet, grâce à Gallica (Gallica 2, j’entends), le projet Gutenberg, Wikisources, Google Books ou Google Scholar. La progression est impressionnante…
  • les ressources documentaires propres des bibliothèques sont de plus en plus utilisées par plaisir (plus que par nécessité liée à une rareté documentaire), ce qui privilégie livres d’enfants, romans, BD et mangas au détriment des travaux savants, techniques ou philosophiques. Et surtout, cette tendance réclame de la bibliothèque non tant de très vastes ressources – exigibles pour l’étude, mais justement : voir le point précédent ! – qu’un appareil de découverte, de surprise, d’échange, etc. L’enquête du CREDOC en 2005 avait relevé cette demande d’accompagnement ou d’incitation à la découverte.
  • Le succès impressionnant des nouveaux services fondés sur l’assistance personnalisée (services de questions-réponses, assistance aux devoirs, espaces numériques ou multimédias, etc.) présente une montée en puissance sans commune mesure avec la stagnation des prêts ou la baisse des communications des magasins.
  • Même dans des bibliothèques petites, mais modernes et ménageant espaces de repos, accès wifi, espace numérique, programme culturel diversifié, le nombre de personnes utilisant ces ressources et services dépasse de loin le flux des emprunteurs. On peut trouver deux fois plus de personnes venues sans emprunter que de personnes empruntant – à des rythmes moins contraints il est vrai (j’entends bien néanmoins que la gestion du flux de ces emprunteurs et emprunts représente encore en interne la charge la plus lourde… mais de façon très inégale quant à la composition du fonds !).

Dans diverses évaluations que j’ai conduites, ces points – parmi d’autres – ressortent très fortement. Alors, je me demande si la vraie mutation à l’oeuvre dans les bibliothèques est bien l’enjeu du numérique en tant que tel. Bien sûr, c’est un facteur majeur d’évolution, mais l’avenir des bibliothèques ne réside pas nécessairement dans la maîtrise de son flux (encore que pour les universités et donc leurs SCD la question se pose de façon très immédiate) ni de la panoplie de tous ses outils techniques.

Entre deux besoins égaux parmi les « publics », profiter d’un lieu de vie adapté et trouver l’information ou la connaissance pertinente, le ‘pont’ n’est pas technologique, il est humain. Le bibliothécaire est payé par sa collectivité pour donner à la population locale les moyens de développer sa connaissance (sa culture, son information ponctuelle, sa capacité à répondre à des objectifs de formation, etc.). Pour cela, il faut sans doute user d’architecture, de technologies, etc., mais il faut surtout disposer d’acteurs – et pas seulement des bibliothécaires !- qui s’investissent dans les programmes culturels, dans l’art de chercher, dans la formation ou les ateliers, dans la médiation sociale, dans l’attention à l’actualité pour apporter la piste ou le service le plus pertinent,…

Il restera des collections, mais il restera peut-être ce que tout le monde nomme la bibliothèque… en fait des bibliothécaires !

Si ceux-ci acceptent cette mutation et la prennent en charge.

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