Bertrand Calenge : carnet de notes

jeudi 29 octobre 2009

Excentrer la bibliothèque : l’invention de la proximité

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 29 octobre 2009
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Récemment, je notais dans un recueil de textes sur « Quel modèle de bibliothèque ? » (aux presses de l’Enssib : très très intéressant, lisez-le !!) la remarque récurrente d’une nécessité pour les bibliothèques de « s’excentrer » (pour citer Christophe Evans dans ce volume), bref de se penser hors leur centralité architecturalement et procéduralement située. Cette nécessité d' »excentration » m’a fait réfléchir à un souci de plus en plus revendiqué : la proximité, celle-ci s’entendant au travers d’une activité des bibliothécaires et de l’institution auprès de l’ensemble d’une population, hors le balisage rassurant et contrôlé de la bibliothèque bâtiment public.

Le problème est que la proximité ne rime pas nécessairement avec l' »excentration », tant cette notion de proximité permet des discours totalement différents sous le couvert rassurant et consensuel d’un mot-valise vidé de tout sens à proportion de sa récupération. On a déjà connu ça avec coopération ou réseau, et je crains que 2.0 en prenne le chemin (si un autre concept ne vient pas rapidement le concurrencer tant la technoculture change rapidement…).

Quelques exemples de décodage potentiel de  cette proximité dans les bibliothèques :

  • il faut sortir à la rencontre des personnes exclues… pour les faire venir à la bibliothèque ;
  • nouons des partenariats extérieurs pour réaliser nos manifestations culturelles ;
  • tenons un stand dans une fête de quartier ou une manifestation culturelle locale ;
  • développons le site web de la bibliothèque, consultable par les usagers depuis chez eux ;
  • effectuons des dépôts de livres dans les prisons, les hôpitaux, les PMI, etc.
  • allons présenter des livres, lectures et informations sur la bibliothèque dans les écoles…

Et on pourrait multiplier les exemples… pour se rendre compte finalement que, de tout temps, la plupart des bibliothécaires sont déjà partis à la recherche de leurs publics en de multiples lieux. Rien de nouveau sous le soleil, donc ?

De l’établissement au territoire

Bien sûr, les bibliothécaires (enfin la plupart d’entre eux) n’ont jamais manqué de sortir en quête de nouveaux publics… à condition d’entendre comme nouveaux publics ceux qui entreront finalement dans la bibliothèque. Je me souviens de ce dialogue à peine imaginé :
– « Mon mari a adoré le roman policier que je lui ai emprunté !
– Eh bien, dites-lui qu’on en a des centaines d’autres, tout aussi passionnants !
– Pas de problème, je vais lui en apporter d’autres : montrez-les moi »
Et le bibliothécaire de conclure en aparté : encore un qui ne veut pas entrer dans une bibliothèque (donc « un non-usager »).
Alors que si ça se trouve, le mari est malade, ou ses occupations professionnelles ne lui laissent pas le temps de venir à la bibliothèque, ou encore c’est une connivence amoureuse : surprise des lectures que sa femme lui propose ?!

Parler de proximité, est-ce en dernier objectif vouloir que la population fréquente les espaces de la bibliothèque – et de préférence consulte ou emprunte les collections soigneusement disposées ? Ou n’est-ce pas un renversement de perspective : parler d’une proximité qui déplace les services de la bibliothèque – collections comprises – au plus près de la population dans son cadre d’activités familiales, professionnelles ou sociales, sans nécessairement vouloir que ce cadre intègre le lieu bibliothèque voire s’y déplace ?

Cette hypothèse de proximité réellement nouvelle n’augure pas de la disparition de la bibliothèque-lieu, essentielle comme espace d’information critique et espace social public (si rare aujourd’hui !), mais pose la question de la bibliothèque vivante sur le territoire de la population qu’elle sert, au-delà des services offerts dans un lieu à cette population.
Et là, effectivement, ce positionnement prioritairement territorial constitue une exigence vraiment nouvelle, qui doit accepter voire rechercher les cercles relationnels (familiaux ou amicaux), accepter aussi des services de vraie proximité comme le distributeur de livres dans le métro, le comptoir de prêt dans un centre commercial, le bibliovélo en zone piétonne, le dépôt de livres en bar de lycéens, et pourquoi pas le « bibliothécaire public » comme on connait l’écrivain public ? Je délire, mais je devine qu’il est mille services originaux et utiles à inventer, pas nécessairement flamboyants… mais tellement au plus près des gens !

By Der Kreole - Wikimedia Commons

L’établissement comme base stratégique

L’exigence de proximité signe la montée en puissance du territoire, ce fondement essentiel de la bibliothèque, devenu toujours plus prégnant au fur et à mesure qu’Internet permet des « consommations culturelles » domiciliaires donc irrigue ce territoire humain au plus près de ses habitants.Mais elle signale aussi une révolution copernicienne : le territoire ne tourne plus autour de la bibliothèque – du moins vu du point de vue des bibliothécaires -.

Cette révolution propose un rôle supplémentaire à la bibliothèque : l’exigence de déplacement, voire l’ubiquité. Et le lieu bibliothèque, ses processus et son organisation doivent dans cette configuration être pensés aussi (mais bien sûr pas uniquement) comme une base stratégique d’action en direction des publics du territoire… sans nécessairement vouloir les y ramener.

Cette extériorisation de l’action apparait avec l’émergence de services en ligne profondément internetiens, n’impliquant aucun déplacement impératif vers le lieu (alors que ces services organisent évidemment leur back-office dans le lieu). Il reste à inventer aussi des services « physiques » sur le territoire déconnectés du déplacement : tiens, par exemple, comment, malade ou handicapé, bénéficier d’un prêt de livres sans d’abord s’être déplacé pour s’inscrire ? comment organiser un flux complexe de stocks, de prêts et de retours via des points relais (les « kiala » du livre) ? Comment proposer des permanences de bibliothécaires-conseil dans des lieux incongrus mais susceptibles de réclamer leur expertise (musée, salon automobile, hopital, … cafétéria ?) ? Peut-on encourager des cercles de lecteurs construits à travers la proximité relationnelle des lecteurs ? Quelle est la réalité de l’implication des bibliothèques dans le book-crossing aujourd’hui ? Etc.
Bref, organiser la bibliothèque en fonction de la proximité et pas seulement vouloir y ramener des visiteurs, s’investir au-dehors de la bibliothèque pour la seule satisfaction des besoins rencontrés, sans s’imaginer destination ultime de ces besoins…

On remarquera que les exemples que je cite ne partent pas nécessairement du préalable d’un dépôt organisé de documents à l’extérieur, mais un déplacement des compétences et des échanges. Est-ce une illusion ? Est-ce aberrant ? Connaissez-vous des exemples concrets « présentiels » ?

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samedi 27 juin 2009

Outils 2.0 pour quels publics ? ou Quand il faut penser usages

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 27 juin 2009
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Une fois n’est pas coutume, je me lance dans un billet technique Web 2.0. Je préfère en général proposer des réflexions sur les stratégies ou les perplexités à l’œuvre dans les bibliothèques, et pour lesquelles des outils ad hoc seront parfois imaginés par des personnes bien plus talentueuses, mais quand je trouve des bidouilles simples et vraiment utiles, je ne peux m’empêcher de les transmettre (un réflexe de comm’interne sans doute…). Ce qui pose la question de l’utilité, et donc des destinataires… On s’attachera ici à la dissémination des accès au catalogue, en donnant deux exemples concrets.

Un premier public : nos visiteurs fervents utilisateurs de nos collections

Lully, sur son blog « Encore un biblioblog…« , est une de ces personnes talentueuses qui manipule à merveille mashups, CSS, API et autres Yahoo pipes. J’admire, tout en pataugeant généralement dans ses explications , mais un de ses billets m’a suffisamment intrigué pour que je me lance. Le concept est simple : un internaute qui utilise le navigateur Firefox (quand même 1/3 des internautes… même si les Services informatiques des bibliothèques imposent souvent Internet Explorer pour les personnels   smileys Forum) peut télécharger sur Mozilla addons (le réservoir des thèmes et autres modules à la carte du navigateur) un plugin Add to search bar qui permettra d’intégrer de nouveaux moteurs de recherche dans la barre de recherche de Firefox. Ce plug-in a une particularité: une fois qu’il est installé dans Firefox, il est capable de reconnaître un grand nombre d’outils de recherche quand on se positionne dans la fenêtre de recherche d’une base de données qui vous intéresse. Prenons par exemple un catalogue de bibliothèque (Lyon au hasard) : vous accédez à la page de recherche, vous choisissez l’index le plus large – par exemple ici Auteur-Titre-Sujet combinés -, vous faites un clic droit dans la fenêtre de rédaction de la requête et choisissez dans le menu contextuel « Ajouter à la barre de recherche », une fenêtre s’ouvre, vous proposant de nommer cette base, vous le faites… et c’est tout !

un simple clic droit dans la fenêtre de requête

un simple clic droit dans la fenêtre de requête

Désormais, dans la barre de recherche de Firefox, vous pouvez choisir de chercher un terme ou un ensemble de termes dans Google, Wikipedia, Yahoo, .., et dans le catalogue de Lyon !

J’ai fait ces quelques manipulations simples, et j’ai ajouté aussi bien l’OPAC de la BmL que son métacatalogue Catalog+ (qui, non content d’intégrer l’ensemble des ressources de toutes les bases et catalogues de la Bibliothèque de Lyon, fonctionne sur des requêtes en langage naturel) !

en fin de liste, le catalogue BmL et Catalog+

en fin de liste, le catalogue BmL et Catalog+

Apparemment, il est des moteurs de catalogues avec lesquels ça ne marche pas : essayez avec le vôtre !

Quel intérêt ? Les visiteurs utilisateurs de nos collections disposent largement d’Internet chez eux ou au travail. Ils fréquentent le site web de la bibliothèque, dont 49 % connaissent l’existence selon une récente enquête de fréquentation (et 86 % des visites sur le site web conduisent au catalogue, selon Alexa !). On a vu que 33 % d’entre eux utilisent Firefox. Leur signaler cette manipulation par une communication adaptée leur permettra de vérifier rapidement, sans faire les quelques clics qui les obligeraient à aller d’abord sur le site de la BmL puis sur le catalogue puis sélectionner le champ de recherche le plus large, qu’un titre, auteur ou sujet est bien à la bibliothèque, et vérifier dans la foulée son état de disponibilité voire le réserver (puisque la barre de requête de Firefox les emmènera directement dans le résultat au sein du catalogue) ! Seul bémol : les utilisateurs doivent la première fois répéter leur requête, car il faut passer par la page d’accueil du catalogue pour recevoir un cookie qui les reconnaitra ; mais après, plus de problème tant que le cookie n’est pas supprimé (ah ! ces fichus systèmes clos et incapables de laisser leur contenu simplement offert du premier coup !…)

L’atout de l’outil tient ici en deux points : les utilisateurs potentiels du plugin sont nombreux, et l’outil qu’ils doivent télécharger est un outil non cantonné à UNE bibliothèque ou base de données mais utilisable sur d’autres donc plus facilement intégrable à un univers personnel.

Un second public : nos collègues acquéreurs

Il y a quelques mois, Notre Silvère bibliobsédé nous signalait une autre bidouille (ne vous y trompez pas, le terme est élogieux !!) concoctée par un jeune ingénieur souhaitant retrouver  instantanément sur la Fnac ou Amazon la disponibilité d’un titre dans une bibliothèque de son choix, sans même quitter la page où il naviguait, grâce à une fonctionnalité merveilleuse de Firefox (encore !) mais également adaptée pour Internet Explorer (quand même !) : il faut télécharger un autre plug-in – Greasemonkey : il modifie l’aspect des pages web ! -, choisir ses bibliothèques sur une carte ad hoc et ajouter celles qu’on veut, puis télécharger un plug-in spécifique. Une fois ces opérations terminées, une navigation sur la Fnac ou Amazon signale en-dessous de chaque titre si la(les) bibliothèque(s) choisie(s) possède(nt) ou non le titre par un code simple rouge ou vert. Explications complètes ici. Là encore, tous les catalogues ne répondent pas aux normes techniques permettant la manip’, mais il y en a un bon nombre !  Chapeau l’artiste ! Voilà ce que ça donne pour Lyon :

le catalogue BmL dans la Fnac

C’est vrai que l’outil est génial. Je suis en contact avec l’ingénieur concepteur du plugin – en vue d’élargir le panel des libraires et fournisseurs concernés -, mais plus pour mes collègues acquéreurs que directement pour nos lecteurs (même si bien sûr j’encouragerai la communication d’un tel outil auprès des lecteurs amateurs des collections). Pourquoi ?

La raison en est un peu floue, je l’accorde, et relève plus de l’intuition que du raisonnement valablement argumenté. Organisons les différents éléments :

– les manipulations sont nombreuses, et nécessitent une réelle maitrise des outils (deux plugins à télécharger, plus une sélection à opérer sur une carte dédiée) ;

– l’application ne fonctionne que sur une liste limitée de sites de libraires ;

– une fois l’information visible sur le site de libraire (la ou les bibliothèques sélectionnées possèdent l’ouvrage), il faut quitter le site du libraire et se rendre sur celui de la bibliothèque pour rechercher l’ouvrage.

Bref, c’est un outil de correspondance libraire –> bibliothèque réellement ingénieux. Mais quelque chose me dit que les amateurs et internautes et experts et amateurs de sites de libraires et passionnés de bibliothèque ne sont peut-être pas si nombreux que cela… Une fois encore, cela n’interdit pas de leur suggérer l’outil au sein de chaque site de bibliothèque, bien au contraire smileys Forum !

En revanche, il existe un autre public très directement intéressé au quotidien : les bibliothécaires acquéreurs. En effet, lorsqu’après lecture de nombre de critiques et sites spécialisés le bibliothécaire entre en phase active d’acquisition, il se connecte à des sites de libraires ou fournisseurs de notices (tels Electre, Amazon ou Decitre) en gardant constamment à l’esprit une question sous-jacente : « avons-nous le document à la bibliothèque ? ». En général, on commence par régler cette question en opérant une série de requêtes dans le catalogue pour éliminer les ‘déjà acquis’, avant enfin de s’attaquer à la question de la disponibilité et de la commande smileys Forum . L’outil de Damiano Albani (l’ingénieur en question) économise une étape lourde et fastidieuse, celle du tri préalable au sein du catalogue (à condition bien sûr que les titres en commande soient accessibles sur le catalogue en ligne). On établit sa liste au vu des choix critiques opérés… et on va directement au site du libraire en économisant le passage de tri via le catalogue  !! (et en plus si on utilise Moccam-en-ligne, on génère en même temps les paniers de commande et les notices d’acquisition du catalogue local !). Et en plus c’est gratuit smileys Forum !

Bref, on a là un public rêvé pour un outil parfaitement ergonomique. En l’occurrence ce n’est pas là tant le public de nos visiteurs-consulteurs-emprunteurs que le public de ceux qui les servent, les bibliothécaires ! Cela n’enlève rien à la valeur de l’outil, mais en vectorise l’intérêt.

L’outil est à la fois au service de la stratégie et asservi aux usages : gardons cette règle à l’esprit dès qu’on nous propose une innovation.

Non ?

mardi 10 février 2009

Empruntez un bibliothécaire !

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 10 février 2009
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Le titre de ce billet est dû à J-C Brochard pour un billet remarquable qu’il vient de publier. Bien sûr, nombre de collègues connaissent ce type de service apparu dans les pays anglo-saxons et nordiques (« Borrow a librarian« ) et en ont apprécié la dimension disons… pittoresque et surprenante ! Mais, comme le souligne JC Brochard, on n’en connait pas d’épigones en France. Pourquoi ?

La première explication qui vient à l’esprit est le manque de temps. Je suis plus que sceptique quand je vois la multiplication des animations et activités innovantes dans nos établissements. Il faut bien du temps pour les concevoir et les réaliser !! Il faut donc chercher ailleurs…

Une intuition (vilain mot pas scientifique) me suggère que nous apprécions particulièrement de déléguer le « dialogue » ou la « valeur ajoutée » à des processus que nous mettons en œuvre. Par exemple :
–  Offrir aux lecteurs la possibilité d’ajouter leurs commentaires à des notices bibliographiques ou à toute autre production bibliothécaire délègue au système de gestion du catalogue ou du service particulier le soin d’engranger et de rendre visible des avis ou opinions. Je ne suis pas sûr qu’il entame un dialogue et encore moins qu’il engage la personne des bibliothécaires eux-mêmes…
–  L’opportunité technologique de mise en œuvre de portails thématiques sophistiqués autorise davantage l’exacerbation de la production de contenus soigneusement ciblés, qu’elle n’encourage l’exposition  des bibliothécaires à la diversité des interrogations des publics concernés…
–  L’étude de l’usage des cahiers de suggestions montre clairement leur fonction dérivative et extériorisante, plus que d’ouverture au débat.
– Les activités d’accompagnement personnel sont soit organisées dans des ‘services pédagogiques’ aux prestations structurées, soit déléguées à des personnels non-bibliothécaires (moniteurs, autrefois emplois-jeunes,…).
– Un travail de recherche de Laurence Bourget, alors élève-conservateur de l’enssib avait relevé en 2004, parmi les cinq priorités majeures des chercheurs en sciences sociales en termes d’accès aux ressources de la bibliothèque, un suivi personnel par un bibliothécaire ‘personnel’ au fait de leur problématique, attentif à leurs pistes de recherche, disponible par tous moyens non institutionnels (i.e. pas seulement derrière un bureau de référence, mais aussi par mail, rendez-vous au labo,…) : cette dimension existe-t-elle dans les profils de poste et plans de charge de travail des professionnels en SCD ?

Je n’affirme pas que nombre de bibliothécaires n’engagent pas de dialogues personnels, ni rechignent à passer des heures à débrouiller un problème individuel, au contraire (et heureusement !). Mais en termes d’organisation les faits sont têtus : les bibliothécaires sont conscients qu’ils développent un capital de connaissances et de savoir-chercher, mais préfèrent déléguer – ou organiser – la transmission du capital en question à des instruments ou processus de services qui (tout web 2.0. veulent-ils être parfois) restent fondamentalement dépersonnalisés… ! Encore une fois, pourquoi ?

Examinons trois pistes :

  • La première semble évidente : il faut gérer des flux. Et dans une organisation le temps est mesuré au flux des visiteurs, non à leur hypothétique et inégal besoin d’accompagnement. En outre, les bibliothèques s’inscrivent volontairement dans une conception d’égalité du service public qui rechigne à dépenser du temps pour un individu au détriment des autres.
  • la seconde tient à une révérence inconsciente aux documents proposés. Le bibliothécaire ne serait qu’un orienteur au sein de la collection qu’il a patiemment et savamment sélectionnée, actualisée et mise en ordre. Cette révérence intègre les circuits reconnus d’appropriation de ces collections : par exemple, il faut prêter !  Je renvoie au remarquable billet de Xavier Galaup préoccupé par  le cantonnement des ‘discothèques’ à l’activité de prêt de ‘galettes’; l’existence même de ces services serait mise en péril par le téléchargement de musique (comme si l’activité fondamentale des espaces musique était … de prêter des supports smileys Forum)
  • La troisième piste tient peut-être à une longue tradition française d’une conception des agents publics : le fonctionnaire est éminemment remplaçable et n’a pas à s’exposer (à tous les sens du terme), il est au service d’une administration et n’a pas à exprimer sa personnalité, etc. Sans compter que l’éminente « remplacabilité théorique  » (?) du fonctionnaire le conduit davantage à s’inscrire dans des processus collectifs dépersonnalisés qu’à assumer ouvertement sa compétence personnelle au service des publics qu’il sert. Allons, soyons honnête : disons que l’organisation même des services encourage souvent cette attitude plus qu’elle n’est revendiquée par les agents…

Alors, dans ce contexte, poser la question d’un service explicite « empruntez un bibliothécaire » me semble pertinente. Non pour nier la valeur des services de référence recevant sur rendez-vous (quand il en existe), ni celle des services d’orientation au champ pré-défini (car il en existe), mais pour reconnaitre au coeur de l’organisation des services, dans leur dimension la plus triviale (les temps de travail, la répartition des tâches, les temps de rendez-vous, etc. ), à la fois l’acceptation et la reconnaissance des besoins -exprimés individuellement- des personnes qui composent notre public (besoins par nature imprévisibles, même s’il concernent le champ vaste de l’information), et les richesses incomparables de nos nouvelles ressources documentaires exclusives à l’heure du savoir explosé et inflationniste : les bibliothécaires eux-mêmes (champs individuels de compétences, trajectoires personnelles d’acquisition de connaissance et de savoir-faire,…).

Il faut s’en convaincre : plus l’information sera abondante et accessible aisément, plus les bibliothécaires seront irremplaçablessmileys Forum. Encore faut-il oser inscrire cette nécessité dans des services explicitement construits sur cette richesse totalement individuelle. Non ?

jeudi 6 novembre 2008

De l’offre documentaire à l’action bibliothécaire

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 6 novembre 2008
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Une mutation profonde me semble être à l’oeuvre dans les bibliothèques (publiques sûrement, universitaires sans doute) : la diminution de la valeur du stock documentaire en tant que tel et la montée en puissance du bibliothécaire agissant pour aider le public à construire sa connaissance. « Les bibliothécaires n’ont jusqu’ici que stocké de la connaissance pour la proposer, il s’agit maintenant de générer de la connaissance partagée », pourrait-on dire en paraphrasant Marx (Karl).

Quatre phénomènes m’ont alerté en ce sens :

  • De plus en plus, les réponses de bibliothécaires chevronnés aux requêtes parfois complexes des usagers se passent de tout recours aux collections. Sans même parler du basculement de l’information contemporaine du papier au numérique, le patrimoine écrit devient lui-même facilement (et combien plus !) manipulable sur Internet, grâce à Gallica (Gallica 2, j’entends), le projet Gutenberg, Wikisources, Google Books ou Google Scholar. La progression est impressionnante…
  • les ressources documentaires propres des bibliothèques sont de plus en plus utilisées par plaisir (plus que par nécessité liée à une rareté documentaire), ce qui privilégie livres d’enfants, romans, BD et mangas au détriment des travaux savants, techniques ou philosophiques. Et surtout, cette tendance réclame de la bibliothèque non tant de très vastes ressources – exigibles pour l’étude, mais justement : voir le point précédent ! – qu’un appareil de découverte, de surprise, d’échange, etc. L’enquête du CREDOC en 2005 avait relevé cette demande d’accompagnement ou d’incitation à la découverte.
  • Le succès impressionnant des nouveaux services fondés sur l’assistance personnalisée (services de questions-réponses, assistance aux devoirs, espaces numériques ou multimédias, etc.) présente une montée en puissance sans commune mesure avec la stagnation des prêts ou la baisse des communications des magasins.
  • Même dans des bibliothèques petites, mais modernes et ménageant espaces de repos, accès wifi, espace numérique, programme culturel diversifié, le nombre de personnes utilisant ces ressources et services dépasse de loin le flux des emprunteurs. On peut trouver deux fois plus de personnes venues sans emprunter que de personnes empruntant – à des rythmes moins contraints il est vrai (j’entends bien néanmoins que la gestion du flux de ces emprunteurs et emprunts représente encore en interne la charge la plus lourde… mais de façon très inégale quant à la composition du fonds !).

Dans diverses évaluations que j’ai conduites, ces points – parmi d’autres – ressortent très fortement. Alors, je me demande si la vraie mutation à l’oeuvre dans les bibliothèques est bien l’enjeu du numérique en tant que tel. Bien sûr, c’est un facteur majeur d’évolution, mais l’avenir des bibliothèques ne réside pas nécessairement dans la maîtrise de son flux (encore que pour les universités et donc leurs SCD la question se pose de façon très immédiate) ni de la panoplie de tous ses outils techniques.

Entre deux besoins égaux parmi les « publics », profiter d’un lieu de vie adapté et trouver l’information ou la connaissance pertinente, le ‘pont’ n’est pas technologique, il est humain. Le bibliothécaire est payé par sa collectivité pour donner à la population locale les moyens de développer sa connaissance (sa culture, son information ponctuelle, sa capacité à répondre à des objectifs de formation, etc.). Pour cela, il faut sans doute user d’architecture, de technologies, etc., mais il faut surtout disposer d’acteurs – et pas seulement des bibliothécaires !- qui s’investissent dans les programmes culturels, dans l’art de chercher, dans la formation ou les ateliers, dans la médiation sociale, dans l’attention à l’actualité pour apporter la piste ou le service le plus pertinent,…

Il restera des collections, mais il restera peut-être ce que tout le monde nomme la bibliothèque… en fait des bibliothécaires !

Si ceux-ci acceptent cette mutation et la prennent en charge.

mardi 14 octobre 2008

L’actualité, un drôle de truc

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 14 octobre 2008
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L’actualité, qu’est-ce que c’est ? C’est une affaire de presse et de média. Bon, c’est tout ? L’actualité, c’est aussi ce qui fait jaser autour de la machine à café, c’est ce qui préoccupe des millions de gens soudainement inquiets, intéressés, questionnés, ‘perplexifiés’. Ce peut être dérisoire : « pourquoi des fumées blanches ou noires pour l’élection du pape » en même temps que ce peut être plus dramatique (la crise financière actuelle provoque beaucoup d’angoisses).

Bref, ce qui se passe et bouge dans le monde questionne les gens, et pas seulement pour des raisons futiles, comme on pourrait le penser parfois. Une expérience commentée par Affordance mérite réflexion : lors d’un récent débat entre les candidats à la présidence des Etats-Unis (ou plutôt entre leurs vice-présidents putatifs), Google a conduit une étude sur les comportements de la population vis-à-vis des moteurs de recherche (en fait Google bien sûr !) au moment de ce débat. Le résultat est fascinant : contrairement à ce que l’on pourrait penser, la population n’ « avale » pas béatement les arguments, mais se rue sur Internet pour… comprendre ! Les noms et termes les plus abscons passent en tête des moteurs de recherche (leaders iraniens peu connus, ….).

Bref, l’actualité intéresse. C’est un phénomène que j’avais déjà constaté lors de l’hiver 2005-2006, à l’époque où le chikungunya envahissait les médias jusqu’à la nausée. A cette époque, le terme (aisément identifiable) entrait dans le top 5 des moteurs de recherche ! « Les gens » n’en avaient-ils pas assez de ces infos ressassées à longueur de colonnes de journaux, de unes de journaux radio ou télé diffusés ?
Eh bien non. Ils voulaient savoir, confronter, éprouver le savoir à l’aune de sources multiples. Curieux, non ? Peut-être ne se satisfaisaient-ils pas des recopies des dépêches AFP ou Reuters restituées hors contexte ?

Et si l’actualité était un stimulant de curiosité intellectuelle, un ferment de culture ? La BM de Lyon a fait le pari de s’y accrocher avec des cycles de conférences et de débats, et avec Points d’actu, magazine proposant une mise en perspective de l’actualité avec les ressources et les compétences de la bibliothèque. Ca ne marche pas mal, merci. On pourrait essayer d’aller plus loin ?

lundi 6 octobre 2008

Un portail pour chaque bibliothèque ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ lundi 6 octobre 2008
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Un fait divers m’a été rapporté récemment : lors du concours d’AQC ouvert par le CNFPT dans l’une des régions française (le dernier géré par le CNFPT pour ce cadre d’emploi avant le passage de relais aux centres de gestion), un candidat optimiste s’est vu assener par un membre du jury : « Et vous croyez que j’ai les moyens, dans ma petite commune, de monter un portail sur Internet ?!! ».

D’abord, c’est quoi un portail ? A ma connaissance, « Un portail Web (de l’anglais Web portal) est un site Web qui offre une porte d’entrée unique sur un large éventail de ressources et de services (messagerie électronique, forum de discussion, espaces de publication, moteur de recherche) centrés sur un domaine ou une communauté particulière. » (Merci Wikipedia !). Une grande ambition, certes !

La tentation naturelle d’une bibliothèque sera de mesurer ses forces et compétences internes à l’aune de ce défi pour ses propres services (tiens, à Lyon par exemple, ou à la BnF, ou à la Queens Library…). Et effectivement, l’offre documentaire et de services d’une petite bibliothèque publique ne peut en aucun cas aligner une telle richesse… Mais attend-on nécessairement cela de sa part ? Et surtout, est-ce toujours à elle d’être pilote d’un tel portail ?
Bien sûr, on me dira que les déficits de la coopération entre bibliothèques sont en cause. Bien sûr, on me dira que la dispersion des structures publiques est nuisible (toujours 36 000 communes qui peinent à réaliser des structures intercommunales en matière de bibliothèques, des universités qui commencent à peine à réaliser que la fusion vaut mieux que l’éparpillement). Mais le renoncement est-il vraiment partagé ? Deux exemples me viennent à l’esprit, que je livre à votre sagacité :

Le premier est hypothétique. Après le succès réel et continu du Guichet du Savoir, plusieurs collègues m’ont affirmé être plus qu’intéressés par le principe, mais s’interrogeaient sur leur maigres capacités à répondre à l’ensemble des enjeux posés par un tel service. A titre personnel, j’avais répondu que, compte tenu de la disponibilité d’outils libres ad hoc (outils de forum dans le cas du Guichet), rien n’était plus simple que de mettre en oeuvre un tel service en en limitant la portée à leurs propres compétences, en l’occurrence l’information sur leur – plus ou moins petite – région, canton voire commune. Puisque là devait être leur savoir indiscuté. Après tout, c’est bien à l’artisan local qu’on demande la spécialité locale, non ?

Le second est réel. J’ai rencontré il y a de nombreux mois des responsables passionnés de la bibliothèque de St Apollinaire de Rias. Vous connaissez, bien sûr… Non ? Vous avez tort ! St Apollinaire de Rias est une métropole « en passe d’atteindre les 160 habitants » (source) au coeur de l’Ardèche. Non, je ne me moque pas. Car les animateurs de la bibliothèque sont aussi ceux de l’association du village, et ce sont eux qui ont créé et font vivre le site – avec l’appui de la BDP, ne l’oublions pas !-, site qui fait de la vie du village un enjeu aussi important -voire plus – que le succès de la seule bibliothèque,  qui tout de même au regard des normes officielles dépasse largement les 50% de la population inscrite et emprunteuse ! Ce site qui, comme me le disait avec fierté une animatrice, était largement consulté par de fidèles vacanciers parisiens perdus en hiver dans leurs brumes parisiennes (elle guettait les statistiques !). Allez voir leur site (avec ses défauts….) : St Apollinaire de Rias est une cité qui vit avec sa bibliothèque, ou plutôt la bibliothèque vit avec son village !

Qu’est-ce qu’on attend d’un portail ? Un substitut ou un concurrent des moteurs de recherche ? Une alternative à l’ordonnancement des étagères ?
Une échappatoire utilisant des ressources électroniques que nous ne maîtrisons plus ?
Ou un lieu de vie et de savoir à la dimension de la collectivité servie ? Ou un espace, modeste souvent et ambitieux parfois, à la mesure des services qu’inconsciemment la population servie « sent » devoir attendre de chaque institution bibliothèque particulière ?

mercredi 30 juillet 2008

Un site de bibliothèque, qu’est-ce que c’est ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 30 juillet 2008
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Dans un récent billet, Lionel Dujol attire l’attention sur un article de Bibliopedia donnant un début de ‘Cahier des charges pour le site moderne de la bibliothèque moderne de nos rêves (modernes)’. En lecteur attentif de mes sites favoris, je me précipite vers cette page, qui met en avant de multiples outils rendus possibles par la technologie contemporaine afin de rendre le catalogue up-to-date : flux rss personnalisés, commentaires, ébauches de réseaux sociaux à partir des commentaires, etc.

Tout cela est bien, et je ne doute pas qu’un catalogue en ligne doive proposer de tels outils à la pointe de la modernité techno-sociale. Mais le titre comme le contenu de cet article me font légèrement tiquer :

–         l’essentiel d’un site de bibliothèque est ramené presque explicitement à son catalogue ;

–         la sociabilité éventuelle des publics est organisée autour des notices  bibliographiques (enrichies et plus ouvertes).

Désolé, mais j’ai un peu l’impression de voir passer une couche de vernis de modernité sur un outil qui resterait somme toute immuable, et sur des usages inchangés de la bibliothèque (encore que le catalogue n’ait en général jamais été un outil apprécié que pour ses capacités de localisation et de disponibilité, sauf pour les chercheurs…).

Je ne critique pas le désir d’améliorer le catalogue en ligne, bien au contraire (encore qu’au-delà des habillages web 2.0. c’est l’ergonomie de la recherche qui me parait primer), mais ce n’est pas à travers lui qu’on « modernisera » un site de bibliothèque.

Déjà, faut-il « un » site ? Si le seul public visé est celui qui fréquente les lieux et le catalogue, il est clair qu’il va immédiatement identifier « le » site de la bibliothèque comme une extension de celle-ci, et comme un moyen de préparer et faciliter sa venue (Une enquête lyonnaise conduite en 2005  montre que 82 % des visiteurs du site dit institutionnel (www.bm-lyon.fr ) ne se servent que du catalogue, du compte lecteur et des informations pratiques, les 18 % restant ajoutant un coup d’œil complémentaire à l’un ou l’autre des multiples autres services proposés -j’ai refait le compte – ; 82 % des visiteurs du site fréquentent d’ailleurs une des bibliothèques du réseau). En revanche, si l’internaute n’est pas utilisateur des lieux, la bibliothèque sur Internet lui est inconnue et même ne signifie rien, dans la mesure où l’essentiel des ressources documentaires de cette dernière ne lui sont pas directement accessibles (il faut être bibliothécaire, abonné fidèle ou chercheur, pour s’imaginer qu’un catalogue Marc, même enrichi, apporte une plus value d’information à l’internaute lambda s’il ne fréquente pas la bibliothèque : on ne peut même pas commander en ligne comme sur la FNAC ou Amazon !).

En revanche, l’internaute est attentif au service, à la richesse des contenus informatifs, à l’environnement contextuel de ces contenus. Et là, ce n’est pas une question de « site de bibliothèque », c’est une question de site dédié à un service, à des usages particuliers. Donc il faut démultiplier les sites, non à partir du catalogue mais à partir des usages divers, des attentes multiples : à Lyon toujours, le Guichet du Savoir est ignoré de 95 % des visiteurs du site Web institutionnel, et le recouvrement des visiteurs entre les 3 principaux sites conçus par la bibliothèque autour de fonctions différentes (www.bm-lyon.fr , www.guichetdusavoir.orgwww.pointsdactu.org) est inférieur à 5% de passages d’un site à l’autre (décompte des pages d’origine des sessions). On draine donc bien des publics différents pour des services différents, tous bibliothécaires ! Ce qui n’empêche pas le site institutionnel de bien rassembler tous les accès à tous les services, et à des liens hypertexte disséminés de suggérer la navigation d’une ressource à l’autre. Arrêtons de vouloir faire LE site, LE portail… Disséminons les services ! Un de mes modèles est la Public Library of Charlotte and Mecklenburg County (en Caroline du Nord – EU), qui propose pas moins de 16 sites conçus en fonction d’usages et de publics distincts, certains mettant en scène les ressources documentaires (notamment ressources en ligne) – comme Bizlink pour les affaires, BookHive pour les enfants, … – d’autres proposant des services non strictement documentaires – ImaginOn pour les activités de théâtre, Hands on craft pour les travaux artistiques (certains sont même conçus en partenariat) ; enfin on peut se fabriquer « son » site de ressources avec Brarydog – et en outre accéder directement aux ressources en ligne de son choix si on a saisi son numéro d’abonné dans son profil, comme je l’évoquais il y a peu ici !

Autant l’agora sociale de la bibliothèque matérielle est essentielle (à améliorer bien sûr, rendre plus conviviale, ouverte, lieu de débat autant que réservoir, lieu de travail autant que lieu de rencontre), autant l’accessibilité à cette bibliothèque physique peut et doit être améliorée par un catalogue plus ergonomique, par l’encouragement au dialogue entre lecteurs par toutes facilitations techniques, autant les pratiques de la navigation sur Internet nécessitent quant à elles d’identifier des pôles de services et d’usages distincts, évidemment reliés par des liens hypertexte entre eux et à d’autres ressources de la Toile.

Rendre la bibliothèque présente sur Internet, est-ce seulement ouvrir une porte ‘virtuelle’ aux utilisateurs du site physique ?

vendredi 18 juillet 2008

A propos des abonnements électroniques en bibliothèque publique

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 18 juillet 2008
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Très récemment, je participais à l’élaboration d’une séance de formation sur des questions documentaires, quand la question des périodiques est venue sur le tapis. Inévitablement, la présentation du consortium Couperin fut évoquée et, par un mouvement réflexe qui ne manque jamais de m’émerveiller, on s’empressa d’y ajouter CAREL, le consortium créé pour les bibliothèques publiques. Depuis plusieurs années, la profession a visiblement décidé de présenter ces deux consortiums comme des jumeaux (cf. les liens ci-dessus sur deux articles parus évidemment dans le même numéro du BBF !), et cette pratique me gêne profondément.

Non parce que les consultations des abonnements en ligne restent proportionnellement très faibles dans bibliothèques publiques, mais parce qu’on compare des objets et situations très différents.

La confusion nait de l’usage générique du terme de ‘périodiques’ (et du désir acharné et ancien de considérer que BM et BU sont ontologiquement semblables). Ce terme n’a pas de signification générique en termes d’usages ni en termes éditoriaux voire économiques : si les universités pratiquent les revues, et en ont un besoin vital et quotidien tant pour les carrières des chercheurs que pour l’alimentation du savoir, ces revues sont loin d’avoir le même caractère de nécessité dans les bibliothèques publiques : indispensables pour quelques fonds (tel le fonds local) et pour une frange d’érudits ou de curieux non universitaires, elles ne sont qu’accessoires pour la majorité du public. Certes, si ces clients sont étudiants, chercheurs ou professionnels experts, leurs besoins sont plus constants, mais comme on l’a dit les éditeurs ont plus que parfaitement cerné leur niche dans ce domaine auprès des universités, comme ils ont su le faire auprès des communautés professionnelles (juristes, experts du bâtiment, etc.). Que reste-t-il aux BM, ces vecteurs généralistes ? A la limite, les fonds locaux s’enrichissent surtout de ‘bulletins’ (feuilles d’information, gazettes d’associations, …), plus que de revues stricto sensu. Et les revues électroniques ou bases de données sont surtout utiles pour les bibliothécaires eux-mêmes dans les services spécialisés de questions-réponses (en ligne notamment).

En revanche, les bibliothèques publiques vivent de l’intérêt porté par leur public à deux autres grands secteurs : la presse et les magazines. Et chacun de ces supports fonctionne selon des modalités très différentes :

– la presse repose sur la quotidienneté, et à ce titre se feuillette sans être empruntée. Cet usage de feuilletage persiste dans la bibliothèque pour une bonne part de la population, mais est concurrencée par la mise en ligne gratuite des quotidiens les plus récents (sans parler de Google News ) . Aujourd’hui, 95% des usages de la presse peuvent se faire librement à domicile ou au bureau, avec une simple connexion Internet ;

– les magazines se consultent et s’empruntent : une étude conduite par une élève de l’enssib, Gwenaëlle Marchais (La lecture des magazines, 2005) compte 1,8 consultations pour 1 prêt de magazine. Et quand on sait qu’en 2007 Lyon a connu près de 200 000 prêts de périodiques (à 98,5 % prêts de magazines), soit 11 % des prêts d’imprimés des bibliothèques d’arrondissement !… Or les magazines sont encore peu engagés dans l’édition électronique, même s’il existe d’intéressants essais de feuilletages et téléchargements en ligne (comme monkiosque ou le Kiosque numérique Relay) essentiellement destinés aux particuliers. En outre, les magazines vivent autant de leur mise en page et de leurs illustrations que de leurs contenus : l’imprimé convient très bien à leur usage…

Bref il existe un décalage entre offre éditoriale, usages de lecture, et attentes possibles des bibliothèques publiques envers les revues électroniques. Un autre facteur ne doit pas être négligé : la disponibilité. Il existe une incohérence entre la disponibilité immédiate d’Internet à domicile ou au travail, et l’impératif de déplacement vers un bâtiment (selon les heures d’ouverture, la disponibilité des postes Internet, etc.) pour disposer d’une ressource accessible sur ce même Internet… Cette incohérence apparente ne peut être résolue qu’en cas de forte valeur ajoutée (masse critique documentaire spécialisée, compétences hautement développées, service personnalisé …), mais pas pour une simple accessibilité à des titres électroniques sur des postes en libre accès.

Les universités ont réussi le virage électronique à partir du moment où les abonnements ont irrigué l’ensemble des labos et bureaux des campus et où l’accès a dépassé les murs de la bibliothèque. Les bibliothèques publiques ne peuvent espérer rencontrer quelque succès (qui restera mesuré, compte tenu des usages constatés) qu’en franchissant le pas, que ce soit pour les revues, les archives de presse et les magazines. C’est possible ! Par exemple la Hennepin County Library permet à ses usagers inscrits d’accéder de chez eux à ses abonnements électroniques (voir ici en particulier). Connaissez-vous d’autres exemples ?

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