Bertrand Calenge : carnet de notes

samedi 31 janvier 2009

Vivre avec son temps…

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 31 janvier 2009
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Un collègue marocain, de passage à Lyon, me confiait sa perplexité quant à la poursuite stakhanoviste (par beaucoup de bibliothécaires, consultants, ou programmistes qu’il avait consultés) d’une modernité impérative des outils et services proposés par toute bibliothèque nouvelle. Son scepticisme s’appuyait sur deux constats majeurs :
– la sous-estimation des coûts de maintenance nécessaires au fonctionnement régulièrement actualisé d’outils sophistiqués en évolution constante ;
–  l’absence de considération du niveau de culture des acteurs ayant à conduire, maîtriser, expliquer et transmettre les subtilités de ces nouveaux outils, procédures ou appréhensions intellectuelles du métier.

Sur le premier point, c’est une évidence (tout responsable d’établissement sait qu’il doit se préoccuper des moyens du fonctionnement avant d’engager l’investissement… quand il le peut !)
Sur le second point, il me semble en effet que beaucoup de services à base technologique (même s’ils se veulent ‘sociaux’) tendent à se déconnecter de leur contexte social (le web 2.0. étant souvent dans cette veine), tant du point de vue des publics que des personnels :

Les publics ne sont pas tous, loin de là, amateurs de sophistication technologique : un accueil sympa et compréhensif, des espaces ouverts et conviviaux, un personnel attentif, des titres récents et intéressants, un service irréprochable dans les délais et la qualité, bref tout cela fait le bonheur de la plupart d’entre eux. Bien sûr, certains apprécient les flux rss (mais pas tant que cela en fait, voir ici), tous souhaitent réserver leurs documents (en ligne bien sûr mais pas seulement, et surtout réserver pas seulement les documents déjà prêtés !), tous souhaitent des horaires d’ouverture étendus, etc.
Bien sûr, le numérique modifie les usages : désormais on peut consulter librement l’incunable numérisé, on peut apporter son ordinateur portable pour travailler en zone wifi (parfois !!  smileys Forum ), on peut réserver à distance, on peut être informé en temps réel par messagerie, etc.
Mais questionnez ‘vos’ publics : pour la plupart, la bibliothèque est un lieu, bien plus qu’un outil. Et ils ne souhaitent en aucun cas que ce lieu soit délaissé si peu que ce soit au profit de services dématérialisés – même si ceux-ci sont bien entendu de plus en plus nécessaires !
D’autant plus que, pour la plupart, la pratique des technologies reste associée à des contextes utilitaires ou de communication (ici), et que la bibliothèque représente bien plus qu’un service ‘pratique’ !

Aussi importante au moins est la capacité des personnels à accompagner activement les mutations technologiques. Pour donner un exemple simple, il est relativement facile de construire des fils rss permettant à un usager expert de suivre l’apparition des nouveautés dans le catalogue, les dernières nouvelles d’un blogue ou la programmation des animations, mais c’est beaucoup plus lourd et difficile de rendre tous les agents capables d’expliquer l’utilisation de ces outils, voire de les faire se les approprier !
Or ce passage est indispensable : une bibliothécaire me confiait son désarroi face à une interrogation d’un visiteur sur un outil dit innovant mis à sa disposition, et un autre me confiait : « quand j’ai une question concernant une recherche dans le web, je suis souvent désemparé ».
Aucune bibliothèque, j’en suis persuadé, n’avancera dans les innovations techno-sociales si elle ne se préoccupe pas prioritairement de l’appropriation des outils – et des modes de fonctionnement de ceux-ci – par l’ensemble des personnels. Certaines ont su affronter cette nécessité, et je salue par exemple le SAN Ouest-Provence pour avoir su conduire une première étape de ce chantier (ici notamment, mais j’ai aussi échangé avec Jérôme Pouchol sur des cycles de formation interne  mis en place systématiquement).

Bien qu’amateur à titre personnel de toutes les innovations porteuses de sens, je suis plus modéré sur le plan professionnel. Il faut toujours s’interroger sur cette double exigence :

  • Qu’est-ce que les publics attendent de nous, et de notre institution ? Sur quoi est-il le plus urgent d’investir par rapport à cette attente explicite ? Bien sûr, cette question n’interdit pas l’innovation, mais oblige à en mesurer l’investissement au regard des pratiques ;
  • Comment faire en sorte que les personnels de la bibliothèque soient « au niveau » des outils proposés ? On me répondra formation, avec raison. Mais il me semble que, dans nombre de cas, c’est plutôt d’appropriation personnelle qu’il faudrait parler, et l’entreprise est bien plus lourde !…

La bibliothèque doit être adéquate à ses publics, c’est une évidence banale. Mais elle doit également rendre ses personnels adéquats à ses objectifs, ses publics… et ses innovations !

Le collègue marocain est un sage : il connait par expérience les attentes des publics potentiels et les horizons de compétence (à court terme) des personnels. Bref il vit avec son temps…

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vendredi 30 janvier 2009

Autonomie de l’usager (suite) : « expliquer la démarche » ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 30 janvier 2009
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Dans un précédent billet, j’exposais la nécessité de répondre aux demandes des utilisateurs dans leur contexte, sans se dérober au nom d’une « autonomie de l’usager » volontiers invoquée sans considération des besoins particuliers du questionneur.

(Parenthèse : qu’on ne pense pas que je sois contre l’autonomie des publics. Cette autonomie peut être souhaitée – et alors encouragée et soutenue -, ou prescrite (cas des étudiants ou des professionnels d’un domaine) – et alors encore une fois accompagnée par mille actions volontaristes de formation. Mais elle ne saurait être décrétée à l’encontre de gens qui ne la souhaitent pas ni n’y sont obligés par leur métier ou leur statut.Fin de la parenthèse)

De fréquents commentaires concèdent qu’une réponse détaillée peut être justifiée, mais soulignent également, presque automatiquement, qu’il est utile voire nécessaire d’accompagner cette réponse détaillée par une « explication de la démarche » entreprise pour la formuler.

Bien sûr, il est toujours possible de recopier les termes de la requête fructueuse effectuée par le bibliothécaire dans une base de données spécifique. Mais pourquoi cette requête particulière ? et pourquoi dans cette base de données et pas dans une autre ?

Que voilà un joli concept, la démarche ! Quand, à l’occasion d’une consultation d’un  patient spécifique, un médecin convoque ses années d’étude et de rencontres avec des patients divers, peut-il vraiment « expliquer sa démarche » à ce dernier pour poser son diagnostic et prescrire un traitement spécifique ?
Certes, on peut exposer la démarche (comme nombre de toubibs le font pour assurer un climat de confiance avec leurs patients,  juger de leur capacité à comprendre la situation – et aussi rassurer le patient sur le professionnalisme du praticien smileys Forum ), mais croit-on vraiment qu’on explique  la « démarche » et qu’on fait en quelque sorte acte de formation à l’autonomie ? On donne les sources de la réponse, bien sûr, mais là c’est un acte qui fait appel à notre exigence de véracité, et ça n’a rien à voir avec de l’ « autonomie »…

Ce qui me trouble le plus dans ce terme de ‘démarche’ est sa négation implicite de la construction progressive d’un « savoir rechercher » qui associe géographie mentale des sites ressources, congruence avec le questionneur, connaissance des spécificités de requêtes propres à chaque outil de recherche, aptitude à juger de la pertinence des résultats d’une recherche, etc. Certes, c’est un art plus qu’une technique, mais cela n’enlève rien à son caractère professionnellement construit.

Ou alors on sous-estime la complexité de la chose ? C’est possible, tant l’art de chercher est fait de réflexes et d’imprégnations progressives pour celles et ceux qui le pratiquent.

Ou alors, et c’est plus grave, l’expression révèle un refus implicite de professionnalisme affirmé dans ce qui est pourtant à la base de notre légitimité aujourd’hui ? Non ?

jeudi 22 janvier 2009

A propos de l’autonomie de l’usager

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 22 janvier 2009
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Ayant eu l’occasion de présenter la bibliothèque de Lyon à un groupe d’étudiants en bibliothéconomie Sciences de l’Information, j’ai inévitablement évoqué le Guichet du savoir, précisant que ce service apportait une réponse complète et précise à toute question. Et inévitablement est venue la sempiternelle question : « Mais est-ce que cela ne va pas à l’encontre de l’autonomie de l’usager ? »…smileys Forum

Parmi les mythes inamovibles du bibliothécaire de lecture publique, on trouve, à côté de la coopération, de la démocratisation, du refus de toute censure et tutti quanti, l’autonomie de l’usager. Parlons-en cinq minutes…

Il existe mille acceptions du terme ‘autonomie’ : si philosophiquement c’est la capacité d’agir par soi-même en étant son propre régulateur, le terme est davantage utilisé aujourd’hui dans d’autres contextes :

  • dans le domaine des relations internationales, l’autonomie est un statut qui autorise une certaine latitude d’action législative et exécutive dans un cadre précis défini en relation avec celui qui confère l’autonomie (il est lui souverain, on le notera…) ;
  • dans le domaine médico-social, on parlera d’un malade autonome lorsqu’il sera capable d’exercer lui-même certaines fonctions essentielles (se préparer un repas, se déplacer dans un espace social, se tenir propre, etc.). Dans ce cadre, la dimension de l’autonomie varie selon les situations des soignants (aliéniste, soignant des maladies séniles, chirurgien,…), donc le regard de celui qui décrètera une personne autonome ou non en fonction de ses propres critères ;
  • pour le milieu éducatif, l’autonomie est une course à l’échalote constamment renouvelée : l’enseignant cherche une capacité de l’élève à assurer ses propres règles et procédures dans un milieu contraint, donc en fait à rendre siennes les règles et savoirs édictés par l’institution ;
  • le milieu familial connait également la question : les parents encouragent l’autonomie de l’adolescent, donc sa capacité de réflexion, de décision et de comportement personnels … en conformité avec le cadre jugé acceptable par les parents !

Bref, pour reprendre une phrase de Paul Lafargue en 1881, « « Il y a autant d’autonomies que d’omelettes et de morales : omelette aux confitures, morale religieuse ; omelette aux fines herbes, morale aristocratique ; omelette au lard, morale commerciale ; omelette soufflée, morale radicale ou indépendante, etc. L’Autonomie, pas plus que la Liberté, la Justice, n’est un principe éternel, toujours identique à lui-même ; mais un phénomène historique variable suivant les milieux où il se manifeste ».
Et l’autonomie prônée en bibliothèque, qu’est-ce que c’est ? A la lumière des exemples ci-dessus, on devine que le voeu (honorable) d’une totale maitrise par chaque individu de lui-même, de son environnement et des ses besoins et moyens d’information – ce qui pourrait être nommé souveraineté – n’est pas la préoccupation unique des bibliothécaires, qui persistent à utiliser le terme autonomie à tort et à travers. De quoi s’agit-il alors ? Décortiquons le discours…

La maitrise du lieu institutionnel

Peut être déclaré autonome celui qui a intégré les codes et règles posées par l’institution : on ne crie pas, on ne gêne pas les autres, on respecte les dates de retour, et même on a une vague idée des parcours possibles entre les salles, avec leurs différentes autorisations d’accès. Bref, on possède le code social du lieu.
Rien de choquant là-dedans. tout espace social génère ses codes, et tout nouvel arrivant dans n’importe quel espace social (un théâtre, un ministère, une école, la sécurité sociale, un magasin de quartier, ou la bibliothèque !) « sent » en général cette nécessité d’usage collectif. Mais cette autonomie-là n’est pas un objectif bibliothécaire : elle relève de l’éducation familiale, scolaire, sociale de tout individu. A la bibliothèque la charge de rendre lisibles ces codes sans intervention humaine autre qu’exceptionnelle.

La maîtrise des outils de l’institution

Dans un domaine plus proche de l’activité bibliothécaire, on recherchera l' »autonomie » de l’usager à travers sa maîtrise du catalogue, des bases de données, du système de classification (etc.) posés a priori par les bibliothécaires pour faciliter l’accès des usagers aux documents et à leur contenu.
Pour avoir (très) longuement pratiqué ces outils bibliothécaires dans leurs interfaces et signalements offerts aux utilisateurs, je crois pouvoir affirmer que l’absence d’autonomie de ces derniers dans leur usage, éventuellement déplorée,  révèle non une incapacité des utilisateurs, mais une déficience ergonomique, communicationnelle, voire conceptuelle des outils. Pitié, ne parlons plus formation des utilisateurs aux outils produits par les bibliothécaires ! Sauf cas très spécifiques – recherche avancée,… – la manipulation de « nos » outils devrait être aussi évidente que le décryptage des signaux routiers, le repérage dans une librairie, ou la fenêtre de requête d’un moteur de recherche !

La maîtrise des itinéraires de recherche documentaire

Nous en arrivons à la question qui tue : « Pourquoi apporter la réponse détaillée à un usager ? Il faut lui apprendre à chercher par lui même ! ». L’objection n’est pas stupide en elle-même, encore faut-il la contextualiser :

  • Si l’utilisateur a nécessité de maîtriser une compétence (dans un cursus scolaire ou universitaire : savoir chercher, discriminer, construire sa bibliographie ou recueillir les documents pertinents pour son TPE…) ou dans un contexte social plus ordinaire (communiquer avec ses petits-enfants éloignés, rechercher un  emploi,…), il est sans aucun doute nécessaire de se soucier de l’autonomie de l’utilisateur : la répétition de ses recherches ou son statut d' »apprenant » imposent à la bibliothèque la fourniture des moyens de lui permettre cette liberté de se mouvoir dans les contenus ou outils qui lui sont nécessaires quotidiennement. A souligner : l’individu emprisonné dans un cursus cherchera par tous moyens à contourner ses impératifs d’autonomie (« vous pouvez m’écrire mon devoir ? » ), l’individu avide de poursuivre son objectif personnel recherchera une assistance fondamentale aux compétences nécessaires (« vous pouvez m’apprendre à communiquer par mail ? »). La réponse institutionnelle de la bibliothèque ne peut évidemment être identique : au premier le détournement vers des techniques génériques adéquates à lui faire apprendre « son métier », au second la formation au savoir-faire dont il a un besoin urgent (et non l’écriture du mail à sa place) . Dans les deux cas on forme, mais pas dans le même contexte et c’est important !
  • Enfin, l’utilisateur peut souhaiter une information ponctuelle, pour diverses raisons toujours circonstanciées et hors de ces injonctions pérennes (professionnelle : « chirurgien devant opérer demain, j’ai besoin des derniers articles sur la chirurgie du fémur en cas de traumatisme affectant les tendons » ; personnelle : « doctorant en physique, je cherche l’origine du prénom de ma copine » ; angoissée : « mon poisson rouge présente des taches blanches ; est-ce que c’est une maladie ? » ; consumériste : « mon tailleur en laine et lycra a été taché par des débris de pizza : comment le détacher ? » ; etc.). Il est évident que les demandeurs n’attendent pas une méthode ou une hypothétique autonomie, mais une réponse, et de préférence vite. Va-t-on conseiller au chirurgien de se plonger dans les annales des revues de condyloplastie ? au doctorant d’explorer les arcanes de l’onomastique ? à l’adolescente de découvrir les travaux vétérinaires ou biologiques ? à la passante de découvrir les arcanes de la teinturerie ? Et pourquoi pas à la fidèle lectrice qui désire un roman « dans le genre de XXX » d’entamer un cursus de littérature comparée ?!smileys Forum

Entre autonomie de l’usager et confort du bibliothécaire

L’argument de l’autonomie de l’usager me semble souvent être un faux-nez ‘facile’ qui excuserait l’absence du bibliothécaire de la scène où se meut le public. Les bibliothécaires universitaires savent pour la plupart que leur service accompagne le travail éducatif bien au-delà de l’offre documentaire, via des formations et des ateliers en ligne ou en présentiel (encore parfois certains incriminent l’absence d’autonomie des étudiants sans mesurer leur propre déficit d’investissement dans cette politique pro-active…).
Les bibliothécaires de lecture publique, quant à eux, doivent faire face à un contexte beaucoup plus diversifié :
–   nombre de leurs utilisateurs sont des élèves ou étudiants dont ils attendent une capacité de recherche inégalement acquise ;
–   mais beaucoup de leurs utilisateurs sont certes savants (ou en voie de l’être) dans un domaine spécifique, tout en se tournant vers la bibliothèque morsqu’ils s’aventurent hors de leur champ de compétence ;
–    le ‘grand public’ avance en ordre dispersé, tantôt demandeur d’autonomie (!!), tantôt en recherche d’assistance personnelle…
L’argument de l’autonomie ne saurait revêtir un caractère universel dans cette diversité.

Comment s’y retrouver ?

Restons dans les bibliothèques publiques. Et restons dans l’autonomie.
Qu’est-ce qu’un usager autonome ? C’est sans aucun doute :
–   une personne qui a accepté les codes sociaux en vigueur dans le lieu…
–   qui se débrouille dans son champ de ‘compétence’ avec les outils dont elle dispose (fournis ou non par la bibliothèque) ;
–    et…. c’est tout !

Autonomie voulue, autonomie subie

Dans les bibliothèques publiques, le seul argument d’autonomie impérative porté à l’encontre des utilisateurs peut être celui lié aux situations éducatives (et encore faut-il accompagner l’injonction des mesures pédagogiques ad hoc). Au-delà, les alternatives sont simples :

–   ou l’utilisateur est expert dans le domaine qui l’intéresse, et il sera vite expert dans la maîtrise des itinéraires utiles (souvent bien plus d’ailleurs que le bibliothécaire) ;
–   ou l’utilisateur est en demande explicite de formation à des outils ou processus de recherche ;
–   ou il faut bien accepter d’aider, encore et encore, d’apporter la réponse,encore et encore…

Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il faut toujours expliquer l’itinéraire de recherche dans les réponses patiemment élaborées ! Quand j’amène ma voiture en panne chez le garagiste, je me fiche de savoir si c’est le delco qui a bousillé le furnibule, je veux qu’elle marche !

Ou alors les bibliothécaires ont tous le rêve secret de disparaître pour laisser la place à des publics devenus bibliothécaires ? Si c’est le cas, nous surestimons notre métier – qui devrait être nécessaire à chacun et non  un  palliatif temporaire d' »inconnaissance passagère » !! – autant que nous le sous-estimons : notre métier est de servir, non de transformer chacun en serviteur de lui-même…

Qu’en pensez-vous ? (la suite plus tard…)

mercredi 21 janvier 2009

Hommage au public inconnu : Publics par destination ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 21 janvier 2009
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Un très intéressant commentaire adressé par un collègue clermontois via un courriel (il estimait son commentaire trop long pour « encombrer » mon blog, – ce texte ne l’aurait pas encombré, au contraire) souligne la dure réalité de l’organisation et de la destination des services dans l’hommage  que je rendais à l’usager inconnu. Avec son accord, vous en retrouverez la teneur, enfin publiée en commentaire du dit billet. Comme je suis le maître de ce blog (hé hé !!), je pense que sa réflexion mérite de poursuivre notre réflexion (ou pour l’instant la mienne)…

Notre collègue met le doigt sur diverses incompatibilités, celle des lieux, celle des flux, celle enfin posées par les tutelles. Dans mon précédent billet, sans doute mû par une passion angéliste, j’avais pris l’exemple d’une bibliothèque municipale largement ouverte à la population par destination. Il est vrai qu’une telle bibliothèque dispose d’une plasticité inouïe : offerte aussi bien aux étudiants qu’aux amateurs, aux flâneurs qu’aux assidus, aux demandeurs d’emploi, étudiants, mères de famille, adolescents turbulents, papis assagis, curieux, …, elle ne peut formuler ses missions – et même ses objectifs – qu’en termes très ambitieux et surtout non exclusifs. Les heurts entre ces divers publics, ou plutôt entre leurs divers besoins et usages, n’en sont pas pour autant faciles à gérer et faire cohabiter, mais au moins le fondement de leur légitimité simultanée peut toujours être affirmée.

La situation de la bibliothèque destinée à un public précis pour un projet précis est vraiment différente : mise à disposition des ingénieurs d’une entreprise, elle doit intégrer dans les pratiques admises celles normalement acceptées par l’univers d’efficacité et d’efficience en vigueur dans l’entreprise ; offerte aux membres d’une université, elle doit conformer ces usages aux objectifs de cette dernière : formation de l’esprit critique, avancement de la recherche, etc. Ce sont là barrières infrangibles, relevant de la fonction même de la communauté au sein de laquelle fonctionne la bibliothèque.

Dans son commentaire, le collègue met le doigt en particulier sur deux questions : la confusion d’objectifs distincts dans une même institution, et la gestion des flux et des cohabitations. On commencera par le second.

La gestion des flux et cohabitations n’est pas que logistique. Elle est aussi pour les divers publics capacité des uns à supporter les pratiques des autres. Au début des années 1990, les chercheurs habitués de la BN s’insurgeaient devant l’ouverture promise, au sein de la future BnF, de ‘leurs’ espaces – et privilèges ? – à de vulgaires pékins (voire à des bébés qui, à en croire Leroy-Ladurie, allaient renverser leurs biberons sur des incunables !!!). On a conclu le débat par la dissociation entre un rez-de-jardin réservé aux personnes habilitées, et un haut-de-jardin ouvert de façon tolérante. Est-ce une réussite ou un échec ? Je n’en sais rien. Toujours est-il que les ségrégationnistes – et je pèse mes mots – ont gagné sur ce dossier.
Cette logique de cloisonnement est toujours à l’œuvre dans nombre de bibliothèques. La générale distinction entre espaces publics enfants et adultes se fonde sur des distinctions pas aussi évidentes qu’on pourrait le croire : la prise en compte malaisée des adolescents y reflète bien l’indécision des attitudes sociales, comme les arguments d’ergonomie de mobilier ou de niveau des lectures masquent également des schémas répulsifs de comportements dissociés (dans les deux sens : les secteurs adultes accueillent difficilement les habitudes enfantines, comme les sections enfants réagissent négativement aux envahissements de leurs espaces par des adultes studieux en quête de places de lecture).

Dans une bibliothèque publique, les bibliothécaires se trouvent toujours à devoir associer des flux de publics distincts et d’usages différents :
– entre différents espaces au sein d’un même établissement ou réseau ; on construit avec les publics une adéquation entre un  lieu spécifique et un cocktail particulier d’usages : la salle dévolue au patrimoine associe sa destination à certains usages, comme celle dévolue aux ateliers numériques à d’autres ; la petite bibliothèque de quartier construit un réseau de sociabilités autre que celui de la grande bibliothèque centrale. C’est un fait…
– entre différents temps au coeur du même espace. Un seul exemple suffira : entré dans une bibliothèque de quartier un jour à 15h, j’y ai trouvé nombre de personnes mûres voire âgées plongées dans les journaux et revues, et livres. Le temps passe, et soudain, aux alentours des 16h30, je vois la plupart de mes lecteurs qui plier son journal, refermer son livre, et se diriger vers la sortie. On fermerait ? Oh que non ! dans le quart d’heure qui suivait arrivaient les élèves et collégiens en sortie d’école qui, tout joyeux, emplissaient l’espace. Cette séparation des publics présente deux caractéristiques : ils partagent un  même service sur des plages différentes (comme la piscine ou le terrain de sport), et le partage s’effectue de leur propre chef.

Notre merveilleuse ambition de partage harmonieux de la connaissance passe, il faut l’accepter, par ces subtils aménagements du rêve avec une réalité plus sectaire moins tolérante qu’on pourrait la vouloir…
Nous n’organisons pas tant l’échange harmonieux que nous essayons de ménager l’espace de leur rencontre pacifiée ou au moins tolérable par les différents publics eux-mêmes.

Compte tenu de cette organisation acrobatique à visée universaliste des bibliothèques publiques, on en vient à imaginer qu’elle peut servir toutes les spécialisations d’usage. Après tout, les étudiants des publics comme les autres, non ? On a ainsi inventé les bibliothèques publiques ET universitaires, comme celles de Clermont-Ferrand ou Valence. Sauf que…

Les bibliothèques publiques s’adressent en effet aux individus d’une collectivité (travailleurs, enfants, mais aussi étudiants, chercheurs, techniciens, etc.), mais… dans le contexte précis de cette collectivité communale. Celui-ci concerne plus la synthèse des besoins du « vivre ensemble » que mille projets spécifiques exigeant chacun des moyens spécifiques pour atteindre leurs buts. Qui va demander à une bibliothèque publique de fournir tous les documents et services utiles à une entreprise de pointe ?
En outre, chaque projet collectif structuré construit sa propre organisation d’information utile. Une entreprise génère sa structure de documentation selon ses objectifs. Et l’entreprise universitaire construit, selon ses propres critères et objectifs, ses structures de formation, ressources, réseaux, etc., utiles à la réalisation de son objet.

Vouloir que la bibliothèque municipale assume les fonctions d’une bibliothèque universitaire, c’est soumettre ses moyens à des formes d’organisation qui ne sont pas nécessairement celles qui conviennent à des demandeurs d’emploi, des retraités ou des amateurs d’éclectisme. Comme le souligne le collègue clermontois, cela suppose une gestion des espaces qui, peu ou prou, conduit à différencier les publics en fonction de leurs usages.

Accueillir tous les publics, ce n’est pas se transformer en établissement multi-spécialisé. Si sans doute une bibliothèque municipale peut apparaitre parfois comme une bibliothèque étudiante, cela n’en fait pas nécessairement une bibliothèque universitaire… Une étude du public étudiant de la BPI montre bien les subtilités de cette distinction.

dimanche 11 janvier 2009

Hommage à l’usager inconnu

Filed under: Non classé — bcalenge @ dimanche 11 janvier 2009
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Pendant la semaine qui sépare Noël du Jour de l’an, la bibliothèque était bondée. Étonnant, non ? En fait, la fermeture hivernale de nombreuses bibliothèques universitaires, à quelques semaines des partiels, expliquait en grande partie cette affluence. Une collègue m’a glissé : « Bon, ils ne s’intéressent pas du tout à nos collections, mais ça fait du monde, et puis ils sont calmes et discrets… ». Au mieux des améliorateurs de statistiques, mais pas des usagers ? Et si on revenait sur ces utilisateurs discrets et méconnus qui ne dérangent pas les étagères, ne font pas la queue au prêt, ne demandent ni photocopie ni prêt entre bibliothèques, ne griffonnent pas les documents voire ne les volent pas, bref ne se préoccupent que modérément ou pas du tout des collections ?

Premier constat : ils sont nombreux, très nombreux, et ce nombre va croissant. On y trouve en vrac :

  • déjà ces élèves ou étudiants qui viennent trouver siège, table, calme, ambiance studieuse, pour réviser leurs fiches de cours, rédiger leurs travaux, seuls ou parfois en petits groupes ;
  • les consulteurs d’Internet, surfeurs plus ou moins passagers, plus ou moins discrets, qui parcourent les jeux, gloussent devant les pages people, font des recherchent approfondies, consultent leur messagerie, osent un regard plus ou moins furtif sur une page porno…;
  • le badaud qui, entre deux courses, vient se réchauffer au café installé en rez-de-chaussée de la bibliothèque (j’y ai même rencontrés deux collègues d’une autre ville, déjeunant là rapidement en attendant leur train) ;
  • le passionné d’événements culturels ou le visiteur de passage qui, par curiosité, flâne devant une exposition ou examine scrupuleusement chaque cartel l’un après l’autre ;
  • les bandes d’amis, ou les amoureux, qui trouvent à la bibliothèque un cadre agréable, discret et gratuit à leur rendez-vous ;
  • le clochard qui a décidé de venir dormir en se réchauffant un peu ;
  • ceux qui – un comble – ont amené leur propre livre pour venir le lire tranquillement dans une chauffeuse ;

Tous ceux-là co-existent avec les utilisateurs directs des collections (consulteurs, emprunteurs) et les internautes qui ont pris rendez-vous à l’espace numérique pour un atelier ou une autoformation (lesquels ne bnégligent d’ailleurs pas toutes les pratiques énumérées…).
Mais nous ne les connaissons pas ou peu, ils sont trop fugitifs… Une étude avait tenté de les cerner ( « Les bibliothèques municipales et leurs publics : Pratiques ordinaire de la culture », BPI, 2001) : ces ‘UNIB’ (Usagers non-inscrits des bibliothèques) étaient d’anciens inscrits, des visiteurs refusant l’inscription, des passagers, parfois des fidèles… Claude Poissenot soulignait que le nombre de leurs visites était moindre, en masse, que celle des inscrits, mais il relevait également que la durée de leur séjour était en moyenne plus long. Toujours est-il qu’à l’échelle d’une population entière, une enquête de la BM de Lyon montrait en 2003, puis en 2006, que le nombre de personnes (15 ans et plus) entrées au cours des six derniers mois au moins une fois dans une bibliothèque de la ville sans y être inscrites, était deux fois supérieur au nombre des personnes décomptées comme inscrites…

Je ne veux pas ici me livrer à une bataille de chiffres, mais m’interroger sur le statut des visiteurs qui ne sont pas directement consommateurs des collections. Quelle « légitimité » accorder à leur présence ?
– Les spectateurs (parfois acteurs) des animations ne sont pas ignorés : on les compte, on sollicite leur opinion. D’aucuns (dont moi-même) pensent d’ailleurs que leur ‘consommation culturelle’ est une forme d’appropriation des savoirs proposés par la bibliothèque…
– Les internautes son eux aussi décomptés (sessions, réservations, etc.), et leur consommation de ressources électroniques, même sur le web généraliste, est de plus en plus considérée comme une forme d’appropriation de l’information ; et si cela se fait à la bibliothèque, tant mieux ! Les bibliothèques américaines s’enorgueillissent de voir des communautés entières envahir leurs espaces pour y consulter Internet…
– Les espaces numériques sont de plus en plus construits comme des lieux – et des services – où il est proposé une facilitation de la population à l’usage des outils numériques d’appropriation de l’information. Ce faisant, on évalue précisément leur usage, et l’activité qu’ils développent apparait de plus en plus comme la version contemporaine de la « formation des usagers » maintenant essentiellement tournée vers la maîtrise de cet univers…
Tous ceux-là, on peut les compter !! De plus à chaque fois – évolution intéressante dans les pratiques de notre métier -, on ne se cantonne plus à l’usage des collections matérielles, mais on vérifie le rapport des usagers à l’information, au savoir.

Restent les autres : les occupants du lieu sans autre objectif que le lieu, son confort, la présence discrète ou non des autres, l’ombre des collections. Ne pas lire un titre des collections, ne pas avoir recours à un agent de la bibliothèque, ne pas admirer l’animation proposée, …, bref ne vaquer qu’à ses propres affaires, solitaire ou avec d’autres, est-ce un dommage collatéral dans ce lieu public qu’est la bibliothèque ?
Ou bien n’est-ce pas la manifestation de la familiarité de cette dernière avec leurs points de repères rassurants ? La certitude du calme, de la place laissée à chacun, sans sollicitation importune, sans règle autre que celle de la tolérance et de l’absence de gêne réciproque (sans oublier l’ambiance studieuse laissant libre cours à ses propres travaux) ?
Bref, cette présence presque incongrue n’est-elle pas à bénir, comme signe de la réussite d’une institution à réaliser l’accomplissement – certes localisé et toujours fragile – du lien social, son objectif majeur ?

Qu’en pensez-vous ?

vendredi 9 janvier 2009

Editeurs (et bibliothécaires) face au numérique

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 9 janvier 2009
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Même si d’augustes haruspices prédisent ici la fin du livre, là l’éclosion de nouvelles formes de lecture (y compris des lectures de textes sur écran), enfin la ré-émergence du livre à travers des tablettes, je ne me sens pas d’humeur à la futurologie. Trois points m’intéressent, ce qui est produit, les usages qu’on a pu constater auprès de la population, et le service qu’on peut construire avec tout cela.

Sur la production, il y a peu à dire. Longtemps, les éditeurs ont été les têtes chercheuses de l’innovation dans les contenus, même si un Proust a du batailler pour se voir publier. Ils ont été références autant que filtres, et cela a plutôt été bénéfique pendant des décennies voire des siècles. On a l’impression aujourd’hui que la question des contenus les intéresse beaucoup moins, en les voyant investir le marché numérique dans un esprit soit très protectionniste (DRM, formats dédiés, déni de négociation avec d’autres acteurs adeptes de modèles économiques fondés sur l’accès à des corpus plutôt que sur la vente de supports), soit innovants à tout crin ou plutôt enfourchant toute opportunité de monnayer leurs contenus à travers des alimenteurs de liseuses ou iPods. Dieu merci, il reste des éditeurs dignes de ce nom mais, même si nombre de producteurs ont plusieurs cordes à leur arc, peut-on décemment conserver la même appellation pour ces différentes postures ? Produire de l’information publiée, c’est tout autant mettre en ligne un  texte libre de droits que tenir un carnet intime sur Internet ou qu’emballer en PDF un roman conçu par son auteur pour être un livre imprimé et feuilletable… Novovision prédit volontiers la fin des journalistes, anciens porteurs de la réalité cachée, mais il pourrait tout autant prédire la fin des éditeurs, ces autres ‘dénicheurs-filtres-metteurs en forme’ !
Dans ce contexte, la production de livres imprimés (je n’ose dire l’édition) est folle, essayant de se mettre au diapason de l’abondance d’information offerte au citoyen connecté : un collègue me disait que l’office sélectif de la rentrée 2009 (sur moins d’un mois) pour le seul secteur des sciences humaines comportait plus de 1 000 titres ! Bonjour les forêts. Bonjour notre capacité de sélection !

En ce qui concerne les usages, demain, en plus des livres (qui survivront largement, si, si, notamment avec toutes les oeuvres de création adaptées à celui-ci !), nous allons avoir affaire à des péta-octets de données numérisées pour lesquelles l’accès se fera majoritairement à travers des moteurs de recherche de plus en plus perfectionnés. Seulement – vous avez remarqué ? – ces moteurs fonctionnent selon des algorithmes certes sophistiqués mais qui se contentent de renvoyer une succession de résultats indépendants, même si certains tentent des associations (comme Kartoo, que j’aime bien pour son concept… mais dont évidemment je ne me sers jamais dans une recherche non ludique…). Le seul itinéraire possible est guidé par les liens hypertexte présents dans les pages de résultats… Ce n’est pas mince, mais l’errance est ralentie à proportion de la masse de ces résultats… et de l’algorithme de pertinence adopté par le moteur.

Passons aux bibliothécaires. La façon dont les éditeurs abordent ce nouvel univers montre leur réticence à abandonner leur modèle économique : leur domaine est toujours celui de l’imprimé. Ce n’est pas nécessairement aberrant, mais le problème des bibliothèques n’est pas seulement le même. Je refuse et j’ai toujours refusé l’idée largement répandue selon laquelle bibliothèques et éditeurs seraient unies par un lien fusionnel dans une mythique chaine du livre. Les évolutions contemporaines me confortent dans ce jugement : non, Kindle ne m’intéressera pas parce qu’un jour Gallimard décidera de vendre ses livres via ce support. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui peut informer, émouvoir, former, passionner, interloquer la population  dont « j' »ai la charge.  Pour cela, je puise dans les réservoirs d’information afin de les transformer en opportunités de connaissance. En 2009, je dispose des éditeurs – sans aucun doute-, et ils restent inestimables pour les livres, mais je dispose aussi du flux d’Internet : et face à ce dernier, ne sommes-nous pas, nous aussi, dans une position d’éditeur, donc en définitif de sélectionneur, de filtre, de promoteur ?

(Parenthèse : dans ce contexte le rattachement aux « métiers du livre » des formations aux métiers des bibliothèques me parait nuisible ; on devrait former aux métiers de l’information, ou plutôt aux métiers de la transmission de la connaissance, comme en Suisse ou au Québec qui associent documentalistes, archivistes, bibliothécaires…. J’y reviendrai)

Dernier point que je livre à votre réflexion : certes, l’éditeur ne se contente pas de filtrer et de promouvoir, il met en forme, corrige, inscrit l’oeuvre dans un contexte éditorial donné. Mais le bibliothécaire peut-il se contenter de « donner accès à Internet » ? Ce flux indistinct et passionnant disponible sur le web, il va bien falloir lui donner du sens, lui construire des ‘corpus de connaissances’ là où les moteurs se contentent de fournir des apparentements statistiques. Et là nous allons inventer une nouvelle face de notre métier : mettre en forme des données électroniques ou numérisées, associer des partenaires à leur enrichissement, inventer – en même temps qu’avec les imprimés dont nous disposons -… de nouvelles politiques documentaires en même temps qu’on proposera peut-être de nouvelles collections… virtuelles.

Un travail de bibliothécaire-éditeur ?

dimanche 4 janvier 2009

Du savoir inscrit au savoir construit

Filed under: Non classé — bcalenge @ dimanche 4 janvier 2009
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Les débats sur le choix de la numérisation des livres via des solutions concurrentes (ou parallèles) comme Hathi Trust, Google search books ou la BNUE s’égare volontiers dans les délires : soupçons d’hégémonie économique ou industrielle, jalousies nationales, anathèmes technologiques, damnations taxonomiques, etc. J’en ai déjà parlé lors d’un précédent billet.

Si notre rôle est de transmettre les richesses de nos rayonnages, il faut alors faire feu de tout bois, et recourir sans doute à la multitude des outils cités comme à bien d’autres outils : expositions, conférences, appareil éducatif, formation professionnelle, que sais-je encore ? Les bibliothèques sont un chainon dans cette suite de nécessités, dans laquelle la patrimonialité des données n’est pas l’élément le plus important (d’ailleurs, n’oublions jamais que nous ne sommes que des dépositaires et non des possédants : aucun des livres ou disques « vivants » que nous diffusons ne nous appartient -sauf le papier assemblé ou la galette de plastique), mais plutôt l’appropriation.

Ceci dit, les richesses documentaires des bibliothèques, pour les plus patrimoniales d’entre elles, appellent d’autres fonctions. Les rapports de voyage d’un botaniste du XVIIIe siècle n’appelleront pas sans doute l’intérêt du grand public, ni le terrier d’un domaine médiéval (sauf hasard…). L’essentiel de nos richesses patrimoniales, même et surtout libres de droits,  n’est pas appelée à connaître les « joies » (?) de la célébrité people, mais à faire avancer la connaissance. Qu’attend-on d’elles ?

On en attend de nouvelles productions positives pour l’époque contemporaine, telles des « nains sur les épaules des géants ». Autour de ces productions aujourd’hui numérisées, quelles forces est-on capable de mobiliser ? Ces forces existent non dans les bibliothèques elles-mêmes mais dans la ‘population’ concernée (équipes de chercheurs, généalogistes, amateurs, sociétés savantes, individus exigeants,…). Via les différents réservoirs existants (et pourvu qu’on dispose d’un minimum de droits d’exploitation de leurs contenus), il est possible de mobiliser des projets de construction de nouveaux savoirs diffusés : qu’il s’agisse d’équipes de recherche autour d’un corpus ancien, de généalogistes associés à des archivistes ( par exemple ici ), ou plus ‘simplement’ de recueils de témoignages et points de vue comme ici.

Posséder les écrits des ‘géants’ (disposer de leur patrimoine matériel – leurs traces, en quelque sorte), c’est une chose. Faire grandir de nouveaux géants avec les générations nouvelles que nous servons aujourd’hui, c’en est une autre. Les bibliothèques ont longtemps été le réservoir des richesses du passé, et c’est très bien ainsi. Mais ne doivent-elles leur valeur sociale qu’à leur vertu conservatoire ? Elles peuvent participer à la construction du savoir collectif d’aujourd’hui, non dans le seul cénacle des savants, mais dans la société entière. Un mien collègue, expert reconnu en ces documents anciens, est fascinant de ce point de vue : toujours prêt à illustrer ludiquement la plus improbable des animations enfantines, à mettre en perspective un fait d’actualité en apportant un témoignage ‘décalé’ et pourtant si significatif !

Le patrimoine, c’est la vie. Si nous n’en sommes pas convaincus, nous autres bibliothécaires, nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis.
Et ce patrimoine, c’est un tout, pas seulement le lieu bibliothèque (même s’il est majeur). Avant même la constitution des collections, vis-à-vis desquelles les ressources numériques nous taillent de grandissantes croupières, la bibliothèque me parait devoir être le lieu public fiable de mise en débat et en perspective du savoir d’une communauté, bref de construction collective d’une nouvelle dimension de connaissance, du patrimoine de demain.

« Des nains sur des épaules de géants »… mais peut-être, grâce à nos efforts, des nains élevés plus haut que leurs prédecesseurs en ayant assimilé leur force…

Que cette année 2009 vous soit propice ! smileys Forum

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