Bertrand Calenge : carnet de notes

vendredi 2 octobre 2009

Statut, métier, et profil de poste

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 2 octobre 2009
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Olivier Tacheau, revenant sur son billet à l’occasion du mien et des commentaires associés, continue de s’interroger sur la question de la position des magasiniers et adjoints du patrimoine – et plus généralement des agents de catégorie C – en relevant que les réponses doivent passer par

l’action concrète, distincte et contextuelle et non dans le souhait de changements structurels générauxeux qui ne viendront pas (passer tous les C en B, modifier les grilles d’avancement, augmenter les salaires,…)

Je passe sur les autres considérations, et voudrais poursuivre ici  sur ce point particulier – c’est rigolo, ces dialogues par blogs interposés, qui donnent du corps aux itérations de l’hypertexte… et le tournis aux lecteurs ! smileys Forum– .

Résumé des épisodes précédents : dans un environnement qui professionnalise de plus en plus les acteurs, il reste une catégorie générique (C) dont le statut est tellement flou (reportez-vous aux billets d’Olivier et de moi-même) qu’aucun métier n’arrive à en définir des objectifs et des compétences, et à en organiser la reconnaissance. Je constate que les réalités concrètes des établissements fera fonctionnellement obstacle à une définition de métiers des adjoints du patrimoine (ou des magasiniers…), et Olivier encourage à conduire la réflexion au sein des établissements eux-mêmes sans attendre ou redouter une évolution des statuts. Fin du résumé.

J’ai un peu l’impression que la différence entre SCD et BM (pour parler vite, en fait c’est peut-être une différence entre établissements d’enseignement supérieur et collectivités territoriales) tient surtout à la place du statut dans la définition du métier.

Dans les SCD, le statut est roi. Cela n’empêche pas que l’application effective et concrète de celui-ci (dans le contexte d’un établissement donné) puisse connaitre des biais importants : j’ai encore en mémoire la façon méprisante de traiter les bibliothécaires d’État lors de leur émergence dans nombre d’établissements au cours des années 1990, alors que leur statut les garantissait comme cadres : ici considérés comme  BAS surqualifiés, là qualifiés de A- (oui :  « A-moins »,smileys Forum vous avez bien lu !!). J’ai cru comprendre que leurs compétences en matière de gestion de projet et de management d’équipes au public avait fini par les faire reconnaître : c’est vrai ? Dites-moi que tout roule aujourd’hui, s’il vous plait !!!

Dans les bibliothèques territoriales se déroule un autre processus pas inintéressant. Certes, le statut est là, et sert de fondement aux fonctions sur lesquelles la hiérarchie est susceptible  de réclamer compétences et efficacité. Mais s’introduit progressivement l’idée – au moins dans les plus importantes collectivités – que le statut n’est qu’un cadre générique, ou pour parler FPT une filière. Cadre certes prescriptif, mais non définition de métier.

Et certaines collectivités se hasardent à aller plus loin que le statut (général) et le profil de poste (adéquat à un poste particulier dans une fonction particulière), le second devant évidemment être compatible avec le premier. Et on s’oriente parfois vers ce que je n’hésiterai pas à appeler un « profil de métier » (même s’il porte rarement ce nom). Quid est ?

Un profil de métier définit un ensemble de missions et de compétences dans un environnement donné, précisant un statut et – autant que possible – prévoyant une possibilité d’évolution de carrière au sein du même métier et de la même filière.

Ca vous parait fumeux ? Alors un exemple avec une filière de plus en plus présente en BM sans être la filière culturelle : la filière animation.  A quoi servent les adjoints d’animation (catégorie C) et les animateurs (catégorie B) dans une BM ? Trois axes (au moins) peuvent être dégagés :
– les animateurs purs et durs : spécialisés dans les expositions, les événements culturels, etc., tant dans leur réalisation que dans leur montage matériel ;
– les animateurs numériques ou multimédias : chargés de gérer la pédagogie du numérique auprès des publics ou les ateliers de création à l’aide de cet outil ;
– les médiateurs socio-culturels : chargés de gérer les conflits, de nouer des contacts avec les acteurs sociaux et culturels du territoire, d’explorer le ‘hors les murs’.

Dans les trois axes, on parle toujours de la filière animation, et pour la plupart de la catégorie C.  Mais en construisant des profils de métier, réclamant des compétences distinctes, on définit des fonctions, on articule leur action avec les autres agents de façon positive et complémentaire, on élabore un référentiel de compétences, on peut construire des programmes de formation ad hoc. Ce qui n’empêche pas par ailleurs de définir des profils de poste insistant davantage sur tel ou tel aspect du métier identifié, dès lors qu’il s’agit de recruter, mais toujours en respect de ce profil de métier.

Cela se fait bien sûr à condition de disposer d’un nombre d’agents suffisants, et bien sûr en conformité avec le cadre fixé par les statuts (et on ne va pas inventer de nouveaux statuts pour autant !). Mais on construit des métiers (et des professionnels) sans compter sur les statuts pour les définir – ce n’est pas la fonction des statuts – ni sur la seule bonne volonté des établissements dans leur cuisine interne, pour les voir reconnus au niveau d’une ville  (voire de plusieurs, on peut rêver !).

Alors ma question reste pendante : quid du ou des métiers des adjoints du patrimoine, ou des magasiniers ? smileys Forum

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samedi 26 septembre 2009

Adjoint du patrimoine : un statut, mais quel métier ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 26 septembre 2009
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Un tout récent billet d’Olivier Tacheau sur les magasiniers des bibliothèques universitaires m’a vivement intéressé, et je salue son auteur pour la pertinence des questions qu’il pose. Des questions, mais pas vraiment des réponses, car l’organisation des établissements comme de l’architecture de la fonction publique ne facilite guère la résolution des contradictions qu’il pointe. Ce billet me conduit à vouloir réaliser le même exercice sur des agents territoriaux des bibliothèques publiques dont le statut est fort proche de celui des magasiniers relevant de la FP de l’État, mais le travail souvent très différent.

Quelles sont les fonctions confiées aux adjoints du patrimoine dans les bibliothèques publiques ?

Les bibliothèques publiques fonctionnent souvent avec les moyens du bord. Normalement, le personnel devrait être structuré, hiérarchisé, et les statuts des agents correspondre au niveau des tâches et responsabilités à accomplir. Je mets au défi quiconque de me montrer une telle bibliothèque.    Et d’une certaine façon c’est heureux, ou alors ce serait considérer les fonctionnaires comme des robots mono-tâche !
En fait ( et ouvrez grand vos yeux, chers collègues des universités), un adjoint du patrimoine peut être affecté à toutes sortes de responsabilités en fonction de ses compétences personnelles, et surtout des impératifs contraints d’organisation de l’établissement. Ici il assure essentiellement des tâches de magasinage, de communication et de prêt-retour, mais là plus l’équipe est restreinte et plus souvent il se voit confier la charge d’un secteur documentaire, le renseignement à l’usager, la formation de ceux-ci, etc. J’en connais même qui dirigent des services d’une dizaine de personnes !
Certes, il faut faire feu de tout bois, et cette diversité de situations responsabilisantes permet à la fois de ne pas méconnaître les compétences cachées des personnes et leurs appétences affirmées, tout en étant souvent bénéfique à la qualité des services rendus. Mais la situation pose deux problèmes majeurs : les compétences, lorsqu’elles existent et sont réelles, sont exploitées pour un salaire de misère (le salaire de l’implication personnelle et de la reconnaissance de la hiérarchie ne font pas bouillir la marmite !!) – voir cette petite annonce au hasard -, et la pression conjoncturelle conduit parfois à confier des responsabilités intellectuelles et organisationnelles à certains agents peu armés pour les assurer, tant du point de vue du statut que de la reconnaissance par leurs collègues.

Quels changements fonctionnels à l’œuvre ?

Cette situation de bricolage bidouilleur a de plus en plus de mal à tenir devant les évolutions tant des recrutements que des exigences et évolutions de la fonction publique, et des fonctions occupées au sein des bibliothèques.
Effectivement, le niveau scolaire des recrutements des agents de catégorie C s’élève, même si c’est plus inégal qu’en BU et que la capacité d’initiative et d’innovation ne se juge pas seulement à l’aune du dernier diplôme obtenu (le maigre état d’avancement de la VAE dans les faits plaide pour le recours à des solutions alternatives). Mais deux phénomènes perturbateurs sont à l’œuvre :
– d’un côté, la faible adéquation des épreuves de nombre de concours avec les responsabilités effectives des postes offerts conduit  , si on veut se passer de contractuels, soit à recruter des agents non compétents (essayez de trouver un bon webmestre parmi les lauréats des concours de la filière technique – ou de tout autre concours : vous avez vu les spécialités ?!), soit à détourner des compétences hors de celles définies de leur statut initial (à mon avis, le bibliothécaire touche-à-tout entre dans cette catégorie : il peut être tour à tour médiateur social, informaticien, etc. – mais bon, c’est aussi un autre débat de revendication de territoire – ). Sans compter que les collectivités territoriales, plutôt que de recruter sur métier, préfèrent la souplesse d’un recrutement sur filière, moins attaché à une fonction précise et donc plus « transférable ». Et on ne peut pas vraiment leur jeter la pierre, car les fonctions et actions de la bibliothèque sont en pleine mutation : les modalités d’accueil évoluent rapidement, l’assistance aux publics devient protéiforme, les missions de la bibliothèque envahissent tant le champ social que celui de la diversité des modes de connaissance, de nouveaux services et de nouvelles fonctions apparaissent tous les jours, sans que les statuts ad hoc existent. D’autant que les niveaux de recrutement des agents deviennent très stricts dès la catégorie B : un exemple au hasard, essayez de recruter un animateur – catégorie B – pour assurer des fonctions d’animateur numérique d’un espace multimédia ! Vous opterez vite pour n’importe quel autre filière ou statut en vue de faire un recrutement ad hominem… souvent de catégorie C.

La question de l’automatisation des prêts-retours

Cette évolution des établissements comme des métiers ne peut faire oublier qu’il demeure dans les BM d’importantes tâches qu’une BU affecterait aux magasiniers : le prêt-retour, la surveillance (en termes aussi de médiation sociale !), le rangement des documents, leur préparation et leur entretien, etc.
Olivier Tacheau pose la question de l’impact du prêt-retour sur les agents habituellement chargés de cette fonction, donc dans son cas les magasiniers. Et il insiste sur la notion de travail posté que ces fonctions représentent vis-à-vis du public. Mais depuis  mon poste en bibliothèque municipale la question est beaucoup plus subtile : certes, des automates de prêt et de retour rendent inutiles nombre des fonctions postées à cet effet (et c’est heureux tant pour le public que pour les agents ainsi postés), mais ils rendent plus stressantes les activités de back-office, et notamment le rangement des documents (qui lui n’est pas automatisé), devenu d’autant plus pénible qu’il n’est pas corrélé aux échanges humains connus jusque-là lors des opérations de prêt et de retour.
Loin de moi la pensée de critiquer l’introduction de tels automates, qui faciliteront la vie des emprunteurs. C’est une très bonne idée, mais cette introduction de la rationalité dans un univers volontiers régi par la débrouillardise et le recours à tout un chacun conduit nécessairement à une meilleure définition des emplois : si les fonctions opérationnelles  sont dissociées et rationalisées, on ne peut plus prétendre faire faire tout et n’importe quoi à n’importe qui dans le bordel ambiant. Sans vouloir requérir une rationalisation excessive (c’est bon de laisser leur place aux dérives !), il faut abandonner l’improvisation sympathique.

Une nouvelle architecture des métiers ?

L’activité des bibliothèques municipales ne ressemble guère à celle des bibliothèques universitaires. Elles connaissent toujours un afflux massif d’emprunteurs, et il faut bien à Lyon toujours ranger les quelques 3,6 millions de documents empruntés chaque année, sans parler de l’envoi des lettres de rappel, des refoulements en magasins, des transferts de retours entre sites (plus d’un demi-million de documents par année), etc. Les bibliothèques municipales ont besoin de manutention.
L’automatisation permettra de gérer les files d’attente des usagers, mais aucune des tâches énumérées ci-dessus. La différence, c’est que ces tâches s’effectueront en total back-office. Certes, il faudra bien aujourd’hui faire appel à différentes catégories de personnel pour les accomplir, mais il faudra aussi imaginer une architecture des emplois plus adaptée à la réalité des charges de travail et compétences requises.
Si les bibliothécaires s’orienteront toujours plus vers la gestion des contenus au service des publics, il faudra bien qu’ils laissent leur place dans la bibliothèque aux logisticiens, informaticiens, gestionnaires administratifs, médiateurs sociaux, enseignants, etc.  Je sais fort bien que les bibliothèques, comme les autres services municipaux, s’ingénieront toujours à jongler, en fonction des besoins du moment, entre compétences personnelles des agents, statuts et organigrammes. Mais l’introduction de la technologie des automates dans ce joyeux foutoir des compétences risque bien de recadrer un peu le débat, et enfin d’offrir aux adjoints du patrimoine l’opportunité d’une fonction mieux définie.

Adjoint du patrimoine : un métier ?

Car ces adjoints du patrimoine appartiennent à la filière culturelle commune à tous les métiers du patrimoine et des bibliothèques. Comme tels, on ne peut revendiquer pour eux une extériorité à laquelle pourrait prétendre un informaticien ou un attaché. La question est donc : dans l’architecture des métiers (car il faut bien chercher le métier sous le statut) au sein desquels est inscrit l’adjoint du patrimoine, quelle est sa fonction spécifique dans la bibliothèque ?
Les textes actuels sont elliptiques :

« Les adjoints territoriaux du patrimoine de 2e classe peuvent occuper un emploi […] de magasinier de bibliothèques ; en cette qualité, ils sont chargés de participer à la mise en place et au classement des collections et d’assurer leur équipement, leur entretien matériel ainsi que celui des rayonnages ; ils effectuent les tâches de manutention nécessaires à l’exécution du service et veillent à la sécurité des personnes ;  […] Lorsqu’ils sont affectés dans les bibliothèques, ils sont particulièrement chargés de fonctions d’aide à l’animation, d’accueil du public et notamment des enfants, et de promotion de la lecture publique. Ils participent à la sauvegarde, à la mise en place et à la diffusion des documents. Ils assurent les travaux administratifs courants. »

Bref, comme vous l’aurez remarqué au travers de cette description de mission, ils sont chargés de tout, sauf du pilotage des services et des contenus documentaires.  Et quand je dis de tout, c’est vraiment tout ! Notez la dernière phrase (« Ils assurent les travaux administratifs courants « ) : étonnant, comme cela ressemble aux fonctions des adjoints administratifs !    Passons sur les actions d’animation (bonjour la filière du même nom), et je ne résiste pas au pervers plaisir de vous donner en comparaison un extrait des statuts de l’adjoint technique des établissements d’enseignement :

« Ils sont chargés des tâches nécessaires au fonctionnement des services matériels des établissements d’enseignement, principalement dans les domaines de l’accueil, de l’entretien des espaces verts, de l’hébergement, de l’hygiène, de la maintenance mobilière et immobilière, de la restauration et des transports.
Ils peuvent exercer leurs fonctions dans les spécialités professionnelles suivantes : accueil, agencement intérieur, conduite et mécanique automobiles, équipements bureautiques et audiovisuels, espaces verts et installations sportives, installations électriques, sanitaires et thermiques, lingerie, magasinage des ateliers, revêtements et finitions, restauration. »

Une conclusion s’impose : l’agent de catégorie C est multi-employable, pour les différents statuts de la fonction publique seul le lieu d’exercice de son activité varie. Pouvons-nous continuer longtemps ainsi ? Il est clair que les bibliothèques, progrès technique ou pas,  auront toujours plus besoin de forces humaines spécifiquement dédiées à la manutention, à la régulation, à l’entretien matériel, à un accueil et une facilitation d’usage non marquée documentairement. Toutes tâches et responsabilités fonctionnellement peu identifiées professionnellement. Alors restent trois solutions :

  • Externaliser : nombre de bibliothèques connaissent ces vacataires, moniteurs et autres saisonniers recrutés sur contrats précaires pour pallier à la fois aux moments de pression, et – il faut l’avouer – pour dégager de l’emploi du temps les charges ingrates permanentes. Lorsque la pression est saisonnière, c’est compréhensible – et utile par exemple aux étudiants qui peuvent gagner de l’argent pendant leurs études, rarement de bibliothéconomie ! – ;  mais lorsque ce recours devient systématique ?
  • Poursuivre l’approximation : on continue la bidouille, on donne un secteur documentaire à un adjoint du patrimoine qu’on aime bien et qui ne se débrouille pas trop mal, sans guère d’espoir de progression de carrière et surtout de revenus, tout en laissant un autre contraint à des tâches ingrates tout en ayant le même statut : on risque à terme et l’explosion sociale, et l’écœurement des bibliothécaires qualifiés, et l’approximation professionnelle dans le service, et la rancune de l’agent ainsi responsabilisé lorsqu’il revoit la maigreur de sa feuille de paye…
  • S’interroger non sur le statut de l’adjoint du patrimoine, mais sur son métier : il n’est pas censé gérer des contenus, ni avoir des talents informatiques, ni apporter des conseils documentaires ? Soit, mais on sait ce qu’on attend essentiellement de son travail concret. Peut-on définir cette spécificité ?

Les premiers obstacles à la définition d’un métier d’adjoint du patrimoine sont en définitive les professionnels recruteurs : ce recrutement s’effectuant sans concours, il permet seulement d’affecter un pion dans un case vide, dût cette case requérir un agent disposant d’une qualification effective, au mépris de l’évaluation des dites compétences comme de la rémunération et de la reconnaissance sociale de l’agent.

Au fond, je crains qu’on ne puisse pas reconnaitre un jour un métier d’adjoint du patrimoine, non parce que ce serait conceptuellement impossible (on pourrait en effet imaginer un mix entre les fonctions internes de manutention et de recadrage et des fonctions au public d’accueil et d’accompagnement -ne serait-ce qu’à la manipulation des automates et autres outils mis à disposition des usagers, le tout appuyé sur des formations ad hoc), mais parce que la réalité du fonctionnement des BM en gêne considérablement la réalisation concrète dans la plupart des cas. Ces collègues, errant dans un no man’s land professionnel après un recrutement à la tête du client, s’exténuent ou « s’éclatent » selon l’opportunité de l’emploi qu’ils occupent au gré de leurs changements d’affectation, et restent fonctionnellement en espérance d’un autre concours ou emploi qui, enfin, leur donnerait accès à une sphère réellement professionnelle.

mardi 22 septembre 2009

Métiers du livre ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 22 septembre 2009
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Il y a quelque temps, je signalais dans un billet ma perplexité quant à la tenace persistance de l’inscription du métier de bibliothécaire dans les métiers du livre, perplexité confortée par la persistance des pouvoirs publics à inscrire les bibliothèques exclusivement dans la chaine du livre. Pour prolonger diverses réflexions que je sais partagées, j’aimerais revenir sur les raisons et l’impact de ce cousinage volontiers exclusif… Un premier billet (apéritif ?) sur les évolutions des compétences, formations et métier(s ?) de bibliothécaire

Que les bibliothèques aient partie liée avec le livre, ce serait saugrenu de le nier : les livres constituent toujours la majeure partie des collections et, au moins pour les bibliothèques publiques, des acquisitions ; le support majeur de l’argumentation critique et du discours construit demeure le livre ; la trace mémorielle du savoir reste encore le livre ; et nos publics, même amateurs d’autres supports et vecteurs d’information, sont loin d’avoir abandonné ce support, tant symboliquement que quotidiennement. Quant aux bibliothécaires, ils doivent l’origine de leur existence et de leur reconnaissance à la gestion experte de ces livres accumulés.

Mais cette proposition volontiers volontiers ‘bibliocentrée’ pose aujourd’hui quelques problèmes majeurs :

Du poids du livre dans les modèles de gestion

Pour les bibliothèques publiques au moins, le succès des disques et DVD (voire des ressources en ligne ou de la navigation sur Internet) ne peut manquer ne poser la question de la cohérence de la gestion : face à la diversité des supports et usages, les bibliothécaires affrontent une double proposition :

Soit gérer techniquement toutes les ressources à l’aune des méthodes éprouvées pour les livres  :  par exemple – heureusement périmé – cataloguer les sites web ; ou encore, dans un secteur défini par les livres d’une discipline,  cantonner l’accès à Internet aux seuls sites web portant sur cette discipline ;
Soit, une fois admise la diversité des supports, découper la bibliothèques en unités autonomes de supports distincts, qui chacune poseront leurs propres règles d’acquisition, de traitement, d’usage et de médiation adaptés aux supports, y compris dans des espaces partagés par plusieurs supports. Un exemple au hasard : un espace musique proposant côte à côte les disques selon la PCDM et les livres selon la classification Dewey ! Bref, un autre moyen de cantonner le livre et par là même chacun des supports concernés.
Et ce ne sont que quelques exemples…

Pouvoirs publics et complexité des bibliothèques

Jusque-là, on ne relève que des perplexités de gestion. mais les césures sont plus profondes : les pouvoirs publics, par leur organisation ou leur action, cantonnent les bibliothèques (publiques) au livre. Volontairement ou par facilité, je l’ignore, même si je penche pour le second terme de l’alternative. Commençons par le sommet : la Direction du livre et de la lecture (avant de devenir bientôt Service du livre et de la lecture) a toujours considéré que son champ s’inscrivait prioritairement sur la chaine du livre : la tutelle sur les bibliothèques territoriales, la BnF et la BPI, a été comprise sous l’angle de ce seul périmètre. Nulle place pour des politiques affirmées de soutien à la diffusion de musique ou de cinéma de fiction dans les bibliothèques. Selon les partitions administratives, ç’aurait été le rôle d’un CNC ou de la DMD… qui renvoyaient généralement – les exceptions sont rares – au département tutelle des établissements, donc la DLL…  Seuls  quelques énergumènes tenaces, appuyés sur la BPI , ont réussi à développer la reconnaissance par la DLL du cinéma documentaire, niche peu couverte par d’autres départements ministériels.
Je ne prétends aucunement que les acteurs de la DLL aient méprisé les résultats des activités extra-livresques des bibliothèques, au contraire : mais tous les programmes de soutien documentaire de la DLL n’ont jamais concerné prioritairement que les livres -le patrimoine pouvant bénéficier d’une acception étendue -.

Autre exemple de cette politique orientée : les conseillers en charge des bibliothèques publiques auprès des DRAC sont « conseillers au livre et à la lecture », et doivent traiter dans un même élan les questions relatives aux auteurs (de livres), aux éditeurs (de livres), aux libraires et aux bibliothèques. Point final.

Conséquence de ce cantonnement de l’administration de l’État : pour beaucoup de citoyens, et encore plus d’élus (voire parfois de bibliothécaires !), les « nouveaux » supports présentent sans nul doute une attraction d’usage, mais sans que la bibliothèque leur apparaisse comme le gisement naturel de ces ressources. J’ai encore en mémoire l’article de journal (de ce siècle !) où une collègue directrice de médiathèque affirmait sans sourciller que le succès des disques et DVD était intéressant, dans la mesure où ils pouvaient permettre de « faire passer » ces nouveaux publics… vers le livre !
La plupart des collectivités territoriales ont volontiers considéré que pour les bibliothèques ce qui n’était pas livre n’était que supplément d’âme. Je n’en veux pour preuve que nombre de grilles de tarification des inscriptions : il arrive souvent que l’emprunt des livres soit gratuit ou au moins peu coûteux, mais il est très fréquent que les tarifs d’abonnement pour les disques ou DVD imposent une inscription spécifique ou génèrent un surcoût pour le citoyen. Comme si le livre allait (presque) de soi, mais pas la musique ni les films (le statut d’Internet étant plus complexe et rapidement évolutif).

Pourtant, la formation a beaucoup évolué, si l’on se réfère aux seuls diplômes requis pour exercer dans la filière bibliothèque des fonctions publiques. Je ne parle pas des conservateurs (ceux-ci ne doivent posséder aucun diplôme spécifique, hélas), ni des bibliothécaires (encore plus dépourvus, du moins dans les bibliothèques territoriales, puisque privés et d’un diplôme spécifique et d’une formation initiale), mais des assistants qualifiés de conservation du patrimoine et des bibliothèques (ouf ! disons les AQCPB), dont l’équivalent à l’État sont les bibliothécaires-adjoints spécialisés : eux doivent, pour concourir, posséder un des diplômes d’une liste beaucoup plus riche dans ses libellés que les seuls Métiers du Livre.

Un bilan avantages-inconvénients ?

Alors, avant d’oser des hypothèses sur les évolutions du rapport de notre métier au livre (et aux autres métiers gravitant autour du livre), récapitulons avantages et inconvénients de cette accointance généalogique autant que fortement incarnée administrativement, dans les pratiques et imaginaires professionnels,  et dans nos rapports aux citoyens :

  • Avantages
  1. Une identification sociale immédiate (celui qui s’occupe des livres dans une collectivité) apportant une légitimité construite sur la valeur culturelle et patrimoniale du livre ;
  2. Des acquis techniques dans la manipulation de l’information et dans la mise en ordre du savoir, fort utiles au-delà de l’imprimé ;
  3. Une conscience aiguë  de la double valeur du savoir comme objet de mémoire et comme objet d’usages très variés, d’où une duplicité qui constitue un atout dès qu’on aborde les rivages mouvants de la valeur sociale et culturelle des informations sous toutes leurs formes.
  4. une expertise certaine dans la conservation des imprimés et en particulier des codex, mais également des manuscrits, ces « matrices » des imprimés.
  • Inconvénients
  1. Une focalisation volontiers exclusive sur l’imprimé (voire vers la seule monographie) dès qu’il s’agit de collections et pire dès qu’il s’agit d’apporter une information pertinente à un usager en recherche de renseignements ;
  2. Une révérence tacite envers l’éditeur comme garant de la « parole valide » – plaisanterie lorsqu’on connait la diversité du milieu éditorial – et par conséquent faible capacité à exercer un jugement discriminant en dehors du cadre des œuvres éditées (que faire des informations sur Internet, des musiques auto-diffusées, etc. ?)  ;
  3. un détournement vers la gestion privilégiée du livre tant dans les modes d’accès à la mémoire documentaire que dans les pratiques de gestion des autres contextes de traitement documentaire, provoquant une incapacité au rapprochement effectif des bibliothécaires avec les archivistes et les documentalistes, ne serait-ce qu’au niveau des formations (cousinage pourtant effectif dans bien d’autres pays : Québec, Suisse, etc.) ;
  4. Absence de prise en compte au niveau législatif (voire local) de la vocation des bibliothèques à garantir une information publique dans toute ses manifestations, le rôle des bibliothèques étant volontiers relégué à la gestion et à la communication des seuls imprimés, en deçà des éditeurs – de livres ! – dépositaires de fait de la liberté d’expression publique ;
  5. Faible légitimité des bibliothécaires à aborder les champs d’expression représentés sur d’autres supports, tels que le cinéma ou la musique, tant du point de vue réglementaire que politique (un DGA – pas de Lyon !- me faisait part de sa surprise – quand même très encourageante… mais d’abord étonnée ! – devant l’hypothèse d’un fonds local de bibliothèque se consacrant à la musique et notamment aux musiques actuelles…) ;
  6. Défaut de prise en compte professionnelle (tant dans les formations que dans les pratiques) des besoins et usages des publics en dehors des collections de la bibliothèque, donc des livres, de leur espace régulé, et de leur usage plus ou moins normé (consultation, prêt, photocopie, etc.) ;
  7. D’où une relative incapacité à faire entrer dans les cadres de référence des bibliothécaires (et dans leurs habitudes de travail quotidien) les demandes de publics habitués à jongler entre différents univers, à commencer par celui d’Internet.

Bon, j’arrête là. J’imagine que vous voyez bien d’autres avantages et inconvénients : vous avez la parole !
J’avais bien pensé à inclure dans cette liste la profonde identité professionnelle qui unit la plupart des bibliothécaires, mais je ne sais s’il faut en l’occurrence la classer parmi les avantages ou les inconvénients (les deux sans doute smileys Forum)

Ne voyez pas là un réquisitoire contre les livres : Dieu sait qu’ils sont passionnants et indispensables.
Mais le métier de bibliothécaire doit-il être pensé et vécu prioritairement comme un « métier du livre », ce que ne sont ni les métiers d’archiviste, de documentaliste, ni ces variations contemporaines du ‘musicothécaire’ ou du ‘cinéthécaire’ – si vous me pardonnez ces néologismes – ? Si oui, cela a des conséquences majeures sur le devenir de nombre de nos activités ; si non, cela pose notamment la question du lieu de la spécificité voire de la nécessité des bibliothécaires.

Qu’en pensez-vous ? Et surtout par quel(s) angle(s) d’attaque aborderiez-vous la question ?

mardi 18 août 2009

Le bibliothécaire « interconnexion » de la bibliothèque

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 18 août 2009
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Un récent billet de Marlène attire l’attention sur une de ces formules qu’adorent les anglo-américains :

« Les bibliothèques, c’est l’information. Ce que l’on trouve aussi chez Google.

Les bibliothèques, c’est la lecture. Ce que l’on trouve aussi chez Barnes & Noble.

Les bibliothèques, c’est la culture. Ce que l’on trouve aussi dans les musées.

Les bibliothèques, c’est la convivialité. Ce que l’on trouve aussi chez Starbucks.

Mais seules les bibliothèques se positionnent comme l’interconnexion (« the nexus ») de ces 4 besoins. »

Voilà ce qu’a proclamé Peter Parsic lors du congrès 2009 de l’ALA. Jolie formule, qui ne peut que rencontrer notre adhésion admirative !… J’en retiens une évidence, et une perplexité…

L’évidence

Elle est toute entière dans la citation ci-dessus. Il est vrai que, pour chacune des fonctions remplies par la bibliothèque, la concurrence est rude et la bibliothèque pas nécessairement la mieux armée. Mais elle est la seule à pouvoir réunir simultanément des différentes fonctions, en position de carrefour des possibles plus que ressource incontournable dans un domaine. Analysant à la BM de Lyon le succès des collections sur la danse, Patrick Bazin soulignait que ces collections n’avaient rien d’exceptionnel à côté d’autres établissements spécialisés sur la place de Lyon, mais que leur intérêt tenait au fait qu’elles étaient associées à d’autres contenus, littéraires, scientifiques et artistiques : le contexte fournit une multitude d’approches au-delà des seuls contenus documentaires…

La perplexité

Celle-ci réside dans l’impression d' »évidence » de la bibliothèque comme institution et lieu : « La bibliothèque, c’est… ».
Vraiment, c’ « est » ?
Non, pas d’emblée, pas par nature ou par substance (et sans ces bibliothécaires qui grèvent les impôts   ). Je suis toujours étonné par ces professionnels des bibliothèques qui sans cessent s’effacent au profit de LA BIBLIOTHÈQUE, sans jamais affirmer leur fonction ni leurs actions.
Pourtant oui, il existe des bibliothèques lamentables, et pas toujours à cause de collections insuffisantes ni du désintérêt des pouvoirs publics : règlements draconiens, silence imposé, contrôles avant communication, horaires réduits à la portion congrue, collections vieillies et peu entretenues, personnel d’accueil sourcilleux et méfiant, conditions de consultation spartiates, et que sais-je encore !

Le ‘nexus’

L’interconnexion entre ces merveilleuses fonctions d’information, de lecture, de  culture et de convivialité (bref le nexus cité par Peter Parsic), ce n’est pas seulement LA bibliothèque (un état, une institution, un lieu, voire une collection), mais aussi une entreprise d’acteurs professionnels. La bibliothèque vraiment publique est autant un appareil de services qu’un stock de ressources, et elle le sera encore plus avec la numérisation et la disponibilité élargie de ces ressources. L’enjeu de la rareté (une collection exceptionnelle, des documents introuvables ailleurs,…) ne disparait pas pour les vrais chercheurs en quête de trésors inconnus du vulgum pecus, pas plus qu’il n’est inconsistant pour ceux dont le travail nécessite le recours aux documents originaux. En revanche, la disponibilité des ressources numérisées accessibles sur Internet affaiblit diablement cette rareté  pour le plus large public, même érudit. Encore faut-il à ce public :
–   une capacité à savoir chercher et discriminer ;
–   des engins ayant accès au réseau (eh oui, il y a encore 40 % de nos concitoyens qui n’ont pas d’accès domiciliaire à Internet) ;
–   une, ou plutôt des mises en ordre qui proposent des itinéraires de découverte et de connaissance.

Et puis il reste aussi cette potentialité extraordinaire de l’esprit humain en recherche et en éveil, la sérendipité (cette forme de hasard bienvenu apparaissant grâce à une curiosité et une ténacité entretenues) : à la bibliothèque d’offrir des opportunités en ce sens : assemblements documentaires, mais aussi événements culturels, disposition des lieux, conseils de lecture, modalités d’accessibilité, etc. , tout est bon pour stimuler le savoir.

Et si c’était cela que la population et les pouvoirs publics attendaient de nous : des bibliothécaires capables de proposer la meilleure stimulation intellectuelle – éclairée, critique, bref intelligente ! – à tous les membres de la collectivité que nous servons ?

Pour réaliser cela, il faut des professionnel(le)s convaincu(e)s. Au fur et à mesure que croissent les ressources disponibles sur Internet, il nous est proportionnellement demandé davantage pour exister légitimement dans l’espace public. Non seulement en matière de collections adéquates, mais aussi et de plus en plus en matière de médiation numérique, de programme culturel, d’assistance aux usagers, etc. Bref d’inventivité…

Nous ne pouvons même plus nous prévaloir d’outils spécifiques accessibles à nous seuls : les métadonnées ont « bibliothécarisé » le monde des catalogues, donc le monde de l’information.Les bibliothécaires sont nus, et les contenus des bibliothèques comme les outils des professionnels ont migré et se sont développés hors les murs des établissements. Travaillant à Lyon, je sais que d’ici quelques années non seulement les disques de musique comme les films en DVD seront aisément (et parfois illégalement) téléchargés, mais 500 000 livres comme des milliers d’images et de manuscrits seront librement accessibles en ligne, les livres contemporains étant quant à eux largement édités voire téléchargeables contre une somme qui sera sans doute devenue plus modique qu’aujourd’hui, s’il n’apparait pas également d’autres modèles économiques, et l’accès domiciliaire à Internet aura conquis 85 % des foyers français. Bref, ni le stock ni les outils ne nous rendront indispensables, au contraire. Sauf si…

Sauf si nous savons tirer parti de notre art de proposer, d’assembler, de chercher, non en direction de la richesse des stocks ni de la sophistication des outils, mais en utilisant tous ces outils et toutes ces ressources abondantes et externes en direction de notre public, et surtout en inventant, suggérant, étonnant, stimulant, accompagnant la recherche de savoir et d’émotion, en pédagogisant notre société.

samedi 30 mai 2009

Métiers de bibliothèque…

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 30 mai 2009
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Vous avez vu ? Je n’ai pas titré ce billet sur le métier de bibliothécaire, mais sur les métiers utiles voire indispensables à l’activité normale d’une bibliothèque.

Longtemps, les bibliothécaires -au sens générique- ont vécu et agi de façon autarcique, pour le meilleur et pour le pire. Le bibliothécaire des années (19)80 devait être tour à tour travailleur social, animateur, informaticien, gestionnaire financier (et bien sûr manageur !…)…

Les temps ont évolué, et on voit apparaître dans les équipes des professionnels « autres » qui sont informaticiens, administratifs, animateurs numériques, travailleurs sociaux, webmestres, relieurs, médiateurs, etc., aux côtés des bibliothécaires. Et je parle bien de véritables professionnels, aux cursus spécifiques et aux savoir-faire s’inscrivant dans des référentiels de métier distincts de celui des professionnels des bibliothèques.
Ils ne représentent parfois qu’une proportion anecdotique des personnels, mais plus la bibliothèque est importante et surtout plus elle multiplie et complexifie ses services, plus ces ‘autres’ métiers deviennent indispensables, l’ambition des services (et l’exigence des publics) ne pouvant plus reposer sur les seuls talents bricoleurs ingénieux de bibliothécaires polyvalents. Un décompte à Lyon montre que ces autres métiers ont conquis 42 % des emplois (le reste étant constitué des bibliothécaires au sens large, c’est-à-dire des tous les cadres d’emploi inscrits dans la filière culturelle).

Fondamentalement, ce mouvement me semble aussi nécessaire que bénéfique. D’abord parce que la bibliothèque – au cœur de la communauté – ne saurait être étrangère à la diversité de cette dernière dans ses actions mêmes. Ensuite et surtout parce que les enjeux de nos établissements ont changé.

Il y a quelques décennies encore, la bibliothèque était un trésor de savoir, un idéal de connaissance, un hâvre incontournable. Nous sommes aujourd’hui seulement une opportunité tant sociale (un des rares espaces publics non marchands !) qu’informative (je pense aux appareils informatifs et aux services mis en ligne par les musées, les administrations, les cercles scientifiques,… ).
Et puis, la bibliothèque a changé de place dans la collectivité : opérateur majeur dans le traitement de l’information publique, elle doit tenir compte des techniques et savoir-faire des nouveaux spécialistes de ce traitement ; acteur volontaire dans l’activité culturelle d’une communauté, elle doit faire appel aux savoir-faire des animateurs ou « marketeurs » ; confrontée aux défis des circuits de gestion optimisés, elle ne peut plus se passer des experts en logistique ; confrontée aux publics les moins insérés socialement, elle ne peut manquer de faire appel à des médiateurs sociaux ; comme depuis quelque temps déjà elle se connait administration, et doit accueillir gestionnaires comptables et gestionnaires de ressources humaines formés à ces tâches. Et j’oublie bien d’autres métiers ! ….

Aux côtés de ces multiples professionnels divers qui, je le souligne, n’interviennent pas ponctuellement dans la bibliothèque mais y ont le siège de leur activité, les bibliothécaires courent deux risques :

– considérer ces autres professionnels comme des auxiliaires de ces mêmes bibliothécaires : chaque métier fonctionne selon des cadres de référence affirmés, et ce serait grande erreur de considérer que, en étant au service de la bibliothèque, leurs acteurs seraient moins « légitimes » que les bibliothécaires, ou pire au service de ces derniers ! Eux comme nous sommes au service des citoyens !
– les considérer comme des intrus incapables de comprendre la subtilité des actions des bibliothécaires, voire revendiquer que leurs activités soient accomplies par ces derniers. On l’a déjà vu : les bibliothécaires peuvent se revendiquer administratifs, médiateurs sociaux, informaticiens, animateurs, etc. Bien sûr, c’est souvent faute de mieux (les créations d’emploi sont rares !), mais fondamentalement n’est-ce pas parfois par revendication d’un territoire exclusif ?

Alors, acceptons-le : les bibliothèques sont devenues projets complexes impliquant de multiples acteurs.

Mais alors, à quoi sert le bibliothécaire ?

Il est facile de parler du bibliothécaire comme de celui qui travaille dans une bibliothèque. Cela a longtemps été la définition quasi-tautologique de cette profession. Mais à partir du moment où informaticiens, animateurs, vigiles, médiateurs, administratifs, techniciens, et tutti quanti, se multiplient dans les murs (au moins des plus importantes bibliothèques), qu’est-ce qui crée la nécessité de ce métier singulier, « bibliothécaire » ?

Il est très intéressant d’aborder cette question à travers le prisme des tensions qui ont pu apparaitre lors de l’introduction de certains métiers dans les bibliothèques. Si nul bibliothécaire ne s’est senti dépossédé lorsque lui ont été adjoints des administratifs (trop heureux d’être soulagé de tâches absorbantes vécues comme étrangères au ‘cœur de métier’), il n’en a pas toujours été de même dans d’autres cas. Je citerai trois exemples :

  • les informaticiens : les premiers rapports des bibliothécaires avec les informaticiens ont été marqués du sceau de la méfiance ( voir Pierre Le Loarer ou plus récemment Dominique Lahary). Les premiers reprochaient aux seconds leur rigueur prescriptive indifférente aux enjeux de l’établissement et aux coutumes locales ; les seconds reprochaient aux premiers leur insuffisante rigueur de raisonnement et leur incompréhension des structures globales des systèmes d’information. Cela a commencé à aller mieux lorsque les bibliothécaires ont fait l’effort de comprendre les cadres de référence des informaticiens, et que ces derniers ont su s’adapter aux objectifs propres des bibliothécaires…
  • les animateurs numériques : ce n’est pas une opposition qui a régi leurs rapports avec les bibliothécaires, mais plutôt, jusqu’à ces dernières années, des renoncements bibliothécaires, trop heureux de voir des ‘spécialistes’ de la pédagogie informatique s’emparer des outils et publics qu’ils se sentaient mal armés à respectivement manipuler et servir, trop heureux parfois de pouvoir ainsi se confiner aux livres, disques et autres DVD ; c’est l’essor de l’information électronique qui permet progressivement de cerner les champs de compétences respectifs : à l’animateur numérique la pédagogie de la maîtrise des outils matériels et logiciels, au bibliothécaire l’art de savoir chercher au sein des contenus. Et on peut maintenant voir des ateliers animés conjointement par les deux types de métiers…
  • les médiateurs : l’incompréhension, parfois violente (voir le livre de Sandrine Leturq), fut importante et durable avec les premiers médiateurs. Les bibliothécaires à la fois revendiquaient leur propre maîtrise exclusive de la médiation en bibliothèque, et comptaient sur les médiateurs pour gérer les conflits sociaux intervenant dans les murs… Il a fallu déplacer la question hors les murs des bibliothèques pour comprendre que des compétences et réseaux relationnels spécifiques étaient nécessaires pour quadriller un territoire (notamment au service de ceux qui ne viennent jamais dans les murs) ; et on peut voir aujourd’hui des animations-interventions associant le médiateur (préparateur de terrain) et le bibliothécaire (contenus documentaires adaptés).

A travers ces exemples, on voit mieux se dessiner le champ spécifique du bibliothécaire : il doit se consacrer aux contenus, les déceler, les évaluer, les organiser, provoquer leur découverte, accompagner les publics dans l’appropriation des connaissances de contenus, dans tous les domaines (l’imprimé, la musique enregistrée, mais aussi Internet ou la musique en ligne). On constate aussi que cette définition s’est imposée dynamiquement, dans un processus où la définition des autres métiers s’est peu à peu affinée, et ne manquera pas d’évoluer dans les années qui viennent.

Est-ce à dire que les bibliothécaires n’ont pas de fonction de médiation, n’ont pas à maîtriser les techniques de traitement de l’information ni ne doivent être capables de concevoir et faire vivre un programme culturel ? Certes non, mais de même les informaticiens ne peuvent pas ignorer les impératifs de contenus, comme les médiateurs doivent connaître le terrain bibliothécaire à partir duquel et dans lequel ils agissent. Et chacun de ces métiers, bibliothécaires compris, doit le faire en développant ses propres compétences, sur lesquelles chacun est  irremplaçable, n’est pas en situation de concurrence dans la bibliothèque, mais surtout de nécessaire complémentarité collective.

mardi 9 décembre 2008

Pensée du jour…

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 9 décembre 2008
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Aujourd’hui, c’est lundi. Pour certains c’est l’occasion de découvrir de nouveaux fils rss, de s’inscrire dans leur monde numérique connivent.
Pour d’autres, en BM, c’est jour de repos. ouf ! La semaine dernière, à Lyon, il y a eu environ 70 000 livres, disques ou DVD qui ont été prêtés, et pire 70 000 livres, disques ou DVD qui ont été rendus, vérifiés, reclassés. Sans compter les milliers de rappels au règlement (collectif !), la gestion de dizaines de conflits, l’accueil et parfois le conseil pour 50 000 personnes qui se sont hasardé à franchir le seuil. Et cela la semaine dernière comme celle d’avant, et comme la prochaine…

Vous qui, au gré des blogs, rêvez volontiers des opportunités extraordinaires de la médiation numérique de la connaissance, n’oubliez jamais que la légitimité de cette médiation bibliothécaire tient avant tout à ce flux ô combien humain et matériel. Le numérique n’est, je pense, qu’une des facettes de l’avenir bibliothécaire…

P.S. : et en plus, je publie ce billet un mardi !!!

mercredi 22 octobre 2008

Des journalistes aux bibliothécaires ? Et vice-versa ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 22 octobre 2008
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Un billet fascinant de Novovision, intitulé ‘Accès à l’information : le retour des médiateurs’, insiste sur le fait que « Les enjeux de l’information, comme le signalait déjà Alexandre Serres en 2004, ne sont plus dans « la maîtrise des stocks », mais dans la gestion « des flux ». Ils ne sont plus dans la « validation a priori » de l’information, mais dans la validation « a posterori »« . Et Narvick d’en conclure qu’il s’agit là d’un « déplacement de l’épicentre du journalisme ».

Les bibliothécaires se positionnent-ils dans la validation a priori ou dans celle a posteriori ? Un regard hâtif sur leurs activités laisserait penser qu’ils fonctionnent effectivement sur ce modèle que Narvick appelle de ses voeux pour les journalistes : loin de ‘créer’ l’événement, les bibliothécaires sélectionnent a posteriori l’information produite par les éditeurs.
Dans un billet ultérieur Affordance parle de journadocumentaliste en citant un article d’Alain Joannès sur Journalistiques : ce dernier fournit une liste ordonnée de liens outils de travail du journaliste qui fait écrire en commentaires à notre honoré et permanent Silvère qu’il existe une curieuse similitude entre notre métier et celui de journaliste. Je passe sur les échanges houleux qui suivent…

L’information se déploie largement hors de ce cadre qu’est l’édition traditionnelle : les sites institutionnels ou personnels véhiculent une masse de savoir que même les éditeurs renoncent à en mettre en forme le flux, et débordent massivement les productions habituelles des journaux et revues, comme les collections des bibliothèques. Les bibliothécaires en sont tout désarmés… Ils peuvent se demander si leur métier ne les emmène pas « ailleurs ». Je n’en suis pas si sûr.

Bien sûr, les techniques de recherche et de validation de l’information diffusent largement au sein des différents métiers qui en traitent, ne serait-ce qu’à cause du ‘support-source’ (et de ses caractéristiques) qui constitue leur envahissant terreau de ressources communes, Internet.

Mais ne confondons jamais techniques et contenus de métier. La « création d’information » est une notion évidemment réservée aux journalistes : à eux la charge d’assembler aujourd’hui peut-être plus des fils épars sur la Toile plus que le résultat d’enquêtes personnelles invisibles. A nous de prendre en charge une communauté pour lui donner des informations multiples, de la formation, de l’assistance à trouver leur manne, et même des lieux de partage et d’échange (conférences, services personnalisés, etc.). Par tous moyens.

Et pour rester dans les techniques respectives des deux métiers, les nouveaux journalistes sauront peut-être extraire la substantifique moelle de ce flux, mais il faudra aussi de nouveaux bibliothécaires pour signaler leur travail, et proposer de nouveaux modes de médiation, comme inventer de nouveaux liens sociaux, développer l’appétit de savoir d’une population précise, etc.

On n’a pas fini d’imaginer l’avenir !!

samedi 13 septembre 2008

Métier d’arts

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 13 septembre 2008
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La ‘bibliothécarisation du monde’ conduit les bibliothécaires à aller au-delà de leurs techniques éprouvées pour s’immerger dans une société irriguée par de nombreux flux d’information plus ou moins structurée – sinon par les algorithmes des moteurs de recherche -, et à concevoir prioritairement des politiques documentaires pour leurs collectivités. Le travail se diversifie selon les différents angles de ces politiques, donc selon les différents publics/usages visés : renouvellement de la responsabilité documentaire sur les contenus, médiation numérique (j’adore cette expression), programmation culturelle, etc. Fonctions et procédures innovantes se multiplient, souvent avec bonheur… Si de nouvelles compétences interactives apparaissent (management, traitement numérique, marketing, …), deux savoir-faire très anciens en connaissent également des évolutions profondes tout en conservant leur pertinence : l’art de documenter, et surtout l’art de chercher.

L’art de documenter

L’art de documenter est depuis très longtemps (Gabriel Naudé en témoigne) la pierre de touche du métier de bibliothécaire : l’art de savoir construire une offre de supports documentaires pertinents pour une population. Ce talent reposait sur trois piliers entre autres : la disponibilité de documents, les espaces disponibles, et le budget. Les besoins de la population étant  davantage un pari… C’est cet art qui a connu l’émergence des politiques documentaires, lesquelles ont formalisé ce talent autour des intentions de la collectivité et des usages des publics visés. Ce talent et cette formalisation s’exerçaient sur des documents maitrisés, parce qu’acquis et manipulables (hors la littérature grise, d’usage plus spécifique et souvent pâture de documentalistes) : on les introduisait dans le ‘système bibliothèque’ pour constituer une offre documentaire pertinente.
Mais les supports pertinents migrent en partie sur Internet, et la dissémination, dans et surtout hors les bibliothèques, des flux d’information documentée comme de cette patrimonialité potentielle  fait qu’un professionnel doit jongler entre le manipulable (ce qui est sous la maîtrise : l’imprimé, et plus anecdotiquement le numérisé en local), et le non manipulable (de plus en plus numérique sur Internet). Le second grandissant de façon exponentielle.
Comment proposer une offre documentaire dans ces conditions ? La réponse gestionnaire tiendrait dans la distinction entre le manipulable (plans de classement, procédures de désherbage, …) et le non manipulable (vaste flou regroupé sous l’appellation de bibliothèque électronique ou services numériques). Les usages des publics et la relation de la bibliothèque à ceux-ci imposent une approche non divisée. La solution réside dans le souci des besoins des publics de la bibliothèque réelle : sélectionner et surtout mettre en perspective l’ensemble des sources d’information potentiellement pertinentes, qu’elles soient matérielles et acquises, ou ‘virtuelles’ et identifiées. L’offre documentaire de la bibliothèque ne nait plus seulement de l’ordre des documents élus par l’institution, mais de l’ensemble des ressources disponibles. Et c’est en partant de l’analyse des interrogations du public que cet ensemble relativement instable peut proposer une mise en perspective, une contextualisation qui donne son vrai sens au « service public de la surprise » (selon Dominique Lahary).
« Savoir trouver les bons livres » fait appel désormais à trois talents complémentaires (et non exclusifs des anciennes compétences) :
la temporalité : le paysage documentaire comme les préoccupations des publics étant mobiles, l’offre contextualisée de la bibliothèque est en recomposition permanente ;
le recours à des sources diverses : il faut guetter non seulement les nouveautés intéressantes et fiables dans le monde stable et surtout instable (voir ci-après), mais aussi aiguiser son empathie avec ‘ses’ publics ;
l’explication, la mise en scène : la mise en espaces ne suffit plus, il faut inventer de nouvelles expositions adaptées à l’univers d’Internet. Ce qui suppose de plus en plus la capacité à écrire et pas seulement à indexer ou à discuter en banque de renseignement. Ecrire, c’est exposer, organiser, illustrer, etc.
L’expression de ces trois nouvelles compétences, ajoutées aux anciennes, est pour moi merveilleusement exprimée dans Points d’actu. L’art de documenter, ainsi revisité au regard des nouvelles pistes de découvertes possibles, jongle entre de multiples références… et abandonne toute illusion de stabilité référentielle définitive, car l’ offre potentielle est à la fois stable -l’imprimé- et mouvante -l’électronique-. En confrontant cette offre diverse aux besoins d’une population, l’art de documenter donne d’ailleurs une nouvelle vigueur aux collections matérielles : elles ne sont plus seulement gardiennes des savoirs anciens pour les amateurs, elles deviennent ressources pour mettre en perspective des préoccupations contemporaines. On utilise la mémoire pour éclairer le présent.

L’art de chercher

Parallèlement, examinons la quotidienneté du travail à un bureau de référence. L’exercice du métier de bibliothécaire a longtemps placé en exergue cette autre ancienne activité fondatrice, la recherche bibliographique ( AAh, les cours de l’Enssib au siècle dernier ! Les apprentissages fastidieux des sources essentielles !). Certes, la recherche bibliographique demande un réel talent pour débrouiller l’écheveau, aboutir au bon document. Mais elle était  jusque là fondée essentiellement sur une mise en ordre du monde par les bibliothécaires (voir remarquable thèse de Muriel Amar sur l’indexation), lesquels produisaient l’essentiel des compilations bibliographiques, d’où un système circulaire d’organisation du travail longtemps efficace : des pros élaborent les recueils bibliographiques ou des bases de données selon des méthodes normalisées, et d’autres pros -en front office– utilisent des méthodes similaires et les outils ainsi élaborés pour répondre aux besoins de recherche d’information, après un long apprentissage des sources et pratiques des premiers pros.

Cette cartographie complexe d’une certitude faiblement évolutive ne fonctionne plus qu’imparfaitement. La dissémination de l’information -encore !- est envahissante, et les bibliothécaires ne peuvent que très imparfaitement produire une mise en ordre stable : à côté et même souvent avant les textes maîtrisés, il y a moult autres sources possibles, non produites ni maîtrisées par les bibliothécaires. La bibliographie de référence (autre qu’identificatrice de documents matériels) devient de plus en plus improbable…
Là encore, une évolution est à l’œuvre. Si l’art de chercher exige toujours – et avant tout – de comprendre le contexte de la question posée (là encore le demandeur est premier !), deux autres savoir-faire se sont imposés :

– la veille sur les sources potentielles aborde désormais la diversité et la variabilité d’Internet : rares sont les sources stables dans leur qualité, fréquentes et peu annoncées sont de nouvelles ressources très pertinentes. A une question donnée s’impose désormais une sorte d’errance intuitive, d’autant plus efficace qu’elle se renouvelle constamment. Autant que les sources elles-mêmes comptent le chemins d’accès : une recherche efficace passe par des itinéraires déjà vérifiés mais aussi par des essais de raccourcis, il faut savoir rapidement si la source est imprimée ou électronique, quels types de sources doivent être croisés pour confirmer l’approche, etc. ;
– le plus étonnant est que le listage des sources bibliographiques, autrefois préalable à cet exercice, est devenu impossible : le bibliothécaire utilise en fait une cartographie mentale éminemment mouvante, faite davantage de procès itératifs que de points de repères pouvant être récapitulés…
Nombre de documentalistes ont déjà fait un bon bout de ce nouveau chemin : aux bibliothécaires de le découvrir et de l’arpenter à leur tour !

Documenter, chercher, deux arts constants dans le métier de bibliothécaire. A regarder les nouvelles compétences réclamées pour ces nouveaux talents, on voit bien qu’ils deviennent indissociables et complémentaires dans l’univers du bibliothécaire sur Internet, ou plutôt dans l’univers du bibliothécaire qui ne doit plus ignorer Internet. L’évolution est possible ! Par exemple, le Guichet du Savoir (l’art de chercher) et Points d’actu (l’art de documenter) ne sont-ils pas le fruit du travail des mêmes bibliothécaires ?…

C’est plutôt stimulant, non ?

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