Bertrand Calenge : carnet de notes

jeudi 22 janvier 2009

A propos de l’autonomie de l’usager

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 22 janvier 2009
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Ayant eu l’occasion de présenter la bibliothèque de Lyon à un groupe d’étudiants en bibliothéconomie Sciences de l’Information, j’ai inévitablement évoqué le Guichet du savoir, précisant que ce service apportait une réponse complète et précise à toute question. Et inévitablement est venue la sempiternelle question : « Mais est-ce que cela ne va pas à l’encontre de l’autonomie de l’usager ? »…smileys Forum

Parmi les mythes inamovibles du bibliothécaire de lecture publique, on trouve, à côté de la coopération, de la démocratisation, du refus de toute censure et tutti quanti, l’autonomie de l’usager. Parlons-en cinq minutes…

Il existe mille acceptions du terme ‘autonomie’ : si philosophiquement c’est la capacité d’agir par soi-même en étant son propre régulateur, le terme est davantage utilisé aujourd’hui dans d’autres contextes :

  • dans le domaine des relations internationales, l’autonomie est un statut qui autorise une certaine latitude d’action législative et exécutive dans un cadre précis défini en relation avec celui qui confère l’autonomie (il est lui souverain, on le notera…) ;
  • dans le domaine médico-social, on parlera d’un malade autonome lorsqu’il sera capable d’exercer lui-même certaines fonctions essentielles (se préparer un repas, se déplacer dans un espace social, se tenir propre, etc.). Dans ce cadre, la dimension de l’autonomie varie selon les situations des soignants (aliéniste, soignant des maladies séniles, chirurgien,…), donc le regard de celui qui décrètera une personne autonome ou non en fonction de ses propres critères ;
  • pour le milieu éducatif, l’autonomie est une course à l’échalote constamment renouvelée : l’enseignant cherche une capacité de l’élève à assurer ses propres règles et procédures dans un milieu contraint, donc en fait à rendre siennes les règles et savoirs édictés par l’institution ;
  • le milieu familial connait également la question : les parents encouragent l’autonomie de l’adolescent, donc sa capacité de réflexion, de décision et de comportement personnels … en conformité avec le cadre jugé acceptable par les parents !

Bref, pour reprendre une phrase de Paul Lafargue en 1881, « « Il y a autant d’autonomies que d’omelettes et de morales : omelette aux confitures, morale religieuse ; omelette aux fines herbes, morale aristocratique ; omelette au lard, morale commerciale ; omelette soufflée, morale radicale ou indépendante, etc. L’Autonomie, pas plus que la Liberté, la Justice, n’est un principe éternel, toujours identique à lui-même ; mais un phénomène historique variable suivant les milieux où il se manifeste ».
Et l’autonomie prônée en bibliothèque, qu’est-ce que c’est ? A la lumière des exemples ci-dessus, on devine que le voeu (honorable) d’une totale maitrise par chaque individu de lui-même, de son environnement et des ses besoins et moyens d’information – ce qui pourrait être nommé souveraineté – n’est pas la préoccupation unique des bibliothécaires, qui persistent à utiliser le terme autonomie à tort et à travers. De quoi s’agit-il alors ? Décortiquons le discours…

La maitrise du lieu institutionnel

Peut être déclaré autonome celui qui a intégré les codes et règles posées par l’institution : on ne crie pas, on ne gêne pas les autres, on respecte les dates de retour, et même on a une vague idée des parcours possibles entre les salles, avec leurs différentes autorisations d’accès. Bref, on possède le code social du lieu.
Rien de choquant là-dedans. tout espace social génère ses codes, et tout nouvel arrivant dans n’importe quel espace social (un théâtre, un ministère, une école, la sécurité sociale, un magasin de quartier, ou la bibliothèque !) « sent » en général cette nécessité d’usage collectif. Mais cette autonomie-là n’est pas un objectif bibliothécaire : elle relève de l’éducation familiale, scolaire, sociale de tout individu. A la bibliothèque la charge de rendre lisibles ces codes sans intervention humaine autre qu’exceptionnelle.

La maîtrise des outils de l’institution

Dans un domaine plus proche de l’activité bibliothécaire, on recherchera l' »autonomie » de l’usager à travers sa maîtrise du catalogue, des bases de données, du système de classification (etc.) posés a priori par les bibliothécaires pour faciliter l’accès des usagers aux documents et à leur contenu.
Pour avoir (très) longuement pratiqué ces outils bibliothécaires dans leurs interfaces et signalements offerts aux utilisateurs, je crois pouvoir affirmer que l’absence d’autonomie de ces derniers dans leur usage, éventuellement déplorée,  révèle non une incapacité des utilisateurs, mais une déficience ergonomique, communicationnelle, voire conceptuelle des outils. Pitié, ne parlons plus formation des utilisateurs aux outils produits par les bibliothécaires ! Sauf cas très spécifiques – recherche avancée,… – la manipulation de « nos » outils devrait être aussi évidente que le décryptage des signaux routiers, le repérage dans une librairie, ou la fenêtre de requête d’un moteur de recherche !

La maîtrise des itinéraires de recherche documentaire

Nous en arrivons à la question qui tue : « Pourquoi apporter la réponse détaillée à un usager ? Il faut lui apprendre à chercher par lui même ! ». L’objection n’est pas stupide en elle-même, encore faut-il la contextualiser :

  • Si l’utilisateur a nécessité de maîtriser une compétence (dans un cursus scolaire ou universitaire : savoir chercher, discriminer, construire sa bibliographie ou recueillir les documents pertinents pour son TPE…) ou dans un contexte social plus ordinaire (communiquer avec ses petits-enfants éloignés, rechercher un  emploi,…), il est sans aucun doute nécessaire de se soucier de l’autonomie de l’utilisateur : la répétition de ses recherches ou son statut d' »apprenant » imposent à la bibliothèque la fourniture des moyens de lui permettre cette liberté de se mouvoir dans les contenus ou outils qui lui sont nécessaires quotidiennement. A souligner : l’individu emprisonné dans un cursus cherchera par tous moyens à contourner ses impératifs d’autonomie (« vous pouvez m’écrire mon devoir ? » ), l’individu avide de poursuivre son objectif personnel recherchera une assistance fondamentale aux compétences nécessaires (« vous pouvez m’apprendre à communiquer par mail ? »). La réponse institutionnelle de la bibliothèque ne peut évidemment être identique : au premier le détournement vers des techniques génériques adéquates à lui faire apprendre « son métier », au second la formation au savoir-faire dont il a un besoin urgent (et non l’écriture du mail à sa place) . Dans les deux cas on forme, mais pas dans le même contexte et c’est important !
  • Enfin, l’utilisateur peut souhaiter une information ponctuelle, pour diverses raisons toujours circonstanciées et hors de ces injonctions pérennes (professionnelle : « chirurgien devant opérer demain, j’ai besoin des derniers articles sur la chirurgie du fémur en cas de traumatisme affectant les tendons » ; personnelle : « doctorant en physique, je cherche l’origine du prénom de ma copine » ; angoissée : « mon poisson rouge présente des taches blanches ; est-ce que c’est une maladie ? » ; consumériste : « mon tailleur en laine et lycra a été taché par des débris de pizza : comment le détacher ? » ; etc.). Il est évident que les demandeurs n’attendent pas une méthode ou une hypothétique autonomie, mais une réponse, et de préférence vite. Va-t-on conseiller au chirurgien de se plonger dans les annales des revues de condyloplastie ? au doctorant d’explorer les arcanes de l’onomastique ? à l’adolescente de découvrir les travaux vétérinaires ou biologiques ? à la passante de découvrir les arcanes de la teinturerie ? Et pourquoi pas à la fidèle lectrice qui désire un roman « dans le genre de XXX » d’entamer un cursus de littérature comparée ?!smileys Forum

Entre autonomie de l’usager et confort du bibliothécaire

L’argument de l’autonomie de l’usager me semble souvent être un faux-nez ‘facile’ qui excuserait l’absence du bibliothécaire de la scène où se meut le public. Les bibliothécaires universitaires savent pour la plupart que leur service accompagne le travail éducatif bien au-delà de l’offre documentaire, via des formations et des ateliers en ligne ou en présentiel (encore parfois certains incriminent l’absence d’autonomie des étudiants sans mesurer leur propre déficit d’investissement dans cette politique pro-active…).
Les bibliothécaires de lecture publique, quant à eux, doivent faire face à un contexte beaucoup plus diversifié :
–   nombre de leurs utilisateurs sont des élèves ou étudiants dont ils attendent une capacité de recherche inégalement acquise ;
–   mais beaucoup de leurs utilisateurs sont certes savants (ou en voie de l’être) dans un domaine spécifique, tout en se tournant vers la bibliothèque morsqu’ils s’aventurent hors de leur champ de compétence ;
–    le ‘grand public’ avance en ordre dispersé, tantôt demandeur d’autonomie (!!), tantôt en recherche d’assistance personnelle…
L’argument de l’autonomie ne saurait revêtir un caractère universel dans cette diversité.

Comment s’y retrouver ?

Restons dans les bibliothèques publiques. Et restons dans l’autonomie.
Qu’est-ce qu’un usager autonome ? C’est sans aucun doute :
–   une personne qui a accepté les codes sociaux en vigueur dans le lieu…
–   qui se débrouille dans son champ de ‘compétence’ avec les outils dont elle dispose (fournis ou non par la bibliothèque) ;
–    et…. c’est tout !

Autonomie voulue, autonomie subie

Dans les bibliothèques publiques, le seul argument d’autonomie impérative porté à l’encontre des utilisateurs peut être celui lié aux situations éducatives (et encore faut-il accompagner l’injonction des mesures pédagogiques ad hoc). Au-delà, les alternatives sont simples :

–   ou l’utilisateur est expert dans le domaine qui l’intéresse, et il sera vite expert dans la maîtrise des itinéraires utiles (souvent bien plus d’ailleurs que le bibliothécaire) ;
–   ou l’utilisateur est en demande explicite de formation à des outils ou processus de recherche ;
–   ou il faut bien accepter d’aider, encore et encore, d’apporter la réponse,encore et encore…

Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il faut toujours expliquer l’itinéraire de recherche dans les réponses patiemment élaborées ! Quand j’amène ma voiture en panne chez le garagiste, je me fiche de savoir si c’est le delco qui a bousillé le furnibule, je veux qu’elle marche !

Ou alors les bibliothécaires ont tous le rêve secret de disparaître pour laisser la place à des publics devenus bibliothécaires ? Si c’est le cas, nous surestimons notre métier – qui devrait être nécessaire à chacun et non  un  palliatif temporaire d' »inconnaissance passagère » !! – autant que nous le sous-estimons : notre métier est de servir, non de transformer chacun en serviteur de lui-même…

Qu’en pensez-vous ? (la suite plus tard…)

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mercredi 21 janvier 2009

Hommage au public inconnu : Publics par destination ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 21 janvier 2009
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Un très intéressant commentaire adressé par un collègue clermontois via un courriel (il estimait son commentaire trop long pour « encombrer » mon blog, – ce texte ne l’aurait pas encombré, au contraire) souligne la dure réalité de l’organisation et de la destination des services dans l’hommage  que je rendais à l’usager inconnu. Avec son accord, vous en retrouverez la teneur, enfin publiée en commentaire du dit billet. Comme je suis le maître de ce blog (hé hé !!), je pense que sa réflexion mérite de poursuivre notre réflexion (ou pour l’instant la mienne)…

Notre collègue met le doigt sur diverses incompatibilités, celle des lieux, celle des flux, celle enfin posées par les tutelles. Dans mon précédent billet, sans doute mû par une passion angéliste, j’avais pris l’exemple d’une bibliothèque municipale largement ouverte à la population par destination. Il est vrai qu’une telle bibliothèque dispose d’une plasticité inouïe : offerte aussi bien aux étudiants qu’aux amateurs, aux flâneurs qu’aux assidus, aux demandeurs d’emploi, étudiants, mères de famille, adolescents turbulents, papis assagis, curieux, …, elle ne peut formuler ses missions – et même ses objectifs – qu’en termes très ambitieux et surtout non exclusifs. Les heurts entre ces divers publics, ou plutôt entre leurs divers besoins et usages, n’en sont pas pour autant faciles à gérer et faire cohabiter, mais au moins le fondement de leur légitimité simultanée peut toujours être affirmée.

La situation de la bibliothèque destinée à un public précis pour un projet précis est vraiment différente : mise à disposition des ingénieurs d’une entreprise, elle doit intégrer dans les pratiques admises celles normalement acceptées par l’univers d’efficacité et d’efficience en vigueur dans l’entreprise ; offerte aux membres d’une université, elle doit conformer ces usages aux objectifs de cette dernière : formation de l’esprit critique, avancement de la recherche, etc. Ce sont là barrières infrangibles, relevant de la fonction même de la communauté au sein de laquelle fonctionne la bibliothèque.

Dans son commentaire, le collègue met le doigt en particulier sur deux questions : la confusion d’objectifs distincts dans une même institution, et la gestion des flux et des cohabitations. On commencera par le second.

La gestion des flux et cohabitations n’est pas que logistique. Elle est aussi pour les divers publics capacité des uns à supporter les pratiques des autres. Au début des années 1990, les chercheurs habitués de la BN s’insurgeaient devant l’ouverture promise, au sein de la future BnF, de ‘leurs’ espaces – et privilèges ? – à de vulgaires pékins (voire à des bébés qui, à en croire Leroy-Ladurie, allaient renverser leurs biberons sur des incunables !!!). On a conclu le débat par la dissociation entre un rez-de-jardin réservé aux personnes habilitées, et un haut-de-jardin ouvert de façon tolérante. Est-ce une réussite ou un échec ? Je n’en sais rien. Toujours est-il que les ségrégationnistes – et je pèse mes mots – ont gagné sur ce dossier.
Cette logique de cloisonnement est toujours à l’œuvre dans nombre de bibliothèques. La générale distinction entre espaces publics enfants et adultes se fonde sur des distinctions pas aussi évidentes qu’on pourrait le croire : la prise en compte malaisée des adolescents y reflète bien l’indécision des attitudes sociales, comme les arguments d’ergonomie de mobilier ou de niveau des lectures masquent également des schémas répulsifs de comportements dissociés (dans les deux sens : les secteurs adultes accueillent difficilement les habitudes enfantines, comme les sections enfants réagissent négativement aux envahissements de leurs espaces par des adultes studieux en quête de places de lecture).

Dans une bibliothèque publique, les bibliothécaires se trouvent toujours à devoir associer des flux de publics distincts et d’usages différents :
– entre différents espaces au sein d’un même établissement ou réseau ; on construit avec les publics une adéquation entre un  lieu spécifique et un cocktail particulier d’usages : la salle dévolue au patrimoine associe sa destination à certains usages, comme celle dévolue aux ateliers numériques à d’autres ; la petite bibliothèque de quartier construit un réseau de sociabilités autre que celui de la grande bibliothèque centrale. C’est un fait…
– entre différents temps au coeur du même espace. Un seul exemple suffira : entré dans une bibliothèque de quartier un jour à 15h, j’y ai trouvé nombre de personnes mûres voire âgées plongées dans les journaux et revues, et livres. Le temps passe, et soudain, aux alentours des 16h30, je vois la plupart de mes lecteurs qui plier son journal, refermer son livre, et se diriger vers la sortie. On fermerait ? Oh que non ! dans le quart d’heure qui suivait arrivaient les élèves et collégiens en sortie d’école qui, tout joyeux, emplissaient l’espace. Cette séparation des publics présente deux caractéristiques : ils partagent un  même service sur des plages différentes (comme la piscine ou le terrain de sport), et le partage s’effectue de leur propre chef.

Notre merveilleuse ambition de partage harmonieux de la connaissance passe, il faut l’accepter, par ces subtils aménagements du rêve avec une réalité plus sectaire moins tolérante qu’on pourrait la vouloir…
Nous n’organisons pas tant l’échange harmonieux que nous essayons de ménager l’espace de leur rencontre pacifiée ou au moins tolérable par les différents publics eux-mêmes.

Compte tenu de cette organisation acrobatique à visée universaliste des bibliothèques publiques, on en vient à imaginer qu’elle peut servir toutes les spécialisations d’usage. Après tout, les étudiants des publics comme les autres, non ? On a ainsi inventé les bibliothèques publiques ET universitaires, comme celles de Clermont-Ferrand ou Valence. Sauf que…

Les bibliothèques publiques s’adressent en effet aux individus d’une collectivité (travailleurs, enfants, mais aussi étudiants, chercheurs, techniciens, etc.), mais… dans le contexte précis de cette collectivité communale. Celui-ci concerne plus la synthèse des besoins du « vivre ensemble » que mille projets spécifiques exigeant chacun des moyens spécifiques pour atteindre leurs buts. Qui va demander à une bibliothèque publique de fournir tous les documents et services utiles à une entreprise de pointe ?
En outre, chaque projet collectif structuré construit sa propre organisation d’information utile. Une entreprise génère sa structure de documentation selon ses objectifs. Et l’entreprise universitaire construit, selon ses propres critères et objectifs, ses structures de formation, ressources, réseaux, etc., utiles à la réalisation de son objet.

Vouloir que la bibliothèque municipale assume les fonctions d’une bibliothèque universitaire, c’est soumettre ses moyens à des formes d’organisation qui ne sont pas nécessairement celles qui conviennent à des demandeurs d’emploi, des retraités ou des amateurs d’éclectisme. Comme le souligne le collègue clermontois, cela suppose une gestion des espaces qui, peu ou prou, conduit à différencier les publics en fonction de leurs usages.

Accueillir tous les publics, ce n’est pas se transformer en établissement multi-spécialisé. Si sans doute une bibliothèque municipale peut apparaitre parfois comme une bibliothèque étudiante, cela n’en fait pas nécessairement une bibliothèque universitaire… Une étude du public étudiant de la BPI montre bien les subtilités de cette distinction.

dimanche 11 janvier 2009

Hommage à l’usager inconnu

Filed under: Non classé — bcalenge @ dimanche 11 janvier 2009
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Pendant la semaine qui sépare Noël du Jour de l’an, la bibliothèque était bondée. Étonnant, non ? En fait, la fermeture hivernale de nombreuses bibliothèques universitaires, à quelques semaines des partiels, expliquait en grande partie cette affluence. Une collègue m’a glissé : « Bon, ils ne s’intéressent pas du tout à nos collections, mais ça fait du monde, et puis ils sont calmes et discrets… ». Au mieux des améliorateurs de statistiques, mais pas des usagers ? Et si on revenait sur ces utilisateurs discrets et méconnus qui ne dérangent pas les étagères, ne font pas la queue au prêt, ne demandent ni photocopie ni prêt entre bibliothèques, ne griffonnent pas les documents voire ne les volent pas, bref ne se préoccupent que modérément ou pas du tout des collections ?

Premier constat : ils sont nombreux, très nombreux, et ce nombre va croissant. On y trouve en vrac :

  • déjà ces élèves ou étudiants qui viennent trouver siège, table, calme, ambiance studieuse, pour réviser leurs fiches de cours, rédiger leurs travaux, seuls ou parfois en petits groupes ;
  • les consulteurs d’Internet, surfeurs plus ou moins passagers, plus ou moins discrets, qui parcourent les jeux, gloussent devant les pages people, font des recherchent approfondies, consultent leur messagerie, osent un regard plus ou moins furtif sur une page porno…;
  • le badaud qui, entre deux courses, vient se réchauffer au café installé en rez-de-chaussée de la bibliothèque (j’y ai même rencontrés deux collègues d’une autre ville, déjeunant là rapidement en attendant leur train) ;
  • le passionné d’événements culturels ou le visiteur de passage qui, par curiosité, flâne devant une exposition ou examine scrupuleusement chaque cartel l’un après l’autre ;
  • les bandes d’amis, ou les amoureux, qui trouvent à la bibliothèque un cadre agréable, discret et gratuit à leur rendez-vous ;
  • le clochard qui a décidé de venir dormir en se réchauffant un peu ;
  • ceux qui – un comble – ont amené leur propre livre pour venir le lire tranquillement dans une chauffeuse ;

Tous ceux-là co-existent avec les utilisateurs directs des collections (consulteurs, emprunteurs) et les internautes qui ont pris rendez-vous à l’espace numérique pour un atelier ou une autoformation (lesquels ne bnégligent d’ailleurs pas toutes les pratiques énumérées…).
Mais nous ne les connaissons pas ou peu, ils sont trop fugitifs… Une étude avait tenté de les cerner ( « Les bibliothèques municipales et leurs publics : Pratiques ordinaire de la culture », BPI, 2001) : ces ‘UNIB’ (Usagers non-inscrits des bibliothèques) étaient d’anciens inscrits, des visiteurs refusant l’inscription, des passagers, parfois des fidèles… Claude Poissenot soulignait que le nombre de leurs visites était moindre, en masse, que celle des inscrits, mais il relevait également que la durée de leur séjour était en moyenne plus long. Toujours est-il qu’à l’échelle d’une population entière, une enquête de la BM de Lyon montrait en 2003, puis en 2006, que le nombre de personnes (15 ans et plus) entrées au cours des six derniers mois au moins une fois dans une bibliothèque de la ville sans y être inscrites, était deux fois supérieur au nombre des personnes décomptées comme inscrites…

Je ne veux pas ici me livrer à une bataille de chiffres, mais m’interroger sur le statut des visiteurs qui ne sont pas directement consommateurs des collections. Quelle « légitimité » accorder à leur présence ?
– Les spectateurs (parfois acteurs) des animations ne sont pas ignorés : on les compte, on sollicite leur opinion. D’aucuns (dont moi-même) pensent d’ailleurs que leur ‘consommation culturelle’ est une forme d’appropriation des savoirs proposés par la bibliothèque…
– Les internautes son eux aussi décomptés (sessions, réservations, etc.), et leur consommation de ressources électroniques, même sur le web généraliste, est de plus en plus considérée comme une forme d’appropriation de l’information ; et si cela se fait à la bibliothèque, tant mieux ! Les bibliothèques américaines s’enorgueillissent de voir des communautés entières envahir leurs espaces pour y consulter Internet…
– Les espaces numériques sont de plus en plus construits comme des lieux – et des services – où il est proposé une facilitation de la population à l’usage des outils numériques d’appropriation de l’information. Ce faisant, on évalue précisément leur usage, et l’activité qu’ils développent apparait de plus en plus comme la version contemporaine de la « formation des usagers » maintenant essentiellement tournée vers la maîtrise de cet univers…
Tous ceux-là, on peut les compter !! De plus à chaque fois – évolution intéressante dans les pratiques de notre métier -, on ne se cantonne plus à l’usage des collections matérielles, mais on vérifie le rapport des usagers à l’information, au savoir.

Restent les autres : les occupants du lieu sans autre objectif que le lieu, son confort, la présence discrète ou non des autres, l’ombre des collections. Ne pas lire un titre des collections, ne pas avoir recours à un agent de la bibliothèque, ne pas admirer l’animation proposée, …, bref ne vaquer qu’à ses propres affaires, solitaire ou avec d’autres, est-ce un dommage collatéral dans ce lieu public qu’est la bibliothèque ?
Ou bien n’est-ce pas la manifestation de la familiarité de cette dernière avec leurs points de repères rassurants ? La certitude du calme, de la place laissée à chacun, sans sollicitation importune, sans règle autre que celle de la tolérance et de l’absence de gêne réciproque (sans oublier l’ambiance studieuse laissant libre cours à ses propres travaux) ?
Bref, cette présence presque incongrue n’est-elle pas à bénir, comme signe de la réussite d’une institution à réaliser l’accomplissement – certes localisé et toujours fragile – du lien social, son objectif majeur ?

Qu’en pensez-vous ?

samedi 22 novembre 2008

Au service de tous les publics ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 22 novembre 2008
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Au cours des derniers mois, j’ai eu des discussions successives très stimulantes sur ce serpent de mer des bibliothécaires : le public. Ou plutôt ce qu’on imagine être ses attentes. En fait, quand il est discuté entre bibliothécaires seuls, le sujet est plutôt fatiguant ; on connait d’avance les interrogations, protestations et certitudes qui vont être assénées péremptoirement… La stimulation est née d’une très brève analyse non des contenus des discours différents seuls, mais des positions tenues par les acteurs des discussions.
Dans les années post-1968, on demandait agressivement : « d’où tu parles ? ». L’injonction se voulait réductrice, tentait de mettre l’interlocuteur en défaut, bref voulait finalement gagner un combat. Laissons cela de côté, et soyons entomologistes…

Les prés carrés

Toi tu t’occupes des enfants, moi des adultes. Même en affirmant, vieux poncif du métier, que l’enfant lecteur d’aujourd’hui est le lecteur adulte de demain (affirmation qui reste à démontrer en termes de taux de pénétration, et ce dès l’adolescence), la question de la lecture enfantine, et plus largement de sa découverte d’un monde actuel et d’une connaissance actuelle (plus que ‘du’ monde, généralisation à mon sens abusive) est-elle cantonnée à des spécialistes de l’enfance ou plus précisément d’un secteur enfants ? Inversement, que fait-on des enfants passionnés par un sujet qui veulent approfondir un domaine qu’ils maîtrisent parfois mieux que nombre d’adultes ? On les « garde » dans la section jeunesse en étendant le champ des acquisitions ou on construit des passerelles pour qu’ils soient accueillis dans des sections dites adultes avec le même respect et la même attention que des papys ou des mères de famille ? Bien sûr, tout bibliothécaire affirmera qu’il opte pour la deuxième solution, mais qu’en est-il de la réalité quotidienne, tant du côté bibliothécaires ‘pour enfants’ que du côté bibliothécaires ‘pour adultes’ ?
La scission peut se complexifier : le spécialiste des arts dédaignera une question (donc un membre du public…) qu’il renverra à un collègue experts en sciences, qui lui-même pourra réorienter le malheureux lecteur sur l’espace multimédia ou…  Et pour les grandes bibliothèques, on peut même jouer de l’effet réseau : « en 40 mn, et grâce aux transports en commun, vous pouvez vous rendre ici ou là pour obtenir quelque satisfaction documentaire » (‘le public’ n’a que ça à faire, c’est bien connu). On s’occupe des collections sectorisées et des responsabilités bibliothécaires ou de ce fameux public ?

Un public ou des publics ? Une bibliothèque ou des bibliothèques ?

A l’heure où dans les personnels des bibliothèques publiques les métiers se multiplient, il est très intéressant de consulter les personnes qui, oeuvrant pour la bibliothèque et surtout directement vers ‘les publics’, ont leur propre point de vue. Or là aussi les prés carrés ont la vie dure : un informaticien voudra sécuriser son réseau, un chargé de communication privilégiera l’événementiel, etc. Chacun a son filtre personnel (et encore plus professionnel) d’analyse de ces ‘publics’, et veut l’imposer. Après tout, c’est une des grandes perplexités de nombre de bibliothécaires face à leurs élus ou face à l’administration municipale : de ‘qui’ parlent-ils ?
Arrive le moment fatidique, l’instant de crise : le défaut de personnel. Pour diverses raisons (maladies, congés, grèves, etc.), il faut gérer la crise. Sur le papier, ce n’est pas grave, on a l’habitude de gérer la tension : on peut réaffecter les personnes selon les exigences du service au public. mais voilà que les prés carrés interviennent ! Caricaturalement : ici « je m’occupe des adultes et pas des enfants », là « je travaille sur un secteur documentaire et pas dans un autre », etc. Soit, il est des questions légitimes : comment gérer l’ouverture des services dans une institution publique lorsqu’il y a défaut de personnel ? Et notamment en cas de grève : ne pas faire grève, est-ce nécessairement se désolidariser de ses collègues ou briser leur mouvement ?
Mais mon sujet n’est pas là. Plus généralement, hors questions de tensions sociales, on s’occupe d’un secteur, ou on s’occupe du public ?  Et surtout, est-ce qu’on œuvre pour la bibliothèque entière ou pour un secteur particulier, le sien ?

Cultures professionnelles

Dans les bibliothèques publiques (mais est-ce leur seul cas ?), ‘le public’ est en fait ce qu’en font les bibliothécaires. Parfois, il est à leur image. Souvent même. Mais est-ce le vrai ‘public’ ? On m’a posé récemment une question : « faut-il prendre le public tel qu’il est, ou faut-il le prendre tel qu’on voudrait qu’il soit ? ». Banale question entre bibliothécaires. Mais est-elle si banale si on veut combiner tous les points de vue des multiples acteurs publics qui, en fin de compte, poursuivent difficilement au quotidien ces services variés, lesquels somme toute sont communs à l’ensemble des acteurs sociaux et culturels, même en dehors des bibliothèques ?
‘Le public’ n’existe pas : il, est des usages, ici confortés par l’habitude, là dispersés en de multiples pratiques (du web 2.0. entre autres), là encore nomades et avertis, mais là encore égarés par l’isolement social… Bref il est une population.

Connaissance et service public

Et si l’avenir de notre culture professionnelle consistait à réellement s’interroger sur les vrais désirs de connaissance de la population que nous sommes payés pour servir ? Bien sûr, on peut et il faut s’appuyer sur l’approfondissement  d’un savoir ou d’un savoir-faire professionnels, mais ces derniers n’offrent qu’une partie de la réponse (sauf en entretien de recrutement, où le savoir-être joue aussi sa partition !). Ils servent surtout à construire l’appareil de transmission et de repérage des savoirs utiles, et à inclure ces compétences cognitives dans un appareil PUBLIC cognitif et social offert à la population. Et c’est ce dernier objectif qui doit primer.
Concrètement ? Si bien sûr je ne peux pas nécessairement affronter efficacement la question trapue d’un visiteur en quête de ‘l’ombre et la lumière dans la peinture du XVIIIè s.’, je peux l’orienter dans un  plan de classement, lui faciliter l’usage de la bibliothèque, lui offrir le gîte à défaut toujours du couvert ad hoc ! Je peux même débrouiller la démarche d’un enfant dans une section jeunesse, même si c’est au prix d’un effort intellectuel (d’ailleurs non tant à cause d’un classement différent – faut pas exagérer – que d’une volonté de mise à niveau face à un interlocuteur pour moi inhabituel ). Et puis je peux tout simplement l’accueillir, minimum minimorum, pour qu’il vaque à ses préoccupations personnelles..

De nouveaux codes professionnels ?

L’essor des plans de développement des collections et la sectorisation des responsabilités documentaires ont été une avancée réelle dans les bibliothèques publiques : enfin – mais avec des réticences ô combien violentes ! – on se penchait sur les contenus ! Cette appropriation s’est effectuée par conviction, la plupart du temps. Mais d’autres mouvements, justement d’appropriation de territoire, ont conduit parfois à confondre compétences sur les contenus et activités de service au public.

Il est peut-être temps d’acter une distinction claire, qui considèrerait chaque agent distinctement – en termes de termes de responsabilités et d’engagement professionnel – l’individu bibliothécaire particulier et l’institution publique bibliothèque. Le premier terme a, je pense pour beaucoup, essentiellement opéré une mutation vers l’impératif des contenus. Il reste l’institution, et plutôt ces ‘publics’ : qu’attendent-ils d’une bibliothèque, ces nomades, habitués, fidèles, internautes, etc. ? De façon organisationnelle, la spécificité du bibliothécaire en termes de contenus doit-elle primer sur la diversité du public dans toutes les facettes de l’activité ?
Un bibliothécaire expert en arts est-il incompétent pour accueillir des enfants ? Un scientifique ne peut-il recevoir des amateurs de romans ? Bien sûr, il y a les fiches de poste – mais elles se modifient – ; bien sûr, il est des niveaux d’assistance qui exigent des compétences élevées,… mais on parle là de cas particuliers, voire exceptionnels. Finalement, la question réside-t-elle seulement dans le domaine d’expertise de contenus d’un individu (donc tendanciellement d’un  pré carré), ou dans la capacité d’une institution à servir une population ?

Il me semble qu’il est urgent de procéder  à un repositionnement majeur. L’exigence de compétences sur un contenu est essentiel, car l’avenir des bibliothèques réside dans leur capacité à savoir où chercher, à guetter les titres pertinents, à travailler non tant ce contenu lui-même que les itinéraires et les formes qui les rendront accessibles. Mais cette compétence spécifique ne doit pas se transformer en domaine réservé ; les bibliothèques publiques ont toujours un  second pan, l’errance et l’indécision des publics. Là, d’autres compétences entrent en jeu : le conseil, le décodage, l’accompagnement, l’écoute, etc. pourquoi faudrait-il que le contenu approfondi par un  agent soit étroitement corrélé à son autre service ‘basique’ d’accueil et de conseil élémentaire dans un  univers qu’il devrait connaître dans sa globalité ? C’est toujours LA bibliothèque qui offre un espace de connaissance ; ce n’est jamais un individu savant qui reçoit « chez lui ».
On ne travaille pas seulement à approfondir un contenu, large ou spécialisé, on travaille aussi – me semble-t-il – sur des publics qui ne sont pas ce que nous voudrions qu’ils soient ! Deux univers professionnels en un sont ouverts aux  bibliothécaires : le service direct au public qui – exigeant une connaissance des modes de fonctionnement de l’institution- prendra en compte le public dans sa nudité experte, et l’apport d’une expertise des contenus qui valorisera les collections et la plus-value de l »institution – et non de leur seul secteur ! Les deux coexistent dans l’activité quotidienne de chaque bibliothécaire !

Il ne faut pas rêver : d’infinies contraintes pèsent sur le fonctionnement des services. Des officiels profils de poste aux positions acquises, des craintes individuelles aux ‘stratégies territoriales’, de la tension accrue sur les postes disponibles en service public aux transformations des établissements, rien ne facilite cette reconfiguration du métier (ou devrais-je dire ce retour aux fondamentaux ?). Mais il est urgent, à mon avis, de considérer la dimension collective de la bibliothèque publique jusque dans l’organisation du travail.

Mais ce n’est que mon avis !  Donnez-moi le vôtre !!!

P.S. : Désolé, je manque à tous mes devoirs de bloggeur averti : pas un  lien dans ce billet ! Désolé pour le cul-de-sac (c’est comme ça que j’appelle un billet sur le web qui ne permette pas de rebondir. Ouh la honte !). Ceci dit, je ne prétends pas veiller (vive tous les autres veilleurs, et chapeau bas), je pose ici quelques réflexions en espérant stimuler vos neurones, et j’espère vos réactions pour… avancer aussi !

mercredi 12 novembre 2008

Le service, le lieu, le flux… et le comptage !

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 12 novembre 2008
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Quand j’analyse les accès via Internet à nos différents -et nombreux !- services, je suis pris de vertige.

D’un côté j’ai des entrées physiques sur les sites éventuellement multiples de la bibliothèque, et une activité documentaire de consultation et d’emprunt  de documents matériels. Et de l’autre j’ai des visites ‘virtuelles’ (en pleine expansion !), des « lectures » de produits ‘internetiens’ (plus nombreuses encore que les visites « physiques » !). La tentation est grande d’en faire l’amalgame.
Et puis je me retiens : un déplacement vaut-il un clic ? Une lecture attentive d’un livre vaut-elle parcours rapide d’une page Web avant de revenir en arrière ou de cliquer sur un lien  hypertexte ?
Mais en même temps l’emprunt est-il suivi d’une réelle lecture, et personnelle en plus (i.e. par celui qui a effectué l’opération d’emprunt) ?
Donc je présente imperturbablement mes données de façon parallèle : d’un côté les entrées, de l’autre les sessions (mais je résiste quand même à en faire l’addition smileys Forum)

Et puis n’oublions pas la foule qui se presse dans les espaces publics -sans emprunter, mais pour travailler, rencontrer, consulter Internet, que sais-je encore ! -, les si nombreux auditeurs des conférences, les abondants visiteurs des expositions, … eux aussi souvent dépourvus de cette légitimité de l’emprunt, et encore plus de l’inscription… Mais au moins on peut les compter à l’entrée (ou à la sortie) !

Les bibliothèques sont prises dans un maelström étonnant : tout le monde ou presque produit et diffuse de l’information. Nous, nous voulons promouvoir et défendre et servir une collectivité particulière (et parfois aussi une institution singulière…). Le premier réflexe est de ‘protéger le marché’, celui de la valeur de la distribution (le prêt, pour parler – très – vite) ; ‘conserver la clientèle’ (les inscrits, pour parler toujours aussi vite) ; développer nos services à l’aune de nos comptages éprouvés…

De plus, une évaluation ne vaut que si ses conclusions sont lisibles et acceptables par les personnes auxquelles elles sont destinées. En l’occurrence, pour nos institutions publiques, nos tutelles. Notre expérience nous prouve que si une étude qualitative ponctuelle est toujours regardée avec intérêt, les nécessités de la gestion (et de l’argumentation politique) imposent des données chiffrées. Il faut donc disposer de données discrètes même pour des actions peu réductibles à de tels dénombrements et surtout non comparables entre elles par ces moyens élémentaires.

Tout service s’inscrit dans un  lieu, mais celui-ci est tantôt l’espace de la bibliothèque, tantôt celui des univers Internet proposés, voire ceux des individus dans leur lieu de vie. Le lieu bibliothèque connaît moult usages bien connus (les entrées, les prêts,…) ou moins connus (l’assistance individuelle, le travail personnel,…), en même temps que le lieu se dissémine via divers outils (voyez cette page de la BU d’Angers par exemple).
Les décomptes associent toujours le lieu et le service, ou du moins le veulent.

Or le flux fonctionne de façon différente avec Internet. S’il se porte volontiers sur un « lieu » précis, c’est parce que ce lieu est un réservoir d’information autonome, tel que peut l’être Gallica. Mais deux mouvements tendent à dissocier le service d’un lieu précis :

  • les différentes formes de services encouragent à multiplier les espaces sur le web, espaces pas toujours spécifiquement ou uniquement bibliothèque (voyez par exemple ImagineOn, un site consacré au théâtre des enfants co-géré par un théâtre et la bibliothèque du Charlotte and Mecklenburg County). Comment qualifier les visiteurs et acteurs d’un wiki collaboratif de type Wiki-Brest qui serait initié et hébergé par une bibliothèque ?
  • la dynamique des services dissémine la bibliothèque hors de ses murs, comme on peut le voir avec Librarything ou avec le récent accord entre la BnF et OCLC autour de WorldCat, voire avec les espaces bibliothèque créés sur MySpace…

Il devient alors très difficile, voire impossible, d’argumenter avec des données simples le succès et la fréquentation réels d’une bibliothèque donnée. Bien sûr, on me dira que ce phénomène ne fait qu’amplifier une réalité bien connue des bibliothécaires : le large cercle des vrais lecteurs du volume emprunté par un inscrit identifié, le public de manifestations hors bibliothèque mais initiées par ou co-gérées avec la bibliothèque, les activités réalisées hors les murs,…
Seulement voilà, Internet tend à rendre ces usages, jusque-là jugés incidents, largement majoritaires, et nous n’en sommes qu’au début d’une véritable explosion.

Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, bien sûr ! Les décomptes de prêts, d’entrées, de spectateurs, …, comme de visites-sessions ou de questionneurs,… demeurent un outil incomparable. Mais il va falloir trouver le(s) moyen(s) d’analyser le flux !

Hors l’enquête directe (coûteuse) auprès de la population servie pour mesurer l’impact diffus et parcellisé de la bibliothèque, que voyez-vous ?

mardi 30 septembre 2008

« La bibliothèque, c’est fait pour les pauvres… »

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 30 septembre 2008
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Cette expression a toujours fait bondir nombre de gens, et en particulier les bibliothécaires, dont la communauté est fière à juste titre de conserver, mettre en ordre et transmettre les savoirs : on insistera sur la dimension du brassage social et sur le partage du savoir, on rappellera le rôle essentiel de ces établissements pour la recherche savante, on mettra en valeur les innovations pratiquées largement (bien que de façons quelque peu disparates), on évoquera la nécessité d’embrayer le dynamisme social naissant auprès des aficionados et des élites pour diffuser sur toute la société, etc., etc. Je suis le premier à partager cette vision prospective, mais…

Mais, à y bien regarder, l’assertion du titre n’est pas fausse ! Et ce sous tous les angles :

  • De façon essentielle, proposer en consultation ou prêt gratuits (ou presque) d’énormes ressources non disponibles sans bourse délier, n’est-ce pas un appel du pied à ceux qui, avides de savoir comme tout un chacun, n’ont pas les ressources de se procurer ce savoir moyennant finances ?
  • Offrir des espaces de travail ouverts, des connections wifi (sauf à Paris ?) gratuites, des opportunités de rencontre sans frais, des animations-expositions-conférences -projections largement accessibles librement, n’est-ce pas une suggestion d’économies individuelles ?
  • Offrir des services de questions-réponses, comme des assistances à la recherche documentaire, n’est-ce pas répondre à une déficience de connaissances et de discrimination, à une forme de « pauvreté » de la compétence documentaire ?

L’idéal inconscient des bibliothèques reste un écho de l’idéal humaniste : leur public rêvé reste l’honnête homme en recherche des sources qui alimenteront sa réflexion et sa recherche de savoir, dans son esprit largement modelé par les canons du « savoir savoir ». Cet honnête homme parcourt d’étrange chemins aujourd’hui, au travers des fils de la Toile notamment. Mais il est persuadé au fond, et ‘ses’ bibliothécaires avec lui, qu’il porte avec lui la connaissance, le savoir-faire, sinon tout le savoir (mais pour cela les bibliothécaires sont là, metteurs en ordre à son service…).

Parlons net. La société française (et bien au-delà) connaît une crise réelle : le pouvoir d’achat est réellement frappé, les mauvaises nouvelles économiques et donc (et surtout) sociales se multiplient. De plus en plus de personnes, frappées au portefeuille, cherchent où trouver à moindre frais les instruments de formation (se reconvertir, réussir son examen ou son concours,…), de loisir (« acheter ce roman, c’est trop cher, où pourrais-je le trouver ? »), d’information pratique, etc.

Certes, tout le monde -professionnel- sera d’accord avec ces arguments. Mais concrètement, quelles mesures prennent les bibliothèques ?
– que fait-on pour faciliter les procédures des inscriptions à la bibliothèque (hors l’octroi de la gratuité ou les réductions) ?
– Réfléchit-on au processus immuablement égalitaire des règles d’emprunt, amendes et autres remboursements ?
– Développe-t-on des services d’information d’accès aisé et gratuit permettant une orientation rapide vers les services compétents dans la cité ?
– Propose-t-on des solutions légères d’intervention informative ouvertes hors les murs (hors le dépôt de documents ou la desserte à domicile) ?
– A-t-on développé les acquisitions et la mise en valeur privilégiée des outils de reconversion, orientation, bilan de compétence, etc.?
– etc.

Bref, comment prend-on en compte le besoin purement social d’une information publique personnalisée au plus près du terrain des séismes « économico-personnels » ?

Ce caractère purement social de la bibliothèque – publique ou universitaire – ne peut être négligé en ces périodes de crise. Sans cesser de rêver à de nouveaux mondes et de construire la bibliothèque de demain, soucions-nous aussi et surtout de ces lecteurs d’aujourd’hui, bousculés par la houle.
Si la bibliothèque s’est construite sur un modèle d’élitisme intellectuel, je suis persuadé qu’elle ne pourra vivre pleinement que si elle accepte aussi sa dimension majeure d’institution de de service social de l’information, et en tire les conséquences en termes d’organisation, de procédures et d’actions.

Et tout cela ne passe pas que par Internet.
Car Internet c’est génial : ça permet des combinaisons inouïes, ça offre des opportunités d’expression autrefois inimaginables, ça autorise la participation publique des ‘lecteurs’ impensable hier, ça autorise des disséminations de la bibliothèque enfin au-delà de ses murs…

Mais la tentation de la modernité nous pousse naturellement à parcourir les chemins d’un espace que nous voulons conquérir tel un nouvel Eldorado. Une collègue rappelait justement que les merveilleux ‘produits’ publiés sur la Toile devaient souvent trouver leur expression sur des feuillets modestement distribués hors les murs pour trouver peut-être… le public auxquels ces informations seraient le plus profitables !
Il est temps aussi de se tourner vers ceux qui, plus modestement, plus économiquement, se cantonnent à leur quartier, à leurs préoccupations quotidiennes angoissantes, à leurs perspectives professionnelles angoissantes, sans toujours le secours d’Internet, dont près de la moitié des foyers français est encore dépourvu. Et quand bien même disposeraient-ils de la miraculeuse connexion ? Le « surf perspicace » est-il si évident et nécessairement pertinent qu’on voudrait le croire ?

L’ ‘inhabileté’ croît à proportion inverse des ouvertures sociales et professionnelles, comme la transmission des connaissances ne passe jamais par une seule voie, si moderne fut-elle. Ne l’oublions jamais.

Au-delà des plaidoyers pro domo, qu’en pensez-vous ?

jeudi 25 septembre 2008

Lagardère et la bibliothèque

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 25 septembre 2008
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Tiens, parlons d’une banalité tant ressassée : la bibliothèque publique doit servir tout le monde, et prêter la plus grande attention à celles et ceux qui sont en situation d’exclusion.

On connait le discours : il faut sortir de la bibliothèque pour « faire venir les gens à la bibliothèque ». Sans qu’ils aient nécessairement une réelle connivence avec ces concitoyens (ils lisent peu, ont des préoccupations matérielles majeures qui les mobilisent, sans parler de situations familiales difficiles à vivre au quotidien -monoparentalité, temps partiel subi, etc. ), on décide qu’ils sont un public à servir conquérir. Louable intention, écho généreux à l’ambition de Malraux : mettre la culture à portée de tous. On tisse des partenariats, on sort de la bibliothèque (eh oui ! nombre d’actions dites « hors les murs » se multiplient, et c’est tant mieux !), et … on rame !

Sauf que…

Qu’est-ce qu’on veut vraiment ? Conquérir des inscrits – ou mieux des emprunteurs ? Augmenter les visites ? Intégrer les populations concernées dans le si merveilleux univers de la bibliothèque comme site car le lieu et ses services seraient l’alpha et l’oméga de la communauté ? Certes, l’institution bibliothèque a besoin de données statistiques (donc quantitatives) simples et massives pour s’affirmer. Mais on parle de quoi ? de l’institution ou des publics concernés ?

On sait qu’il est des publics ‘absents’ (au sens trop souvent de non-inscrits, hélas !),  des voisins presque, qu’il faut séduire pour le lieu et ses attraits, en particulier ceux qui conservent l’image de la bibliothèque livresque et studieuse sans avoir eu l’occasion d’essayer la nouvelle bibliothèque espace culturel, espace libre de rencontres, occasion d’ateliers pratiques, appareil de conseils, etc. (Encore faut-il avancer dans cette mutation). Et pour lesquels cette image traditionnelle ne répond pas à leurs besoins sans qu’ils aient imaginé ces nouvelles facettes…

On sait aussi qu’il est nombre de personnes actives, étudiants ou adolescents, pour lesquels la consommation informative ou culturelle tend à devenir domiciliaire (comme le signalait cette synthèse sur la culture adolescente), et de nombreuses bibliothèques sont imaginatives pour proposer des services qui s’insèrent dans ce nouveau contexte, essentiellement tissé de relations électroniques. D’ailleurs, l’immense majorité des biblioblogs se penche sur ce vecteur d’usages et de moyens. Pour ceux-ci le champ d’action est Internet, plus que le lieu bibliothèque.

Mais là encore de quels publics parle-t-on ? Comme je l’ai déjà souligné (ici), une immense majorité des services en ligne se déploie à partir d’un site bibliothèque très identifié et global (un lieu en fait ?) , même lorsqu’il se présente ambitieusement comme un ‘portail’, sans autre présence active dans l’univers protéiforme d’Internet. Y compris les présences incompréhensibles – pour moi – de certaines sur des espaces sociaux de type Myspace, qui à ma connaissance conservent cette identité « bibliothèque institution » (avec des astuces marketing de présentation) : ce n’est en fait qu’un déplacement du lieu, ou plutôt des services d’un lieu parfaitement connoté, au moins en France.
Alors on s’échine à repérer les visiteurs, les sessions, et ou les pages vues sur ces services, substitut certes utile de nos compteurs d’entrées et données d’inscription ou de prêt des lieux physiques. Mais bon, on parle en fin de compte toujours d’un usage statistique d’un lieu : réel pour les bâtiments, électroniques et parfois disséminé pour les – souvent LE – site(s) web et les services qu’il propose. Bref, on cherche toujours à ‘faire venir à la bibliothèque’. Ce n’est pas un objectif de service aberrant, bien au contraire ! Mais …

Venons-en à notre première question : comment faire avec ceux qui, « cloisonnés » socialement, pressurés par leurs contraintes économiques et/ou familiales, inexperts dans le maniement des informations tant dans les lieux que sur le net (cette fameuse litteracy), représentent une part importante de la population… que nous avons à desservir ?
Faire venir à la bibliothèque, dans le lieu même ou via Internet, est-ce toujours le bon service ? La bibliothèque comme institution agissante ne peut-elle imaginer des programmes d’action qui travaillent directement sur la population – quelle qu’elle soit d’ailleurs- sans passer par le lieu ? L’objectif des partenariats multiples et bienvenus se mesure-t-il à l’attraction du lieu ? Notre coeur d’action n’est-il pas là immergé, même s’il faut bien sûr quantifier les investissements, justifier les actions, actionner plusieurs cordes à la fois, etc. ?

Plus je m’occupe d’évaluation, plus je me méfie des statistiques. Je ne sais pas mesurer réellement cette forme de service réellement bibliothécaire (et d’ailleurs en recherche d’appellation officielle) qu’est ce qu’une collègue avait joliment appelé le « service Lagardère » : si tu ne viens pas à la bibliothèque, la bibliothèque viendra à toi.

Et tant pis (!!!!!!!!!) si tu ne viens pas à la bibliothèque ?

Trouver les moyens de défendre cette position n’est pas évident (les services sociaux le savent, dès qu’ils vont au-delà des impératifs réglementaires), mais la bibliothèque bénéficie d’une forte assise sociale, son lieu, ses services comptabilisables, ses résultats quantifiables. Elle peut faire le pari de consacrer légitimement une part de son activité en direction d’une action sociale et culturelle maigrement quantifiable (et en tout cas pas vis-à-vis du lieu ou des espaces web), levier d’une intégration culturelle collective… bénéfique à tous. Et même une part qui doit aujourd’hui déborder la portion congrue du ‘supplément d’âme’ !!
A condition pour ces acteurs de ne pas mesurer leur action à l’aune des entrées, des inscriptions ou des prêts !!!!
A condition de se penser dans une population, une communauté, et non nécessairement dans une institution stable et pérenne…

Qu’en pensez-vous ?

mardi 2 septembre 2008

Internet et la fréquentation des bibliothèques

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 2 septembre 2008
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La mise en œuvre de services Web innovants (porteurs d’information et autres que des vitrines) attire parfois des réflexions comme « vous allez vider la bibliothèque de ses lecteurs, qui n’auront plus besoin d’y venir ! ». Cette assertion est doublement mal venue. D’une part cela sous-entend que la bibliothèque n’est qu’objet de nécessité mais pas de plaisir, d’autre part les deux activités sont placées sur le même plan (parce qu’elles ont l’institution bibliothèque comme source commune) alors qu’elles ne se déroulent pas dans le même espace temporel (périodes et modalités d’accessibilité) ni pour des objets similaires (à la bibliothèque le livre, l’exposition, l’espace de travail ; à l’espace web le texte en ligne, le cheminement hypertexte).

Et puis surtout, les études montrent que les deux formes de service ne sont pas concurrentes. A Lyon déjà, une étude sur le Guichet du Savoir signalait que 85 % des utilisateurs n’étaient pas inscrits à la bibliothèque. Certes mais on prétendra que le service est quelque peu atypique. Une autre étude plus récente, réalisée par l’Institute of Museum and Library Services (aimablement signalée par Vagabondages), donne un nouvel aperçu extrêmement intéressant des pratiques distinctes d’Internet, des bibliothèques, et des pratiques d’Internet au sein des bibliothèques (par le public, bien sûr !). C’est cette enquête qui me conduit à écrire ce billet. Dans ce travail d’une réelle ampleur, trois des enquêtes conduites méritent quelque attention :

une enquête générale sur les sources d’information utilisées par les Américains (1 557 personnes)

une enquête auprès des utilisateurs d’Internet (1 607 personnes)

une enquête auprès des utilisateurs de bibliothèques (1 049 personnes)

Nul doute que l’examen des autres enquêtes (sur les utilisateurs des musées notamment) nous apporterait nombre d’informations utiles. Mais limitons la taille du billet ! et cantonnons-nous à quelques réflexions en passant. Soulignons en outre que l’enquête porte sur des Américains adultes de 18 ans et plus (et il n’est pas indifférent de relever que 75 % des Etatsuniens sont détenteurs d’une carte de bibliothèque, selon l’OCLC).

Quelques regards sur les besoins et stratégies de recherche

Premier point intéressant, l’enquête sur les pratiques générales d’information se positionne d’abord par rapport aux sources. Un Français (bibliothécaire) dirait peut-être : « ah oui ! Est-ce que les gens préfèrent Internet, le journal ou la bibliothèque ? ». Plus subtile, l’enquête se réfère dans un premier temps aux vraies sources, qui sont des supports et non des institutions : dans cette acception, la bibliothèque n’est pas une source, à la différence des livres, des revues, d’Internet (qui n’est qu’un support, ce que n’est pas la bibliothèque), voire des autres personnes – les gens – : voila les vraies sources pour le citoyen.

Un autre point qui m’a frappé : tous types de besoins d’information confondus (la liste est impressionnante), 57 % des derniers besoins d’information personnelle ou familiale se sont manifesté depuis 1 semaine ou bien moins. C’est dire que nous sommes dans l’ère de l’urgence : savons-nous répondre avec rapidité ? La proportion de besoins intervenant dans un délai aussi bref atteint presque 80 % pour les questions scolaires ou universitaires : comme disait S.R. Ranganathan, ‘économisons le temps du lecteur’ !

Ave quels moyens accède-t-on aux informations ? Quelle source permet –selon les enquêtés – d’obtenir la bonne information ? Chose très intéressante, les enquêtés placent en tête les personnes (les autres, les gens,…), avec une note de confiance supérieure même à la ressource d’Internet – les grands perdants étant la presse et les magazines, mais à un niveau très convenable… (les bibliothèques, états-uniennes rappelons-le, sont bien placées). Depuis le temps que je répète que l’avenir des bibliothèques repose dans les bibliothécaires, non dans les prouesses technologiques !!!!!!

Et cessons de rechercher l’exclusivité : en moyenne, un utilisateur va chercher 2,1 sources quand la question lui est importante… De quoi relativiser notre « indispensabilité » ( !)… et de toute façon dans cette compétition la bibliothèque est bien placée !

Quels usages pour quels besoins ?

Les besoins utilisant préférentiellement Internet (et y trouvant leur satisfaction) s’établissent comme suit : 47 % relèvent du travail, 42 % sont personnels, 11 % relatifs à l’éducation (attention aux acceptions diverses de travail ou éducation dans la société nord-américaine !). En matière de travail, 67 % des besoins d’information sont recherchés via Internet. Et c’est Internet qui domine largement pour tout ce qui concerne les questions personnelles (‘family’) et professionnelles (‘work’).

Quant aux objectifs de venue physique à la bibli, ils  relèvent à 47 % de la distraction (et/ou culture ? : entertainment), à 21 % de préoccupations personnelles ou familiales, à 6 % du boulot, et à 26 % de besoins éducatifs ou de formation. Même chez les étudiants –venant à la bibliothèque -, les questions personnelles (loisirs compris) produisent la majorité des motivations de venue (à 65 %) ; au passage, 37,5 % expriment … une recherche de place pour travailler (ça vous étonne ?!!!), et 12,5 % seulement recherchent de la ‘littérature’ (terme US générique pour les livres sans motivation utilitaire). Ce qui est intéressant, c’est que la question est posée du côté de l’usager (« qu’est-ce qui vous a fait venir ? ») et non du côté des institutions (« quels sont les atouts de telle institution ? »).

Il apparait clairement qu’un des atouts majeurs de bibliothèques est leur capacité de proposition d’un espace social, lieu de rencontre, espace de plaisir, ce qu’avait déjà souligné l’enquête du CREDOC en France.

La confiance documentaire

Les collections et les contenus informatifs ne sont pas absents de ces motivations, tout de même ! Déjà, l’entertainment utilise livres, disques, DVD. Mais l’usage documentaire semble apparaître davantage par le vecteur d’Internet, même pour les bibliothèques : 47 % des visiteurs physiques des bibliothèques cherchent de l’entertainment, contre 14 % seulement de ceux qui y viennent par Internet.

Et pourquoi des gens vont-ils dans les bibliothèques et sur leurs sites Internet ? Parce qu’ils ont confiance. C’est une forte leçon de cette enquête. L’enquête générale détermine un indice de confiance de 4,58 (sur 5) envers l’information fournie par les bibliothèques, contre un indice variant de 2,14 (sites personnels) à 3 (sites gouvernementaux) envers celle d’Internet.

Cumul et non substitution

Quand on croise ces différents éléments (dimension physique de l’espace social documenté, confiance informative, usages distincts des lieux et d’Internet), on comprend mieux deux conclusions majeures de l’enquête :

– « Les entrées dans les bibliothèques publiques continuent d’augmenter […] Le nombre d’entrées par habitant est passé de 3,8 en 1992 à 4,8 en 2005. Ainsi, Internet ne parait pas faire décliner le nombre des entrées en bibliothèque ». Allons plus loin (je m’épargne la traduction absolument exacte) : les visites externes sur les accès web de la bibliothèque n’ont pas d’impact significatif sur les entrées ‘physiques’. Les deux « espaces » ne se situent pas totalement sur le même plan des usages… Après, le pour quoi des entrées peut être questionné, comme en témoigne le débat virtuel suscité par la BPI autour de l’enquête du CREDOC.

– Les pratiques sont volontiers cumulatives (et non exclusives ou substitutives) : 10 % des enquêtés ne connaissent qu’Internet, mais 47 % cumulent visites sur Internet, dans les musées et dans les bibliothèques (bon, on est aux Etats-Unis)

Conclusions ?

Les cinq conclusions des études, à prendre avec précautions vu l’objet même de l’Institut (quand même justifier les bibliothèques et les musées !) et à ne pas transposer telles quelles (ce sont les États-Unis), sont les suivantes. A vous de traduire, je fatigue :

CONCLUSION 1. Libraries and museums evoke consistent, extraordinary public trust among diverse adult users.

CONCLUSION 2. An explosion of available information inspires the search for more information

CONCLUSION 3. The public benefits significantly from the presence of museums and libraries on the Internet.

CONCLUSION 4. Internet use is positively related to in-person visits to museums and libraries.

CONCLUSION 5. Museums and public libraries serve important and complementary roles in supporting a wide variety of information needs.”

Allez, on va se faire plaisir pour finir. Une citation à relever (US, une fois encore) : « Les utilisateurs d’Internet sont, par rapport aux non-utilisateurs d’Internet, à 91 % plus enclins à entrer dans des musées et à 50 % plus enclins à entrer dans des bibliothèques publiques » (“Internet users are about 91% more likely to visit museums and 50% more likely to visit public libraries than non-Internet users”).

Ce ne sont que quelques notes. Vous en dites quoi… après avoir lu les rapports, bien sûr !?

Un Post scriptum : l’étude propose une évaluation du bénéfice économique des bibliothèques : il est évalué à 35,8 milliards de dollars (vous avez bien lu !) économisés par les utilisateurs. Je ne crois guère à ces calculs-là, mais c’est intéressant…

vendredi 25 juillet 2008

Evaluation et statistiques : les inscrits

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 25 juillet 2008
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« T’as combien d’inscrits ? », « les inscriptions baissent ! », « la fréquentation remonte, regarde : les inscrits sont en hausse ! », « la fréquentation est une chose, mais les inscriptions c’est ce qui compte», etc.

Les inscrits (plus que les inscriptions d’ailleurs) sont une des données que les bibliothécaires examinent avec la plus grande attention. On en tire un indicateur majeur : le taux d’inscrits rapporté à la population communale ou intercommunale. Pour des raisons comptables parfois : elle vaut rentrée d’argent. Pour des raisons politiques souvent : elle légitime l’établissement. Pour des raisons plus confusément bibliothécaires : elle confirme l’objectif ultime de la bibliothèque – 100 % d’inscrits smileys Heureux.

Passons outre ces diverses motivations (pour les bibliothèques publiques au moins : les BU évoluent vers d’autres critères d’impact). Et décortiquons un peu ces ‘inscrits’.

A quoi est-on inscrit ?

La cause est entendue, la seule inscription valide institutionnellement est celle qui donne accès à l’emprunt de documents (et non au prêt, terme très biblio-centré). Et pourtant, on peut s’inscrire pour de multiples autres raisons : une lettre électronique, un service en ligne, une animation à public restreint, une connexion Wifi – sauf à Paris, ah ah !! -, la diffusion du bulletin d’information, les séances d’atelier à l’espace numérique, etc. Les usagers ne s’y trompent pas qui ne savent jamais très bien s’ils sont inscrits ou non… sauf bien sûr s’ils se présentent au comptoir de prêt pour emprunter un document !

Qu’est-ce qu’un inscrit au sens statistique ?

Bon, admettons, on parle d’une personne ayant effectué les formalités nécessaires pour emprunter des documents (bonjour la BPI ! ouah, la minable ! pas un seul prêt et encore moins d’inscrit !). Mais un inscrit comptable, qu’est-ce que c’est ? C’est quelqu’un qui s’est inscrit au cours des 12 mois précédents : hier ou il y a 364 jours ! L’ancien déménagé d’il y a 10 mois et le nouveau visiteur d’hier valent une unité chacun, pourvu que l’intervalle de temps considéré – l’année civile – recouvre les deux événements. C’est ça l’égalité statistique ! On ne compte pas les inscrits, abus de langage, on compte les cartes qui sont valides ! Or un décompte vrai des inscriptions réelles (i.e. les opérations conduisant à la confection d’une carte) sur une année montre qu’elles représentent environ 60 % des « inscrits » statistiques sur une année civile. Pourquoi ? Tout simplement parce que les inscrits officiels d’une année civile recouvrent en fait un ensemble de gens qui se sont inscrits sur presque deux ans : du 2 janvier de l’année X-1 (valides encore le 1er janvier de l’année X) à ceux inscrits le 31 décembre de l’année X (évidemment actifs cette même année, même pour quelques heures…). Et en plus la formalité de réinscription est variable et infidèle : voir plus bas…

Quelle est la validité des données saisies à l’inscription, ou à la réinscription ?

Une fois décodées les arcanes de l’inscrit et de l’inscription, attaquons-nous à ces fichus lecteurs… inscrits !!! Victoire, on les connaît, de près et dans le moindre détail, grâce aux données transcrites lors de leur inscription ! Oh, on se calme ! Tout le monde sait que la CNIL interdit la collecte de beaucoup d’informations (qui font baver les sociologues en vadrouille). Mais plus prosaïquement, examinons la qualité des fichiers d’inscrits d’une bibliothèque lambda : orthographe des noms en général correcte, mais libellé des adresses parfois approximative (pauvre Thierry Giappiconi et son – notre !- rêve de SIG appliqué au lectorat des bibliothèques !), PCS (ex-CSP) erratique (surtout pour les réinscriptions : un collégien fidèle restera peut-être ‘scolaire’ au fil des années pour la bibliothèque, même une fois devenu chef d’entreprise !), base des inscrits peu ou mal nettoyée, générant des erreurs sur les adresses mails quand elles ont été saisies, « fleur » faite à un lecteur sympa pour l’inscrire dans une catégorie moins coûteuse que celle où il paierait plein pot, etc.

Quelles personnes recouvre une inscription ?

Bon, on essaye de régler tout ça, et on se fait une base d’inscrits à peu près propre. OK ? Eh ben c’est pas réglé !!! De quoi on parle ? Une personne clairement identifiée = un inscrit (il faut que la lecture soit personnelle, c’est plus sûr…). Ca roule !!! Damned, ces fichus inscrits ne jouent pas le jeu ! Cette précieuse carte d’inscrit, ils la galvaudent, comme les cartes de fidélité distribuées par les magasins de vêtements ! D’abord ils empruntent sous leur nom – et leur carte – des documents pour leurs enfants, conjoint(e)s, concubin(e)s, ami(e)s… ! Ce n’est pas négligeable, comme le soulignait l’enquête 2005 du CREDOC (et à Lyon, selon une enquête de fréquentation, 10% des visiteurs déclarent emprunter pour d’autres), et je suis toujours émerveillé de décompter des papys et mamies emprunter (statistiquement !) des albums que je racontais à mes propres bambins ! Même, ce que j’ai pu constater de mes propres yeux, beaucoup empruntent des documents avec la carte d’un voisin, ami, parent… : dans nos enquêtes lyonnaises, un bon nombre de personnes affirment ne pas être inscrites… et emprunter des documents. A mon avis, la carte de bibliothèque (sans photo, of course) repose sur le meuble de l’entrée à côté des clés de la maison ou de la voiture, de la carte de piscine, etc., à la disposition de tous les membres de la famille. Moi, ça ne me gêne pas, au contraire, mais…

Inscription et fréquentation

L’horreur, pour un bibliothécaire, c’est qu’on abandonne la bibliothèque. Bon, c’est dur pour tout le monde, l’abandon, et surtout à titre perso ; mais faudrait pas pousser la conscience professionnelle jusqu’à faire une dépression… C’est quoi, abandonner la bibliothèque ? Pour moi, abandonner, c’est partir pour ne plus jamais revenir. C’est dans cette perspective dramatique que j’ai accueilli avec intérêt un groupe d’étudiants de l’Enssib qui, en 2004, voulaient étudier les raisons de l’abandon de la bibliothèque auprès des – anciens et surtout futurs déçus- lecteurs d’icelle. Las, j’ai vite découvert que leur enquête consistait en fait à déceler les raisons de la non fidélité aux rites de réinscription annuelle. Bref, un « non réinscrit » = un déserteur ! Même dialogue surréaliste au Ministère de la culture en 2005, dans le comité de pilotage de la fameuse enquête du CREDOC sur la fréquentation et l’image des bibliothèques municipales : « on constate une baisse des inscrits : analysons cette baisse de la fréquentation ». Pouf pouf ! Ce qu’on nomme un inscrit, c’est –avec toutes les précautions ci-avant énoncées- une personne inscrite pour pouvoir emprunter (et jusqu’en 2004 devant avoir validé cette inscription par un achat emprunt au moins). Que ce soit pour elle, pour quelqu’un d’autre, ou par usage détourné de la carte de fidélité d’inscription (familial, amical ou autre)…Deux enquêtes lyonnaises de population (BBF ) ont montré que 45% de la population adulte était entrée dans une bibliothèque de la ville dans les 6 mois précédents… alors que 15 % seulement étaient régulièrement inscrits : deux fois plus de non-inscrits que d’inscrits ! Alors, on fait quoi de tous ceux qui fréquentent les ateliers numériques, qui feuillettent les magazines, qui travaillent dans nos salles, qui discutent dans nos ateliers ou conférences, qui utilisent nos services de questions/réponses en ligne… sans être inscrits pour l’emprunt ? Ils ne comptent pas ?!

Il lettore e mobile !

Revenons un instant sur la notion de fidélisation. En recherchant 100 % d’inscrits, on cherche en fait une population qui, chaque année exactement, reviendrait valider une carte (dont elle se servirait, bien sûr !). Or il n’est pas rare que chaque année près du tiers des personnes inscrites l’année d’avant ne renouvellent pas leur inscription : ont-elles abandonné la bibliothèque ? Pas nécessairement, bien au contraire : elles utilisent d’autres services que l’emprunt, comme on l’a dit. En outre, l’inscription est une formalité épisodique : un oubli (réparé) de nettoyage des fichiers d’inscrits m’avait permis de constater que 14 % des inscrits d’une année X ne l’étaient pas l’année X-1… mais l’étaient l’année X-2, X-3 ou X-4 (je les appelle des « revenants »). Les inscriptions sont mouvantes dans le temps dde la vie de chacun : changement d’activité, naissance d’un enfant, déprime, etc. Lisez les belles phrases de JL Gautier-Gentès, qui relativise merveilleusement la pseudo centralité de notre activité (BBF ). Quelle sorte de fidélité cherchons-nous ? et pour quels services ?

Que veut-on décompter ?

Pour une mesure bancale, c’est une mesure bancale ! Mais après tout, il serait illusoire d’espérer une mesure décisive de la part des statistiques. Tout dépend de ce qu’on cherche à savoir (plus qu’à prouver. Encore que…). A Lyon, on peut faire de multiples décomptes :

les inscrits pour l’emprunt. Je n’y reviendrai pas. Encore faut-il souligner l’importance de cette mesure en termes logistiques (charges de prêts, contraintes de rangement ; etc.)

les visiteurs lambda, amateurs de calme, de travail, visiteurs des départements, des expositions ou fans des conférences, dragueurs (eh oui !), emprunteur quand même, … Les décompter (entrées, durées de séjour,..) signale leur importance.

Les visiteurs en ligne, souvent non inscrits pour l’emprunt (seuls 15% des utilisateurs du Guichet du Savoir sont inscrits). Parfois doublonnant avec les catégories précédentes – mais comment le savoir ?- ;

Les personnes ou institutions rencontrées hors les murs : personnes âgées bénéficiant d’un dépôt d’ouvrages dans leur maison de retraite, familles rencontrées au pied d’un immeuble, enfants servis par des animateurs de BCD formés par la bibliothèque, etc.

Bref, faute de savoir comment compter, on se cantonne aux inscrits, voire aux emprunteurs.

Un indicateur international ?

Ceci dit, une fois connues ces limitations, on peut utiliser la mesure du nombre d’inscrits en interne, pour étudier parcellairement des pratiques, des flux, de la masse de travail qui en découle… Mais voilà, non seulement cette mesure est toujours mise en avant, mais encore on s’en sert pour établir des tableaux statistiques nationaux voire internationaux, au moins pour les inscriptions nécessaires pour emprunter. Elle est à l’honneur dans les normes ISO. On m’a toujours appris à me méfier de mesures portant apparemment sur le même objet mais dont les protocoles d’établissement étaient distincts. Or c’est le cas ici, par la non-similitude des modalités et formalités d’inscription. Je ne reviendrai pas sur la question souvent débattue des coûts d’inscription discriminant les populations susceptibles de s’inscrire. Mais je voudrais attirer l’attention sur le fait que l’inscription pour le prêt est parfois requise pour celui-ci seulement (mais souvent très différencié selon les supports), mais parfois aussi couplée impérativement avec d’autres services : consultation d’Internet par exemple, voire l’entrée dans la bibliothèque dans certains cas (une médiathèque de SAN dans la région parisienne a connu cela il n’y a pas si longtemps). En outre, les errements de l’intercommunalité en matière de bibliothèque conduisent à des mutations de référence (population multipliée par la décision d’intercommunalité) sans qu’il y ait aucun changement de service (même bibliothèque pour tous, accessible aux mêmes conditions qu’avant), le tout étant provoqué par de savants calculs politico-budgétaires étrangers à la population desservie. Comment en tirer quelque chose de cohérent au niveau national, d’autant que les politiques municipales évoluent au fil des années (je me rappelle le cas de la ville d’Autun dans les années 80, qui avait perdu 30% de ses abonnés d’une année sur l’autre en abandonnant la gratuité) ?

Bref, on voit que cet indicateur reste plutôt médiocre, au point qu’on peut s’interroger sur la raison du succès qu’il a rencontré depuis des décennies dans les bibliothèques publiques. Je subodore qu’il y a là la force d’une politique volontariste de démocratisation culturelle dans les années (19)60, marquée par l’ouverture de salles en libre accès et la libéralisation du prêt : les rapports et autres écrits de l’inspection générale à cette époque le laissent clairement entrevoir. Les bibliothèques ont changé, les services autres que ceux liés au prêt se sont multipliés (avec dans certains cas une inscription spécifique), l’environnement a évolué… Il est temps de relativiser cet indicateur du taux d’inscrits pour le prêt, non ?

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