Un commentaire sur l’excellent blog de Lully, Bibliothèques [pas mal comme titre : étonnant que personne ne l’ai pris avant lui !], me pousse à faire une halte sur les données statistiques que toutes les bibliothèques publiques, religieusement ou presque, versent sur le formulaire de la DLL. Déjà, et pour commencer, un grand merci à Lully, qui, roi des pypes Yahoo et autres instruments sophistiqués, a réussi à concentrer toutes les données annuelles de la DLL, présentées en ligne de façon inefficace en plusieurs tableaux distingués par région, peuvent ainsi être agrégées dans un unique tableau Excel. Bravo l’artiste !!
L’intercommunalité ? Non, des tas d’intercommunalités !
Le commentaire en question s’interroge sur la validité des données de population induites par la situation intercommunale de nombre de bibliothèques. A juste titre. Je m’étais moi-même cassé la tête sur cette question de l’intercommunalité lors de la direction d’une enquête conduite en Rhône-Alpes, au cours de l’année 2005, sous la houlette de l’Arald. Ce que j’avais constaté, c’est que cette intercommunalité recouvrait plusieurs réalités :
- l’intercommunalité absolue : quelques communes, en général étroitement liées topographiquement et historiquement, s’accordent pour créer un unique établissement, la bibliothèque intercommunale, sous statut également intercommunal. Éventuellement, cette bibliothèque organisera quelques annexes ou services itinérants. mais bon, la cause est entendue, c’est une bibliothèque intercommunale. Elle peut être très réussie, mais elle est beaucoup plus rare qu’on pourrait croire…
- l’intercommunalité alibi : c’est l’exact inverse du cas précédent. Deux ou trois communes s’accordent pour déclarer l’établissement jusque-là géré par la commune-centre comme bibliothèque intercommunale. Peu de services supplémentaires, peu de ressources complémentaires, mais des subventions accrues !! Quelques bibliothèques dites « municipales à vocation régionale » (BMVR) ont utilisé cette astuce pour bénéficier des crédits accrus du concours particulier de la DGD…
- l’intercommunalité factice : celle-ci rejoint la précédente en substituant à plusieurs services de bibliothèque situés dans plusieurs communes une entité administrative unique dénommée bibliothèque intercommunale… sans que les fonctionnements de chacun des établissements en soient affectés. Chaque site dispose de ses personnels communaux, de ses crédits communaux… de sa politique propre (au mieux les moyens en budget et en personnel de la bibliothèque de la ville-centre sont transférés à la communauté de communes). Parfois, l’intercommunalité ne tient que le temps d’utiliser les subventions…
- l’intercommunalité fonctionnelle : les villes (mais pourquoi seulement des villes ? des universités avec elles !) conservent chacune sa bibliothèque et ses services, mais mettent en commun certaines fonctions ou certains services, sans invoquer l’argument administratif de l’intercommunalité : ici on met en place un catalogue commun, voire une carte d’emprunteur unique ; là – et là c’est en Suisse, dans le canton de Vaud – on organise des silos partagés de conservation. Cela n’empêche pas par ailleurs certaines bibliothèques ne coopérant que pour certaines fonctions de se déclarer officiellement intercommunales… en ne partageant que quelques services réellement communs, comme un catalogue.
Bref, les cas de figure sont infiniment nombreux, interagissants, et pour tout dire imaginatifs, entre volonté politique majeure, recherche d’opportunité passagère, affichage sans profondeur ou pragmatisme sélectif. Et pour l’observateur provincial que je suis, l’intercommunalité absolue, la seule envisagée dans les rapports statistiques du Ministère de la Culture, est considérablement minoritaire ! Ce qui remet en cause effectivement la validité des calculs statistiques fondés sur ces données. Mais qui encore plus conduit à s’interroger sur l’intérêt et la pertinence des périmètres de l’intercommunalité.
Pertinences des périmètres
Hormis le cas où des communes fusionnent en une seule autorité territoriale (cas que nous laisse entrevoir le projet d’organisation territorial des grosses agglomérations) ou transfèrent uniment leurs bibliothèques à une autorité communautaire (l’intercommunalité ‘absolue’), peut-on valablement imaginer que des communes qui conservent leurs intérêts propres décident d' »abandonner » en totalité cet élément de patrimoine et d’action culturelle et éducative que représentent leurs bibliothèques, au profit d’une autorité « extérieure » ? Ce serait mal connaître les autorités et les imaginaires communaux : les élus ne s’y trompent pas, qui n’ont que si peu de services de proximité largement accessibles à proposer aux citoyens (et méconnaissent volontiers la complexité de la gestion de leurs bibliothèques). L’offre culturelle, c’est celle de la proximité ; sans parler du patrimoine, de la mémoire collective, de l’identité nationale locale, des agents relevant de la même communauté que les lecteurs, etc.
S’accorder officiellement pour des fonctions précises et limitées
En revanche, pour être pragmatique, il y a du grain à moudre du côté du back-office, tellement moins sensible en termes politiques et symboliques. De la carte d’accès commune à plusieurs bibliothèques au catalogue commun, il existe mille cas possibles d’intercommunalité fonctionnelle. Les élus et administratifs que j’ai eu l’occasion de rencontrer sont souvent très intéressés par cette perspective de rationalisation, d’optimisation des moyens, d’accroissement induit pour les services rendus. Les plus réticents, j’ai pu également le constater, sont souvent les bibliothécaires… J’attribue cette méfiance en partie à l’imaginaire holistique du bibliothécaire en sa bibliothèque, mais en partie aussi à l’absence d’analyse approfondie de ce qui est partageable selon certaines conditions (voire externalisable dans certains cas…) et de ce qui est vraiment au cœur de l’activité bibliothécaire. Les expériences pourtant ne manquent pas, qu’il s’agisse – versant positif – d’une centrale néerlandaise d’achat et de traitement des documents, ou – versant négatif – d’une externalisation de la sélection des documents acquis. Dans un autre registre, beaucoup de bibliothèques départementales ont pris ce parti vis-à-vis des petites bibliothèques de leur département : conseil à l’aménagement et à l’informatisation, formation, proposition d’animations itinérantes, catalogue collectif ou navette inercommunes, etc. Ne reste plus qu’à analyser, creuser, dégager le cœur du métier et le cœur des services, pour rechercher ensemble à s’affranchir du souci et de la charge solitaires de tâches moins chargées de contenu. Non ?
Reste que l’appréhension statistique et réglementaire de l’intercommunalité ne favorise qu’à la marge cette intercommunalité pragmatique (sauf dans le cas très particulier de la coopération inter-collectivités que constituent les réseaux de BDP, soutenus en tant que tels et statistiquement évalués de même), lui préférant la rassurante intercommunalité institutionnelle – fût-elle factice -, au risque d’oublier de ce fait l’émergence d’innovations qui pourraient être activement soutenues…