Bertrand Calenge : carnet de notes

samedi 12 décembre 2009

Web 2.0 et bibliothèques : une contribution

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 12 décembre 2009

Appelé il y a plusieurs mois à rédiger une conclusion prospective à un ouvrage du Cercle de la Librairie consacré à « Web 2.0. et bibliothèques », j’ai assisté – et parfois participé – à un débat entre les auteurs pressentis, concernant le statut juridique des différents articles : Creative commons ou non ? Je ne m’étendrai pas sur ces débats houleux, mais noterai que les auteurs survivants se sont vu octroyer dans leur contrat d’édition un article complémentaire et inédit , stipulant que leur contribution pouvait être publiée séparément sous forme électronique « à condition qu’il n’y ait pas de commercialisation, que l’ensemble des textes ne soit pas réuni sur un même site et que chaque texte renvoie à l’ouvrage dont il est une partie ». Avec ce billet – un peu long je vous l’accorde, car l’imprimé est plus bavard que l’écriture ‘webienne’ – je vous propose ces quelques lignes de contribution à un ouvrage à ne pas rater, « Le Web 2.0 en bibliothèques : quels services ? quels usages ?« , dirigé par Muriel Amar et Véronique Mesguich, aux éditions du Cercle de la Librairie. Ne découragez pas l’éditeur dans son effort bienvenu : achetez cet ouvrage !!

A découvrir et pratiquer nombre des univers et possibilités ouverts par ces divers modes d’appropriation du web, on ne peut qu’être fasciné par les nouvelles formes de réticulation du savoir et des échanges sociaux. Examiner ces manifestations du web 2.0 à l’aune des fonctions des bibliothèques conduit à mettre en lumière trois intérêts potentiels et complémentaires : construire des itinéraires personnels, disséminer la bibliothèque, proposer des pans de contenus contributifs. Trois intérêts inégalement partagés et de statuts bien différents.

En autorisant par exemple taggages, commentaires ou constitutions de paniers, la bibliothèque permet à l’utilisateur de constituer sa propre bibliothèque, de la partager avec une communauté d’amis, de faire connaitre son avis aux autres utilisateurs, voire de rendre visibles ses préférences en matière d’emprunts, provoquant ainsi des intérêts d’affinité. Elle rejoint ainsi la longue cohorte des blogs, libraires, commerçants, musées[1] qui parient sur ces logiques d’appropriation et d’affinité. Ce faisant, les bibliothèques poursuivent leur ancienne activité de ressource documentaire au service d’un public, mais le font en acceptant que la patte du public ne se limite plus au cahier de réclamations ou à la réflexion derrière un bureau d’accueil, mais d’une part soit non seulement visible des autres utilisateurs mais soit aussi un fil possible de lecture pour ces autres utilisateurs. Elle peut même encourager ainsi, le cas échéant, la constitution de communautés spontanées.

Néanmoins, cette possibilité nouvelle de créer et montrer des itinéraires personnels reste cantonnée au contexte de l’offre de la bibliothèque : tags, commentaires et paniers restent limités ici au catalogue, là au biblioblog, bref aux seuls outils mis en place par et pour l’institution. L’internaute qui apprécie ici de constituer sa bibliothèque au fil de sa navigation sur Internet, là de disposer de ses propres interfaces, là encore d’utiliser des moteurs de recherche largement répandus, cet internaute est vite contraint par le caractère clos des outils dont nous venons de parler : certes, il aura organisé sa propre collection au sein de l’offre de la bibliothèque, mais cette collection personnelle sera distincte d’autres qu’il aura pu constituer par ailleurs[2]. De même les tags qu’aura pu apposer l’internaute sur la photothèque de la bibliothèque resteront totalement indépendants des autres tags qu’il aura pu apposer sur d’autres sites hébergeurs de collections communautaires d’images.

Vient alors le deuxième temps du web 2.0 pour une bibliothèque : accepter que les contenus possédés ou créés par cette dernière quittent ses murs et ses outils propres, soient disséminés dans d’autres outils, plate-forme, univers. Les expériences de la Library of Congress ou de la BM de Toulouse le prouvent : leurs collections de photos sont beaucoup plus visibles et commentées sur le site dit social qu’est Flick’r qu’elles ne le seraient sur les seuls sites web de ces institutions. De même,  la grande majorité des bibliothèques (Worldcat) ont compris que leurs catalogues seraient beaucoup plus visibles et utiles via Google books plutôt que contraints dans leurs SIGB. De même encore, tout biblioblog ou agenda culturel gagnera à se dupliquer en fils rss qui permettront aux internautes d’inclure ces billets dans leur propre agrégateur plutôt que de devoir aller régulièrement consulter le site de la bibliothèque (ce que seuls les passionnés feront d’ailleurs)…

Mais même en ce deuxième temps, dont la popularité s’accroît dans nombre d’établissements, la bibliothèque ne change pas fondamentalement de visage, c’est elle qui crée, propose, sélectionne les contenus majeurs. Reste encore le troisième temps, le plus complexe, le moins arpenté et pourtant le plus prometteur : permettre la construction de contenus collaboratifs, et entrer ainsi dans ce que Bernard Stiegler nomme l’économie de la contribution[3]. Le modèle rêvé est bien entendu Wikipedia, mais la production contributive reste timidement abordée par les bibliothèques. Pourtant, et pour nous limiter à un exemple, il apparaît évident qu’à l’heure du numérique les dons de collections photographiques contemporaines se tariront si on ne propose par aux internautes de déposer cette mémoire sur un site où leur sera garantie conservation, traitement documentaire et valorisation. Mais cela suppose un décentrement de l’institution qui n’est pas évident, et nous en reparlerons…

Tous ces projets réclament des outils, et ce sont même les outils qui les ont rendus possibles. Pourtant, je ne peux m’empêcher de rester pensif devant la débauche technologique qui nourrit nombre des chapitres qui précèdent : certes, j’utilise volontiers nombre de ces outils et souhaite en promouvoir l’usage raisonné, mais la hache n’a jamais fait le bûcheron. Comme le souligne justement Michel Roland dans cet ouvrage, l’outil ne remplace pas le talent. Il ne faudrait pas qu’après la désacralisation du catalogage, des SIGB et autres SGBD, les outils du web 2.0 deviennent la nouvelle illusion technique de la modernité, au mépris du service humain et quotidien, au mépris des contenus ordonnés et éditorialisés.

Et il ne faudrait pas que, par la même occasion, cette plongée délicieuse dans les mashup et autres CSS fasse négliger leur réel usage par la population. Les outils et réseaux décrits dans les pages qui précèdent sont marqués par la centralité du moindre des acteurs, donc du moindre des internautes : c’est ce dernier qui construit ses itinéraires dans les contenus, agglomère des éléments disparates dans ses univers propres, voire contribue lui-même à la création de contenus. Le pari du web 2.0 est que les internautes sont gens à la fois autonomes et acteurs, et non simples spectateurs ou consommateurs. Mais un adage court dans le milieu des blogs : 90 % des visiteurs consomment, 9 % participent de temps en temps, et 1 % constituent l’essentiel de la contribution ; et il existe un risque réel de prendre l’activité intensive des « participatifs » pour un succès auprès de l’ensemble des visiteurs (encore que ces participations peuvent donner matière à consommer).

De plus, l’immense majorité des internautes se limite à quelques outils de base, peu sophistiqués, tels les forums ou le mail (avec, me semble-t-il une progression des fils rss, qui justement peuvent être lus dans un logiciel de messagerie). Foin de plugins réclamant l’introduction de lignes de commandes dans un répertoire, hormis pour quelques geeks[4]. Exemple professionnel intéressant : le récent arrêt de la liste de diffusion biblio-fr a généré des centaines de messages de bibliothécaires ordinaires, dont un bon nombre rappelait leur attachement à la facilité d’usage et d’écriture pour une liste fondée sur la messagerie. Certes, le web 2.0 est un univers dont les utilisateurs semblent être sans cesse plus nombreux, mais est-il vraiment utilisé si intensivement, une fois passé l’effet de mode ? Une étude de la Harvard Business School  (mai 2009) souligne que la médiane d’activité des comptes Twitter est … de un message seulement ! Bref, l’attrait de l’innovation ne doit pas faire oublier l’impératif majeur de l’analyse de sa réception.

Venons-en à la question la plus délicate : la place des utilisateurs de ces outils web 2.0 vis-à-vis de la bibliothèque et le positionnement de cette dernière, notamment vis-à-vis de ce qu’on appelle les réseaux sociaux. Certes, vouloir associer l’usager est une tendance lourde dans les administrations, et les bibliothèques n‘y échappent pas. Le succès des études de qualité Libqual en est un signe pour les bibliothèques universitaires. Dans le cas du web 2.0, l’association va beaucoup plus loin et veut faire de l’utilisateur le « co-créateur » du service[5] voire l’initiateur de réseaux sociaux au sein desquels la bibliothèque serait acteur au même titre que d’autres utilisateurs. Cette ambition présente de nombreuses ambiguïtés :

–         Au sein de la bibliothèque elle-même : encourager le public à écrire, produire et s’approprier en toute liberté ne va pas sans le même encouragement en  direction des personnels. Car l’animation des espaces dits sociaux est avant tout affaire de dialogues humains. Or convaincre les agents d’écrire, d’exprimer publiquement leur point de vue personnel, ce n’est pas toujours facile ni ne garantit la qualité de leur intervention. Laisser la libre expression  tient en outre du spontanéisme : toutes les contributions ne sont pas toujours souhaitables… De plus, il reste à conduire un énorme effort de formation et de motivation professionnelle sur l’intérêt quotidien de tels outils, comme il reste à professionnaliser l’usage d’outils qui, il ne faut pas l’oublier, sont d’abord destinés à des usages privés.
Parallèlement, jusqu’où la hiérarchie accepte-t-elle cette expression non institutionnelle, jusqu’où accepte-elle d’intégrer cette expression directe des agents à son visage et sa singularité institutionnelle ? Peut-elle abandonner sa structure hiérarchique qui a bien peu à voir avec les idéaux du web 2.0 ? Sans doute non, parce qu’elle ne parle pas au nom de ses agents ou de ses publics, mais d’un modèle institutionnel localisé. Il y a quelque chose de paradoxal à vouloir faire intervenir dans le web 2.0 la structure nécessairement hiérarchique au sein de laquelle se meut la bibliothèque (ne serait-ce que par sa soumission à ses tutelles). Dans ces conditions, il n’est  pas vraiment étonnant de constater que les wikis soient surtout utilisés en intranets, et souvent sur des questions normées de procédures…

–         du point de vue du positionnement institutionnel : laisser les contenus de la bibliothèque disséminés et agrégés en de multiples lieux pose la question de la destination des outils : quels droits sur ces données ? quels partenaires mastodontes peuvent croquer la « petite » bibliothèque? quelle inclusion de l’intérêt public dans les multinationales ? La bibliothèque se dissout-elle dans la grande ronde des intérêts commerciaux dont la trame tisse la plupart des contenus informatifs d’Internet ? Offrir sa page sur Facebook, c’est aussi accepter que toutes les informations collectées par Facebook soient utilisées par les propriétaires du site, même sans votre accord (ni celui de vos visiteurs).

–         du point de vue de la relation aux tutelles : adopter ces outils dont le coût est supporté par le consommateur de façon subtile tout en lui paraissant gratuit peut conduire aisément à remplacer la bibliothèque… justement par de tels outils, parangons de la modernité. A trop prôner les outils du web 2.0, on oublierait volontiers que leur valeur ajoutée tient uniquement à l’implication des acteurs. Pour que le savoir circule dans une communauté, il ne faut pas tant des outils (si séduisants soient-ils) que des acteurs, serviteurs des membres de la communauté, ici des bibliothécaires. Il serait quelque peu spontanéiste (ou pré-dictatorial ?) de penser que la collectivité s’auto-organiserait seule, sans anges gardiens[6]

–         du point de vue de la relation aux publics acteurs : la parole de l’individu vaut-elle celle de l’institution qui construit un discours ? Laisser tagger des documents, est-ce laisser construire les index ? Récupère-t-on tout ? trie-t-on ? selon quel statut et quelle position ? Il est clair qu’il existe deux discours : un discours d’exposition qui livre les contenus et services de la bibliothèque au bon vouloir des publics acteurs, et un discours plus rationnel – et invisible aux regards extérieurs – qui retraite, trie, sélectionne, bref crée la légitimité institutionnelle. Par ailleurs, la bibliothèque qui veut générer des réseaux sociaux (par exemple thématiques) ou y entrer (par exemple via Facebook ou la messagerie instantanée) s’insère-t-elle réellement dans la sociabilité du réseau, et ne conserve-t-elle pas sa dimension institutionnelle dans la perception des internautes qu’elle rencontre ?

–         du point de vue de la réalité des publics et activités des bibliothèques : la commensalité et la personnalisation des outils du web 2.0 ne peuvent faire oublier la réalité que représentent les bibliothèques physiques. Là, au-delà des fils rss, des wikis  et des plugins, réside une interaction humaine nécessaire à la cohésion sociale. Les communautés subtiles et mouvantes du web – fût-il 2.0 – ne peuvent remplacer les rencontres ou échanges implicites du lieu où se meuvent non des identités virtuelles mais des « vrais gens ».

A l’inverse, et malgré ces paradoxes et ces limites, les bibliothèques peuvent-elles se détourner de ces outils ? Il semble bien que non, ne serait-ce que parce qu’un certain nombre de publics n’imagine plus de travailler sans eux, et que ce sont justement ces publics qui sont les plus avancés en matière de gestion de l’information. Et comme il est tout à fait probable que leurs pratiques avancées diffuseront progressivement dans le tissu social, il est impératif que les bibliothèques soient présentes auprès d’eux. Bref, sans masquer l’ambiguïté de la position des bibliothèques vis-à-vis du web 2.0, celles-ci perdraient beaucoup à ne pas se les approprier et à en proposer des déclinaisons bibliothécaires…

Je crois que le web 2.0 va profondément transformer la façon personnelle de s’approprier Internet pour ses loisirs, ses intérêt et sa vie professionnelle (bibliothécaires y compris), et que cette façon de faire va transformer les pratiques sociales vis-à-vis de l’information. Cette évolution est déjà à l’œuvre dans le sens d’une attitude plus critique, ce qui ne peut que réjouir les bibliothécaires.

Je crois que le web 2.0 va de plus en plus contraindre les bibliothèques à se positionner différemment dans leur offre de services et de contenus, afin d’entrer davantage dans ce quotidien des publics, et pourquoi pas d’expérimenter l’économie de la contribution, car elles devraient être bien placées pour le faire. Le web 2.0 encourage le décentrement des bibliothèques, leur inclusion active dans des réseaux extérieurs, dans des partenariats multipliés : elles entrent elles aussi dans l’ère des flux.

Je crois que les outils du web 2.0 peuvent profondément transformer les méthodes de travail au sein même des bibliothèques, intervenir de façon massive et pertinente sur la veille, le travail collaboratif, etc.

Mais je ne crois pas que le web 2.0 va profondément changer la face des bibliothèques ni leur statut : institutions publiques au service d’une collectivité, elles conserveront leur dimension institutionnelle, y compris dans leur organisation et leur mode de fonctionnement, fût-ce en meilleure symbiose avec leurs publics.

En attendant le web 3.0 ?

[P.S. : depuis que j’ai découvert les dernières utopies prophétiques de Tim O’Reilly, je sais que j’aurais du parler du Web² ]


[1] Voir par exemple le très intéressant projet « Steve : The Museum Social Tagging Project », accessible en ligne à l’adresse <http://www.steve.museum/>

[2] Sur cet exemple précis, citons cette « bibliothèque collective », commune à 700 000 lecteurs, que constitue Librarything : <http://www.librarything.fr/>

[3] Bernard Stiegler, Pour une nouvelle critique de l’économie politique, Galilée, 2009

[4] Le geek est « un stéréotype décrivant une personne passionnée, voire obsédée, par un domaine précis. Le plus souvent le terme « geek » est employé dans le domaine de l’informatique » (source : Wikipedia)

[5] Xavier Galaup, L’usager co-créateur des services en bibliothèque publique : l’exemple des services non-documentaires, enssib, 2007 (Mémoires de DCB), accessible en ligne à l’adresse : <  http://memsic.ccsd.cnrs.fr/mem_00000428_v1 >

[6] Merci ô combien à Wim Wenders…

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mercredi 2 décembre 2009

L’intercommunalité : quelles réalités ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 2 décembre 2009
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Un commentaire sur l’excellent blog de Lully, Bibliothèques [pas mal comme titre : étonnant que personne ne l’ai pris avant lui !], me pousse à faire une halte sur les données statistiques que toutes les bibliothèques publiques, religieusement ou presque, versent sur le formulaire de la DLL. Déjà, et pour commencer, un grand merci à Lully, qui, roi des pypes Yahoo et autres instruments sophistiqués, a réussi à concentrer toutes les données annuelles de la DLL, présentées en ligne de façon inefficace en plusieurs tableaux distingués par région, peuvent ainsi être agrégées dans un unique tableau Excel. Bravo l’artiste !!

L’intercommunalité ? Non, des tas d’intercommunalités !

Le commentaire en question s’interroge sur la validité des données de population induites par la situation intercommunale de nombre de bibliothèques. A juste titre. Je m’étais moi-même cassé la tête sur cette question de l’intercommunalité lors de la direction d’une enquête conduite en Rhône-Alpes, au cours de l’année 2005, sous la houlette de l’Arald. Ce que j’avais constaté, c’est que cette intercommunalité recouvrait plusieurs réalités :

  • l’intercommunalité absolue : quelques communes, en général étroitement liées topographiquement et historiquement, s’accordent pour créer un unique établissement, la bibliothèque intercommunale, sous statut également intercommunal. Éventuellement, cette bibliothèque organisera quelques annexes ou services itinérants. mais bon, la cause est entendue, c’est une bibliothèque intercommunale. Elle peut être très réussie, mais elle est beaucoup plus rare qu’on pourrait croire…
  • l’intercommunalité alibi : c’est l’exact inverse du cas précédent. Deux ou trois communes s’accordent pour déclarer l’établissement jusque-là géré par la commune-centre comme bibliothèque intercommunale. Peu de services supplémentaires, peu de ressources complémentaires, mais des subventions accrues !! Quelques bibliothèques dites « municipales à vocation régionale » (BMVR) ont utilisé cette astuce pour bénéficier des crédits accrus du concours particulier de la DGD…
  • l’intercommunalité factice : celle-ci rejoint la précédente en substituant à plusieurs services de bibliothèque situés dans plusieurs communes une entité administrative unique dénommée bibliothèque intercommunale… sans que les fonctionnements de chacun des établissements en soient affectés. Chaque site dispose de ses personnels communaux, de ses crédits communaux… de sa politique propre (au mieux les moyens en budget et en personnel de la bibliothèque de la ville-centre sont transférés à la communauté de communes). Parfois, l’intercommunalité ne tient que le temps d’utiliser les subventions…
  • l’intercommunalité fonctionnelle : les villes (mais pourquoi seulement des villes ? des universités avec elles !) conservent chacune sa bibliothèque et ses services, mais mettent en commun certaines fonctions ou certains services, sans invoquer l’argument administratif de l’intercommunalité : ici on met en place un catalogue commun, voire une carte d’emprunteur unique ; là – et là c’est en Suisse, dans le canton de Vaud – on organise des silos partagés de conservation. Cela n’empêche pas par ailleurs certaines bibliothèques ne coopérant que pour certaines fonctions de se déclarer officiellement intercommunales… en ne partageant que quelques services réellement communs, comme un catalogue.

Bref, les cas de figure sont infiniment nombreux, interagissants, et pour tout dire imaginatifs, entre volonté politique majeure, recherche d’opportunité passagère, affichage sans profondeur ou pragmatisme sélectif. Et pour l’observateur provincial que je suis, l’intercommunalité absolue, la seule envisagée dans les rapports statistiques du Ministère de la Culture, est considérablement minoritaire ! Ce qui remet en cause effectivement la validité des calculs statistiques fondés sur ces données. Mais qui encore plus conduit à s’interroger sur l’intérêt et la pertinence des périmètres de l’intercommunalité.

Pertinences des périmètres

Hormis le cas où des communes fusionnent en une seule autorité territoriale (cas que nous laisse entrevoir le projet d’organisation territorial des grosses agglomérations) ou transfèrent uniment leurs bibliothèques à une autorité communautaire (l’intercommunalité ‘absolue’), peut-on valablement imaginer que des communes qui conservent leurs intérêts propres décident d' »abandonner » en totalité cet élément de patrimoine et d’action culturelle et éducative que représentent leurs bibliothèques, au profit d’une autorité « extérieure » ? Ce serait mal connaître les autorités et les imaginaires communaux : les élus ne s’y trompent pas, qui n’ont que si peu de services de proximité largement accessibles à proposer aux citoyens (et méconnaissent volontiers la complexité de la gestion de leurs bibliothèques). L’offre culturelle, c’est celle de la proximité ; sans parler du patrimoine, de la mémoire collective, de l’identité nationale locale, des agents relevant de la même communauté que les lecteurs, etc.

S’accorder officiellement pour des fonctions précises et limitées

En revanche, pour être pragmatique, il y a du grain à moudre du côté du back-office, tellement moins sensible en termes politiques et symboliques. De la carte d’accès commune à plusieurs bibliothèques au catalogue commun, il existe mille cas possibles d’intercommunalité fonctionnelle. Les élus et administratifs que j’ai eu l’occasion de rencontrer sont souvent très intéressés par cette perspective de rationalisation, d’optimisation des moyens, d’accroissement induit pour les services rendus. Les plus réticents, j’ai pu également le constater, sont souvent les bibliothécaires… J’attribue cette méfiance en partie à l’imaginaire holistique du bibliothécaire en sa bibliothèque, mais en partie aussi à l’absence d’analyse approfondie de ce qui est partageable selon certaines conditions (voire externalisable dans certains cas…) et de ce qui est vraiment au cœur de l’activité bibliothécaire. Les expériences pourtant ne manquent pas, qu’il s’agisse – versant positif – d’une centrale néerlandaise d’achat et de traitement des documents, ou – versant négatif – d’une externalisation de la sélection des documents acquis. Dans un autre registre, beaucoup de bibliothèques départementales ont pris ce parti vis-à-vis des petites bibliothèques de leur département : conseil à l’aménagement et à l’informatisation, formation, proposition d’animations itinérantes, catalogue collectif ou navette inercommunes, etc. Ne reste plus qu’à analyser, creuser, dégager le cœur du métier et le cœur des services, pour rechercher ensemble à s’affranchir du souci et de la charge solitaires de tâches moins chargées de contenu. Non ?

Reste que l’appréhension statistique et réglementaire de l’intercommunalité ne favorise qu’à la marge cette intercommunalité pragmatique (sauf dans le cas très particulier de la coopération inter-collectivités que constituent les réseaux de BDP, soutenus en tant que tels et statistiquement évalués de même), lui préférant la rassurante intercommunalité institutionnelle – fût-elle factice -, au risque d’oublier de ce fait l’émergence d’innovations qui pourraient être activement soutenues…

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