Bertrand Calenge : carnet de notes

mercredi 30 juin 2010

Comment lire ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 30 juin 2010

Il y a quelque semaines, je m’interrogeais sur « comment écrire ? », le web étant – comme souvent – le déclencheur d’un certain nombre de réflexions voire injonctions contemporaines sur cette question. Le même déclencheur nous conduit à considérer notre façon de lire.

Ce billet est né d’un article de Michael Agger sur Slate.fr (un site d’information et d’analyse sur l’actualité plein de pépites) qui s’intitule  « Je lis sur le Web donc je pense autrement« . Agger réagit à un ouvrage récent de Nicholas Carr, The Shallows, qui questionne nos modes de lecture dispersés par la présence de liens hypertextes multipliés et s’interroge sur la mise à mal d’une lecture soutenue et attentive, tant cette attention est encouragée au butinage par des clics suggérés. Un autre billet sur le même sujet et le même livre, cette fois-ci de Narvic dans son blog Novövision et intitulé « Le lien est-il en train de tuer le texte ? », reprend l’analyse cette fois-ci du point de vue du journaliste en s’interrogeant sur l’acte d’écriture d’un texte et l’éventuel déroulement d’une pensée. Petit rappel : Nicholas Carr était par exemple l’auteur d’un article qui a fait du bruit : « Est-ce que Google nous rend stupides ? ».

Je n’ai pas la prétention de rédiger un nouveau point de vue sur le livre de Nicholas Carr – que je n’ai pas encore lu smileys Forum-, et je me limiterai à interroger la lecture en 2010 selon mes propres pratiques, sans méconnaitre qu’il est bien des pratques et univers différents selon les individus. Bref un billet autocentré, auquel vous êtes appelés à apporter vos propres témoignages…
Cela fait un long temps que je parcours des textes et sur le papier et sur Internet : parfois je lis de façon très approfondie, parfois je survole, parfois je volette de lien en lien (sur Internet), et dans ce dernier cas c’est, je l’ai remarqué, en quête inconsciente du texte qui enfin saura retenir mon attention. La mise en texte et en contexte d’Internet facilite, sans aucun doute, le butinage et le survol, mais n’est en aucun cas son apanage. Je constate trois grandes différences entre l’imprimé et l’information sur le web dans les simples pratiques de lecture (notez bien que je n’entre pas dans ce douteux débat entre les avantages et limites respectifs d’Internet et du livre !!) :

Première réflexion : il y a 20 ans j’étais papivore, je suis devenu omnivore.
Ma vie se déroule entre la veille d’information basculée sur le web, le magazine – imprimé – lu avec attention en prenant un café, le roman dévoré au chaud sous la couette, le billet de blog lu scrupuleusement sur l’écran et taggé sur Delicious, l’article scientifique souvent électronique -mais vite imprimé pour pouvoir être décortiqué à tête reposée -, le débat radiophonique ou audiovisuel au rythme apaisant en même temps que stimulant suivi sur un canapé…  J’ai vraiment du mal à comprendre les assertions qui voudraient faire croire qu’il n’est plus d’univers qu’internetien. Suis-je un dinosaure ? Au moins sur ce point, je ne pense pas : je signalais récemment qu’une très forte majorité des utilisateurs d’Internet dans les BM de Lyon compulsaient et empruntaient des documents matériels. Les livres électroniques changeront peut-être la donne dans un avenir indécis, mais s’ils sont sur le modèle des  actuels e-books ils resteront dans le contexte d’une lecture soutenue imprimée. Un roman, dans sa structure narrative, réclame en fait beaucoup plus de concentration que nombre d’essais ou d’articles dits scientifiques… En tout cas, les opportunités et modalités de lecture se sont multipliées plutôt que substituées (et ce n’est donc pas en fait une différence entre imprimé et web, mais le constat d’une palette de savoirs potentiels élargie).

Deuxième réflexion : merci à l’hypertextualité qui permet, enfin, de passer outre cette épuisante recherche des livres et articles cités en notes dans des articles stimulants, qui oblige à mobiliser des services de prêt-inter après avoir difficilement recherché la localisation et la disponibilité des articles cités, voire à programmer une visite à l’heureux établissement dépositaire – pas trop lointain, merci ! – de la possible gemme. Que de fois ai-je renoncé à cette entreprise, tant la logistique était lourde au regard des bénéfices hypothétiquement espérés ! smileys Forum Merci au web, qui nous offre la possibilité (encore bien bornée par les contraintes du droit d’auteur) de tenir virtuellement sous notre main la totalité des oeuvres citées en notes dans les travaux imprimés ! D’ailleurs, une suggestion aux concepteurs de livres électroniques : pour les oeuvres que vous numérisez et re-publiez, commettez une personne pour créer des liens Internet sur les références citées et disponibles dans le vaste univers d’Internet (Projet Gutenberg, Google Books, Wikisources, …). Les lecteurs vous en seront immensément reconnaissants !

Troisième et dernière réflexion: on peut lire sur le web de bien des façons différentes.
Effectivement, on peut sur Internet fureter au gré des liens, bref surfer comme on en a vite pressenti la fascinante opportunité avant d’en repérer la stérilité potentielle, comme on peut feuilleter l’inanité de bien des ouvrages (la différence entre les deux tenant au fait que l’imprimé a une finitude physique, et qu’on ne risque pas de s’y perdre, sauf à brasser la collection entière de
Gala !) . Mais on peut aussi sur Internet être saisi par un texte pour sa cohérence ou sa richesse, et – du moins en ce qui me concerne – dans ces cas la présence de liens ne me gêne absolument pas et n’est aucunement tentation permanente  de rebond. Tenez, les billets du blog de Maitre Eolas correspondent à une telle lecture soutenue, le clic sur un lien du billet (vers un autre blog, un texte juridique) n’intervient éventuellement qu’après coup, pour une vérification à chaud, et là, cf. ma réflexion 2). La multiplication des liens est-elle vraiment le problème ? Je n’en suis pas du tout sûr : ce qui manque le plus dans la profusion des textes et des liens, c’est du vrai contenu solide et structuré, de la pensée, de la vraie création, des choses qui valent le coup d’être lues. Le reste, effectivement, conduit au butinage ressassé…


Le principal problème que me pose l’écran est son incapacité à accepter la marque personnelle du lecteur. Lire est dérouler une pensée : tiens, une référence ! Bon j’y reviendrai plus tard, je coche au crayon. Et à la fin je reviens sur ce que j’ai coché. Les citations, je peux les récupérer, par copié-collé, mais hors de leur contexte (sauf à utiliser un outil comme The Awesome Highlighter, qui autorise tous surlignages…mais sur une page autonome qu’il faudra enregistrer dans sa bibliothèque personnelle – ou ses signets). Mais comment je récupère mes pointages sur telle ou telle référence ?  Certes, il existe des outils contextuels comme Zotero ou autres, que je trouve peu ergonomiques et très exigeants en procédure normée, et surtout décontextualisés du texte qui les mentionnait. Il faudrait pouvoir annoter en vif, combiner dynamiquement et de façon simple du Zotero et du Awesome Highlighter – et quelques autres outils simples d’appropriation -, bref du 2.0 affecté à l’usage du lecteur !! Peut-être les livres électroniques en pleine évolution donneront-ils des pistes pas seulement pour leurs liseuses, mais pour toute entreprise ‘webienne’ d’appropriation ergonomique de la part des lecteurs ?…

Ce qui n’empêchera pas de feuilleter des magazines ou de se plonger dans un livre de bibliothèque, voire d’acheter un ouvrage (si, si ! il parait que ça se pratique encore à grande échelle !). Pitié, laissons se multiplier les expériences et les vécus de la lecture avant de tirer des conclusions radicales !

En matière de lecture, d’assimilation et de critiques des écrits, il ne faut pas tant  apprendre aux nouvelles générations à savoir bien utiliser Internet (ils auront à conquérir cet univers et à en créer et transmettre les codes) que persister à les imprégner de ce bon vieil imprimé sous ses diverses formes (voir entre autres Michel Melot), et aussi à leur en faire pressentir la saveur différente, leur montrer comment leurs atouts peuvent se combiner, et à les encourager à trouver de nouvelles combinaisons. Bref  il me semble important de métisser nos approches de la lecture dans ses dimensions scientifique, éducative, ludique, polémique ou simplement informationnelle. Pour apprendre à jouer d’un instrument à plusieurs cordes, notre esprit.

P.S. : et puis, pour poursuivre votre réflexion avec d’autres interlocuteurs, allez donc rendre visite à ce billet de ‘A la Toison d’or’, que j’approuve pleinement – merci Rémi -, et à cet autre texte de Yann Leroux, qui prête vraiment à réflexion  !!!

vendredi 25 juin 2010

Contre l’aporie provoquée par le scrupule juridique

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 25 juin 2010

Les bibliothécaires sont respectueux de la loi, et c’est tout à leur honneur (encore que je connaisse quelques pratiques peu orthodoxes lorsque la gestion des données ou fichiers en est facilitée…). Longtemps, au moins dans les bibliothèques publiques, ce respect s’est inscrit dans un cadre générique peu au  fait des subtilités infinies des lois et règlements, reprenant en gros les principes de la Constitution et quelques lois phares (protection de la jeunesse, confidentialité des données personnelles, …).

L’analyse s’est affinée depuis, en bonne part grâce à quelques collègues versés dans la chose juridique (Yves Alix, Lionel Maurel, ..) et à quelques juristes intéressés par ce pan si particulier du droit de l’information (Didier Frochot, Emmanuel Pierrat, …). Et surtout divers débats sociétaux ont envahi nos écrans et nos médias : Hadopi, le contrat Google, la burqa, et que sais-je encore. Non contents d’occuper les colonnes, ces débats ont insidieusement envahi le terrain de notre vie quotidienne (« défendez vos droits  ! ») pour aller jusqu’aux procès réitérés (cette fameuse judiciarisation de l’espace public bien connue des Américains (parmi les derniers avatars français les arrêts Perruche puis anti-Perruche …).

Quand le droit devient barrière pour l’action

Et voilà que le prurit saisit les bibliothécaires dans leur activité professionnelle. Si je veux reconstituer une généalogie hâtive de la chose, je dirai que le scrupule juridique de notre métier, jusque-là borné par quelques cadres sinon limpides du moins peu nombreux, rencontre des difficultés juridiques réelles qui – sans être au fond nouvelles – multiplient les obstacles à notre service public de l’information : droits liés à l’image, contestations de tarifs différenciés, plaintes ou rumeurs médiatiques sur la présence de certains titres, etc. C’est déplorable en termes de capacité sociale au débat public, auquel est visiblement préféré la défense des intérêts personnels, mais là n’est pas mon propos.

En effet, parallèlement, je constate que nombreux sont les bibliothécaires qui s’ingénient à inventer des impasses juridiques en des occasions multiples et parfois ahurissantes : impossible d’accorder une carte d’emprunt à un SDF au motif que justement il ne peut prouver sa résidence, obligation faite aux utilisateurs d’Internet de décliner leur identité -preuves à l’appui – avant de pouvoir taper leur requête dans un moteur de requête, interdiction faite aux chercheurs qui veulent prendre tranquillement une photo numérique d’un document ancien qu’ils consultent, etc. Certains vont même – non, pas à Lyon, Dieu merci ! – jusqu’à arguer de la propriété des données qu’ils ont construites pour en restreindre drastiquement l’accès… L’argument de la question juridique ou réglementaire, en général mal compris mais volontiers fantasmé, finit par primer.

Les débats autour des numérisations des collections publiques brassent bon nombre des débats de ce type, qui anticipent volontiers l’hypothèse de la possibilité de l’éventualité d’un imbroglio juridique : « oui, mais si ? et si ? et si ?… ». Bref on passe de l’action à la procrastination, et de là à l‘aporie.
L’accès public à Internet apporte également son lot d’angoisses. J’en veux pour preuve les derniers commentaires sur mon billet décrivant les usages des accès à Internet : ce qui était pointé était non tel ou tel usage étonnant, mais l’ « irrégulière » libéralité d’accès accordée aux internautes, libres de se connecter sans identification approfondie…
Une autre bibliothèque hésitera à confier la numérisation de son fonds à un prestataire qui, en lui garantissant la remise gracieuse et en pleine disponibilité d’une copie de son travail, demanderait en échange une exclusivité bornée pour l’exploitation commerciale – et pas pour l’usage culturel, social et intellectuel qui est le lot des bibliothèques – : même si on sait avec certitude que sans cet accord le fonds ne sera pas numérisé avant d’hypothétiques décennies, faut-il courir ce « risque » insensé ?! Risque encore une fois nourri de subtiles perplexités juridiques…

On se calme !!…

Pour éviter de passer du respect de la loi à l’angoisse juridique, j’aime à me rappeler une séance d’une commission de l’ABF à l’époque où je lui avais soumis ce qui est devenu « la politique d’acquisition en 12 points » : un expert juridique avait été convié pour débattre de l’hypothèse d’une loi sur les bibliothèques (encore !) et surtout sur les bornes qui pouvaient être posées aux transgresseurs d’une volonté large d’informer. Son étonnement (dois-je dire son ébahissement ?) m’est resté en mémoire ; en gros il avait expliqué que la loi n’était qu’un moment dans la pensée sociale, en même temps qu’une étape dans un long parcours tissé de décrets, de circulaires, de jurisprudences contradictoires, de recours, etc.  Et il concluait : inventez les nouvelles jurisprudences, provoquez les situations qui poseront à la face de la société des problématiques méconnues. Lancez-vous, vous verrez bien !…

Alors bien sûr, il est des textes fondateurs, et des textes dûment confirmés par des jurisprudences réitérées, bref des ancrages qu’il faut ne pas transgresser. Comme il est des prescriptions explicites (et non implicites !) de nos tutelles en matière réglementaire. Comme il n’est jamais inutile de mesurer la dimension juridique de toute action. Mais pitié, n’émasculons pas nos capacités d’innovation en crainte de, qui sait, peut-être, devoir être réprimés. Au-delà des fondamentaux et après vérification soigneuse, il est de notre devoir d’inventer les nouveaux espaces ouverts d’une information publique : alors il faut oser avancer, quitte à parfois devoir battre en retraite ou emprunter un chemin de traverse. Quand la règle est encore en recherche de définition solide et confirmée, préférons l’adage « tout ce qui n’est pas interdit est autorisé » plutôt que de se soumettre craintivement à « tout ce qui n’est pas expressément autorisé est interdit »…

D’augustes experts vont dire que je suis irresponsable. Non ?

vendredi 11 juin 2010

Polyvalence du bibliothécaire : encore une ambiguïté ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 11 juin 2010

La question des métiers et statuts, que j’évoque assez (trop ?) souvent d’une façon sans doute insuffisamment orthodoxe, m’apporte des réactions extrêmement intéressantes. En l’occurrence, il s’agit de celles recueillies lors de mon intervention au dernier congrès de l’ABF sur la nécessaire diversification des métiers en bibliothèque, et de certains commentaires sur mon récent billet qui évoquait les écarts entre statuts, profils d’emploi spécifiques et profils de métiers. En particulier, je me rappelle l’étonnement d’une éminente documentaliste soulignant que les professionnels de la documentation étaient avides de stages dans des domaines relevant du marketing, de la documentation ou de l’informatique, et que ces compétences complémentaires (essentielles ?) étaient un atout précieux voire une compétence naturelle dans la recherche d’emploi et l’exercice de leurs fonctions. Ou encore, je me rappelle aussi la réticence d’un non moins éminent responsable de centre de formation de bibliothécaires, convaincu que la polyvalence du métier de bibliothécaire est une composante essentielle de ce métier. Ou enfin je renvoie à un des commentaires du billet cité où revient encore ce terme de polyvalence.

Alors j’ai creusé un peu, intrigué par cette réitération de la polyvalence du bibliothécaire, retrouvée d’ailleurs dans la brève fiche du SIEP sur le métier de bibliothécaire où cette polyvalence est mentionnée fortement à la  fois dans le descriptif de métier et dans le savoir-faire. Et je crois que j’ai encore trouvé un de ces termes flous dont nous raffolons volontiers smileys Forum. Je vous propose juste de creuser un peu ce drôle de concept, pour identifier clairement ce dont nous parlons quand nous parlons ‘polyvalence’…

La perversité de l’employabilité maximale

Christophe Eveaere, professeur à Lyon 3, pointe la première ambiguïté du terme en écrivant en liminaire du résumé d’un article intitulé justement « La polyvalence et ses contradictions » : « Il est souvent question de polyvalence lorsque les organisations cherchent à gagner en flexibilité et en productivité. Toutefois, le sens précis que recouvre cette notion de polyvalence n’est pas clair« . Et en effet, les enseignants du secondaire subissent bien cette propension gestionnaire à leur imposer une telle polyvalence dans leurs services d’enseignement, en dépit de leur plus ou moins grande incompétence disciplinaire dans les matières qu’on leur demande d’assurer complémentairement à leur spécialité initiale.

Les bibliothécaires connaissent de très longue date les contraintes de devoir effectuer mille tâches diverses normalement dévolues à d’autres métiers, juste pour pouvoir assurer leur fonction de médiation et d’accompagnement documentaire et heuristique : certains s’improviseront informaticiens, d’autres se colletteront aux arcanes des finances publiques, j’en ai même vu dépanner des véhicules ou prêter la main à la peinture des murs… La faible reconnaissance de la nécessité sociale des bibliothèques en a longtemps été la cause, interdisant le recrutement d’agents en nombre suffisant et en qualifications adéquates, et l’imaginaire social ne pouvait concevoir qu’une bibliothèque soit un lieu de gestion administrative et  informatique  comme un lieu d’animations élaborées… mais y voyait tout simplement « l’espace des livres », bref une sorte de salon social de lecture. La crise actuelle ne risque pas de décourager de telles propensions gestionnaires.

La polyvalence est-elle réductible à la multi-activité ? Il m’arrive de changer une ampoule (chose strictement interdite car je ne dispose pas de l’habilitation électrique ! smileys Forum) ou de dépanner un photocopieur. Suis-je polyvalent pour autant ? Une distinction essentielle semble devoir être posée : si l’activité sociale dans une organisation peut amener naturellement à donner un coup de main ou à apporter son savoir-faire personnel face à une situation, la situation est toute autre s’il est entendu – contractuellement ou implicitement – qu’on sera un Mac Gyver omnicompétent. Dans le premier cas on exerce un savoir personnel pour simplement dépanner, dans le second on donne l’illusion d’une omnicompétence professionnelle qui, par facilité, interdit de questionner ou même de discerner la compétence essentielle.

La tentation de la chasse gardée

Ce qui est très étonnant, compte tenu de ces ambiguïtés au fond déprofessionnalisantes, c’est le succès que peut rencontrer cette ambition de polyvalence auprès des professionnels. On peut repérer pour cette appétence quelques arguments :

  • la continuité du service aux usagers confrontés aux savoirs  conduit naturellement à vouloir tenir la chaine d’un bout à l’autre : des systèmes informatiques à l’accueil, de l’état des lieux à la communication, de l’organisation de l’animation à la gestion administrative, tout concourt naturellement à optimiser cette médiation rationnelle ;
  • le travail parcellisé est rarement satisfaisant, et il est intéressant de pouvoir radicalement changer de fonctions dans un établissement sans pour autant quitter le métier de bibliothécaire ;
  • les logiques rationnelles de métiers différents sont souvent très étrangères aux réflexes, pratiques et modes de raisonnement des bibliothécaires. Il peut être jugé plus rapide et efficace de se passer du dialogue pédagogique et de la confrontation pour s’emparer soi-même de la question (d’autant que nous travaillons toujours dans l’urgence);

Et puis, il faut bien l’avouer, la tentation du « entre soi » existe aussi, volontiers alimentée par les inévitables bisbilles qui peuvent survenir avec ces « autres » professionnels qui interviennent avec leurs logiques propres. Si, comme je l’ai déjà écrit, le bibliothécaire se définit comme celui qui travaille dans une bibliothèque, il peut être tenté d’exclure de cette bibliothèque les autres professionnels.

Quelle polyvalence du métier de bibliothécaire ?

Cela n’empêche pas d’acter le fervent attachement de nombre de bibliothécaires à cette fameuse polyvalence. Si la logique de la revendication du territoire de l’établissement n’est pas absente, si bien sûr de naturels soucis d’évolutions de carrière et de fonctions joue très fortement, on peut me semble-t-il apercevoir une cohérence dans cette revendication : le pressentiment parfois imprécis d’une cohérence globale jouant sur plusieurs tableaux.
Les enseignants du primaire accordent également une grande importance à leur polyvalence, non tant en termes de spécialisation disciplinaire  qu’en termes de globalité de leur action pédagogique. Et ils redoutent certaines tentations de spécialisation qui les guettent. Mais, soulignons-le, nul ne remet en cause l’exclusivité de ces « instituteurs » (pardon : ‘professeurs des écoles’) auprès de leurs classes, même si pour diverses raisons d’économies on envisage volontiers aujourd’hui de raccourcir cette « vie d’écolier » pour confier à divers financeurs le soin de s’occuper non tant des écoliers que des enfants à leur sortie du cadre strictement scolaire.
Les bibliothèques sont dans une situation très différentes : infusées dans la vie et l’administration collectives, elles sont beaucoup plus poreuses à celles-ci.  Situer précisément le métier est indispensable, non pour se cantonner à des tâches listées dans des statuts, mais pour bien distinguer ce qui relève du coeur de l’activité et ce qui n’en est que la périphérie.

Question de masse critique

Je radote une fois de plus : le métier de bibliothécaire, c’est de sélectionner des contenus – voire les produire parfois – , les structurer, en garantir une pérennité raisonnée, en construire la mise en contexte auprès de publics définis et en assurer la médiation auprès de ces derniers.  Point.  Une telle ambition conduit naturellement à vouloir couvrir la chaine entière des activités de la bibliothèque, voire – hélas – à vouloir toutes les assurer personnellement.
Cette ambition sera presque naturellement encouragée dans de tout petits établissements (1 à 5 agents). Au-delà, faut-il toujours faire le choix de la filière culturelle pour les autres emplois  ? Il est bien des métiers parfaitement identifiés dans la médiation sociale, l’informatique, l’animation, etc., qui permettront aux bibliothécaires de mieux remplir leur fonction  en les dégageant de fonctions pour eux périphériques mais centrales et professionnellement essentielles pour ces autres métiers.

Je ne souhaite pas ôter aux bibliothécaires le souci de la chaine sociale et cognitive dont ils se sentent à juste titre comptables, et ce jusque dans les moindres détails. Mais je leur conteste le droit d’exclure du débat les autres professionnels pouvant intervenir sur cette chaine, au prétexte que leur action se situerait dans une bibliothèque. Surtout si leur expérience et leur compétence les rend vraiment pertinent pour la fonction qui leur est confiée, qu’elle soit managériale, sociale, éducative ou technique.

Bien sûr, c’est une question de taille d’établissement : plus celui-ci est petit, et plus les travaux ‘accessoires’ seront prégnants. Et il faudra peut-être se former pour décoder quelques arcanes d’autres métiers. Mais si l’établissement est légèrement plus important, il faut, vraiment, réclamer des professionnels ad hoc. On y gagnera en qualité, et en reconnaissance sociale : la bibliothèque ne sera plus seulement le lieu d’exercice du bibliothécaire, mais celui d’un informaticien, d’un technicien, d’un animateur, etc.

Polyvalence ? encore un concept flou… tant qu’on ne l’a pas clairement borné !!

Faut-il encore évoquer une autre facette de notre métier,  la passion ? Un responsable des ressources humaines (non, ce n’est pas à Lyon) me faisait part il y a quelque temps de son étonnement devant la posture des bibliothécaires, qu’il qualifiait de ‘militante’ plus que ‘professionnelle’. Creusant un peu, j’ai compris que mon interlocuteur était étonné de voir des bibliothécaires intervenir sur tous les fronts de l’administration et des questions sociales (et scolaires, et informatiques, et budgétaires, et etc.) avec une égale conviction, sans borner clairement le champ de leur intervention.

Je n’ai rien contre la conviction, bien au contraire, mais je partage en bonne partie la perplexité de mon interlocuteur (pas son étonnement : j’ai l’habitude, avec le temps…smileys Forum). Et je constate que la ‘dérive’ pointée par ce responsable RH concerne essentiellement les collègues qui se veulent essentiellement généralistes, donc polyvalents. Le problème de cette revendication généraliste, c’est qu’elle pointe la non-spécificité d’un métier : hors les cadres rassurants de statuts protecteurs, un bibliothécaire sera ici un passionné de lecture, là un militant social, voire là encore un administrateur manager pilotant l’établissement. Bref, ce sera potentiellement quelqu’un d’autre qu’un bibliothécaire.

Alors, qui sommes-nous professionnellement, et en quoi développons-nous des compétences qui nous rendent indispensables et uniques ? La polyvalence revendiquée (au-delà de cette polyvalence vécue que connaissent nombre de travailleurs) ne me semble pas être une bonne carte de visite…

jeudi 10 juin 2010

Comment écrire ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 10 juin 2010

L’espace d’Internet bruit d’injonctions variées quant à la forme (voire au fond) des informations qui y seraient admissibles. Faut-il écrire court ou long ? Faut-il ou non faire la chasse à l’actualité « chaude » ou préférer les billets de réflexion ? Faut-il abandonner le blog pour se lancer dans Twitter ? Faut-il illustrer impérativement ses billets de photos (évidemment sous licence  ‘Creative commons’) ou peut-on oser des digressions linéaires ? Faut-il jouer la carte de la nouveauté perpétuelle, fût-ce en recyclant habilement d’anciens écrits (ou parfois d’anciens tweets de signalement, comme semble le suggérer l’étrange billet de Silvère) ?

C’est bizarre, ces injonctions – éventuellement contradictoires -. Je viens d’un siècle où l’écrit public – non administratif, bref la communication citoyenne – se répartissait en catégories plus linéaires : l’articulet journalistique de la nouvelle chaude ou de la rubrique des chiens écrasés, l’article – savant ou non – argumenté, et le livre synthèse momentanée d’une pensée ou d’une aventure créatrice (les nouvelles représentant une forme élaborée de synthèse de cette dernière proposition). Mais aujourd’hui, il « faut » écrire court, s’adapter à de nouveaux modes d’échange, d’ailleurs plus dictés par les outils que par le souci de la communication !…

N’assiste-t-on pas à une confusion entre le propos et la forme ? Ecrire sur Internet, c’est une chose. Ecrire tout court en est une autre, que ce soit sur Internet ou ailleurs. Ecrire sur Internet (enfin sur un blog, en l’occurrence), c’est d’abord écrire sans le filet protecteur d’un directeur de collection ni le filtre d’un éditeur – du moins pour les sites non institutionnels. D’une certaine façon, c’est plus risqué.
Est-ce que cela change nécessairement la forme du message ? Oui, sans doute, car on devine que les trop longues digressions ne supporteront pas l’épreuve de la lecture sur écran.
Est-ce que cela impose la soumission aux modes normées ? Micro-blogging ici, impératif d’illustrations là, brièveté des informations  là encore… Même si on sait que le medium est le message, n’existe-t-il pas d’alternative à ces injonctions formelles ? (d’ailleurs j’y cède : une photo !!)

Il me semble (je me trompe peut-être) qu’il y a une confusion entre des modes de communication directe qui prennent des formes nouvelles et souvent plus instantanées, mais sur des questions qui réclament une telle instantanéité rapide et courte, et le fait de se livrer à des réflexions argumentées. Et cette confusion nait -encore – de la réalité vécue d’un outil commun aux divers modes d’expression qui voisinent sur le même écran, encore que pas nécessairement par les mêmes outils. Bientôt être présent dans un flux sera plus important que ce qu’on y racontera, dérive tellement facile…

Par exemple, les très nombreux blogueurs qui multipliaient les billets essentiellement pour signaler les textes qui les intéressaient profitent de l’instantanéité de Twitter pour effectuer ce signalement beaucoup plus rapidement, évidemment, et délaissent leur blog (et vraiment, je constate depuis plusieurs mois un tarissement des productions de certains blogueurs prolifiques, si si !) : est-ce un mal ? Je devine que ces passeurs rêvaient de communiquer leurs trouvailles et n’avaient à leur disposition que le vecteur du blog,  nécessitant un minimum de rédaction, et se sont tournés avec bonheur vers cet outil si simple, Twitter, qui remplissait parfaitement son office de gazouilleur (encore qu’ils jouent volontiers le ressassement éreintant pour garantir la bonne réception de leurs trouvailles. Bye bye, Twitter !). De même que les blogueurs adolescents de Skyrock peuvent à juste titre préférer aujourd’hui les murs de Facebook, plus personnalisés,  pour garder le contact avec leur tribu, même si ce parallèle ne vaut pas comparaison.

Autre exemple plus professionnel, Lully signalait pour les SCD la nécessité d’abandonner le courrier électronique pour communiquer avec les étudiants emprunteurs (en cas de retard de retour de document ou pour signaler l’arrivée d’une réservation) au profit de ces mêmes Twitter et Facebook. Sans aucun doute, cette information factuelle, équivalent contemporain de l’avis de passage du facteur dans la boite aux lettres, avertissement simple, doit passer par les vecteurs  les plus quotidiens et entrer dans l’intimité de la « boite aux lettres » contemporaine : l’information est pauvre en termes de contenu, mais urgente et personnalisée, passons donc par ces canaux, s’ils ne deviennent pas trop encombrés.

L’introduction de ces nouveaux outils signe-t-elle la mort des outils antérieurs ? De même qu’Internet n’a pas encore tué le livre, je suis persuadé que de multiples canaux d’expression vont exister simultanément. Certes pas tous avec le même succès médiatique, mais chacun avec son efficacité. Et pour revenir à mon propos, chacun avec son champ particulier offert à une écriture particulière. Simplement, les « créneaux » de chacun vont se spécifier. Internet ou pas : après tout, les chercheurs qui publient dans des revues exclusivement électroniques abandonnent-ils pour autant les codes de l’article scientifique construit, démonstratif (et bourré de notes !!! même si par ailleurs certains d’entre eux lui feront de la pub via Twitter…) ?

Le diktat d’une pseudo-modernité voudrait poser tous les vecteurs de la communication écrite sur Internet sous les canons de l’instantanéité, fût-elle factice parce que simplement réchauffée. Il est des contenus et des objets pour lesquels cette instantanéité partagée est particulièrement pertinente. Il en est d’autres, et notamment les fruits d’une réflexion continue, plus ou moins aboutie, qui nécessitent développements et écriture soutenue. Quitte  à ce qu’ils soient ensuite frénétiquement relayés sur Twitter ou Facebook…

La forme du blog me semble, dans ces conditions, être un modèle loin d’être périmé. Non pour les états d’âme adolescents qu’elle a longtemps hébergé – lesquels ont migré vers d’autres types de plate-forme comme Facebook -, non pour les écrits soutenus longuement argumentés et validés – qui visent la forme de l’imprimé, fût-il d’apparence numérique -, non enfin pour les passeurs de message qui ont surtout à transmettre un lien – Twitter, of course ! – ni pour les membres d’une communauté virtuelle qui échangent des infos rapides – la machine à café… -. Mais pour les « works in progress« , qu’il s’agisse d’individus essayant de clarifier leur action ou leur conviction (je pense à J.C. Brochard ou à D. Lahary, pour ne citer que ces deux exemples), ou pour des institutions souhaitant informer des progrès d’un projet (le blog de suivi de la rénovation de la BU de Toulouse P. Sabatier ou le récent Labo BnF). Toutes situations exigeant des arrêts sur images, des interrogations, une chronologie de la pensée, bref une écriture parfois intense et construite – mais jamais trop longue, c’est vrai -.

Alors, à la question « comment écrire sur Internet ? », j’aurais envie de répondre « ça dépend » !! Ça dépend du chantier que l’on a entrepris. Et en fonction de la nature de ce chantier, du rythme de l’information produite, de son intensité textuelle, des instances de validation à l’œuvre, etc., on va écrire non sous la pression des diktats, mais selon le projet conduit. Et ce qui compte, ce n’est pas tant le vecteur d’Internet que celui des outils ad hoc que l’on va choisir. Les vecteurs vont sans nul doute se clarifier (tout en se multipliant tout aussi sûrement), et d’ici quelques années nos enfants devineront d’instinct vers quels médias internetiens se tourner lorsqu’ils voudront apporter leur pierre, mais le champ reste largement ouvert à toutes les formes d’écriture.

En tout cas, je continue mes essais avec l’outil blog, qui me semble correspondre à mon projet actuel. Et puis, comme disait l’autre, « bloguez, il faut bien qu’ils trouvent matière à tweeter !« .

… Même si, là encore, j’ai encore été trop long !!

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