Bertrand Calenge : carnet de notes

samedi 14 janvier 2012

A quand des journées nationales du bien commun ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ samedi 14 janvier 2012

Il y a dix jours, évoquant à une tribune un des points cruciaux pour l’avenir des bibliothèques, je signale mon inquiétude aigüe devant la restriction de l’espace public : réduction des agoras ouvertes d’échange entre tous les citoyens d’une collectivité (la bibliothèque est quasiment le seul espace public ouvert à tous sans droits d’accès : jusqu’à quand cette libéralité ?), il y a peu bataille sanglante autour du droit de prêt (gagnée difficilement, en échange bien sûr de royalties payées par l’Etat – nos impôts – et par les collectivités soumises au plafonnement des remises jusque-là consenties – encore nos impôts-), ressources documentaires de plus en plus réduites à la monétisation du droit à leur accès, pour les nouvelles formes numériques du savoir cantonnement juridique de l’intérêt général à des « exceptions » smileys Forum ….

Et hier soir je tombe sur cet article de Silex (à lire d’urgence !) qui, outre qu’il suggère d’engager les forces contributives ou collaboratives à des traductions ‘libres de droit’ d’oeuvres étrangères tombées dans le domaine public dans leur version originale, rappelle au passage qu’il existe aux Etats-Unis un Public Domain Day, la France se satisfaisant d’une journée du patrimoine qui fait relativement l’impasse sur la notion de bien commun.

Pourquoi les Journées du Patrimoine ne sont pas celles du bien commun

La notion de patrimoine est une acception idéologique très particulière en France, articulée pour l’essentiel autour de trois axiomes de base articulés à la façon des lois de la robotique d’Asimov :

  • l’antériorité significative : un objet patrimonial fait référence à l’hier, de préférence historiquement daté
  • une charge symbolique collective : pour la plupart des monuments historiques intervient un consensus appuyé sur le consensus d’éminents scientifiques, pour d’autres objets il répond à l’angoisse mémorielle de groupes de pression parfaitement honorables (ah ! les associations de préservation du vieux XXX – écrivez le nom de votre commune -). Mais dans tous les cas intervient la revendication d’une singularité significative (ce que ne considèrera pas le vagabond mettant au feu des ‘vieilles’ commodes signées Boulle au prétexte que le vieux bois brûle mieuxsmileys Forum)
  • une reconnaissance officielle appuyée sur des mesures de conservation et/ou d’accessibilité particulières. Ces mesures sont extrêmement diverses et visent toutes l’inscription sur une liste d’objets dits « classés » ou « inscrits » au patrimoine national, liste décidée par les services de l’État. Liste qui taraude les bibliothécaires qui attendent de voir la question des collections ‘anciennes, rares ou précieuses’ entrer pleinement dans ce champ au lieu de la liste figée et limitative (et peu opératoire) des bibliothèques déclarées classées.

A bien y regarder, avec la prudence qui caractérise le néophyte que je suis, je pense que la notion singulière de patrimoine cultivée en France rejoint au fond la traduction anglaise de national heritage dans sa dimension mémorielle.  Mais il est une dimension essentielle qui n’est abordée que de façon accessoire, celle de la propriété de ce patrimoine. Si l’objet patrimonial est censé être un ‘héritage national’, comment les héritiers – les citoyens – peuvent-ils manifester leur propriété sur cet héritage ?

S’il est évident que son appartenance collective nécessite protection de son intégrité pour les générations actuelles et à venir, l’accès à l’objet patrimonial doit être évidemment régulé. Mais comment s’exerce le droit à ce simple accès contrôlé ?

  • La seule libéralité de visite des bâtiments et objets privés patrimoniaux, réglementairement offerte (en contrepartie de subventions d’État) aux édifices patrimoniaux privés quelques journées par an -ces fameuses Journées du Patrimoine – démontre le caractère strictement symbolique de cette notion de patrimoine.
  • Parallèlement, il existe des objets qui relèvent effectivement de la propriété collective . Les fonds anciens des bibliothèques en font partie : leur accès et leur consultation physiques sont régulées, leur version numérique tend à être largement mise à disposition de la façon la plus libérale pour tout internaute. Dans ce processus, les seules réserves qui sont – ou devraient être – apportées portent sur les risques d’atteinte à l’intégrité de ce bien commun.
  • Mais de plus en plus souvent, le caractère souvent privé de l’objet déclaré patrimonial tend à rendre marchand l’accès à cet héritage commun. L’accès est possible, mais contre monnaie sonnante et trébuchante. Au-delà de ce qu’on appelle politiquement la tarification raisonnable (en général symbolique : elle ne paye qu’à peine les agents de guichet), le patrimoine est dévoyé en argument commercial en vue de garantir les revenus de ce qui est parfois une véritable entreprise !

Je ne souhaite en aucune façon remettre ici en cause les différentes manifestations voire dérives de cet inconscient réglementé du patrimoine. A chacun ses combats. Je m’interroge en revanche sur la libéralité d’accès et d’usage que nous autres bibliothécaires pouvons faire des objets que nous manipulons en vue d’en permettre l’appropriation par l’ensemble des publics que nous servons.

L'oeuvre de James Joyce vient d'accéder au domaine public !!

Il faut une Journée du Bien commun !!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Une des qualités que je trouve la plus prometteuse chez les bibliothécaires, c’est leur capacité à faire le lien, à tisser la généalogie, à intégrer les angoisses médiatiques d’aujourd’hui dans un continuum de savoirs et de questionnements. Et donc, en même temps, de prendre du recul en pleine connaissance de la complexité d’hier et de l’évidente perplexité d’aujourd’hui.

Faire le lien entre un passé idéologiquement magnifié et désincarné, et la société actuelle nourrie à une conception économiquement monétaire de  ce patrimoine (au sens notarial : « l’ensemble des droits et obligations d’une personne juridique (physique ou morale). Cette notion est restreinte à une dimension essentiellement économique » ), c’est rappeler que le patrimoine est d’abord ce dont les citoyens d’aujourd’hui peuvent légitimement revendiquer la propriété collective. Sans cette propriété collective, le patrimoine n’est qu’un concept idéologique.

Les bibliothécaires connaissent bien cette ambigüité dès qu’ils abordent la numérisation de leurs collections. Si au sein de celles-ci existe un fonds d’estampes contemporaines, les questions de droit d’auteur viennent poser leurs obstacles à l’exploitation de ce fonds en direction des publics. Bref, nous disposons de ressources exceptionnelles dont l’usage est bridé, ce qui met les passeurs que nous sommes dans une position paradoxale.

Inversement, les opérations de numérisation massives de collections antérieures au XXe siècle révèlent l’éminente disponibilité des œuvres devenues libres de droits, qui représentent en quelque sorte la facette notariale et indiscutable de notre patrimoine. Facette par ailleurs jamais mise en valeur, au point que le langage convenu parle de cette accession à la propriété collective comme d’une disparition : une œuvre « tombe » dans le domaine public !…

Il faut au contraire s’émerveiller qu’une œuvre accède enfin au domaine public et devienne ainsi la propriété de tous, un Bien commun en somme (voir l’intéressant article d’Hervé Le Crosnier) ! Et cette accession devrait faire l’objet d’une sorte de « baptême républicain » qui pourrait se concrétiser par des Journées du Bien Commun. Au-delà de la valorisation, ce serait l’occasion de questionner offensivement la place laissée à la libre communauté des citoyens : accessibilité à des espaces publics de partage, exploitation commerciale du bien commun, alerte sur les perpétuelles tentations vers une extension du droit d’auteur, etc.

Il existe ça et là des manifestations qui veulent mettre le bien commun à l’honneur (des animateurs numériques ont constitué un groupe Numérique et Bien commun, et merci à Calimaq qui me signale une très belle initiative à Brest , …) :  proposons à tous les bibliothécaires – largement concernés au premier chef – de se faire les moteurs d’une manifestation nationale à inventer : les Journées nationales du Bien commun !

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mercredi 4 janvier 2012

De quoi sommes-nous les gardiens ? Avatars de l’écrit…

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 4 janvier 2012

La bibliosphère a récemment bruit d’une intrigante nouvelle : des « pirates » (l’équipe Alexandriz) avaient mis en ligne une copie numérique du roman d’Alexandre Jenni, lauréat du prix Goncourt 2011, L’art français de faire la guerre. Et surtout ils y avaient ajouté leur quote-part, en effectuant plusieurs corrections orthographiques. L’histoire interroge cette fois non plus le pirate comme bibliothécaire, mais le pirate comme éditeur ! Sommes-nous ici devant non une numérisation pirate, mais devant une nouvelle édition?

Les historiens du livre sont coutumiers de cette situation : après tout, ils étudient avec la même ferveur les œuvres ‘officielles’ des écrivains des Lumières, comme leurs éditions clandestines – parfois augmentées – des éditeurs ‘pirates’ par exemple néerlandais. Et nos bibliothèques recherchent également les éditions princeps et les raretés clandestines de ces éditions anciennes.

édition clandestine des Provinciales de Blaise Pascal

Et aujourd’hui ? Quelle bibliothèque va conserver cette édition singulière d’un ‘pirate’, concomitamment avec l’édition originale de Gallimard ? Cette seule perspective fera sans doute bondir nombre de juristes, mais ne peut-elle évoquer quelque interrogation au cœur de ceux qui se disent conservateurs de bibliothèque ?

Entendons-nous bien, il n’est pas question ici d’encourager au ‘piratage’ les constructeurs de collections publiques en libre accès (au risque de les mettre pénalement en danger). Mais les bibliothèques à vocation patrimoniales ne peuvent pas éluder l’hypothèse d’une perte de savoir définitive si une telle ‘édition parallèle clandestine’ devait disparaitre demain du patrimoine commun.

Les historiens diront justement que les éditions clandestines ont en général été récupérées après coup, et lorsque leur acquisition ne risquait plus de porter préjudice à la bibliothèque acquéreuse. Et on peut sans doute espérer qu’une bibliothèque un jour recueillera cette édition singulière d’Alexandre Jenni par la grâce d’un disque dur légué par un collectionneur…

L’anecdote mérite néanmoins d’être gardée à l’esprit : comment acquiert-on aujourd’hui le patrimoine de demain ? Est-ce une accumulation de documents socialement validés attendant de jouir de leur antiquité, ou/et aussi la recherche de textes singuliers qui attendront d’être demain compulsés ?

Quelle bibliothèque conservera donc cet Art français de la guerre en édition corrigée ?

(c) Toptai Technolgy Co., Ltd

P.S. : j’ai rédigé la quasi-totalité de ce billet fin décembre.  Curieuse coïncidence, une table ronde évoquait justement aujourd’hui à l’Enssib cette question de l’accès futur aux documents nativement numériques, et suggérait qu’au-delà des moyens limités offerts à la conservation publique, la dissémination numérique (légale ou non) des œuvres serait peut-être une opportunité pour les bibliothèques du XXIIe siècle, comme les collectionneurs privés ont « offert » au patrimoine actuel des richesses inestimables…

mardi 3 janvier 2012

La médiation : concept-clé ou mot-valise ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 3 janvier 2012

Mes premiers pas à l’Enssib à la direction des Études me donnent, vous l’imaginez, l’occasion de mille découvertes et rencontres. Dans le bouillonnement de cette prise de fonctions, je garde un œil sur ce Carnet de notes, avec lequel je rejoins mon établissement via son activité d’édition..

Une nouvelle ‘Boite à outils‘ consacrée par l’Enssib à La médiation documentaire numérique  va bientôt voir le jour. Comme j’ai l’honneur d’y contribuer sous la houlette de Xavier Galaup, j’ai eu l’occasion de récapituler récemment le sommaire de cet opus. Le travail est de qualité, mais je me suis interrogé sur le qualificatif de médiation qui réunit les diverses contributions.

Ce terme de médiation, employé en bibliothèque, a connu et connait encore des fortunes diverses. Un moment associé à l’émergence de nouveaux métiers,  il apparait régulièrement comme une évidence professionnelle, se transforme en avatar singulier avec la médiation numérique, enfin tend à devenir aujourd’hui une injonction catégorique. Cette réitération plastique (1 300 000 résultats dans Google à la requête ‘médiation en bibliothèque’ !) nécessite quelques éclaircissements…

Par curiosité, je suis allé relire (avant ma prise de poste ! depuis deux jours je ne touche plus terre !…) quelques dizaines d’articles, billets ou diaporamas posant en argument central cette médiation : quoi de commun entre une journée d’étude sur la médiation du patrimoine, un appel à placer la médiation numérique au coeur du projet d’établissement et une analyse des modalités de médiation/formation des publics en autoformation ? J’en viens à partager la perplexité d’Olivier Chourrot interrogeant « Le bibliothécaire est-il un médiateur ?« …

Olivier Chourrot avance que le terme de médiateur n’a guère de portée opératoire, et lui préfère le terme d’accompagnateur. La médiation est-elle un accompagnement ? Si j’aime beaucoup ce dernier terme pour son éloquente modestie, ma perplexité demeure ; en échangeant le terme de médiation pour celui d’accompagnement, je n’éclaircis en rien le paysage : l’accompagnement du patrimoine, l’accompagnement numérique au cœur du projet d’établissement, l’accompagnement des publics en autoformation…

(c) KJB de signets graphiques

Orienté public ?

A la (re)lecture de ces multiples contributions, je n’y vois qu’un point commun : le souci d’une prise en compte des besoins et pratiques des usagers dans les différentes modalités de leur rencontre avec une offre cognitive de la bibliothèque (documents, habiletés, savoir-faire,…). Ce souci est on ne peut plus louable, mais peut cacher deux conceptions de ce public.

La première – la plus ouverte – peut vouloir se mettre ‘dans la peau’ de l’usager. C’est un des gros atouts des dispositifs de médiation numérique proposés par Silvère Mercier et d’autres : on ne préjuge pas des intentions des publics rencontrés, on entre dans leurs habitudes de navigation et d’inscription dans les réseaux sociaux. L’objectif est ici de rendre naturelle, connivente, voire banale la rencontre avec un service de la bibliothèque.

La seconde – plus ambigüe – se pose en « modeleur de public ». Le résumé du mémoire sur la formation/médiation en autoformation est éclairant sur ce point : « La question de la médiation est donc centrale dans l’objectif de rendre les usagers plus autonomes et leur permettre de s’approprier leur apprentissage« . On retrouve cette approche chez le consultant Philippe Cazeneuve, qui donne la définition suivante : « La médiation numérique consiste à accompagner des publics variés vers l’autonomie, dans les usages quotidiens des technologies, services et médias numériques ». Peut-on confondre la médiation avec un processus prescriptif ? Cela me pose problème, comme à Silvère Mercier : je me méfie de la revendication d’autonomisation de l’usager, comme je l’ai déjà écrit. S’il est vrai que l’activité de formation est une composante possible du service aux publics (lorsque ces derniers en expriment le besoin ou que l’environnement institutionnel en donne l’injonction), qualifier cette dernière du nom de médiation ne fait qu’en rendre plus floue la définition opératoire.

bibliothèque de Calgary

Une mise en scène ?

En gardant pour acquise la posture orientée publics, notre voyage dans la médiation réserve une autre perplexité : comment s’exerce cette posture ? Reprenons la définition de la médiation numérique que donne Silvère : La médiation numérique est une démarche visant à mettre en œuvre des dispositifs de nature techniques, éditoriaux ou interactifs pour favoriser l’accès organisé ou fortuit, l’appropriation ou la dissémination de contenus à des fins de diffusion des savoirs et des savoir-faire. L’accent y est mis sur les « dispositifs » (même si la définition pose en préalable la démarche), ce qui me déclenche immédiatement une sonnette d’alarme.

Les bibliothécaires adorent les dispositifs : c’est du sans doute à leur souci ancien de mise en ordre. Mais un dispositif peut-il constituer une médiation ? Voilà une des ambiguïtés qui me titillent lorsqu’on parle d’outils de médiation : la hache ne suffit pas à définir le bûcheron, et je n’aime pas voir déclarer qu’un outil ou un dispositif  – fût-il numérique – est naturellement et essentiellement un outil de médiation. Après tout, les inventeurs de l’organisation en libre accès peuvent parfaitement s’inscrire dans cette définition d’un dispositif de médiation. Et un soupçon horrible me vient à l’esprit : et si les talentueux organisateurs numériques d’aujourd’hui, avec leurs tags, leurs boutons ‘j’aime’ et autres dispositifs techniques, étaient tout simplement les inventeurs d’un libre accès numérique ?

Sauf qu’on connait les dérives de tels dispositifs, dont le fonctionnement s’auto-alimente au gré des évolutions technologiques et finit par s’institutionnaliser…  Et il est parfois tentant de vivre heureux en restant caché derrière le dispositif. Même l’ambition contemporaine d’établir un espace (numérique souvent) de dialogue et d’échanges entre visiteurs, pour intéressante qu’elle soit, ne saurait remplacer l’implication personnelle des bibliothécaires.

D. Lahary - ADBDP

Et le bibliothécaire médiateur ?

Pas d’ambiguïté : je n’ai absolument rien contre de tels dispositifs, et toute organisation pratique orientée publics est une bonne chose. Ce qui me pose problème, c’est la démarche englobante associant toutes sortes d’outils et de procédures orientés publics dans un ensemble flou appelé médiation. Or un terme trop flou n’est guère opératoire…. Je reprends la définition donnée par Wikipedia à la médiation (au 16/12/2011) : « La médiation est une pratique ou une discipline qui vise à définir l’intervention d’un tiers pour faciliter la circulation d’information. Le tiers est appelé médiateur. La définition de cette activité varie selon les contextes d’application. Néanmoins, des constantes existent à chaque fois qu’un tiers intervient pour faciliter une relation ou la compréhension d’une situation et des éléments de pédagogie et de qualité relationnelle se retrouvent dans les pratiques de la médiation« . Dans cette définition, je ne vois nul dispositif, mais un être humain engagé personnellement.

Certes, l’être humain en question n’est pas désincarné et ne parle pas depuis Sirius. Dans le cas des bibliothèques, il s’inscrit dans une institution, et son action est cadrée par des dispositifs organisationnels voire techniques. Mais c’est lui qui porte la médiation, et non le dispositif ni l’institution. Je dirais même qu’est dispositif de médiation toute organisation ou technologie qui vise à permettre à des bibliothécaires bien réels de favoriser l’accès organisé ou fortuit, l’appropriation ou la dissémination de contenus à des fins de diffusion des savoirs et des savoir-faire (pour reprendre in extenso la fin de la définition de Silvère).

Dans ces conditions, c’est l’implication professionnelle personnelle qui entre au cœur de la médiation. On peut alors essayer de jouer à un petit jeu des erreurs :

  • positionner des bibliothécaires dans la salle et non derrière un bureau pour apporter leur aide = de la médiation
  • proposer aux usagers de laisser leurs commentaires sur les notices du catalogue = pas de la médiation
  • ouvrir un service de questions-réponses = de la médiation
  • réinventer un plan de classement = pas de la médiation
  • faire s’exprimer les bibliothécaires sur les titres qu’ils aiment ou détestent = de la médiation
  • ajouter des espaces de commentaires dans le catalogue sur le site de la bibliothèque = pas de la médiation
  • etc.

Cette approche nécessite d’aller un peu plus loin : un métier de médiation s’exerce dans un cadre professionnel défini. Il existe des médiateurs juridiques comme des médiateurs sociaux, ce que ne sont pas les bibliothécaires. Lionel Dujol parle quelque part de « médiateurs informationnels », je préfèrerais presque « médiateurs cognitifs ». Dans tous les cas, on voit bien ce qui est en jeu : la mobilisation des bibliothécaires pour accompagner des publics dans leur quête de connaissance, de savoir, voire de ‘litteracy’ à l’anglo-saxonne…

De la difficulté d’une médiation réussie

Dans cette approche restrictive de la médiation, la difficulté tient malgré tout aux dispositifs mis en œuvre pour provoquer ou faciliter l’acte de médiation dans une exigence d’attention aux publics réels (comme quoi on retrouve quand même des dispositifs !…). Un engagement rédactionnel de bibliothécaires, par exemple, est un acte de production de contenu qui peut être génial s’il est conçu en fonction des intérêts de publics possibles, mais qui peut aussi tourner à la délectation de soi-même. C’est pourquoi je pense indispensable de désigner un coordinateur des dispositifs de médiation, qui constamment évalue le succès réel des initiatives, provoque la remise en cause de la tendance routinière, encourage le perfectionnement communicationnel, etc.

L’autre écueil tient dans les limitations des compétences bibliothécaires. La constante attention portée aux publics doit toujours s’accompagner d’une curiosité renouvelée, d’un engagement actif dans les pratiques d’information actuelles : je suis toujours inquiet quand j’entends un bibliothécaire se vanter de ne pas regarder la télévision ou de dédaigner l’univers d’Internet (et je vous jure que j’en ai rencontrés !smileys Forum).

Malgré – ou ‘grâce à’ ? – ces contraintes, je conçois plutôt la médiation comme une implication personnelle du professionnel attentif à ses usagers, donc naturellement  à une remise en cause critique constante des dispositifs techniques et organisationnels mis en œuvre afin de rendre cette implication la plus efficace possible. Peu importe que l’objectif soit ‘formatif’ ou ‘accompagnateur’.

La définition est plus limitative sans doute, mais elle permet de mieux cibler ce que recouvre ce terme.  Est-ce trop limitatif ? A vous de dire.
Reste à décliner en pratiques, procédures, postures, etc. cette activité professionnelle autant que personnelle de médiation…

P.S. : au moment où j’achève de rédiger ces lignes, je tombe sur le dernier billet de Silvère intitulé Médiation numérique et culture de l’information : repositionner les bibliothécaires. Je constate que ses réflexions le conduisent également à mettre en avant une fonction active des professionnels dans l’activité de médiation. Et j’ajoute que dans cette perspective il propose là quelques pistes éclairantes, qui peuvent poursuivre efficacement mon propos…

P.P.S : que ces réflexions généralistes ne vous empêchent pas de courir acheter cette Boite à outils dès sa parution à la fin de l’hiver ! Elle est pleine d’enseignements très riches !!

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