Bertrand Calenge : carnet de notes

vendredi 9 janvier 2009

Editeurs (et bibliothécaires) face au numérique

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 9 janvier 2009
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Même si d’augustes haruspices prédisent ici la fin du livre, là l’éclosion de nouvelles formes de lecture (y compris des lectures de textes sur écran), enfin la ré-émergence du livre à travers des tablettes, je ne me sens pas d’humeur à la futurologie. Trois points m’intéressent, ce qui est produit, les usages qu’on a pu constater auprès de la population, et le service qu’on peut construire avec tout cela.

Sur la production, il y a peu à dire. Longtemps, les éditeurs ont été les têtes chercheuses de l’innovation dans les contenus, même si un Proust a du batailler pour se voir publier. Ils ont été références autant que filtres, et cela a plutôt été bénéfique pendant des décennies voire des siècles. On a l’impression aujourd’hui que la question des contenus les intéresse beaucoup moins, en les voyant investir le marché numérique dans un esprit soit très protectionniste (DRM, formats dédiés, déni de négociation avec d’autres acteurs adeptes de modèles économiques fondés sur l’accès à des corpus plutôt que sur la vente de supports), soit innovants à tout crin ou plutôt enfourchant toute opportunité de monnayer leurs contenus à travers des alimenteurs de liseuses ou iPods. Dieu merci, il reste des éditeurs dignes de ce nom mais, même si nombre de producteurs ont plusieurs cordes à leur arc, peut-on décemment conserver la même appellation pour ces différentes postures ? Produire de l’information publiée, c’est tout autant mettre en ligne un  texte libre de droits que tenir un carnet intime sur Internet ou qu’emballer en PDF un roman conçu par son auteur pour être un livre imprimé et feuilletable… Novovision prédit volontiers la fin des journalistes, anciens porteurs de la réalité cachée, mais il pourrait tout autant prédire la fin des éditeurs, ces autres ‘dénicheurs-filtres-metteurs en forme’ !
Dans ce contexte, la production de livres imprimés (je n’ose dire l’édition) est folle, essayant de se mettre au diapason de l’abondance d’information offerte au citoyen connecté : un collègue me disait que l’office sélectif de la rentrée 2009 (sur moins d’un mois) pour le seul secteur des sciences humaines comportait plus de 1 000 titres ! Bonjour les forêts. Bonjour notre capacité de sélection !

En ce qui concerne les usages, demain, en plus des livres (qui survivront largement, si, si, notamment avec toutes les oeuvres de création adaptées à celui-ci !), nous allons avoir affaire à des péta-octets de données numérisées pour lesquelles l’accès se fera majoritairement à travers des moteurs de recherche de plus en plus perfectionnés. Seulement – vous avez remarqué ? – ces moteurs fonctionnent selon des algorithmes certes sophistiqués mais qui se contentent de renvoyer une succession de résultats indépendants, même si certains tentent des associations (comme Kartoo, que j’aime bien pour son concept… mais dont évidemment je ne me sers jamais dans une recherche non ludique…). Le seul itinéraire possible est guidé par les liens hypertexte présents dans les pages de résultats… Ce n’est pas mince, mais l’errance est ralentie à proportion de la masse de ces résultats… et de l’algorithme de pertinence adopté par le moteur.

Passons aux bibliothécaires. La façon dont les éditeurs abordent ce nouvel univers montre leur réticence à abandonner leur modèle économique : leur domaine est toujours celui de l’imprimé. Ce n’est pas nécessairement aberrant, mais le problème des bibliothèques n’est pas seulement le même. Je refuse et j’ai toujours refusé l’idée largement répandue selon laquelle bibliothèques et éditeurs seraient unies par un lien fusionnel dans une mythique chaine du livre. Les évolutions contemporaines me confortent dans ce jugement : non, Kindle ne m’intéressera pas parce qu’un jour Gallimard décidera de vendre ses livres via ce support. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui peut informer, émouvoir, former, passionner, interloquer la population  dont « j' »ai la charge.  Pour cela, je puise dans les réservoirs d’information afin de les transformer en opportunités de connaissance. En 2009, je dispose des éditeurs – sans aucun doute-, et ils restent inestimables pour les livres, mais je dispose aussi du flux d’Internet : et face à ce dernier, ne sommes-nous pas, nous aussi, dans une position d’éditeur, donc en définitif de sélectionneur, de filtre, de promoteur ?

(Parenthèse : dans ce contexte le rattachement aux « métiers du livre » des formations aux métiers des bibliothèques me parait nuisible ; on devrait former aux métiers de l’information, ou plutôt aux métiers de la transmission de la connaissance, comme en Suisse ou au Québec qui associent documentalistes, archivistes, bibliothécaires…. J’y reviendrai)

Dernier point que je livre à votre réflexion : certes, l’éditeur ne se contente pas de filtrer et de promouvoir, il met en forme, corrige, inscrit l’oeuvre dans un contexte éditorial donné. Mais le bibliothécaire peut-il se contenter de « donner accès à Internet » ? Ce flux indistinct et passionnant disponible sur le web, il va bien falloir lui donner du sens, lui construire des ‘corpus de connaissances’ là où les moteurs se contentent de fournir des apparentements statistiques. Et là nous allons inventer une nouvelle face de notre métier : mettre en forme des données électroniques ou numérisées, associer des partenaires à leur enrichissement, inventer – en même temps qu’avec les imprimés dont nous disposons -… de nouvelles politiques documentaires en même temps qu’on proposera peut-être de nouvelles collections… virtuelles.

Un travail de bibliothécaire-éditeur ?

4 commentaires »

  1. Envie de réagir sur la parenthèse que tu fais qui me semble tout à fait juste. Issu moi même d’une formation dans un « Pôle métiers du Livre » j’ai compris après coup combien le lien est mince entre le couple éditeurs/libraires et bibliothécaires. D’ailleurs pour avoir gardé de nombreux contacts très très rares ceux qui travaillent finalement dans l’édition ou dans une librairie, pas mal on galéré longtemps voire ont changé de voie. En revanche les bibliothécaires se sont tous intégrés dans la fonction publique. Tout cela me fait penser (certains trouveront ça cynique, peut-être) que les formations de libraires et d’éditeurs seraient mieux armés pour s’intégrer dans la vie active avec respectivement des diplômes reconnus en vente et en commerce que le sésame peu efficace dédié aux métiers du livre… Je me pose plein de questions et je te rejoins sur une solidarité autre que symbolique de la « chaîne du livre ».

    Commentaire par bibliobsession — samedi 10 janvier 2009 @ samedi 10 janvier 2009

  2. Hello Bertrand

    sur cette question, j’ai tendance à penser d’ailleurs que les bibliothèques deviennent de plus en plus des éditeurs.
    Sur ce sujet, à lire bientôt, j’espère, après sa soutenance, le mémoire d’étude de Marie-Hélène Petitfour (élève conservateur)
    « Quand la bibliothèque se livre. Bibliothèques et édition : fausses amies ou vraies alliées ? »

    Commentaire par Elisabeth Noël — samedi 10 janvier 2009 @ samedi 10 janvier 2009

  3. Avant la fonction d' »édition », il y a bien – me semble-t-il – la fonction de médiation dans « donner accès à Internet » : proposer des sites pour aider la recherche… non pour la limiter ou la faire à la place du lecteur, mais lui offrir des pistes dans la jungle de l’information.. des chemins balisés, des sites déjà visités et revisités, utiles et intéressants… faire partager la lecture d ‘un site comme on fait partager une lecture… Il y a là matière à connaissance des sites comme le bibliothécaire connait ses fonds et guide … on a fait la guerre aux créations de « sitothèques ».. peu indispensables, car déjà créées… alors pourquoi ne pas mettre en commun ces bonnes adresses ? Le métier de bibliothécaires qui sélectionne l’information et créée des collections pertientes ne garde-t-il pas tout son sens sur Internet ? D’autant que les sitothèques sont complètement complémentaires des fonds de livres… dans le concept même de bibliothèque ne devrait-on pas intégrer les ressources numériques comme partie intégrantes des collections (même les « gratuites » ??)

    Dans « donner accès à Internet » il y a aussi offrir une porte d »entrée via un portail de bibliothèques… ancré dans une réalité locale…. faire vivre aussi la bibliothèque réelle sur Internet..proposer des services Web 2.0,… ce qui demande aux personnel de bibliothèques de se former au web 2.0 et de savoir convaincre les élus… (à suivre… )

    Commentaire par Véronique — mardi 13 janvier 2009 @ mardi 13 janvier 2009

  4. Moi aussi, la grande futurologie technologique

    Le lourd passé de nos futurologies

    Je reste désormais hautement sceptique…
    Paul Laurendeau

    Commentaire par ysengrimus — dimanche 15 août 2010 @ dimanche 15 août 2010


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