Bertrand Calenge : carnet de notes

dimanche 1 avril 2012

Des bibliothèques sans bibliothécaires ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ dimanche 1 avril 2012

Au dernier salon du livre de Paris, le ministère de la Culture avait organisé une table ronde sur le thème « Faut-il encore des bibliothécaires ? ». Sans me prononcer sur cette question inquiète, j’ai envie d’aborder la question par son angle inversé : « Faut-il des bibliothèques sans bibliothécaires ? »…

Les bibliothèques ? Le discours convenu sur celles-ci met au premier plan leur richesse documentaire. Tel s’émerveille du nombre de documents rassemblés, tel autre s’enorgueillit d’un patrimoine ancien. Cela pouvait se comprendre lorsque le seul accès à une documentation accumulée ne pouvait passer que par des collections locales, dont l’importance reflétait symboliquement la capacité de connaissance d’une population localement située. Le nombre de documents (au sens de « trace d’un évènement accessible par un contrat de lecture » – d’après Jean-Michel Salaün) perd son sens au regard du flot des informations accessibles grâce à la Toile.

Pourtant, les autorités continuent d’entretenir des bibliothèques, et même en construisent assidûment de nouvelles. Si leur discours porte essentiellement sur la dimension sociale du lieu (ici des « troisièmes lieux« , là des « learning centers« ),  on pourrait s’étonner que l’action publique ne s’oriente pas  plutôt vers d’autres espaces ouverts moins coûteux en fonctionnement (ici des salles polyvalentes, la des cafétérias, par exemple). Or le succès est au rendez-vous !

Ce qui laisse entrevoir que, peut-être, l’intérêt des bibliothèques ne résiderait pas seulement dans leur richesse documentaire, mais tiendrait ‘quelque part’  à une composante étrange de leur avantage décisif.

Qu’est-ce qu’un espace social ?

Tiens, un mot-valise (encore) ! Laissons de côté la considération statique de l’expression, qui y voit un espace autorisant le voisinage entre personnes non mues par un intérêt relationnel commun. D’autres approches plus dynamiques existent, qui considèrent des dispositifs permettant de « faire société« , favorisant la confrontation d’individus avec d’autres personnes – ou plutôt la création du lien (dialogue, échange, …) entre ces personnes, mais toujours non motivées par un intérêt relationnel commun. Par cette dernière définition, j’écarte les situations commensales que connaissent tous les humains (sauf l’Enfant sauvage) à travers les relations familiales, amicales, associatives, scolaires, commerciales, de travail… et j’accueille ce dialogue libéré qu’est idéalement le dialogue démocratique.

Or l’expérience prouve qu’il n’existe pas de tel espace commun vivant qui ne propose pas malgré tout un intérêt partagé : voisinage n’est pas société, et la plus-value apportée par l’échange à la construction du lien social nécessite un minimum de motivations partagées que le dispositif permet de mobiliser. On pourrait donner l’exemple de la rue, espace de concurrence indifférente par excellence, où chacun vaque à ses occupations sans se préoccuper d’autrui (mis à part « avance, connard ! » ou autres « qu’il est mal élevé ce gosse ! » smileys Forum ). Inversement, l’église représentait autrefois un tel espace social, où l’occasion religieuse permettait d’échanger en se fondant sur la conviction de parler entre personnes conniventes, ou plus simplement de se sentir bien dans cette dimension de communion implicite.

Toute la question est donc : qu’est-ce qui fait lien ? Apparemment, les salles polyvalentes comme les cafétérias ne suffisent pas à dynamiser cette communion, pourtant ressentie comme nécessaire par tous les décideurs comme élément de fédération d’une collectivité. La bibliothèque, cet espace ouvert à tous sans condition d’âge ou de ressources économiques – et pourtant beaucoup plus onéreuse pour les deniers publics que les deux exemples cités, même si elle ne tient pas buvette – marque des points. A quoi cela est-il du ? La présence des collections ?

Qu’est-ce qu’une ressource documentaire ?

Reprenons donc notre questionnement sous un autre angle, pour interroger le succès inattendu de la bibliothèque en matière de réponse à cette nécessité d’espace social. Ses collections, tellement accointées à l’imaginaire de la bibliothèque, en seraient-elles le moteur ? Sauf que ces collections voient leur intérêt informatif battu en brèche par le flux des ressources électroniques, et se sont même vues un moment prédire leur agonie au regard de la quantité d’information qu’elles proposent.

Cette ‘information’ , qu’est-elle ? Pendant longtemps, on a assimilé le support matériel du livre (du disque, …) à l’information. Aujourd’hui, on mesure la masse des signes textuels véhiculés à l’aune du quantitatif (hier des volumes, aujourd’hui des octets : mais dans les deux cas on parle de pages !!). Et tout naturellement, on pose en parallèle la faible densité locale de collections particulières et le maelström des flots électroniques. Or les collections d’une bibliothèque ne semblent guère ‘porteuses’ lorsqu’il s’agit de parier sur l’avenir, même si elles connaissent encore bien des adeptes. Le succès de la plupart des bibliothèques ne semble guère corrélé à leur potentiel de ressources documentaires…

Chaque fois que j’entends parler de ressources documentaires, des comparaisons irrépressibles me viennent à l’esprit. Les « ressources humaines » par exemple. Ma carrière m’a conduit à rencontrer plusieurs professionnels de ce domaine attentifs à la gestion des ressources humaines vues comme un capital à disposer et promouvoir harmonieusement pour qu’elles puissent donner le meilleur d’elles-mêmes, en plein respect de leur personnalité et de leurs capacités, et en pleine adéquation avec les objectifs de leur institution. J’ai eu le sentiment que ces personnes souhaitaient au fond non pas « gérer du personnel », mais mobiliser et améliorer des compétences volontaires au service d’un objectif collectif.

Et si les « ressources documentaires » ne fonctionnaient pas autrement ? Comparaison n’est pas raison, certes. Mais si, somme toute, l’information encapsulée (dans un livre, un disque, une mémoire informatique…) n’était qu’une action en devenir à mobiliser ? De mon point de vue, l’information n’est pas une donnée, c’est un ensemble de signes construit dans un contexte de production spécifique : ici un livre, là un article, là encore un discours, ou encore un film, une musique, une base de données, etc. Mais pour un bibliothécaire cette information n’accède à l’existence qu’à travers le sujet qui s’en est emparé et se l’est approprié. Je propose de passer du document ou de l’information à la provocation de connaissance, comme appropriation et interprétation des données informatives véhiculées.

Le discours/action  du bibliothécaire

Considérons à nouveau nos deux pôles hâtivement explorés « bibliothèque-lieu ouvert » et « collection-connaissance », pour nous interroger sur la raison qui semble donner un avantage décisif à la bibliothèque comme espace pertinent dès qu’il s’agit de faire société. D’une part ce type de lieu veut accueillir indifféremment l’enfant et le SDF, d’autre part ses espaces ne connaissent a priori que la sage et neutre concurrence des documents de la collection ou des ordinateurs disposés en ce même lieu. Bref, la bibliothèque apparaît à un oeil non averti comme un lieu ouvert neutre, les collections n’offrant qu’une dimension décorative.
Comme on n’a pas tenté d’expérimenter la cafétéria agrémentée d’ouvrages, ni  la salle polyvalente garnie de rayonnages, et que la bibliothèque affirme son succès, je peux lancer l’hypothèse qu’est à l’oeuvre une dynamisation de cette dernière qui, justement, dépasse le voisinage pour accéder à la commensalité.

Et si l’action bibliothécaire était en quelque sorte le ferment qui fait lever la pâte (ou le fouet qui fait prendre la mayonnaise … smileys Forum  ) ? Disposer, classer, organiser l’espace, disséminer l’institution en des services attentifs, provoquer la surprise par des manifestations évènementielles, répondre aux questions, proposer des découvertes, accompagner le novice ou l’inquiet, apporter son expertise spécifique aux autres experts… Les bibliothécaires sont partout dans la bibliothèque (et parfois au-delà !   ), qu’on les voie en première ligne ou guère. Faites l’expérience – c’est mon côté enseignant – : repérez dans une bibliothèque anonyme les traces que laissent les bibliothécaires de leur activité accompagnatrice. L’exercice est intéressant : même en l’absence de ce qu’on appelle volontiers les « services innovants », vous comprendrez que cette action est omniprésente (et peut-être pourquoi, si c’est bien conduit, cette bibliothèque accueille autant de monde !).

La bibliothèque n’est pas qu’un lieu qui abrite des livres (malgré son étymologie), c’est ou ce doit être un espace commun qui crée société autour de tous ces savoirs qui fédèrent le goût pour la connaissance d’une collectivité singulière. Faire société, fédérer, ce n’est pas au fond une question d’espace aménagé ni de collections matérielles, c’est une question de bibliothécaires. Peut-être pas ceux que nous avons connu ni ceux que nous imaginons, certainement pas solitairement ancrés dans leur entreprise. Alors que tout est aujourd’hui document (Jean-Michel Salaün écrit même que « ‘je’ est un document »), qui fera connaissance ?

Je ne sais pas comment évolueront le métier et les fonctions des bibliothécaires, mais je ne pense pas que les bibliothèques existeront sans eux. Les collections migreront sans doute en bonne part vers le numérique, mais l’exigence d’un espace social dynamisé autour de la connaissance devrait perdurer.

C »est pourquoi, à la question qui a engagé ma réflexion   « faut-il des bibliothèques sans bibliothécaires ? », je réponds que le stock n’a jamais créé de connaissance. Et à cette autre question liminaire « faut-il encore des bibliothécaires ? », je dois répondre « oui, si vous voulez conserver des lieux qui fassent société ». Bref, des bibliothèques…

16 commentaires »

  1. […] Des bibliothèques sans bibliothécaires ?  […]

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    Ping par Des bibliothèques sans bibliothécaires ? « la bibliothèque, et veiller — lundi 2 avril 2012 @ lundi 2 avril 2012

  3. On a donc encore de l’avenir dans nos petites médiathèques de proximité…Il est vrai que l’on mesure facilement ce lien qui nous unit à nos usagers qui va au delà de la mise à disposition des collections…Merci pour l’article

    Commentaire par Brigitte Hascoet — mardi 3 avril 2012 @ mardi 3 avril 2012

  4. Article intéressant.

    C’est amusant, car je travaille ici dans une bibliothèque à l’étranger. Cette dernière ne saurait exister sans la médiation, ou bien les services que fournissent les bibliothécaires.

    Actuellement : 1 employé : 3 vacataires « tournants » et 1 stagiaire.

    Nous possédons un fonds très riche, très complet et en parfaite adéquation avec ce que peut attendre le public (majoritairement universitaire) d’une structure comme la notre.
    Malheureusement cette bibliothèque avait auparavant trois employés à plein temps, et depuis les restrictions budgétaires, 1 seul, qui est obligé d’assumer son rôle de gestion de la bibliothèque, ce dernier prenant tout son temps et empêchant les actions en faveur et direction du public.
    Résultat : Malgré un fonds extrêmement important et adéquat, les inscriptions, ainsi que la fréquentation se sont écroulées. Nous sommes restés dans le rôle du « service » aux usagers, qui visiblement n’attendent pas que cela de notre part.

    La réponse que l’on essaye de donner à cela est l’augmentation de stagiaires, qui seraient capables de par leur roulement, de se relayer afin de créer une politique de valorisation, de médiation et d’action en direction du publique pouvant redonner vie à ce lieu.
    Malgré tout un stage reste un stage, et s’approprier une structure, des fonds, apprivoiser une pensée qui ici est différente de celle de la France, et agir avec celle-ci sont le travail de plusieurs années.
    De plus il suffit aussi de voir le nombre d’utilisateurs qui sont réguliers car ils ont un lien amical et familier avec la bibliothécaire en poste… ( En écho à votre article précédent)

    Bref, j’ai aussi du mal à croire que l’on puisse se passer de bibliothécaires, nous ne mettons pas en vente un panier de marchandises, qu’il suffit d’aller chercher après avoir consulté le catalogue, nous ne sommes pas remplaçables par des caisses automatiques comme au supermarché, et si tel est le cas l’utilisateur doit pouvoir avoir le choix de choisir entre l’humain et la machine.

    Nous participons à la diffusion du savoir, et non pas à sa seule mise à disposition, et les phénomènes que vous décrivez, à savoir l’organisation des espaces, sont à même de créer le phénomène de sérendipité (Ah je voulais le voir ce mot dans votre article !:) ). C’est il me semble une de nos fonctions premières, à coté de l’accompagnement de l’utilisateur. Nous existons même lorsque nous ne laissons pas de traces visibles.

    En ce qui concerne le numérique, il me semble que le terme de médiation numérique (finalement assez récent) est très approprié.

    Je partage donc votre avis!

    Commentaire par Jacky Royer — mercredi 4 avril 2012 @ mercredi 4 avril 2012

  5. Bonjour Bertrand

    moins coûteux en fonctionnement

    coûteux ?
    J’ai bien lu coûteux. 😎

    Une bibliothèque serait un service coûteux ?
    Plus que d’autres ?

    Mais, Bertrand, le mot coûteux est un trompe-l’oeil.
    Une arnaque intellectuelle.

    Coûteux par rapport à quoi ?

    A la ligne budgétaire ?
    A la ligne budgétaire divisée par le nombre d’heures d’ouverture ?
    Valeur elle-même divisée par le nombre d’usagers ?

    Car tout coût doit avoir son parallèle d’usage et de disponibilité.

    Un outil loué à un million d’euros, pour une heure par semaine, emprunté par un seul utilisateur, c’est coûteux.

    Le même outil loué sur une année et utilisé par 10 000 personnes, c’est un autre coût.
    Bien moindre, presque ridicule.

    Alors coûteux, une bibliothèque ?

    J’aimerais bien qu’il y ait calcul réel des coûts pour chaque ligne budgétaire d’une collectivité, avec les critères précédents : disponibilité & nombre d’utilisations.
    On serait au clair sur la notion de coût d’une bibliothèque !

    Puis, cerise le gâteau, on regarderait ensuite dans quel lieu la consommation sur place est gratuite – gratuite et à destination de tous les publics, en quasi permanence.

    Pas un jour de temps à autre pour les enfants, puis un autre jour pour les adultes, et un autre pour le troisième âge… comme dans le cas d’une salle polyvalente
    Quant à la cafétéria, il faut quand même réaliser que le coût des consommations est assumé par le public. Loin, très loin d’une consommation gratuite sur place !
    A un euro le café, par jour, même ouvré, on arrive vite à des tarifs annuels « coûteux » pour les usagers, plus coûteux que tout abonnement en bibliothèque.

    Alors coûteux une bibliothèque ?
    Lorsque que c’est un moyen connu pour faire des économies, sans se priver.
    Lorsque c’est ouvert à toute la famille quasiment toute l’année.
    Lorsque le prêt est là pour se substituer à l’absence d’ouverture 24/24.

    Ça doit expliquer, et de beaucoup, son succès.

    Oups, une nouvelle marche un peu haute, et je retrébuche :
    [bibliothèque]… et pourtant beaucoup plus onéreuse pour les deniers publics que les deux exemples cités

    Je note un nouveau trompe-l’oeil dans cette phrase.
    Deniers publics… en réalité, deniers que l’on prélève sur le/les publics.

    Ce qui change beaucoup de choses sur le coût réel… et qui le finance.

    Une cafétéria, on la finance tous les jours en payant son café ou son sandwich.
    On ne paye pas, on n’a rien.

    Heureusement, on en arrive à un questionnement qui assassine moins les bibliothèques. 😉

    Le succès d’une bibliothèque, à quoi est-ce dû ?

    Aux collections ?
    Avant les collections, et en conséquence de ce qui précède, c’est dû aux usages.
    Aux usages multigénérationnels !

    Installons une BU dans une ville qui n’a pas d’université, et on va vite s’apercevoir que le nombre d’usagers sera voisin de zéro.

    La collection est subséquente aux usages. Aux usages du public.

    Mauvaise collection, collection inadaptée, vieillie, défraîchie = pas de public.
    Pas de BD, pas de manga, pas de magazines adaptés, pas de musique ou de DVD = peu d’ados.

    Si les espaces sont conçus de manière à permettre une certaine intimité en petits groupes, les ados (re)viendront. Même sans collections.
    Il s’agit d’un usage.

    C’est comme une rue. Si elle est délabrée, couverte de déchets, on va éviter d’y passer.
    On n’en a plus l’usage.

    Là, il n’y a pas trois pas à franchir pour constater une évidence : les usages conditionnent le reste.
    Si on enlève les personnes qui vivent au milieu de ces usages, qui fera le retour vers les acquéreurs de documents ou vers les concepteurs des lieux ? Voire même vers les décideurs ?

    Qui dira : oui cet usage marche, non cet usage ne marche pas ?
    Qui sera capable de répondre aux usagers ? De répondre à leurs besoins ?
    Qui sera capable de les accompagner dans leurs démarches ?

    Une bibliothèque sans bibliothécaire, on a déjà. Ça s’appelle le Web. Le grand merdier, d’après certains. Avec un tonnage de déchets impressionnant. Dont beaucoup ne sont pas « tous publics ».

    Est-ce que les gens s’y retrouvent, sur le Web ?
    J’ai déjà plusieurs preuves que non…

    Trop de documents ! Impossibilité de trouver les bons.
    Documents inadaptés la plupart du temps, ce qui représente bien du temps perdu.
    Lorsqu’un professionnel sait aller droit au but visé. Tel un samouraï triant l’inutile.

    La collection, c’est que le fruit de ce travail.

    Derrière chaque bibliothèque, il y a un tamis humain.
    Sans jardinier, il n’y a pas de jardin.

    La question initiale “Faut-il encore des bibliothécaires ?” est déjà biaisée, et en trompe-l’oeil.
    Elle ne pose pas la vraie question : Mais que font les bibliothécaires pour que ça marche encore si bien ? Au point que les gens regardent s’il existe une bibliothèque avant de venir s’installer dans une ville. Au point que les élus continuent à en construire et à les financer.

    Ce serait bien de répondre à cette vraie question.

    Bien cordialement
    B. Majour

    Commentaire par B. Majour — vendredi 6 avril 2012 @ vendredi 6 avril 2012

  6. @ Bernard Majour,

    Dois-je nécessairement expliquer longuement qu’un terme ou une expression peut être utilisé de façon ironique ? Ce commentaire m’a donné l’occasion de découvrir que le point d’ironie n’avait trouvé sa place sur nos claviers que par une combinaison de touches improbable qui donne ▼… (Alt+1567 pour ceux que ça intéresse).

    Ceci étant dit, je maintiens mon assertion : une salle polyvalente ou une cafétéria peuvent être beaucoup moins coûteuses qu’une bibliothèque, ne serait-ce que par le personnel qui est dévolu à cette dernière, tout en affichant des jauges de fréquentation réellement respectables !!!

    En matière de calcul de coûts économiques, l’argument du coût par utilisation ou du coût par usager se justifie pleinement lorsque le produit/service fonctionne par appropriation directe du produit par l’utilisateur : bref, un raisonnement parfaitement intégré par les fournisseurs de livres électroniques pour lesquels le raisonnement se fonde sur le décompte des accès.
    Dès qu’on aborde le calcul du coût à consentir pour faire vivre un espace public qui soit efficace dans la génération du lien social, le coût par utilisateur, sans disparaître loin de là, n’est politiquement plus le facteur décisif.

    Commentaire par bcalenge — vendredi 6 avril 2012 @ vendredi 6 avril 2012

  7. Bonjour Bertrand

    Tu m’excuseras, mais je n’ai pas noté les signes de l’ironie, ni d’italiques sur le mot coûteux ou sur le mot onéreuse. (Ailleurs oui, mais pas sur ceux-là.)
    Même si, à un moment, je me suis demandé si tu ne mettais pas ces mots dans la bouche des politiques… pour justifier la fin des bibliothécaires. La fin ou l’inutilité desdits mêmes.

    « Coûteux » sous-entend souvent « à sabrer au plus vite ». Enfin, pour ce que j’en ai entendu jusqu’à présent. On n’apprécie les mots qu’à l’aune de son vécu. 😉

    Pour ton assertion, je ne dénie pas la rentabilité d’une cafétéria bondée… ou même d’un RU (Restaurant Universitaire), voire d’une salle polyvalente où plusieurs spectacles sont payants. J’en ai connu plusieurs et j’en connais encore qui marchent très bien. Le coût est alors financé en majorité par l’usager, ce qui le rend presque indolore ou bénéficiaire sur une ligne budgétaire, et cependant bien présent sur le porte-monnaie de l’étudiant que j’étais.
    Et je suis entièrement d’accord : avec une poignée de bénévoles motivés, on peut obtenir des chiffres respectables de fréquentation, pour un coût budgétaire quasi nul. Ça, je le sais, puisque j’en étais un avant d’être salarié et j’en suis toujours un pour des activités culturelles sur ma commune.

    Par contre, quand tu dis : Dès qu’on aborde le calcul du coût à consentir pour faire vivre un espace public qui soit efficace dans la génération du lien social, le coût par utilisateur, sans disparaître loin de là, n’est politiquement plus le facteur décisif.

    Ça m’interpelle beaucoup. 🙂
    Parce que j’aimerais bien connaître ces facteurs qui emportent l’adhésion politique. Surtout dans nos petites communes, où le coût budgétaire est un frein majeur.

    En tout cas, merci à toi pour ces billets, toujours riches en réflexion. Ils m’aident à réfléchir sur des aspects « bibliothèque » que je n’aurais pas vus sans.

    A bientôt pour le suivant
    B. Majour

    Commentaire par B. Majour — samedi 7 avril 2012 @ samedi 7 avril 2012

  8. Une bibliothèque reste tout de même très couteuse, (sans même parler des charges les plus lourdes c’est à dire la masse salariale, puisqu’on peut effectivement la réduire par du bénévolat. Sauf qu’il faudra toujours payer des heures de ménage….).
    Mais l’on voit se développer, dans la logique d’usages très bien développée par Bernard Majour, de plus en plus de mutualisation de services, tout simplement pour diminuer les frais fixes de fonctionnement relatifs à différents lieux de la ville. Avec le développement de l’intercommunalité, on voit ainsi des équipements se creer bien au-delà des normes de surfaces subventionnables, mais regroupant de plus en plus de services, et particulièrement dans des régions assez peu *
    favorisées (Bretagne, Pyrenées…).

    Il est clair que si le discours-valise du lien social et de l’intergénérationnel est mis en avant, à juste titre, ces regroupements, outre le fait qu’ils améliorent la visibilité et l’attractivité du lieu, génèrent aussi une réduction de certains coûts de fonctionnemment (que l’on peut ensuite mettre en balance avec les indicateurs que l’on souhaite : population desservie, fréquentation…, peu importe, le gain est évident, et probablement assez décisif pour les décideurs)

    Et tout cela deviendra progressivement banal, simplement parce qu’on a substitué au lecteur la notion d’usager. Et d’usages. Et si cette démarche reste encore assez culturelle (on regroupe du culturel-document, du culturel-patrimoine, du culturel-info, ludique, autoformation etc…) elle devrait assez naturellement dépasser ces limites. Si « la construction du lien social nécessite un minimum de motivations partagées  » à ce jour, il n’est pas sûr que cela reste vrai dans l’avenir. Il semble que l’une des motivations des usagers, c’est de partager un lieu commun à LEUR ville ou village, voire de quartier dans certaines agglos. Motivation communautaire, souvent suffisante. Et à ce stade, peu importe que l’on construise le lieu autour de la caféteria, ou que l’on intégre la cafeteria au lieu.

    A titre d’exemple, je regardais récemment la bibliothèque de Condé sur Noireau, qui a remporté le Prix Livres-hebdo de l’accueil 2011, et j’y vois un bel exemple de démarche de ce genre : 1200 m2 (pour une ville de 6000 h) regoupant la mediathèque, un musée, l’office de tourisme (avec son personnel), le point-info jeunes, une salle de conférences, une machine à café, une ouverture de 36 heures hebdo et quelques innovations (Wii, jeux sur consoles…).
    Résultat des courses : 80 000 passages annuels (dont 18 000 pour le musée), soit une fréquentation-usagers d’une ville de 20 000 h.
    Par contre, et ça peut mener à une réflexion plus approfondie :pas de portail ou site, pas de catalogue en ligne.

    La directrice se réfère à la définition d’Eco : « Depuis 20 ans, j’ai toujours à l’esprit ce qu’ Umberto Eco considérait comme essentiel : avoir la possibilité dans un même lieu de lire un journal, regarder un tableau, se retrouver autour d’un café, travailler, trouver une recette de cuisine; »

    Que font les bibliothécaires pour que ça marche encore si bien ?
    Comme toujours, ils élargissent à l’extrême cette extraordinaire capacité que nous avons toujours eue d’être des touche-a-tout, au risque de l’amateurisme .
    Je ne sais si l’on pourra se passer de bibliothécaires, notamment dans des bibliothèques. Probablement pas. Mais ce qui est certain c’est que dans ces lieux à usages multiples, on pourra difficilement se contenter de gens qui ne seraient que bibliothécaires.

    Commentaire par Yves Paugam — vendredi 13 avril 2012 @ vendredi 13 avril 2012

  9. […] un précédent billet, je m’interrogeais sur les valeurs symboliques attribuées au bibliothécaire par la vox […]

    Ping par Valeurs du bibliothécaire (addendum) : un décalogue ? « Bertrand Calenge : carnet de notes — lundi 16 avril 2012 @ lundi 16 avril 2012

  10. […] en bibliothèque / CDI Des bibliothèques sans bibliothécaires ? « Bertrand Calenge : carnet de notes Au dernier salon du livre de Paris, le ministère de la Culture avait organisé une table ronde […]

    Ping par Documentation | Pearltrees — mardi 1 Mai 2012 @ mardi 1 Mai 2012

  11. J’ai mis sur PAUSE quand vous avez parlé de l’info comme un ensemble de signes, ça a réveillé des échos lointains de linguistique à la Saussure ou de maïeutique pédagogique à la Socrate, bref tout un foisonnement favorisé par votre illustration « Merci le libraire »…
    Le rôle du bibliothécaire comme « provocateur », comme éveilleur d’information encapsulée, oui.
    On n’est pas loin de l’hyperlien d’un autre billet.

    Commentaire par annie lesca — jeudi 31 Mai 2012 @ jeudi 31 Mai 2012

  12. Bonjour.

    De votre intervention, je retiens cette expression : un « espace social dynamisé autour de la connaissance » – parce qu’elle pose problème, ou plutôt ne correspond à rien. Ce que vous envisagez est, littéralement, un non-lieu, c’est-à-dire d’une utopie (réactionnaire, ajouteront les collègues les plus jeunes). Envisager « la connaissance » comme ce qui fait l’identité ou la raison d’être de la bibliothèque suppose un intérêt pour elle chez ceux qui sont payés pour faire tourner la baraque. Lorsqu’on constate l’ennui que suscite le moindre échange sérieux (sur des questions professionnelles, autour d’oeuvres…), on comprend mieux l’enthousiasme que suscite chez beaucoup l’introduction des jeux vidéos. Là, ça salive, ça discute, ça conteste, c’est à qui fera montre de l’information up to date ; on sent qu’on est en territoire familier. Quant à moi, je comprends que je ne suis plus à ma place.

    JB

    Commentaire par JB — samedi 30 juin 2012 @ samedi 30 juin 2012

  13. @ JB,
    Commençons par l’expression qui vous pose problème. Je ne parlais absolument pas des équipes de bibliothécaires qui peuvent oeuvrer dans les bibliothèques, mais de la destination sociale de ces lieux : eh oui, le public qui se côtoie dans une bibliothèque attend de cette dernière qu’elle leur apporte de la connaissance, à travers des livres, des disques, des conférences, et aussi des échanges, des discussions, etc. Mon expression veut seulement signifier que la bibliothèque n’est pas, pour ceux qui la fréquentent, simplement un espace social…

    Continuons avec votre diatribe sur les bibliothécaires eux-mêmes. C’est étonnant, nous ne devons pas croiser les mêmes : ces dernières années, j’ai fréquenté bien des bibliothécaires souvent appelés ‘lambda’, passionnées de culture, soucieux d’apporter du savoir, heureux de pouvoir être utiles à un lecteur perplexe, etc. Oui, bien sûr, il existe aussi des maniaques de la modernité et du jeunisme, mais si j’en crois mon expérience ils sont bien minoritaires, même s’ils sont volontiers les plus démonstratifs et même parfois envahissants. En tout cas, je ne reconnais pas mes collègues dans votre condamnation…..

    Cordialement,

    Commentaire par bcalenge — samedi 30 juin 2012 @ samedi 30 juin 2012

  14. En effet, nous ne devons pas fréquenter les même gens, les publics comme les collègues (vous travaillez à Lyon, me semble-t-il ; montez vous dépayser à Paris, sans oublier sa banlieue, ça vous changera peut-être les idées).

    Je ne nie pas que les bibliothèques aient encore la fonction que vous leur attribuez. Je dis que, tendanciellement, elles s’en écartent, à la vitesse d’un TGV et à la grande satisfaction d’une partie de la profession. Par ailleurs, ma remarque n’est pas une énième jérémiade sur la décadence ; elle est juste cynique, elle est de l’ordre du constat, constat que vous écartez a priori. En d’autres termes, je pense que votre discours tient plus de l’idéologie que de l’analyse. Pour le montrer, il faudrait pouvoir s’appuyer sur une vraie enquête sociologique (celles qui sont disponibles relèvent plus, en général, de la propagande ou de l’enculage de mouches) : enquête sur les publics et sur les personnels, qui, dans l’explication, s’efforce de contextualiser, prendre en considération les tendances lourdes de l’évolution sociale et politique (et non pas simplement, comme c’est souvent fait, les poncifs de la littérature journalistique). Quand on entend dire, urbi et orbi, par beaucoup de gens du métier (notamment les responsables) comme par les sociologues officiels de la lecture publique, qu’une bibliothèque doit être le « reflet » de la société, « prendre acte de la réalité et s’y plier », on comprend que la fonction de la bibliothèque ne saurait être celle que vous envisagez – malheureusement.

    JB

    Commentaire par JB — mardi 3 juillet 2012 @ mardi 3 juillet 2012

  15. @JB,
    Je comprends votre fatigue devant les abandons faciles qu’autorisent les modes médiatiques. Vous avez évidemment raison : la réalité est loin de l’idéal (et la vie n’est pas un long fleuve tranquille…).

    Mais vous vous méprenez, je crois, sur le sens de mes propos. Jamais je n’ai voulu tracer un tableau idyllique d’une bibliothèque qui serait miraculeusement devenue parfaite ! Depuis près de 40 ans, mon travail est somme toute de faire avancer le schmilblik. Je sais évidemment que cette entreprise est sans fin. Cela ne m’empêche pas de repérer des pépites, de les valoriser, d’encourager à aller plus loin. Déplorer des relâchements voire des abandons est évidemment une tentation constante. Mais après tout, regardez les publics que vous servez (et non vos seuls collègues) : ne sont-ils pas désespérants parfois ?

    Mais voilà, il faut continuer. C’est un petit message à tous les jeunes collègues qui entrent dans l’arène : votre travail ne sera jamais -je vous le souhaite – une routine. Toujours il faut inventer, toujours il faut se battre. Peu m’importent les « enculages de mouches » et les « poncifs » : j’ai un public à servir, d’une façon qui puisse entrer en connivence avec ses besoins, ses tensions, ses envies de faire société, etc.

    C’est du boulot, croyez-moi. Mais n’est-ce pas au fond notre boulot, évidemment toujours recommencé ? !! Là où je vous rejoins, c’est dans la certitude que nous ne flottons pas au gré des exigences sociétales (même s’il ne faut jamais les mettre à la poubelle), mais souhaitons faire prendre conscience à nos concitoyens de l’intérêt de la confrontation, du débat, de la transmission, peut-être au fond de leur place singulière dans la généalogie des savoirs et des citoyens.

    Alors, rien n’est donné : être bibliothécaire, n’est-ce pas d’abord être un combattant ?!

    Commentaire par bcalenge — mardi 3 juillet 2012 @ mardi 3 juillet 2012

  16. Les publics ne seront jamais aussi désespérants que les élus qui les représentent. En démocratie, on a les services publics qu’on mérite, disait un jour un politique. S’il a fallu 40 ans et plus pour modifier les bibliothèques ce n’est pas par hasard. D’un autre côté si elles ont tout de mème avancé c’est aussi grâce au volontarisme de bibliothécaires combattants, à une époque où ils songeaient moins à se combattre entre eux qu’à convaincre ensemble leurs tutelles respectives. Tant que cette profession consacrera son énergie à se balancer des pavés idéologiques, les cultureux contre les jeunistes, les anciens contre les modernes, elle regressera car elle ne sera plus assez attentive et disponible aux changements sociaux, changements qu’elle a précisément jusqu’ici toujours su prendre en compte, mème tardivement, afin que la bibliothèque ne soit pas uniquement l’image de la société. Ni assez soudée et solidaire pour entreprendre des combats communs.
    « Nous avons raté le pari de la démocratisation » disait B; Yvert, commentant un jour la chute des lectorats. On pourrait y entendre que la démocratisation consistait à coller à la réalité, ou « flotter au gré des exigences sociétales » comme vous le dites.
    La démocratisation. Etait-ce le bon pari ?

    Commentaire par Hervé — vendredi 25 janvier 2013 @ vendredi 25 janvier 2013


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