Bertrand Calenge : carnet de notes

vendredi 17 avril 2009

Droit de prêt et Hadopi : quelle parenté ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 17 avril 2009
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Un très beau billet de Philippe Axel sur la licence globale et Hadopi, signalé par Internet Actu dans sa revue de presse, mérite le détour, y compris pour nombre de ses commentaires. Philippe Axel y défend mordicus le principe de la licence globale, avec des arguments qui, à mon avis font mouche.

Bien sûr, d’autres ont fortement soutenu cette licence globale (comme Silvère, et je ne fais ici que rebondir sur son excellent billet d’il y a un an !), mais si je reviens sur cette très intéressante proposition, c’est qu’elle me rappelle un « ancien » débat du tournant de ce millénaire, déjà souligné par Silvère (mais il faut toujours enfoncer le clou, même si je le fais avec moins de talent !). Rappelez-vous, les bibliothèques publiques étaient accusées de concurrence déloyale envers les auteurs, les libraires et les éditeurs, prêtant gratuitement ou presque le même livre des centaines de fois et « donc » dérobant une clientèle potentielle aux acteurs de la création écrite. A la différence du contexte que nous connaissons avec Hadopi, une vraie étude avait alors été lancée par le Ministère de la Culture, qui montrait – ô surprise – que les plus gros emprunteurs étaient aussi les plus gros fréquemment acheteurs, et que l’on ne pouvait établir nul lien de cause à effet entre emprunt de livres et ventes en librairie. Encore avait-on du d’ailleurs écarter de l’étude quelques acteurs éditoriaux, par exemple les éditeurs pour la jeunesse, globalement favorable aux bibliothèques à la fois gros clients et prescripteurs efficaces.

Cela s’est terminé avec la loi du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs. Cette loi n’a heureusement pas décidé de qualifier les bibliothèques de « pirates publics » (l’antériorité historique et le caractère public aident !!), mais a instauré un « droit de prêt » payé en fait par la collectivité publique, en l’occurrence à 50 % par l’Etat (au prorata du nombre d’usagers des bibliothèques), et à 50 % par les collectivités locales au prorata des achats des bibliothèques (via une redevance à l’achat proportionnel au coût du livre, ce même si le livre acquis n’est pas destiné au prêt d’ailleurs !). En outre, les collectivités territoriales se voyaient  supplémentairement mises à contribution par une limitation réglementaire des remises auxquelles elles pouvaient prétendre dans leurs achats.

Ce système fonctionne ainsi aujourd’hui (encore qu’on puisse ne pas toujours comprendre les clés de répartition des ressources tirées de cette forme de licence globale par la société créée ad hoc pour gérer la manne). Soit dit en passant, je me suis toujours félicité que les bibliothèques aient gagné par ce moyen une reconnaissance à la légitimité d’un espace d’information relevant de l’espace public…

Mais ce qui est le plus intéressant, c’est que les arguments échangés au cours de ce débat rappellent furieusement ceux qui entourent Hadopi… et que le législateur (déjà majoritairement UMP et il y a moins de 5 ans) a alors opté finalement pour cette forme de licence globale (et qui plus est en y participant lui-même largement). Certes, le contexte budgétaire est nettement plus tendu aujourd’hui, mais la licence globale proposée pour Internet ne ferait pas intervenir les finances publiques !!

Pourquoi ce qui a été jugé pertinent pour le livre et les bibliothèques ne fonctionnerait-il pas pour contenus culturels en ligne et citoyens ? Même si aujourd’hui l’échelle est différente (quelques milliers d’établissements hier face à des millions d’abonnés à Internet aujourd’hui) et si les objets culturels peuvent être plus divers sur Internet (encore qu’on n’entende guère maintenant que les arguments de la seule industrie musicale, donc des disques), la problématique est étrangement similaire. J’imagine que la technocratie ne manque pas de crânes d’oeufs pour concocter une société de répartition de droits apte à produire des clés de répartition entre les différents acteurs notamment de l’industrie musicale (et au premier chef les artistes ? Non, je plaisante  smileys Forum).

Ou alors j’ai raté quelque chose ?

9 commentaires »

  1. Merci à B. Callenge de rappeler ici ce débat (et cette loi)Outre que tous les Internautes ne sont pas forcément des « pirates », j’ai du mal à comprendre :les éditeurs utilisnt depuis toujours les moyens modernes pour augmenter leur chiffre d’affaire(les petits libraires n’ont pas gagné contre les grandes surfaces et les bibliothèques(la collectivité) ont dû participer à la retraite des auteurs après avoir dû cotiser-rappelonsle- pour les photocopieuses . mais les éditeurs ont-ils seulement eu une réflexion sur les contrats parfois léonins qu’ils font signer à leurs auteurs ?
    cela parait trop facile pour des entrepreneurs qui ont souvent des propos très durs sur l’état providence de se retourner vers l’Etat parce qu’ils ne veulent pas établir de contrats un peu plus favorable à leurs auteurs

    Commentaire par Lefebvre — samedi 18 avril 2009 @ samedi 18 avril 2009

  2. Bonjour,
    merci pour cet article. Je suis à la recherche de sources directes, concernant la fameuse étude que vous évoquez ci-dessus. D’après les échos que j’en avais eu, cette étude montrait aussi que, dans les quartiers où une bibliothèque ET une librairie sont installées, il se prête plus de livre dans la bibliothèque, et il se vend plus de livres dans la librairies, que dans les quartiers où une seule des deux structures est présente. Savez-vous si cette étude est disponible quelque part ? Ou au moins, des sources officielles qui se réfèreraient aux résultats ?

    Merci

    Commentaire par brio — jeudi 30 avril 2009 @ jeudi 30 avril 2009

  3. @ brio :

    J’aurais pu effectivement citer mes sources. L’étude avait été coordonnée par Hervé Renard, responsable de l’Observatoire de l’économie du livre à la Direction du Livre et de la lecture. Une synthèse de cette étude par son auteur sur le BBF : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1995-05-0026-001

    Commentaire par bcalenge — jeudi 30 avril 2009 @ jeudi 30 avril 2009

  4. Merci pour ce lien très instructif. Un point de doute, tout de même : l’étude a été réalisée en 1994-95, et la loi a été votée en 2003 !? Wow, on prenait le temps de réfléchir, à cette époque…

    Commentaire par brio — jeudi 30 avril 2009 @ jeudi 30 avril 2009

  5. @ brio :

    eh oui, l’élaboration de cette loi a été houleuse. Le débat a débuté en fait avec la question de l’application d’une directive européenne de 1992… pour ne s’achever qu’en 2003 ! Dans la foulée de la circulaire moult études ont été conduites, et un rapport décisif rendu en 1998(le rapport Borzeix ). Voir des dossiers récapitulatifs sur l’ABF ( http://www.abf.asso.fr/rubrique.php3?id_rubrique=9 )ou l’ADBDP ( http://www.adbdp.asso.fr/-Droit-de-pret- ). C’est vrai qu’on réfléchissait avant d’improviser des lois hâtivement conçues…

    Commentaire par bcalenge — jeudi 30 avril 2009 @ jeudi 30 avril 2009

  6. Après une lecture un peu plus approfondie, je suis surpris de l’absence d’analyse chiffrée dans l’étude de 1994 : qu’est-ce qui vous fait écrire « les plus gros emprunteurs sont aussi les plus gros acheteurs » ?
    Dans l’étude, on peut lire « il y a davantage d’acheteurs chez les usagers des bibliothèques (73 %) que dans le reste de la population », mais ça ne signifie pas nécessairement qu’ils achètent plus de livres, que les clients de librairie qui n’ont pas accès, ou ne fréquentent pas, les bibliothèques…

    J’ai loupé quelque chose ?

    Commentaire par brio — jeudi 30 avril 2009 @ jeudi 30 avril 2009

  7. @ brio :

    C’est exact, mon clavier a fourché (eh oui, 15 ans déjà !). C’est rectifié dans le billet. Mais convenez que ce point ne change en rien l’absence de lien de causalité entre la réalité des emprunts en bibliothèques et éventuelle baisse du chiffre d’affaires de la librairie.

    Par ailleurs, l’étude en question ne manque pas de données chiffrées, loin de là ! Vous n’avez lu dans le BBF qu’une synthèse prudemment rédigée à une époque d’ébullition ET dans une revue des professionnels des bibliothèques ET par un agent dépendant du Ministère de la Culture. Autant dire que le texte reste nuancé et… disons synthétique. Essayez d’obtenir le texte original du rapport – à ma connaissance jamais rendu public – auprès du département de l’économie du livre à la Direction du livre, ou au centre de documentation de cette dernière.

    Commentaire par bcalenge — vendredi 1 Mai 2009 @ vendredi 1 Mai 2009

  8. […] récemment, c’est Bertrand Calenge qui reprenait sur son blog des arguments similaires (Droit de prêt et Hadopi : quelle parenté ?) […] ce qui est le plus intéressant, c’est que les arguments échangés au cours de ce débat […]

    Ping par Droit de prêt et licence globale : faux amis, vrai débat « :: S.I.Lex :: — dimanche 23 août 2009 @ dimanche 23 août 2009

  9. […] système du droit de prêt des livres, à la fois par des bibliothécaires comme Patrick Bazin ou Bertrand Calenge, ou par des partisans de la Culture libre comme Jérémie Nestel et Laurent Chemla. Silvère […]

    Ping par Quelles conséquences pour les bibliothèques si la contribution créative était votée ? « Le fil de la médiathèque — dimanche 17 juin 2012 @ dimanche 17 juin 2012


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