Bertrand Calenge : carnet de notes

vendredi 1 février 2013

A propos de la censure en bibliothèque

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 1 février 2013

Le 31 mai dernier, dans le cadre d’une journée thématique intitulée Bibliothèques d’enfer(s), j’ai eu l’honneur d’être convié à une table ronde à l’enssib sur le thème : « Collections et politiques documentaires : le censure est-elle une fatalité« . Ayant retrouvé le texte préparé à cette occasion, je ne résiste pas au désir de vous le communiquer une fois remanié…

Livres interdits, livres prescrits, livres encensés ou livres maudits : là se situe en général le débat de la censure en bibliothèque. Que la censure ou la prescription soit le fait de tutelles, de groupes de pression ou des bibliothécaires eux-mêmes, tout l’enjeu est de savoir quoi autoriser et quoi interdire…

Manichéisme

Les collections font parfois l’objet d’un manichéisme confondant :

  • le livre est bon ou mauvais, et l’anathème frappera indifféremment les textes de Robert Brasillach, de Barbara Cartland, de Louis-Ferdinand Céline, voire pourquoi pas de Michel Onfray…., comme on révèrera indifféremment Pierre Corneille ou Victor Hugo.
  • Ce faisant on interdira l’accès de la collection aux textes excommuniés, comme on baptisera parallèlement un autre texte en l’acceptant dans la grande communauté des co-lecteurs ;

Certes, le doute se glisse parfois dans les choix radicaux :  je cite souvent cet exemple éclairant de bibliothécaires hardis décidant d’acquérir libéralement des ouvrages expliquant la sexualité aux enfants… avant de les ranger au fond des magasins… Étonnante posture introduisant, entre paradis et enfer, l’indécision du purgatoire ! Ou encore : Caroline Rives racontait il y a quelques années comment elle avait observé dans les œuvres révérées de ce grand classique pour la jeunesse qu’est Jack London des passages d’un racisme avéré. Je frémis à la pensée du possible anathème qui pourrait subitement frapper ce cher Jack, comme l’ont connu des Alexis Carrel ou des Martin Heidegger !!

Le bon et le mauvais sont des catégories qui peuvent s’appliquer à des titres en leur entier (heureusement, la majeure partie de l’œuvre de Céline conserve droit de cité) et parfois à des auteurs pour la globalité de leur œuvre (je me rappelle ce message trouvé dans Biblio-fr : « que faut-il penser de Houellebecq ? »). Ce qui m’intéresse est à la fois la posture manichéenne à l’œuvre, et la nature des objets ainsi concernés.

Anges et démons _ licence Creative commons - fdecomite - Flickr

Anges et démons _ licence Creative commons – fdecomite – Flickr

La posture révèle une conception particulière de la bibliothèque vis-à-vis de sa collectivité :

  •  le jeu des exclusions successives risque d’enfermer les collections en une sorte de bibliothèque idéale, qui a tôt fait d’osciller entre pensée convenue et pays des Bisounours ;
  • ce faisant la bibliothèque se ferme face aux doutes, débats, tension qui animent le monde
  • et le bibliothécaire se voit bon pasteur protégeant ses brebis innocentes (et forcément immatures !!). Je ne veux pas lancer la pierre aux seuls bibliothécaires : tutelles et groupes de pression divers affectionnent également cette vision en noir et blanc…

Et parallèlement je suis frappé par le caractère jugé immanent des objets concernés par ces postures, bref de ces textes. Dans le dialogue qui accepte ou repousse une pensée, il existe fondamentalement une véritable révérence à la parole proférée, achevée, complète, imprimée quoi !! En déclarant une parole bonne ou mauvaise, on se réfère au fond à ce double impensé de la culture occidentale et même au-delà : le respect infini de la littéralité des textes sacrés, qu’ils soient Bible ou Coran. Et est venu se greffer là-dessus, de façon plus moderne, ce que Robert Damien appelle la grâce de l’auteur : cet auteur qui, depuis Flaubert, est une sorte de dieu créateur s’imposant à ces créatures que sont les lecteurs.

Les textes débattus

Ce qui m’intéresse, en tant que bibliothécaire, ne se situe-t-il pas ailleurs ? Je veux poser la question non de la nature des textes ainsi adorés ou rejetés, mais du statut culturel et social des pensées qui s’entrechoquent sur les étagères de la bibliothèque.
Et au-delà est passionnante la transformation des textes au fur et à mesure de leur rencontre avec de multiples lecteurs. Les pensées qui se croisent autour des lectures  tentent toujours de s’évader hors de la stabilité rassurante du texte imprimé et stable.

Prenez l’exemple des annotations dont les livres se couvrent au fil de leurs lectures : combien de livres retrouvez-vous, navrés, maculés de surlignements et autres annotations généreusement laissées : « cette assertion est stupide », « cela rappelle XXX », etc. ? Ces annotations vont au-delà de la détérioration d’un bien public. Pour citer Hubert Guillaud : « Que signifie le surlignement pour celui qui le fait ? Nos représentations élitistes du livre nous empêchent de reconnaître les annotations (mais également les notes, les petites synthèses de lecture…) pour ce qu’elles sont principalement : des humeurs, le témoignage d’une présence qui ne fait que signifier que notre pensée est passé par là. Que son inscription vaut trace. »
Cette trace construit également son propre champ de pensée circulant au-delà du texte. Pensez à l’un des problèmes mathématiques les plus célèbres au monde, la conjecture de Fermat : qu’est-ce d’autre qu’une annotation marginale dans un livre, signalant « … J’ai trouvé une merveilleuse démonstration de cette proposition. Mais la marge est trop étroite pour la contenir. » Que de triturages de cerveaux pendant près de quatre siècles à partir de cette note griffonnée !!
Robert Darnton a perçu lui aussi l’énergie extraordinaire qui peut naître des traces de lectures, lorsqu’il imagine les livres derrière le livre, où le lecteur pourrait naviguer derrière des critiques, ajouts ou repentirs, compilations de sources, etc. Le numérique révèle volontiers cette richesse, comme on peut le lire dans le blog Sobookonline.

Les titres ne sont pas bons ou mauvais, ils ne doivent pas être considérés comme immanents, mais transformés par leur appropriation collective. Transformés parce qu’offerts à la critique, au débat, à la digression, à la digestion ! Même si, pour la préservation du bien commun, nous demandons quand même à nos lecteurs ce que demandait Léonce Bourliaguet « Ne crayonnez pas dans les marges d’un livre les bêtises que l’auteur a oubliées dans le texte ».
La fonction bibliothécaire est de provoquer ces relectures critiques et transformatives. Gabriel Naudé le demandait déjà : « ne point negliger toutes les œuvres des principaux heresiarques ou fauteurs de religions nouvelles et differentes de la nostre plus commune et reverée ».
Et de façon plus contemporaine, je salue cette collègue qui recevant comme nous tous « l’Atlas de la création », célèbre volume créationniste largement distribué aux bibliothèques dans un souci de prosélytisme, n’a pas condamné l’ouvrage à l’oubli de la poubelle, mais a entrepris de s’en servir pour provoquer débats, confrontations à d’autres textes, etc. !

Annotations Finnegans Wake - licence Creative commons - Karl Steel - Flickr

Annotations Finnegans Wake – licence Creative commons – Karl Steel – Flickr

Exigences et contraintes

L’ouverture à la critique, au débat, bref à la formation de la connaissance, s’accompagne pour les bibliothécaires de deux exigences :

–         une exigence de véracité, ou si vous préférez d’authenticité : nous garantissons que nous n’expurgeons ni ne trafiquons les pensées et textes que nous soumettons à nos lecteurs

–         une exigence diachronique : nous proposons de resituer toute pensée et tout débat dans la longue généalogie des questionnements, et proposons de mettre en perspective le présent comme de donner un théâtre contemporain à l’histoire

Bien sûr, notre exigence critique se heurte à une contrainte impérative, celle des limites que la tolérance sociale impose aux débats. C’est normal, nous ne vivons ni hors du temps ni hors société. Mais je voudrais lancer un appel : si notre action doit se plier aux exigences sociales, il faut que ce soit malgré nous !! Il est toujours inquiétant de voir des bibliothécaires rechercher fiévreusement les textes juridiques justifiant leurs exclusions, alors que l’effort bibliothécaire devrait toujours être de questionner ces limites. Et je terminerai en affirmant clairement mon hostilité profonde de bibliothécaire à toutes les prescriptions qui veulent contraindre la parole et le débat, qu’il s’agisse de groupes de pression s’appuyant sur des lois mémorielles, ou d’injonction sociales sur les pensées convenues.

Notre honneur, c’est le débat, la mise en critique, bref, soyons les héritiers militants des Lumières !!

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jeudi 31 janvier 2013

Une collection de qualité ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 31 janvier 2013

La semaine dernière était la semaine de soutenance des mémoires des élèves conservateurs. Une élève s’est vue questionner sur une expression qu’elle avait employée, parlant d' »une collection de qualité ». La candidate s’en est tirée avec élégance, mais la question a persisté à me tarabuster, tant j’ai lu ou entendu souvent cette expression.

Contraint de garder la chambre, j’en profite pour essayer d’y aller voir plus loin, et peut-être de tracer quelques esquisses de pistes à sérieusement compléter.
Pour essayer de répondre, il me fallait d’abord dépasser une limite et éviter deux pièges :

  • la limite est constituée par un recours aveugle aux indicateurs et autres paramètres mesurables. J’en connais l’intérêt comme outils de gestion, j’en perçois les limites dès qu’on veut s’attacher à la notion de qualité, difficilement réductible à des comptages ou à des échelles ;
  • le premier piège est de partir à la recherche de la bibliothèque idéale, illusion déconnectée des trivialités de son environnement et au fond bibliothèque très personnelle à mi-chemin entre les convenances académiques et la représentation valorisée de soi ;
  • le second piège consiste à décomposer la collection titre à titre, afin d’analyser la qualité de chacun des composants, oubliant que la qualité d’un raisonnement ou d’une écriture n’en garantit pas l’intérêt, et négligeant le fait que beaucoup de collections jugées unanimement excellentes ne comprennent pas que des joyaux intrinsèquement parfaits.
Merci à la Revue Le libraire

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Bref, il me fallait parler d’un ensemble singulier, d’un système global précisément situé, pour essayer d’en percevoir les contours en termes mêlant confusément le jugement de valeur et l’appréciation esthétique. Exercice difficile, dont l’intérêt n’est pas tant d’aboutir à des conclusions indiscutables que d’encourager à creuser les points de repère qualitatifs qui peuvent s’appliquer à cet ensemble collection. Au point où j’en suis, j’en ai repéré 10 facettes, que je vous livre articulées en trois ensembles de critères.

Critères internes

  • Une « bonne » collection présente d’abord des « unités de sens » significatives. Au-delà des documents individuels toujours singuliers, on relève des masses critiques de documents  balayant les différents intérêt d’un sujet ou d’un genre. Sinon, on tombe dans la collection prétexte ou alibi, telle la bibliothèque décidant qu’elle s’offre à des publics élargis juste en prenant un abonnement à Jeune et jolie. La collection doit être redondante, ou plutôt rebondissante, permettant d’approfondir, de contextualiser…
  • Par ailleurs, et j’en suis désolé pour les établissements jeunes ou émergents, je pense qu’une collection ne peut se juger qu’au travers d’une certaine persistance. Il faut du temps pour construire de la cohérence, diversifier les approches, tracer des chemins originaux. C’est une des leçons apportée par les collections privées qui abondent dans le patrimoine de nos établissements : œuvres de passionnés guidés par l’intérêt de toute une vie, telle la collection Sauvy sur la démographie.
  • Enfin, une collection de qualité propose toujours une diachronie du regard. Cela rejoint un peu le point précédent, mais cette fois-ci vu du point de vue des documents proposés. Une collection intéressante ne se limite jamais à l’exposition seule de l’état de l’art, mais en construit subtilement la généalogie : les dernières avancées de la linguistique voisinent avec les travaux de Saussure. Généalogie subtile, qui évite évidemment de transformer un fonds en témoignage historique, mais veille à signaler la périodicité des émergences.
Licence Creative commons - François Arnal - Flickr

Licence Creative commons – François Arnal – Flickr

Critères d’appropriation

J’entends par cette expression la capacité d’une collection à être appropriée en ses contenus par la population à laquelle elle est destinée. En effet, toute estimation de la valeur d’une collection répond nécessairement à la subjectivité d’un regard, et c’est de ce regard qu’il faut partir.

  • Une collection de qualité est capable de répondre avec pertinence aux questions d’actualité qui préoccupent ses concitoyens. Je n’entends pas l’actualité au sens strictement éditorial (encore que celle-ci ait une réelle valeur d’usage), mais au sens d’une capacité à proposer des regards sur une question qui agite la population. Prenons par exemple le débat actuel sur le mariage pour tous : la collection permet-elle d’aborder cette question ?
  • Une plasticité des contenus est également nécessaire, proposant une diversité de niveaux d’approche. Bien sûr, il ne s’agit pas par exemple dans une bibliothèque publique moyenne, d’aller jusqu’à la sophistication des travaux de recherche, mais d’offrir des possibilités d’appropriation multiples : le débutant, l’étudiant, etc. Une collection n’est jamais monolithique.
  • La neutralité et la pluralité critique sont également de mise. Évidemment pas en termes d’accumulation de certitudes et de discours militants, mais en proposant sur chaque thèse la critique qu’elle a pu recevoir, et en ne jamais acceptant la critique d’une thèse sans que cette thèse soit présentée également. La collection n’est jamais dogmatique. Si un texte ou une thèse est critiquable, c’est à l’honneur de la bibliothèque d’en exposer la teneur comme la critique.
  • Ce qui, de façon plus générale, réclame de la bibliothèque qu’elle documente les contenus qu’elle propose. Les collections patrimoniales sont pour moi un terrain significatif : loin d’être un mausolée figé soigneusement entretenu et dégagé des questionnements du monde, il sera complété par les études plus contemporaines, les analyses, critiques, toutes jeunes pousses permettant d’en mieux saisir l’intérêt, sans jamais céder à la sidération devant l’œuvre ou l’auteur.
Merci à La Revue Le libraire

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Critères de médiation

Comme la collection n’est jamais un simple appareil de documents organisés, mais réclame des lecteurs et des lectures pour accéder au statut de collection, sa qualité demande aussi de faire l’objet de médiation, et c’est cette dernière qui contribuera à en faire percevoir justement la qualité.

  • La séduction m’apparait comme une première condition : foin de reliures ternes, de livres sales ou détériorés. La collection de qualité est comme la personne de qualité : propre, élégante, pleine de respect pour autrui comme respectueuse d’elle-même. Elle peut être ordonnée comme elle peut présenter à l’œil un sympathique fouillis, peu importe, elle doit donner envie aux publics à qui elle est destinée. Ce qui explique aussi le parti souvent pris de différencier des espaces au sein d’une bibliothèque, tant dans les usages que dans les apparences.
  • La lisibilité est une autre condition de qualité. Cette lisibilité s’entend à la fois comme mise en scène (ah, les plans de classement !) et comme mise en sens. En effet, les mises en perspective, les dimensions critiques, les profondeurs généalogiques ne naissent pas que de la superposition de documents, mais doivent être suscités et constamment régénérés, au gré notamment de l’évolution des intérêts et de la demande  de surprise. Bref, la médiation des contenus est devenue un impératif pour donner à la collection sa qualité…

La relecture de ces neuf critères de qualité d’une collection me conduisent à oser mon dixième critère : pour une collection de qualité, il faut des bibliothécaires à la fois versés dans les contenus qu’ils manipulent et transmettent, et toujours attentifs aux intérêts divers des publics qu’ils servent. Sans bons bibliothécaires, il ne peut jamais y avoir de bonne collection….

Ces dix critères restent encore insuffisamment définis, j’en conviens. mais je crois qu’ils sont tous indissociables pour aboutir à ce qu’on appellera peut-être une collection de qualité. Il sera intéressant d’en vérifier la validité pour les collections numériques, lorsque les premiers soubresauts de la création des bibliothèques numériques se seront calmés et qu’on pourra envisager leur maturité.

Qu’en pensez-vous ?

vendredi 4 janvier 2013

Réseaux sociaux et espace public

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 4 janvier 2013

Récemment – enfin, l’an dernier -, j’ai été violemment pris à partie sur le réseau social le plus populaire du web, Facebook, à l’occasion d’un billet élogieux sur Numelyo, la nouvelle bibliothèque numérique de Lyon. Les critiques, préoccupés des conditions juridiques d’utilisation des documents numérisés, s’étonnaient que la bibliothèque omette de répondre à leur interpellation via Twitter (le commentaire en question a été supprimé depuis). J’ai suggéré qu’un courrier à cette institution serait une voie plus appropriée, ce qui m’a valu moult reproches. J’en livre un extrait :

« Commentaire X Facebook : – « J’en fais part [de mes questions] sur les canaux habituels de discussion (et publics dans le sens lisible à tous). Utiliser son carnet d’adresse personnel pour avoir les renseignements que d’autres n’auront pas, ce n’est pas correct. ».
Commentaire Y Facebook : – « Concernant les réseaux sociaux, votre réaction est celle de tous ceux que la libre critique dérange. Mais c’est un mouvement que l’on arrêtera plus, y compris dans la sphère des bibliothèques… […] Attention à cette forme de mépris de la culture numérique et des réseaux ! »

Ces invectives, poursuivies en commentaire sur ce blog et d’autres, m’ont conduit à réfléchir à la distinction possiblement opérée entre espace public social (numérique ?) et espace public citoyen (politique), et à vouloir m’expliquer sur les tenaces distinctions que je persiste à vouloir opérer.

Arènes ronda, licence CC par Kholkhoze (Flikr)

Arènes ronda, licence CC par Kholkhoze (Flikr)

Des espaces sociaux oui…

Déclarer que les réseaux sociaux ne créent pas un espace de sociabilité serait évidemment aberrant, et je suis le premier à en faire usage. Encore que la sociabilité en question apparaît à l’analyse singulièrement restreinte à des liens dits de « sociabilité faible » (celle qui nous lie au boulanger que nous saluons chaque jour en échangeant des banalités), dont le mécanisme conduit d’ailleurs volontiers à réduire le champ de nos centres d’intérêt. Mais soit, quand les réseaux sociaux n’existaient pas, déjà « qui se ressemble s’assemble », et cela permet au moins une forme de conversation bavarde.

Si le mécanisme de réticulation d’Internet permet à ce cercle même restreint d’échanger des informations précieuses glanées ici ou là, cette opportunité de veille peut aussi faciliter les convictions facilement acquises et non débattues – ce que je constate trop souvent à travers diverses polémiques. Je cite encore le billet d’Internet Actu :

« Il faut raison garder, nous rappelle le sociologue Dominique Cardon. “Sur Facebook, on peut toujours trouver quelque chose pour confirmer qu’on a raison.” Le risque est de passer de la sociologie à la “tendançologie”, de faire des sites sociaux les boucs émissaires de nos relations tourmentées et difficiles, parce que les incidents y prennent une inscription qui leur donne une importance qu’ils n’avaient pas nécessairement. »

Ensemble 01, licence CC par Molossus (Flikr)

Ensemble 01, licence CC par Molossus (Flikr)

… des espaces publics peut-être, au sens faible…

Les réseaux sociaux permettent l’émergence de groupes animés (auto-entretenus ?) de convictions fortes qui, par le nombre facilement énorme de leurs adhérents, permettent d’entrer dans le débat public, de l’influencer, voire de rêver s’y substituer. Cette convivialité communautaire ne doit pas faire illusion. Dominique Cardon le souligne :

« Comme souvent, les élites culturelles universalisent leur propre désir de société et croient que parce qu’ils ont des pratiques ouvertes, elles sont immédiatement accessibles à tous ! C’est ce que Bourdieu appelait l’ethnocentrisme de classe, cette maladie typiquement “intellectuelle” de généraliser aux autres sa propre vision du monde. Cela a nourri beaucoup de discours très “naïfs” sur la participation de tous, la disparition des autorités, la constitution d’un espace public mondial ».

Cette expression d’une délibération à la fois singulière et commune s’invite facilement dans le débat médiatique, puisque ce dernier fait la part belle à ce nouveau média-roi qu’est Internet, au point d’imaginer aujourd’hui un « journalisme de liens« .
Bref, tout semble concourir à faire assimiler les réseaux sociaux à de merveilleux espaces publics d’échanges et de débats sociaux et sociétaux, autant que culturels et politiques. Politiques, vraiment ?

Agora par Magdalena Abakanowicz, licence CC par GYLo (Flikr)

Agora par Magdalena Abakanowicz, licence CC par GYLo (Flikr)

… mais pas (encore ?) des espaces publics de délibération citoyenne

En écrivant un tel titre, j’ai bien conscience d’introduire une drôle de notion… Pour moi, l’espace public citoyen n’est pas que le lieu d’un débat, fût ce débat largement ouvert à toutes les mouvances. C’est aussi le lieu de la chose publique. Cette chose publique est aujourd’hui structurée d’institutions diverses qui veillent à organiser l’ensemble des actes de la vie collective. Le débat peut, et c’est normal, être très largement ouvert ; arrive un moment où il doit s’incarner en processus continués. L’espace public citoyen est celui qui permet de passer du débat à la bonne organisation de la vie de la cité en garantissant sa continuité. Cela se fait, dans nos républiques démocratiques, en débattant avec tous, sous le contrôle des institutions choisis par tous, et en respect de règles fondamentales (constitution, traités,…).

Les réseaux sociaux peuvent permettre de faire émerger des groupes de pression puissants, tant par le nombre de leurs participants que par le partage et la médiatisation de leur argumentation. Ils peuvent sans doute conduire les forces sociales à envisager un changement des règles du jeu politique. Mais, je suis désolé de le dire, ils ne s’inscrivent pas (encore ?) dans le jeu du débat citoyen pour la conduite des affaires collectives. Pour trois raisons au moins :

  • Qui possède et régule les réseaux sociaux ? L’espace public, même s’il est traversé de groupements et intérêts divers, doit trouver un espace neutre pour s’exprimer, librement et sans contrainte, bref  une arène de la délibération citoyenne. Or, les réseaux sociaux ne sont pas ces vastes espaces ouverts et libres, mais bien des entreprises qui veillent à maximiser leurs profits selon une stratégie qui n’est pas, elle, soumise au débat public qu’elles semblent encourager. Et je partage assez l’avis de Xavier de la Porte lorsqu’il déclare : « Je trouve assez terrifiante cette description de Facebook. Un espace public avec une police privée, invisible, et toute puissante. »
    De même, Hubert Guillaud, rapportant les analyses de Rebecca MacKinnon, souligne que : « plus encore que les gouvernements, ce sont aujourd’hui les entreprises de l’internet qui ont le plus de pouvoir sur le réseau, notamment les sites sociaux, comme Facebook en occident, […]. Rebecca appelle les sociétés de réseaux sociaux et leurs dirigeants les “souverains du cyberespace”.[…] Grâce à des technologies qu’ils contrôlent, ces hommes prennent des décisions sur ce que leurs utilisateurs peuvent ou ne peuvent pas faire. Ils façonnent à la fois notre vie privée et notre identité numérique, ainsi que la façon dont nous nous mettons en relation les uns avec les autres ou avec notre gouvernement. C’est une puissance sans contrôle : ces sociétés n’ont aucun compte à rendre au public. Leurs politiques ne prennent pas en compte les usagers les plus vulnérables ».
  • Débattre avec tous, vraiment ? Non, les réseaux sociaux permettent sans doute de dégager et d’approfondir quelques positions communes à des groupes déjà connivents, mais leur expression a besoin de sortir du champ de ces réseaux contrôlés pour s’introduire dans le débat public, celui qui mêle tous les citoyens indépendamment de leurs affinités électives (voire technologiques). Les médias ont beau jeu de pointer des « révolutions de réseaux » quand ils se font l’écho des tweets des Indignés ou des révoltés tunisiens, on voit bien que les enjeux sont autrement plus complexes quand la question apparaît sur la scène publique (donc, vous le noterez, en dehors des réseaux sociaux). Oui, on rêverait volontiers d’une culture du consensus, mais la question politique est autrement plus âpre et complexe, et convoque des individus non connivents, bref se heurte à la différence subie et non choisie. Patrick Viveret le reconnaît : « Effectivement, je pense également que ces mouvements doivent apprendre à passer un seuil. Je ne sais pas s’ils doivent désigner des ennemis… Disons que je préfèrerais qu’ils se désignent des adversaires, car le processus démocratique doit demeurer un art de la conflictualité non violente.»

  • Enfin, dernier point qui à mon sens est essentiel : si les réseaux sociaux sont un espace public de délibération, où est leur ancrage ? Si au fond les médias sociaux sont l’aboutissement d’une parole sans auteur, cette libre conversation rêvée par les Lumières, le débat citoyen recherche l’authenticité et la cohérence de la pensée et du projet. On ne se débarrasse pas si facilement des auteurs et de leur confrontation productive…
    En outre, l’agora ou le forum antiques avaient une assise historique et une légitimité collective. Même ceux qui n’y prenaient jamais la parole avaient la certitude que c’était le lieu où se débattaient les questions communes. Car l’agora était accessible à tous sans discrimination. Et ceci est essentiel : « je n’ai pas besoin de parler, je n’ai pas besoin de faire partie d’une coterie, mais je sais que mon silence est écouté et que ma voix compte lorsqu’il faudra décider ». Cette faculté de la prise de parole et de l’écoute était et doit être garantie pour chaque citoyen par des institutions collectives ancrées dans une histoire collective, bref des agoras institutionnelles, inscrites dans la chair de la cité. Or ce qui me frappe, c’est l’impermanence des réseaux sociaux, leur absence totale de prise en compte de la généalogie des pensées et des débats : ce sont des murs constamment repeints, des fils éphémères non organisés pour proposer des échanges argumentés et capitalisés.
    Par ailleurs, énormément de mes connaissances ne connaissent pas Twitter, ou n’ont qu’un usage très très limité de Facebook ou de quelque réseau social. Quelle(s) place(s) leur donne-t-on pour échanger, s’informer et se construire leur opinion, faire leurs choix d’avenir au cœur de notre société ? Cela n’enlève rien aux vertus des réseaux sociaux ni à leurs potentialités, mais ne leur permet pas aujourd’hui de se prétendre les lieux centraux du débat citoyen.

    Star shower, licence CC par Ophelia Noir (Flikr)

    Star shower, licence CC par Ophelia Noir (Flikr)

C’est pourquoi, tout en pratiquant et appréciant sans vergogne Facebook ou autres réseaux, je proclame que les espaces numériques, fussent-ils dits sociaux, ne sont pas (encore ?) des espaces publics de construction et de délibération citoyenne (pas plus qu’ils ne sont des espaces de conversation privée, ce que certains oublient parfois)..

C’est pourquoi aussi je ne trouve pas indécent qu’une institution publique (ouverte à tous sans distinction dans son modeste rôle d’appropriation et de partage de savoirs) ne se sente pas convoquée à rendre des comptes sur des réseaux sociaux.

Et c’est ainsi enfin que la bibliothèque est grande !!

vendredi 14 décembre 2012

« Bibliothèque : bénévoles et volontaires seuls remèdes aux fermetures » (?)

Filed under: Non classé — bcalenge @ vendredi 14 décembre 2012

Le titre de ce billet est celui d’un billet d’Actualitté du vendredi 13 novembre. Le titre comme la teneur m’ont frappé, à la fois parce qu’ils me rappellent que la question du bénévolat/volontariat est toujours d’actualité dans les communes rurales et les petites villes, et parce qu’ils interpellent les bibliothécaires « nantis » (même s’ils s’estiment justement bien maigrement dotés) des grandes villes ou villes moyennes, sur l’équilibre fragile des finances publiques, et donc sur le caractère facultatif du service qu’ils animent et défendent.

Tout bibliothécaire défend becs et ongles l’utilité sociale, éducative et culturelle du service qu’il développe avec passion, attentif aux populations qu’il est appelé à servir. Tout bibliothécaire est parallèlement soucieux des deniers publics et fait la chasse au gaspi : leur corporation est passée reine en improvisations géniales et montages habiles visant tous à proposer un service original, séduisant, surprenant, utile, … et pensent-ils à juste titre indispensable.

Quand la crise frappe…

Ce n’est pas moi qui leur dirai le contraire, ni les appellerai à modérer leur ambition créative. C’est la crise qui nous rappelle avec acuité que les budgets publics, et en particulier ceux des collectivités territoriales – mais ô combien aussi les collectivités universitaires -, sont mesurés à l’aune d’un équilibre des comptes impératif. Et un examen de ces comptes montre que les dépenses obligatoires (pour une commune l’entretien des bâtiments communaux, les questions de voirie, la sécurité publique, la maintenance des investissements,…) peuvent atteindre 80 à 90 % des dépenses inscrites au budget, la marge de manœuvre budgétaire offerte à l’impulsion politique étant chichement mesurée.
Ces derniers temps en France, la décentralisation et les difficultés de l’État ont d’ailleurs  accru cette part obligatoire par transferts législatifs, sans que les besoins sociaux ainsi transférés de fait connaisse le transfert des moyens nécessaires à leur traitement. L’exemple de l’aide sociale déportée sur les départements à moyens égaux en même temps que survenait une explosion du chômage démontre le caractère de plus en plus contraint de ces budgets (autant que simultanément étaient supprimées des sources de recettes, par exemple la vignette). Bref, administrer un budget de collectivité locale conduit aujourd’hui à opérer des choix hélas souvent négatifs…

Le cas de la bibliothèque est intéressant à considérer dans ce contexte. Les argumentations, les démonstrations et les actions inventives des bibliothécaires – qui ont su faire front commun sur la question – ont souvent conduit à affirmer leur service comme central dans une politique du vivre ensemble. Et on ne peut que saluer ce progrès et cette énergie communicative. Mais voilà, si les dépenses obligatoires et parfois vitales progressent sans cesse sans que les recettes fassent autre chose que régresser, les arbitrages conduisent parfois à des choix radicaux, devant l’urgence des priorités sociales.

Et nous apprenons qu’en Grande-Bretagne des volontaires bénévoles (se) sont mobilisés pour conserver un service de lecture aux habitants dans un contexte de réduction générale des dépenses. Je vois l’ensemble des bibliothécaires français s’insurger, et je partage leur révolte : la bibliothèque doit être considérée comme un fondement du vivre ensemble autant que comme une utilité culturelle et éducative.

photo d'Actualitté

photo d’Actualitté

Quand les usagers s’emparent de l’utilité sociale…

Sauf que les volontaires bénévoles démont(r)ent paradoxalement que cette utilité sociale peut être portée par les citoyens eux-mêmes ! Ce qui est au fond une stratégie délibérée de nombre de  bibliothécaires, avec les programmes de services co-construits avec les usagers, les objectifs de contribution active des publics à la diffusion du savoir (Human Library, wikis, etc.), et tutti quanti. A force de prétendre faire entrer le citoyen au cœur de la production/diffusion des connaissances, peut-on s’étonner qu’une solution au fond très « collaborative » soit avancée pour utiliser une force de travail dynamique, mobilisée justement par les projets des bibliothécaires ?

Je n’ironise nullement, ni ne glisse de sous-entendus. Juste quatre interrogations à méditer et débattre :

  • Est-il possible décemment d’imaginer des bibliothèques contributives sans introduire les contributeurs dans le système bibliothèque ?
  • Est-il imaginable de fermer un service adopté par des milliers de personnes, au prétexte qu’il n’y aurait plus assez de professionnels salariés (si la population prend le relais) ?
  • sait-on politiquement définir la valeur ajoutée du professionnel salarié dans le service attendu ?
  • Mesure-t-on réellement la part contributive du citoyen, telle qu’elle est espérée et revendiquée ? Vouloir donner la parole n’est-il pas au fond donner effectivement du pouvoir ?

N’imaginez pas un seul instant que je vais proposer des réponses à ces questions. C’est à vous que je les pose. Ni vous ni moi (ni une hypothétique loi sur les bibliothèques) n’arbitrerons cette angoissante question du vivre ensemble avec des moyens contraints.

Diaboliser le recours au volontariat bénévole est une solution courageuse mais confortable. Aucun bédépiste ne saurait totalement y souscrire, tant la dynamique des services en milieu rural ne peut se passer d’un tel volontariat, surtout quand la bibliothèque est encouragée à devenir intercommunale.

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Bibliothécaires volontaires

C’est là que je retrouve mes anciennes amours, les bibliothèques départementales. En des temps très anciens, j’avais convaincu Michel Melot de porter auprès du Conseil supérieur des bibliothèques une « Charte du bibliothécaire volontaire« . Le principe de réalité nous avait conduit, moi et d’autres bédépistes, à proposer un cadre de réciprocité exigeante avec les milliers de bénévoles, qui devaient selon nous passer du bon vouloir (bene volens) au volontariat contractuel. D’un côté (volontaires) obligation de formation et engagement de service, de l’autre (BDP) offre de formation, indemnisation des déplacements, offre de services accrus, et du troisième (la commune) assurance du volontaire, paiement de la formation, garantie de moyens, reconnaissance de la contribution au service public.

Bref, était ainsi négociée de façon solennelle une reconnaissance exigeante et réciproque de la participation citoyenne. Ce qui restait pendant – et ne pouvait être organisé à ce niveau – était et reste la situation fréquente d’une articulation entre un professionnel rémunéré et une équipe de bénévoles. Ayant  l’occasion encore de rencontrer beaucoup de ces situations, je constate le caractère inégal, totalement bricolé et précaire, des modes d’organisation imaginés… mais d’autant plus indispensables que chacun sait que les moyens publics ne sauraient recourir davantage au salariat pour une gestion optimale.

Même si quelques études existent sur cette question (article de Nelly Vingtdeux dans le BBF par exemple), et qu’une synthèse très intéressante a été commise par la FNCC sur la question, j’aimerais bien disposer de témoignages sur l’organisation concrète de la coopération entre professionnel(s) et bénévoles.

envisioning

Rien ne dit que la situation anglaise ne peut pas diffuser en France, car la crise économique est encore et de plus en plus présente. On m’accusera de glisser sur une pente dangereuse. Je ne le pense pas. Je suis bien sûr persuadé que des professionnels compétents et motivés sont LA valeur sûre pour offrir le meilleur service à une population, et je me battrai contre les mesures d’économie qui méconnaitraient l’utilité sociale, culturelle et éducative de cet outil de qualité. Mais si les budgets connaissent une contraction sans précédent, arrive un moment où ce discours volontariste n’est plus audible

Au-delà des imprécations et lamentations, comment les bibliothécaires sont-ils préparés à s’emparer positivement de telles contraintes ? En cas de réduction forte de personnel professionnel dans un contexte de ressources publiques exsangues, n’y a-t-il pas d’autre solution que diminuer les horaires d’ouverture et la gamme des services, au point de n’offrir qu’un service- croupion, voire de fermer totalement un service au prétexte que le nombre de professionnels disponibles est trop restreint ?

jeudi 13 décembre 2012

Autour d’une belle et nouvelle bibliothèque numérique

Filed under: Non classé — bcalenge @ jeudi 13 décembre 2012

Une excellente nouvelle qui ne peut que réjouir tous les citoyens (bibliothécaires ou non) soucieux de pouvoir disposer rapidement, aisément et gracieusement du capital intellectuel légué par les générations antérieures et pour certaines contemporaines :

Numélyo, la bibliothèque numérique de Lyon, a vu le jour !!

Des centaines de milliers de documents numérisés, livres anciens, estampes, revues, photographies contemporaines,… sont mis à la disposition de tout un chacun, librement, pour la consultation comme pour l’utilisation. Et comme ce n’est pas juste une base de données, Numélyo propose dossiers thématiques, organisation en collections, possibilité de constituer sa propre bibliothèque dans la bibliothèque, et opportunité de contribution à l’entreprise (pour les photos régionales notamment).

Bref, de la très belle ouvrage, et je félicite mes anciens collègues qui ont conduit ce chantier et en ont permis la bonne  émergence à l’espace public, même si le chantier est bien loin d’être achevé. Il ne le sera sans doute jamais, tant les exploitations possibles de la matière numérisée et structurée permet de productions originales et stimulantes…

Un point mérite d’être souligné : si évidemment nul n’ignore qu’un marché avec Google a permis la mise en œuvre d’une numérisation industrielle de plus de 300 000 livres anciens libres de droits, très abondants  aussi sont les manuscrits, estampes, affiches, photographies, … numérisés par les soins de la bibliothèque. Numélyo par son projet,  sa structure et ses opportunités est très proche du mastodonte coopératif américain qu’est Hathi Trust.

(Book Sculpture. Par Gwen's River City Images. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

(Book Sculpture. Par Gwen’s River City Images. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

A peine Numelyo est-il né que déjà des discours soupçonneux se font jour, sur des réseaux sociaux notamment – toujours aussi réactifs que souvent peu réfléchis smileys Forum-. Bref, ce serait trop beau pour être vrai… et si c’est trop beau on va trouver une faille rédhibitoire ! La faille tiendrait dans la phrase qui apparait dans les très courtes conditions juridiques d’utilisation : pour les œuvres libres de droit, « – En cas d’usage commercial, l’utilisateur s’adressera à la Bibliothèque municipale de Lyon« . Et aussitôt certains crient à la copyfraud, appropriation illégitime du domaine public par un acteur public, chose évidemment inconcevable… si elle est effective ! En effet, il n’est nullement écrit qu’il faut s’adresser à un service commercial, ni qu’une rétention sera opérée. Mais j’y vois la fièvre qui, comme aux beaux temps de l’Inquisition, voit le diable partout à force de le chercher.

Et le diable, on le devine, c’est l’entreprise privée qui a contractualisé pour numériser des collections importantes, tout en laissant à la bibliothèque concernée la libre disposition des fichiers pour l’accès et l’usage, en conservant l’exploitation commerciale des dits fichiers. Clause on ne peut plus raisonnable compte tenu de la destination publique de l’institution. A mon avis (strictement personnel), si les documents relèvent du domaine public, et que leur numérisation par une institution publique ne leur retire en rien leur liberté d’utilisation – même commerciale -, en revanche l’intervention d’un tiers non public dans le processus de numérisation crée à la collectivité des obligations de vérifications qui me semblent tout à fait légitimes, tant que la disponibilité des fichiers par l’opérateur public  et la liberté d’accès et d’usage à but non lucratif sont garanties. Et je ne parle pas des autres négociations subtiles avec les contributeurs et donateurs qui cèdent leurs collections pour un usage public. D’autres institutions, et des plus prestigieuses et patrimoniales, engagent des partenariats « public–privé » autrement plus contraignantes pour l’usage public non-lucratif.

Librairie extérieure à Ghent en Belgique, par Massimo Bartolini. (merci à la revue Le Libraire)

Librairie extérieure à Ghent en Belgique, par Massimo Bartolini. (merci à la revue Le Libraire)

Cette étonnante incrimination me conduit à alerter l’ensemble des bibliothécaires sur le risque qu’il y a à confondre la poursuite d’un but parfaitement légitime (la totale ouverture des données publiques) avec les moyens et étapes engagés par les acteurs qui, sans être indifférents à ce but, doivent conduire des dossiers :

  • en l’état actuel du droit, de la jurisprudence et des usages
  • avec des interlocuteurs multiples aux convictions différenciées
  • sans le secours d’un financement public de la chose publique, et donc en négociant avec des partenaires privés dans un cadre contractuel très réglementé, tout en garantissant la liberté d’usage du résultat dans un cadre au moins non commercial.

A titre personnel, je ne serais pas révolté par le fait qu’un partenaire privé, qui engage des fonds et une logistique importantes, prenne des garanties sur son retour sur investissement. On m’objectera que l’objet de la négociation consiste en documents du domaine public. Soit. Je peux en tirer deux conclusions alternatives :

  • Soit il est  urgent de ne rien faire tant que l’État ou d’autres acteurs publics n’engageront pas les investissements nécessaires (on va attendre longtemps, surtout en période de crise économique). Ce qui, soit dit en passant, laissera longtemps inaccessibles les documents à ceux qui n’auront pas le temps et  les moyens d’un déplacement et d’un séjour à Lyon, en même temps qu’il en masquera la richesse à ceux qui auraient pu les découvrir en dehors d’un projet de recherche opiniâtre.
  • Soit on peut ouvrir des portes de négociation avec des partenaires privés qui permettent la libre disposition des fichiers dans un cadre au moins non-commercial, cadre normal des activités d’intérêt général.

On me pardonnera de choisir mon camp, le deuxième. Et je suis plus préoccupé par les citoyens qui veulent obtenir pour leur propre usage (lecture, création, inclusion dans des cercles de proches, etc…) des éléments du savoir public grâce à l’ingéniosité des acteurs publics, que par le souci de voir respecter la lettre d’un principe de droit qui n’accepterait que le tout ou rien. Oui, je soutiens les initiatives en faveur des biens communs, et oui simultanément je soutiens les entreprises publiques qui veillent à ne poser aucune contrainte commerciale au libre accès des citoyens à leur patrimoine commun. En revanche, je m’insurge contre l’argutie juridique qui conduirait à une aporie confortable.

Et je dis un grand bravo à tous mes (anciens) collègues ! smileys Forum

mercredi 5 décembre 2012

Point(s) de rupture et masse(s) critique(s)

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 5 décembre 2012

La question des équilibres documentaires dans une collection courante est une question récurrente : on aimerait bien connaitre des recommandations officielles pour se rassurer. J’avais sur ce point rencontré un ingénieur béton fort intelligent, que le hasard avait amené à piloter le projet d’une grande médiathèque hélas encore dépourvue à ce stade d’un interlocuteur bibliothécaire. Appelé comme expert pour aider à la constitution d’une collection ex nihilo, je me suis entendu demander quel était le cahier des charges prescriptif et technique pour procéder à ces achats massifs. Mon interlocuteur, au bout d’une semaine de participation au dialogue/formation de l’embryon d’équipe, avait parfaitement compris la vanité de ce propos. « Eh, m’avoua-t-il ensuite, comme ingénieur j’ai créé des ports, et dans ce domaine le travail consiste essentiellement à jongler avec un certain nombre de prescriptions techniques comme la résistance du béton, etc. » ! smileys Forum

Comme je le relevais dans mon précédent billet, si les politiques documentaires ont apporté le recours d’un certain nombre d’outils, elles ne savent pas dire comment se constituent une collection équilibrée satisfaisante. Et si  j’ai souvent conspué les intégristes proscripteurs, craignant qu’un titre jugé moins digne ne contaminent un rayon, je reste perplexe devant ceux qui appliquent rigoureusement certains outils documentaires pour en suivre aveuglément les indications… devenues lignes directrices.

mécanique

La « détection du quorum »

Parlons pilotage des collections. Pour faire comprendre la délicate cuisine à laquelle nous nous livrons avec un recours raisonné aux outils de poldoc, j’utilise fréquemment l’expression de masse critique. Non dans son sens entendu en physique nucléaire, mais plutôt dans son acception biologique :

La masse critique est parfois évoquée pour désigner la quantité de bactéries qui doit être atteinte pour que le mécanisme de « quorum sensing » («perception du quota de leur population») les induise à exprimer des gènes particuliers de métabolisme secondaire.

Je trouve que cette notion de quorum sensing (détection du quorum) décrit assez bien l’alchimie interrelationnelle d’une collection avec les publics auxquels elle est destinée (et du bibliothécaire aux prises avec les deux  ). Car, ne l’oublions jamais, une collection non patrimoniale ne doit jamais être analysée comme un objet isolé, mais toujours dans le contexte singulier de « sa » population, qui seule lui donne sens et vie.

Le plus bel exemple que je connaisse  pour expliquer le processus dans un contexte documentaire est celui d’une étude conduite par un consultant il y a vingt ans (et malheureusement inaccessible, mais que j’avais pu consulter à l’époque), qui s’était interrogé sur la pertinence du taux de rotation appliqué aveuglément pour déterminer la présence ou l’élimination de documents dans des bibliothèques publiques. Évidemment, la tendance conduisait rapidement à éliminer une bonne part des titres dits documentaires, pour privilégier les romans et les bandes dessinées. Or, montrait-il avec des expérimentations grandeur nature, le processus était efficace… jusqu’à basculer à la frontière d’un certain seuil, à partir duquel les prêts connaissaient une chute prononcée.smileys Forum
On voulait conformer progressivement la collection aux utilisations mesurées, et le succès initial tournit à l’échec. Plus l’effet se rapproche, plus le désir s’éteint ? Les lecteurs semblent avoir besoin de rencontrer des collections qu’ils n’emprunteront que peu, pour pouvoir se précipiter vers les « best-lenders« . La collection est au fond attendue comme une mine d’opportunités éventuellement surprenantes, et non comme un distributeur automatique rassurant….

CC - Linde Sabroe (Flickr : lisepatron)
CC – Linde Sabroe (Flickr : lisepatron)

Masse critique, justement

Chacun pose alors l’inévitable question : quel est donc le seuil fatidique ? Est-il prévisionnellement mesurable ? A ma connaissance, il n’y a pas de réponse à cette question et, je me trompe peut-être, mais à mon avis il ne peut pas y en avoir. Non parce qu’on ne pourrait pas conduire des mesures fines de la collection, mais parce qu’on ne sait pas construire des mesures fines des relations entretenues entre les appétences et pratiques de nos publics articulées avec notre offre documentaire…

Plutôt que de chercher à trouver un seuil idéal calculable, il faut considérer les choses sous l’angle des masses documentaires en présence. Non chaque masse isolément, mais leur interaction contextualisée ‘dans’ une bibliothèque et un public.
Dans les espaces publics, chacun connait l’alchimie des  régulations de voisinage des « catégories » de visiteurs : si vingt ados dans un espace animé par deux cents personnes autorisent une commensalité presque tranquille, à partir d’un certain seuil (40 ? 50 ? 60 ?…) d’autres publics fuient. Dosage difficile…

Côté collections, je crois avoir déjà raconté cette expérience généreuse d’un essai de séduction des publics allophones, avec la disposition d’une ou deux revues en langues étrangères au sein d’une collection massivement francophone… pour en constater l’échec patent : maigreur de l’offre = faible séduction.

Et puis la masse critique est aussi – en plus des questions de place – un signal majeur pour le désherbage à venir : trois livres excellents perdus dans une accumulation d’œuvres inintéressantes sont invisibles. Comme cela vaut d’ailleurs pour les collections patrimoniales d’ailleurs : un manuscrit isolé dans une bibliothèque de petite ville dévolue à la lecture publique ne rencontre personne : les chercheurs recherchent, plus encore que des titres, des gisements !! Bref, on pourrait multiplier les exemples. Si vous en avez, je suis preneur !

Du côté des bibliothèques universitaires, la situation n’est guère différente : les contraintes budgétaires conduisent à vérifier avec soin l’utilisation effective des ressources électroniques, mais ne peuvent imposer mécaniquement la conduite à tenir ; lisez l’excellent billet de notre collègue clermontois, qui montre l’infinie subtilité de la prise de décision finale : acquérir ou désabonner !
Au passage, les ‘bouquets’ éditoriaux de ressources électroniques, dont les tarifications sont volontiers prohibitives et les modèles peu équilibrés -,  ne méritent pas par ailleurs les reproches d' »impertinence » qui les accablent – au prétexte que seuls quelques titres sont évalués intéressants – : s’ils laissent aux bibliothécaires la charge de construire la médiation de ces continents documentaires, ils offrent en fait (imposent  ) aux utilisateurs cette opportunité de masse critique tant prisée par les chercheurs (voir le rapport de l’étude Superjournal) !

Merci -encore ! - à Le Libraire (FB)

Oser la pensée complexe (encore !)

Bon, j’évite en général de bassiner mes lecteurs avec la passionnante approche pensée <-> action de la pensée complexe, mais là je ne résiste pas. J’estime que cette problématique de masse critique entre parfaitement en résonance avec le principe d’émergence (quand le nombre d’éléments d’un ensemble est suffisant pour changer la caractérisation de ce document), comme avec le principe dialogique : « Cette impossible séparation de l’ordre et du désordre dans toutes les perceptions et les actions humaines que le paradigme classique pourtant postulait » (lisez Jean-Louis Le Moigne et évidemment Edgar Morin !).

A vous ! Avez-vous exemples, contre-exemples, divergences ?

mercredi 21 novembre 2012

La face (trop) cachée d’une politique documentaire

Filed under: Non classé — bcalenge @ mercredi 21 novembre 2012

Un collègue m’a relayé une question apparemment banale… qui m’a conduit à des abîmes de réflexions  : « Existe-t-il des recommandations de politique documentaire en ce qui concerne les romans ? ». Le/la collègue avouait n’avoir rien trouvé de probant. Voilà une question qu’elle est bonne, aurait dit Coluche ! Elle révèle beaucoup sur l’impensé de la notion de politique documentaire : si pour bien des secteurs documentaires on peut jongler avec les niveaux, les formules IOUPI, etc., rien de cet outillage rassurant ne fonctionne vraiment bien avec les romans (du moins dans l’acception entendue pour les bibliothèques publiques), ce champ vaste et chatoyant de la fiction, de l’écriture, de la création esthétique. Help ! Donnez-nous des outils !! smileys Forum

Source : ArtsLivres Forum

Un brin de pragmatisme

Nous parlons bien de cet ensemble culturel et de loisir qui couvre du tiers à la moitié des collections adultes des bibliothèques publiques, ordonné dans une indistinction hésitante si bien décrite par Marianne Pernoo. Ne sont pas concernés ici les romans intégrés dans des fonds documentaires thématiques, où c’est justement l’environnement thématique qui pose les critères de sélection et de gestion (par exemple, les romans sur les bibliothécaires proposés par la bibliothèque de l’enssib, ou les récits emblématiques sur la question du genre recensés par Le point G de la bibliothèque de Lyon, sans parler des « romans à cadre local » présents dans tous les fonds régionaux).

Le problème de distanciation / rationalisation que rencontrent les bibliothécaires face à ce vaste champ de la fiction tient à la tension ressentie entre deux injonctions fortes :

  • l’injonction strictement littéraire : elle articule le regard et le jugement à partir de piliers référentiels d’ordres multiples, qui structurent le jugement sur des critères à caractère universitaire, et parfois sur des appréciations relevant d’exigences personnelles ;
  • l’injonction de la plupart des publics : ceux-ci, en tout respect de la diversité de leurs intentions, font part d’intérêts très différents, au premier rang desquels la demande de stimulation intellectuelle et la demande de loisir distractif, les deux intérêts se rejoignant dans un même vœu de plaisir, légitimé par le succès rencontré.

La difficulté tient en ce qu’on veut contenter les deux approches simultanément, dans un balancement qui d’un côté sélectionne des best-sellers, et de l’autre se veut en quête de « haute qualité », sans qu’on arrive à identifier une stratégie équilibrée satisfaisante, ni qui le plus souvent permette de consacrer la coïncidence des deux intentions. Carole Tilbian a bien montré les approximations, les hésitations, les moments de conviction et de doute qui animent les bibliothécaires en charge de tels fonds.

Mais voilà, en termes de politique documentaire, la gestion des ouvrages dits « documentaires » peut être en partie formalisée au moyen de paramètres objectivés (niveau, densité, etc.), lesquels deviennent singulièrement inopérants dès qu’il s’agit de labourer la fiction dite « de culture et de loisir ».  Alors, docteur, que faire ?!

Et si justement on en profitait pour avoir une vision élargie de la politique documentaire ?

Source : Lire entre les vignes

Un cadre formel élémentaire

On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Si les paramètres documentaires sont peu nombreux dans ce cas, limitons-nous aux quelques balisages les moins impertinents :

  • La volumétrie des romans oblige à les partitionner pour en rendre contrôlable la gestion. Mais là, foin de segmentations tranchées : on déterminera des « ensembles flous », comportant inévitablement des espaces de recouvrement, tels les genres littéraires (policier, science-fiction, classiques, etc.) et/ou les types de littérature (littérature françaises . Peu importe l’absolue exactitude scientifique des genres, seules deux choses comptent : qu’on identifie les seuls genres dont la gestion spécifique soit nécessaire,  et surtout qu’on  précise  en interne ce que recouvre l’appellation. Par exemple, on pourra dire que la fantasy est incluse dans la science-fiction, ou que thème littérature française recouvre tous les romans français sauf les classiques et la science-fiction.
  • L’âge des volumes demeure, en libre accès, un paramètre important, ne serait-ce que pour rencontrer l’appétit des lecteurs.

A partir de là, on établira un cadre normatif élémentaire mais strict : volumétrie mini/maxi et âge médian maximal accordés à chaque genre/thème, nombre d’exemplaires maximal, etc ; l’objectif est de placer des cadres et des bornes visant à modeler une offre non déséquilibrée, ni du point de vue de la culture légitime (classiques), ni par les best-sellers de consommation courante (penser aussi aux « long-sellers« ), ni par les appétences exclusives du bibliothécaire (en garantissant aux lecteurs une part de la proposition).

Et pour chaque thème/genre, on fixera spécifiquement des objectifs de rééquilibrage, des principes de veille sur les nouveautés, des règles de rachats d’exemplaires usagés ou perdus, etc. A chaque fois, on veillera à éviter l’absence ou  l’excès, comme à représenter une diversité de courants (sans pour autant les vouloir équivalents en volumétrie).

Et on laissera ensuite la place au cerveau du bibliothécaire, comme à son souci de n’exclure rien ni personne, en sachant qu’une inappétence persistante vaudra désherbage inéluctable …

Source : ArtsLivres Forum

La nécessité de la médiation

Est-ce tout ? Eh bien non, et c’est là que la politique documentaire peut et doit dépasser les cadres strictement formalisés. Plus encore que pour d’autres thématiques documentaires, la littérature appelle des actions nombreuses de médiation. Les lecteurs sont avides de surprise, de découverte, et c’est bien la fiction qui offre le plus large spectre d’opportunités ! On pense inévitablement aux mises en valeur de présentation : espace découverte de type « fouillothèque », ‘facing‘, présentations sur tables. On pense aussi aux manifestations culturelles comme les expositions, les rencontres, les lectures/spectacles, etc.

Les romans se prêtent particulièrement bien à la recommandation (type ‘coups de cœur’ – ou ‘coups de gueule‘), comme ils se prêtent à la mise en perspective par des bibliographies originales, des mises en questionnement (voyez par exemple cet article de Points d’actu, ou celui-là), comme on peut développer des blogs ou sites qui leur soit en grande partie consacrés (par exemple l’excellent Everitouthèque de Romans. Je suis preneur d’autres suggestions de sites de bibliothèques s’intéressant aux romans).

Intégrer la collaboration des lecteurs : une proposition

Les romans, comme toutes les écritures fictionnelles, offre une opportunité singulière d’associer les lecteurs à la définition des collections et à leur valorisation.
On connait les traditionnels (et bienvenus) clubs de lecteurs. Ceux-ci peuvent également connaitre un développement  sur Internet, comme le club Jane Austen – encore à Romans.

Je vous livre une autre suggestion : compte tenu de la faible inventivité apportée au classement des romans dans les bibliothèques publiques (voir l’article de Marianne Pernoo déjà cité), pourquoi ne pas jouer de la surprise avec la complicité des lecteurs ? On pourrait lancer un (ou deux ?) espaces thématiques de classement originaux, qui regrouperaient (avec le décorum ad hoc) des romans autour d’un thème que les lecteurs alimenteraient avec leurs propres suggestions, comme « le labyrinthe » ou « victoire sur soi-même » ou « rouge sang »… Une thématique de rassemblement exposition serait maintenue par exemple six mois.

Il s’agirait de réunir un nombre significatif de romans (au moins 200 ?) soit sélectionnés sur les rayons par les lecteurs (et alors retirés pour intégrer momentanément le nouvel espace), soit suggérés à l’achat par ceux-ci, soit proposés par des membres du personnel…
Logistiquement, un système de fantômes-pastilles et/ou de bascule informatique de cotes permettrait de ne pas désorganiser le fonds.
Bien sûr, il faudrait accompagner cette offre temporaire par des productions médiatrices (bibliographies, analyses critiques espaces d’échanges et de critiques spontanées,…) et de valorisation (conférences, rencontres,…).

Je rejoins ici  l’idée d’Yves Aubin, qui souhaitait dynamiser les espaces documentaires du libre accès en les emplissant de sens (au pluriel)… Et la mise en scène de ce secteur participe aussi grandement d’une originalité de l’offre ! smileys Forum

Merci à la Revue Le Libraire

La politique documentaire, c’est quoi au fond ?

Le passage par les romans montre bien les limites d’une démarche qui se voudrait démiurgique. Non, les bibliothécaires ne peuvent pas tout mettre en équations, non il ne peuvent pas davantage aboutir toujours à des programmations fines, pas plus qu’ils ne peuvent se passer d’une appréciation subjective de l’instant, éclairée et orientée par leur culture, leurs contacts, leur capacité immersive dans le savoir et les publics.

En revanche, si la politique documentaire a parfois du mal à se laisser modéliser de façon strictement normative, elle doit se pratiquer au contact avec ses destinataires, ses acteurs, ses débats intellectuels, et moult contraintes mal formalisables. Bref, peut-être pourrait-on plutôt parler de stratégie documentaire ?

Bref, il n’existe pas de « modèle » immanent de politique documentaire. Je suis convaincu que celle-ci  n’est que processus et tension. Ce qu’on appelle volontiers politique documentaire n’est que cadrage d’une action en train de se faire. et l’important, c’est justement l’action en train de se faire, le ballet des acteurs, l’intention productive émergente, …

La politique documentaire exige un minimum de formalisation partagée par tous, elle exige également une compétence in-formalisable de la part des chargés de collections. La face « cachée » de la politique documentaire est celle qui ne se laisse pas résoudre dans des programmes ou des cahiers des charges : la face active d’une médiation inventive, et avec les lecteurs aussi respectueuse que connivente et à l’écoute, autant qu’occasion de surprise et de découverte. Si l’écriture fictionnelle rend difficile la référence à des normes ou catégories stables, elle met en évidence qu’une politique documentaire n’est jamais une affaire de plomberie.

P.S. : Mille mercis à Jérôme Pouchol, dont le travail conduit avec les collègues de Ouest-Provence m’a bien aidé à réfléchir à quelques-unes de ces pistes !

mardi 13 novembre 2012

Refuges professionnels

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 13 novembre 2012

Le hasard fait que j’ai rencontré aujourd’hui, en parlant des exigences du métier de bibliothécaire, une affirmation arrêtée qui me fait sortir de mes gonds.

Une jeune collègue, même pas encore fraîche (é)moulue de ses études, m’affirme tout de go qu’une absolue priorité s’imposera à elle dans les recrutements qu’elle aura à opérer : un(e) bibliothécaire, me dit-elle, ne saurait aujourd’hui exercer son métier sans savoir jongler avec les codes-sources, les mash-up et autres API :
–  « Sans être exclusivement affecté à un service dédié au développement (faute d’ingénieur ad hoc) ?  » , lui demandé-je
–  « Évidemment ! C’est le B.A. BA d’un métier en plein renouvellement ! »

Maitrise de l’outil ou adéquation à la mission ?

En tant que vieil éléphant, j’ai de la mémoire… Et je me souviens… :
– Je me souviens des débats infinis sur le catalogage à deux niveaux ;
– je me souviens des arguties sur la pertinence de la liste RAMEAU vis-à-vis de certains publics ;
– Je me souviens des épreuves de catalogage du défunt CAFB, soigneusement discriminantes ;
– et… dois-je continuer ?

Quand je trouve certains collègues d’aujourd’hui très imbus des technologies les plus avancées, au point d’en exiger la maitrise préalable pour devenir leurs collègues (!), je ne peux m’empêcher de revoir mes vieux collègues s’indignant du déficit de professionnalisme des novices, pourtant pleins de bonne volonté, si ignares dans la maîtrise du catalogage. L’émergence de l’informatique dans les bibliothèques provoqua en son temps la même éruption impérative d’une technologie légitimante ou au moins justificatrice…

Serions-nous incapables d’affronter notre maigre et prestigieux destin sans le secours d’une béquille technocentrée ? Il faut servir une population, penser la culture d’un peuple, en stimuler l’imaginaire, la créativité et la réflexion, faire progresser la société, participer à l’éducation et à la recherche, et toujours et surtout garantir la mémoire et transmettre. Vaste programme, qui exige une inventivité toujours renouvelée, mais seulement accessoirement et localement la capacité à connaitre des arcanes des divers outils technologiques !

La maitrise des techniques actuelles (anciennement les normes de catalogage, aujourd’hui leur retour avec les FRBR ou le RDA, et bien sûr les « pipes » et « mashups ») deviennent un point de repère professionnel, comme si la technique était l’ultime qualification dans le métier de bibliothécaire.

Bien sûr, chacun sait bien qu’un recrutement s’effectue sur des critères complexement croisés. Mais ceux-ci restent volontiers discrets ou généralistes dans les profils de poste, alors que l’excellence technologique d’un candidat sera volontiers remarquée. Et je ne vois guère d’impératifs apparaitre sur la capacité à opérer des choix intellectuels, sur l’aptitude à inventer des services efficaces, même si la capacité à gérer des projets complexes commence à devenir une exigence concurrente des strictes exigences technologiques.

Le métier de bibliothécaire (et, je le devine, celui de gestionnaire d’information – archiviste, documentaliste, etc. ) est d’abord une mission relevant prioritairement d’une exigence sociale et intellectuelle : il y a des publics à servir, des besoins à satisfaire, des choix intellectuels à opérer et mobiliser, etc.

Eh bien non, la technique serait toujours la muraille qui permettra de distinguer le professionnel, le refuge derrière lequel il se protégera…?

Fondamentaux du dinosaure ? smileys Forum

Qu’on ne me fasse pas dire qu’un bon bibliothécaire aujourd’hui pourrait dédaigner ces outils. Ce serait archi-faux, simplement parce que son environnement et les pratiques sociales lui imposent de s’emparer positivement des outils de son époque. Mais il n’est pas inutile de souligner cinq évidences :

  • Historiquement (et aujourd’hui encore), un bibliothécaire est au fond incapable d’inventer un outil spécifique. Au mieux, on attend de lui qu’il soit assez intelligent et imaginatif pour adapter à son objectif social et intellectuel des outils répandus par ailleurs au sein de son public (éventuellement avec une dose raisonnée d’anticipation sur le devenir glorieux de certains…). S’il sait bien le faire, bravo !
  • Techniquement, les outils dits autrefois spécifiquement bibliothécaires (associés souvent aux capacités d’organisation « métadonnéesques ») ont innervé l’ensemble de la société numérique, qui s’en est emparé. Même si les bibliothécaires y conservent l’atout de leur excellente réputation de structuration, bien des processus à l’œuvre dans l’organisation de l’information se développent en dehors des canons bibliothécaires.
  • Inversement, autant que parallèlement, on sera attentif à la capacité à s’emparer d’outils issus d’autres univers professionnels (gestion de projet, conception de tableaux de bord, GRH, etc.) pour les comprendre et appliquer dans un contexte professionnel. Autant qu’on sera attentif à la capacité à aborder ou maitriser certains champs de savoir.
  • Derrière tous les outils du monde, la légitimation du professionnel tient en sa capacité à établir des contacts vivants : entre les documents et les lecteurs, entre les savoirs d’hier et leur manifestation contemporaine, entre les attentes cognitives de nos publics et notre capacité médiatrice…
  • Ce qui suppose, autant qu’une nécessaire adaptabilité aux évolutions technologiques, une vraie structuration intellectuelle, une attention portée aux publics interlocuteurs ou non, une volonté de participer à une entreprise collective, et surtout une intense curiosité multiforme et passionnée.

Bon, je crois en la réalité de ces cinq évidences.

Mais par ailleurs, si je connais et j’ai fini par apprendre les principes et usages de tous les outils, codes ou normes, je suis aujourd’hui incapable de cataloguer correctement des ‘mélanges’ !
Et si je suis particulièrement attentif aux opportunités technologiques dans leur dimension de service potentiel et essaye quotidiennement de me les rendre familiers, honte sur moi : je ne sais toujours pas manipuler nombre d’API de base !!

Alors, je prends ma retraite ?

smileys Forum

P.S. : ça fait presque cinq mois que je n’avais pas commis de billet sur ce carnet de notes. Alors non, je ne prends pas -encore – ma retraite, et je vais essayer de réactiver ma prose. Tant pis pour vous ! Et en plus, j’ai volontairement omis tout lien externe dans ce billet : honte encore sur moi, alors que j’ai parfaitement compris et plaidé le fait qu’il faut toujours offrir sur Internet une possibilité de navigation ; mais bon, on dira pour aujourd’hui que je suis « blogo-convalescent » smileys Forum

mardi 17 juillet 2012

De quels savoirs la bibliothèque se fera-t-elle médiation ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 17 juillet 2012

Un très récent billet de Thierry Crouzet, « Du bon usage de l’autoédition« , m’a provoqué un rapide commentaire sur son blog, puis quelques réflexions complémentaires personnelles. Qu’on s’entende bien : le dit billet était particulièrement posé et tout à fait pensé, et j’en  remercie son auteur, car il témoigne d’une réelle perspicacité sur la question qu’il aborde sans invectives (c’est rare !!  smileys Forum ).

« Auto-édition » (ou plutôt auto-publication) et inondation ?

Évidemment, mes cogitations ont pris un tour bibliothécaire… Thierry Crouzet évoque les modalités de diffusion des oeuvres personnelles qui n’ont pas rencontré l’intérêt d’un éditeur ; il mentionne notamment le distributeur/diffuseur  immateriel.net, que j’aime beaucoup par ailleurs tant son ouverture ouvre des perspectives. Un cauchemar s’est profilé : quand on sait les milliers de manuscrits reçus par les éditeurs les plus professionnels en contrepoint de la poignée de titres qui connaissent finalement  l’honneur de l’édition imprimée par ceux-ci, je me demande à quoi pourrait ressembler une « librairie/distributrice » de livres sur Internet d’ici quelques années sans ce filtre préalable, au gré de l’ « auto-édition ». Allez, je donne ma réponse : un gigantesque fourre-tout !!! Les stratégies de promotion de l’auto-édition par Amazon vont dans ce sens, même si leur modèle économique est peu clément pour les auteurs (mais après tout peu importe : l’essentiel est d’inonder le marché !!). Jean-Michel Salaün soulignait la mutation du circuit de communication linéaire de « l’information », celui-ci passant d’un modèle linéaire (auteur –> éditeur/générateur de support achevé –> diffuseur – biblis comprises —> lecteur) à un modèle liquide (il emploie la métaphore du  » lac  » dans lequel auteurs et éditeurs balancent des tonnes d’informations au sein desquels doivent pêcher presque au hasard lecteurs… et bibliothécaires ! – j’ose un raccourci abusif sur un raisonnement beaucoup plus fin…).

Or ce grand lac, à force d’être alimenté au point de devenir un océan submergeant, brille singulièrement par son insignifiance. En effet, la multiplication infinie des opinions, avis, créations, vomissements, délires, obsessions, etc. accroit infiniment la fameuse meule de paille au sein de laquelle il faudrait trouver l’aiguille smileys Forum. Et là on a deux options :

  • soit on se tourne vers ces moteurs de recherche dont le fonctionnement consiste à nous sélectionner ce que préfère la meule, car le temps de cerveau utile craque devant la multiplicité des sollicitations ;
  • soit on s’accroche à quelques valeurs-phares abolissant justement la meule ou la négligeant presque. On m’objectera que des sites critiques existent, c’est vrai, mais ils sont si éphémères, de ligne éditoriale si ductile, et surtout si nombreux et proliférants, qu’on n’arrive guère à vraiment guetter : les quelques bibliothécaires qui osent encore « veiller » sur le web suivent en fait au mieux une vingtaine de sites auxquels ils se raccrochent pour ne pas être noyés par la marée…

La définitive victoire de la demande ?

Alors, sans cautionner les attendus obstinés de quelques éditeurs assis sur un modèle qu’ils ne savent pas faire évoluer, je voudrais ici souligner que le système bibliothécaire ne permet pas aujourd’hui d’opérer une véritable action médiatrice en dehors de ce système de validation préalable que représente l’édition. Je pourrais même oser l’hypothèse que si le bibliothécaire d’il y a 30 ans pouvait se hasarder à balayer timidement les sentiers non labellisés par un éditeur, il est aujourd’hui paralysé par la prolifération du web dès qu’il se hasarde à vouloir proposer une offre cohérente et réfléchie à ses publics…

On me répondra à juste titre que la fonction du bibliothécaire évolue – et je suis le premier à le proclamer – : autrefois il devait opérer une sélection dans la production précédemment filtrée par l’entreprise éditoriale, aujourd’hui il doit devenir médiateur d’un public égaré devant la profusion numérique. Le combat est passé de la collection aux publics, mais comment malgré tout proposer une offre cohérente dans ce magma : car nos publics nous réclament la nécessité d’une médiation active vers une offre, si, si !

Pour cela, il doit faire face à une double injonction :

  • incorporer à la diversité des savoirs qu’il transmet la masse inconnaissable d’une profusion documentaire incontrôlée (et incontrôlable).  Je comprends mieux pourquoi sont rares les bibliothèques (en fait, je n’en connais aucune !) qui ont osé intégrer à leur offre documentaire des interfaces médiatrices encourageant l’accès à des œuvres numérisées extérieures à leurs collections – les ressources en ligne promues passant par le canal rassurant d’un abonnement – coûteux – de l’institution, qui s’illusionne ainsi sur sa maitrise des contenus alors qu’elle est impuissante devant la nature du bouquet négocié…. La solution imaginée consiste à accompagner l’utilisateur dans sa demande, ce qui est une bonne chose, mais s’entend comme une offre de services et non comme la constitution d’une offre stimulante ;
  • se doter d’outils modernes de veille sur les questions dont il a à traiter, donc constamment guetter de nouvelles sources hypothétiques, de vagues balises auto-déterminées qui lui permettront de se retrouver dans leur sélection. Car, il faut le répéter, on ne peut assurer la médiation que de ce dont on a maitrisé le contenu. J’ai déjà évoqué la parabole du restaurant : un maitre d’hôtel ne peut valablement conseiller son client que s’il connait parfaitement le plat qui peut lui être servi.

Encore merci, Le libraire

La contemporaine révérence marquée et réitérée à la noblesse de l’expression personnelle, jugée nécessairement diffusable parce que justement personnelle, me semble trouver des limites dans l’exercice professionnel du métier de bibliothécaire. Face à l’explosion continue des outils et contenus numériques, le réponse bibliothécaire ne peut pas être seulement la médiation à l’usage des outils et la réponse circonstanciée (et experte !) aux questions singulières. Il lui faut aussi construire une offre sélective – dût sa forme être celle d’une interface -, qui ne soit pas seulement guidée par les appétences des bibliothécaires. Contrairement à la vulgate des ‘geeks’ (pour lesquels abondance et profusion sont synonymes de valeur ajoutée parce qu’évidemment transgressive smileys Forum) , le citoyen lambda aime bien se voir proposer une offre singulière et réfléchie. Ou du moins il attend de ‘sa’ bibliothèque – payée avec ‘ses’ impôts – une réponse qui soit raisonnée à l’aune de la collectivité sinon de ses seuls désirs personnels.

La BnF, après avoir réfléchi à sa mission incommensurable de dépôt légal du web (un cadeau empoisonné ?), a délibérément opté pour des captures sélectives appuyées sur une politique documentaire. Sans méconnaitre les douloureux débats qui ont pu conduire à cette solution qui évitait l’aporie, je souligne que sa tâche restait plus facile que celle des bibliothécaires lambda : les choix opérés n’ont pas décidé de qualités de contenus, mais de décisions relatives aux tuyaux, bref de sélectionner l’utilité prioritaire de certains contenus avant d’en engager la difficile collecte – avec le soutien d’un réseau coopératif. Mais la bibliothèque lambda, comment se situe-t-elle face à cette profusion exponentielle ?
On devine que se cantonner au seul modèle validé de l’édition traditionnelle – fut-elle numérique – va devenir intenable, sauf si les éditeurs abordent enfin les questions numériques sans s’accrocher à leur rocher : la récente loi sur le prix du livre numérique ne va guère encourager les nécessaires évolutions, tant le livre numérique y est vu comme un double homothétique de la version imprimée…smileys Forum
On devine également qu’abolir des millénaires de transmission assis d’abord sur la capacité bibliothécaire de mémoire maitrisée, pour se noyer dans un flux régulé par de multiples médiations  incontrôlées, pose la question sociale et politique d’un savoir partagé, car nous ne sommes pas les seuls, loin de là, à revendiquer cette ‘curation‘, et le fait que des réseaux se déclarent ‘sociaux’ ne les rend aucunement porteurs de l’intérêt collectif, ni d’ailleurs réellement sociaux…

Alors, on fait comment ?

mardi 26 juin 2012

La bibliothèque cinquième lieu, sixième lieu, etc.

Filed under: Non classé — bcalenge @ mardi 26 juin 2012

De façon bizarre et réitérée, les questions que je posais sur la bibliothèque troisième lieu me reviennent à travers de multiples échanges, lectures, contacts. Tout aussi étrangement, elles se conjuguent avec des observations passionnées sur mon post-scriptum, qui promettait ma critique de la vogue du ‘learning center‘. Je l’avoue, ces questions me taraudent particulièrement, peut-être parce que me suis beaucoup consacré aux collections et aux politiques documentaires, et que ‘troisième lieu’ comme learning center posent des objectifs qui négligent justement parfois ces collections et parfois ces politiques documentaires.

Un déclic : la bibliothèque quatrième lieu

Je suis tombé sur un rapport de Victoria Péres-Labourdette (Agence Gutenberg 2.0), invoquant « La bibliothèque quatrième lieu », dans la bibliothèque numérique de l’enssib. La consultante questionne simultanément l’approche ‘troisième lieu’ (la réduisant à son acception vulgarisée, ce qui ne peut lui être reproché) et celle du learning center (voir pour ce dernier l’analyse limpide de Suzanne Jouguelet dans un rapport de l’IGB), pour en tirer la conclusion qu’il faut arriver à un nouvel horizon, la bibliothèque comme lieu d’apprentissage social, qu’elle nomme bibliothèque quatrième lieu !!  Cela évidemment lui permet quelques prospectives dans le numérique et lui donne l’opportunité de revisiter des expériences variées soutenant son propos et encourageant l’adhésion à sa thèse ( à la seule aune des services en ligne ?), sans qu’on voie très bien comment cette nouvelle dimension reconfigure en profondeur la bibliothèque.

Si la démonstration laisse perplexe et même réticent, la superposition des attendus questionne, et plus encore la solution -si facile et donc si géniale ! – d’en conclure à la nécessité d’un nouveau paradigme.La bibliothèque quatrième lieu ! J’ai cru à un canular. Ce n’en était pas un. C’est plutôt une leçon d’anti-marketing : il ne faut jamais essayer de concurrencer une idée/concept en décalquant ses slogans, mais inventer un nouveau langage porteur de promesses ; les passages terminologiques délibérés de la bibliothèque à la médiathèque, ou de la bibliothèque au learning center en sont des bons exemples. Bref, rien de nouveau dans ce texte, mais des superpositions de slogans politico-bibliothécaires espérant faire naitre un nouveau slogan dominant.

Merci à Le Libraire

Besoin perpétuel de réinventer les appareils à l’aune des horizons ?

Le regard politique a besoin de simplifier en une intention signifiante la complexité d’un projet social autant qu’historique. Et quand je parle du regard politique, j’y inclus la conviction citoyenne du moment (eh oui, il est des convictions citoyennes dont la force exigeante varie…), et bien sûr la dynamique collective des acteurs de la bibliothèque. Dans ces conditions, il est évidemment essentiel d’éclaircir les points de repère qui permettent à ce regard politique (et social et professionnel) de se projeter dans les perspectives et modalités de l’horizon proposé.

Avec cette grille de lecture, on peut segmenter/catégoriser/expliciter/décliner  les axes de nos chers et successifs horizons d’espérances. Chacun de ces horizons sera évidemment et successivement encensé, mythifié, puis critiqué et repoussé, non pour son projet spécifique mais sous la pression des inéluctables évolutions de l’environnement : contexte social et culturel évolutif, projets politiques évolutifs, opportunités technologiques, émergences de formes alternatives, etc.

Cette succession d’espérances est très commune depuis l’époque des Lumières : parfois extraordinairement utopistes – Fourier,… -, parfois bouleversantes – La Commune,…; dans la sphère politique – Jaurès… – ou le discours bibliothécaire – émergence de la médiathèque … Elle répond au légitime besoin de donner du sens à son existence sociale en action. Le Nous cherche toujours de meilleures voies pour se manifester, et c’est heureux.

Les bibliothécaires ne sont jamais étrangers à ces tensions, utopies, idéaux sociaux et culturels donc politiques. Et c’est heureux aussi (le voudraient-ils qu’ils ne le pourraient pas, sous les injonctions conjuguées de leurs publics et de leurs tutelles).

encore merci, Le Libraire

Un lieu, deux lieux, trois lieux…

Et puis, à l’heure où il faut enfourcher un nouvel idéal, les vieux bibliothécaires comme je suis ne peuvent s’empêcher de considérer leurs successifs enfourchements, et puis ceux d’avant… Non pour dénigrer les petits jeunes : on a autrefois été parfois plus naïfs ou dogmatiques. Ni pour affirmer que toute cette agitation n’est que bruit inutile : ce serait être étrangement sourd aux tensions sociales et culturelles. Mais pour chercher dans ces enthousiasmes successifs des points de raccordement, en quelque sorte des nœuds qui permettent – en notre époque avide de modes successives – de rendre cohérente la lecture d’une action professionnelle à la fois ambitieuse et soucieuse de s’inscrire dans une histoire.

Pour cela, il faut bien sûr questionner les anciens idéaux en même temps que penser à l’avenir. J’apprécie la conclusion d’Anne-Marie Bertrand à son article du BBF sur « la médiathèque questionnée ?« , qui parcourt les heurs et malheurs d’un idéal aujourd’hui daté : « La médiathèque ne mérite ni excès d’honneur ni excès d’indignité. Elle n’est jamais que ce qu’en font, ensemble, le public, les élus et les bibliothécaires. Les questions que chacun d’eux se pose à son sujet sont évidemment diverses.
Peut-être, pour les bibliothécaires, la question la plus urgente, mais aussi la plus difficile, est-elle celle des priorités à défendre – c’est-à-dire celle des objectifs à atteindre ».

Construire des objectifs suppose d’engranger autrement qu’inconsciemment les engagements passés, qui au fond partageaient la même ambition que nous. Avant d’inventer un hypothétique quatrième lieu salvateur, il est utile et urgent de capitaliser les idées force des utopies bibliothécaires dans leur dimension diachronique et leurs expressions multiples.

Par exemple très rapide et trop partiel confronter les idées-force successives ou contemporaines des projets idéaux de la médiathèque, de la bibliothèque troisième lieu et du learning center… J’y reviendrai.

Et pas pour balayer un ancien modèle, mais pour intégrer consciemment de nouvelles ambitions et priorités majeures à une histoire longue, un capital de compétences accumulées, une représentation sociale et culturelle prégnante… Et l’enrichissement inestimable de la créativité et du renouvellement de tout cela,  grâce à ces utopies génératrices de notre histoire bibliothécaire.

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