En préalable à ce billet :
Ce texte est initialement paru le 6 septembre au soir. Le 7 au matin, je découvrais un long commentaire de Calimaq, qui mettait à bas plusieurs des points juridiques que je soulevais. Inquiet de découvrir que ma plume ajoutait aux arguments infondés et à la confusion ambiante, j’ai immédiatement retiré ce billet, afin de réfléchir à ce qu’il convenait de faire. Le week-end aidant, j’ai décidé de le republier avec ce préambule, et en vous recommandant vivement de ne pas vous tenir au texte seul de ce billet, mais à considérer avec la plus grande attention les commentaires qui le rectifient ou appellent à approfondissements. Fin du préambule…
La diversité des débats actuels, mêlant numérisation des collections publiques et accord éventuel Google-éditeurs américains, ne facilite pas la décantation des questions. Mais baste ! Ceci est juste un carnet de notes. Voyez donc dans ce billet une étape dans la décantation, et non une réflexion aboutie… Pardon pour la longueur du billet !
Le patrimoine n’a-t-il pas bon dos ? Nouvelle renaissance du vieux dilemme, conserver ou diffuser, ce patrimoine brandi brouille (oh la belle allitération !) à plaisir les actuels débats autour des numérisations des collections de bibliothèques.
Parlons franc : Google numérise à tout va des collections de bibliothèques (on parle même de la BnF, c’est dire !), et les insurgés se lèvent, avec notamment trois arguments tournant tous autour de diverses acceptions du patrimoine :
– les collections publiques sont la propriété de la nation, et non d’une société commerciale ;
– dériver l’exploitation de ces collections – sous forme numérique – vers une société commerciale revient à priver la collectivité du bénéfice de cette exploitation ;
– autoriser la mainmise commerciale progressive d’un acteur commercial unique sur la version numérique des collections des bibliothèques conduit à placer le patrimoine sous le bon vouloir de cette société, donc le capital culturel de la nation, donc (?) la liberté d’information des citoyens.
Aucun de ces arguments n’est évidemment stupide, mais chacun d’entre eux néglige une dimension sans doute oubliée des collections patrimoniales (et autres) des bibliothèques.
La propriété des collections
Il est sans doute nécessaire de rappeler que la collectivité ne « possède » pas du savoir, mais seulement des supports (livres, disques, DVD, …). Si les livres -par exemple- possédés sont libres de droits d’exploitation, ils ne sont jamais libérés du droit d’auteur, en France du moins. Et si un exemplaire d’un livre est détenu par une bibliothèque, cela ne confère à cette dernière aucun droit sur son contenu : si celui-ci est libre de droits d’exploitation, libre à chacun de le reproduire, de l’exploiter, de dormir avec ad vitam aeternam (alors qu’il devra rendre le codex matériel qu’il aura emprunté à la bibliothèque). Et si ce quelqu’un reproduit ou exploite un texte procuré par la bibliothèque mais non libre de droits, ce n’est pas à cette dernière qu’il devra rendre des comptes, mais aux ayant-droits – éditeur compris et d’abord évidemment (donc détenteur des droits d’exploitation) !
En ce qui concerne les collections patrimoniales, donc en majeure partie des collections libres de droits d’auteur (donc d’exploitation) car tombés dans le domaine public (mais pas seulement, on y reviendra !), le droit d’auteur a peu de chances de s’exercer : à mon avis, vous pouvez vous lancer dans des pastiches ou rééditions du Roman de la Rose sans danger ! La bibliothèque devient-elle alors un auteur ou un éditeur par substitution ? Que nenni ! Ce qu’elle doit protéger, c’est ce support, parfois devenu rare, et en garantir la diffusion adaptée. Bref, la seule chose qui soit patrimoniale dans nos collections, ce sont les codex de papier ou plus rarement de parchemin. leur contenu (le savoir) n’est pas régi par des textes relevant des bibliothèques, mais par ceux – beaucoup plus larges – relevant du droit d’auteur.
Numériser une collection patrimoniale libre de droits d’exploitation, et en diffuser à sa guise le contenu numérique, n’est donc pas antinomique avec la patrimonialité des collections matérielles. Tout au plus la bibliothèque peut-elle conditionner la réutilisation, la numérisation, ou le téléchargement du document une fois numérisé à quelques frais de gestion et/ou à des mentions de courtoisie.
La perte de bénéfices
Il est toujours assez amusant de voir bibliothécaires ou chercheurs, habituellement si dédaigneux de la gestion publique (sauf pour obtenir plus de crédits) se préoccuper de la dilapidation d’un patrimoine si précieux… pour lequel jamais les pouvoirs publics n’ont voulu investir largement en vue de le garantir, l’exploiter, voire le « rentabiliser » ! Contrairement à beaucoup de collègues, je ne pense pas que le problème vient d’une absence d’investissement des pouvoirs publics (nationaux ou locaux) dans la numérisation des collections, mais beaucoup plus dans l’absence d’anticipation dans ce qui relève vraiment des pouvoirs publics : la réglementation.
La réglementation-législation étant ce qu’elle est, le statut des œuvres dites orphelines (avec au moins un ayant-droit inconnu ou non joignable : car c’est cette question mêlant ‘patrimoine’ des bibliothèques, éditeurs et Google dans un nouveau rebondissement, qui agite les esprits aujourd’hui) est toujours non réglé, malgré quelques tentatives vite avortées. Définitivement, la question de la ‘richesse’ économique – et morale – des contenus revient aux auteurs et (surtout) à ceux auxquels ils ont confié les droits d’exploitation (ce qui conduit au débat actuel sur l’accord proposé aux éditeurs par Google).
En clair, les bibliothèques n’ont aujourd’hui ni l’argument juridique ni les moyens logistiques de faire valoir un quelconque intérêt économique sur cette part ‘orpheline’ de leurs collections.
Le totalitarisme de l’accès à l’information
Alors reste le fantasme d’une main-mise absolue d’un acteur commercial sur l’information disponible dans le monde. Ce qui effraie là est le monopole de l’indexation, monopole non tant de la possession des contenus que de l’efficacité et de la popularité du moteur indexeur. En effet, le patrimoine est à l’abri : les collections (en leur sens premier, donc en leur dimension de documents matériels assemblés et organisés) restent la propriété des bibliothèques publiques, et l’accès à ces collections reste sous la main des dites bibliothèques, y compris sous leur forme numérique.
Toutefois, la crainte n’est pas infondée, tant il est vrai que la force d’un Google tient dans sa masse critique autant que dans ses capacités d’indexation et la puissance de son ergonomie. Mais la réalité de ce risque doit-elle conduire à refuser cette opportunité en dépit de solutions alternatives crédibles ? Par exemple, la récente proposition de l’IABD de consacrer l’emprunt national annoncé à racheter les droits des œuvres orphelines et à entreprendre une opération de numérisation à grande échelle des collections publiques me désole : d’une part acheter des droits à un instant T (en fait bloquer un magot conséquent à l’intention d’hypothétiques apparitions d’ayant-droits) ne règle pas la question des futures œuvres orphelines, d’autre part penser la numérisation de masse sans opérateur efficace et consensuel est une aberration, de plus imaginer l’information au seul prisme des collections de bibliothèques est singulièrement nombriliste si l’on ne pense pas aux multiples autres ressources du web (largement aussi – plus ? – utilisées que ‘nos’ contenus !), enfin – même si j’adore les bibliothèques – je ne suis pas sûr que cette opération qui se veut anti-monopolistique soit prioritaire en cette période où d’autres urgences de financement commandent.
La réponse aux risques d’un monopole sur l’accès à l’information passe-t-elle par la mobilisation d’un emprunt national voire par une législation anti-trust ? La question n’est pas économique, elle relève de l’intérêt général découlant de la déclaration des droits de l’homme de 1789 déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 :
Art 19 : Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.
Art 26 :- 1. Toute personne a droit à l’éducation.
Art. 27 – 1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent.
(Merci Calimaq !)
Introduire les bibliothèques dans le débat, cela pourrait revenir à ouvrir enfin le champ de ces droits du citoyen, en déclarant au moins les œuvres orphelines libres de diffusion dans les bibliothèques. En attendant ce moment, les bibliothèques ne peuvent en matière numérique que rester soumises à la primauté absolue du droit d’auteur et aux négociations des diffuseurs, au mépris de leur mission.
Quel patrimoine public dans les bibliothèques ?
Jusque-là, on est souvent resté dans une conception du patrimoine régie par des questions de propriété économique. Le patrimoine, de ce point de vue, c’est un bien propre évalué à l’aune d’un marché. Mais est-ce bien de ce patrimoine-là que traitent les bibliothèques ?
Ce patrimoine que constituent et transmettent les bibliothèques, ce n’est pas un capital marchand, et ce ne l’a jamais été. C’est un capital d’opportunités de connaissances pour une population, qui ne prend sa valeur (bien peu monnayable !…) que par son appropriation. Ce qui compte, ce n’est pas tant la valeur intrinsèque voire financière des documents, que les publics qui utilisent et que sert l’institution bibliothèque.
Alors, que faire ?
Actuellement et à titre personnel, en l’absence d’alternative crédible, je souscris à certaines des nombreuses affirmations de bibliothèques ayant cédé aux offres de l' »ogre », par exemple :
« Nous annonçons aujourd’hui l’ouverture de notre bibliothèque au monde entier. Nous franchissons ainsi une étape décisive dans la mise à disposition sur le Web de livres et de connaissances, cette mise à disposition étant le but principal de toute bibliothèque. Grâce à cette initiative, les lecteurs du monde entier pourront découvrir et accéder aux richesses littéraires de l’Allemagne sur le Web, à tout moment et à partir de n’importe quel ordinateur.« (Bibliothèque de l’Etat de Bavière)
« Autrefois, seuls les visiteurs de notre bibliothèque avaient le privilège de « visiter » nos livres. Désormais, toute personne intéressée par les nombreux titres de notre bibliothèque peut y accéder en ligne, ou simplement les découvrir par hasard en effectuant une recherche dans l’index de Google Recherche de Livres. C’est un énorme pas en avant : les lecteurs de tous les pays peuvent ainsi découvrir les richesses historiques des littératures catalane, castillane et d’Amérique latine et y accéder. » (Bibliothèque nationale de Catalogne).
Est exprimée là une conception du patrimoine qui pose au premier plan non le capital économique des collections, mais la fonction première des bibliothèques : diffuser leurs contenus auprès des publics qu’elles doivent servir. C’est une différence essentielle d’avec les autres institutions dites patrimoniales, lesquelles peuvent sont fondées en partie sur une assise économique : « la Joconde » est unique, comme tous les tableaux détenus par des musées, mais un exemplaire des « Misérables » ne l’est pas. Chaque exemplaire est bien sûr unique, dans sa matérialité, mais pas le contenu ‘intellectuel’, qui est fait pour être largement diffusé, du point de vue des bibliothèques au moins. Le capital culturel ne se gaspille pas en étant diffusé : il s’accroit en étant partagé.
Alors, dans cette perspective, il ne faut pas se tromper de combat : sur la question des opérateurs qui permettront d’accéder à des contenus (éditeurs scientifiques, Google, etc.), ce qui importe est l’efficacité de l’opérateur. Pour l’information brute, les opérateurs privés sont actuellement les meilleurs, et il serait aberrant de chercher à leur barrer la route sous prétexte qu’ils sont privés. Aucune, je dis bien aucune, bibliothèque de statut public n’a jamais été capable de proposer des contenus numérisés en masse significative, ni surtout des outils ergonomiques qui permettent non seulement d’accéder aux contenus numérisés de leurs collections, mais encore à celles d’autres établissements ou ressources non incluses dans les collections ; les projets louables de type Open archives sont plus préoccupés par leur masse critique et l’architecture des métadonnées que par la pertinence de leur consultation par les publics…Pour des informations plus sophistiquées en revanche (itinéraires adaptés à des publics, corpus intellectuellement mûris), je ne sache pas que les bibliothèques aient beaucoup de concurrents, pour peu qu’elles consacrent leurs efforts à cet aspect-là, au lieu de vouloir jouer les Google.
Patrimoine public ou caractère public de l’information diffusée par les bibliothèques ?
Il me semble que, pour les bibliothèques au moins, le débat ne se situe pas essentiellement dans des questions de propriété des oeuvres ou de monopole de diffusion (problème que par ailleurs subissent déjà les bibliothèques universitaires pour les revues scientifiques). Je pense qu’en matière de documents numérisés, en l’état actuel du droit, les bibliothèques ne disposent d’aucun patrimoine économique : soit elles ont numérisé des fonds libres de droits d’auteur (et dans ce cas elle ne peuvent quasiment rien revendiquer), soit ces œuvres numérisées ne sont pas libres de droits, et elles n’ont aucun droit de les mettre en ligne (ou alors seulement d’en permettre la consultation sur des postes dédiés, et encore dans les seules institutions dépositaires du dépôt légal). La question du monopole n’est pas anodine, certes, et je n’aurai pas la légèreté de la balayer. Mais il est prioritaire d’affirmer une fonction beaucoup plus fondamentale, à préciser juridiquement : la fonction d’information publique des bibliothèques, comme le souligne de son côté Dominique Lahary.
L’important est là : une bibliothèque publique (municipale, universitaire, nationale) est-elle un acteur de même statut qu’un éditeur ou que Google ? S’inscrit-elle dans le champ concurrentiel ? Sa fonction première est-elle, en notre ère numérique, de protéger « ses » contenus ? Lorsque l’œuvre était indissociable du codex, la confusion était possible et sans doute en partie nécessaire ; avec la numérisation, il faut bien reconnaître qu’à l’image du roi du conte d’Andersen, les bibliothèques sont nues, au moins en termes de propriété du savoir, des contenus.
Le débat actuel doit dépasser le nécessaire souci de protéger les collections et leurs trésors, bien sûr, mais ne doit pas se déplacer seulement vers le champ de la concurrence économique. Il faut garantir, enfin, que les bibliothèques de statut public ont le droit et même le devoir de diffuser librement les contenus (y compris en ligne) pour lesquelles elles ont acquis un accès (achat d’un livre ou d’un accès numérique), ou pour lesquels cet accès leur a été concédé. C’est déjà le cas, je l’avais souligné, pour les livres achetés dans le cadre juridique du droit de prêt. La solution fut alors trouvée à travers le paiement par l’État d’une somme forfaitaire à des sociétés de gestion des droits, sans que les auteurs puissent refuser le prêt de leurs ouvrages : qu’attend-on pour réaliser quelque chose de semblable, afin de garantir la libre diffusion par les bibliothèques de statut public, diffusion non commerciale matérielle et numérique, des œuvres orphelines (et même pourquoi pas sous droits, rêvons un peu) ? Fût-ce en mettant légèrement à contribution les collectivités elles-mêmes (État + collectivités territoriales et universités, voire via des consortiums nationaux habilités), et en instaurant des dispositifs réglementaires : à quand l’instauration réglementaire d’un ‘fair price‘ qui fonderait cette fonction d’information publique des bibliothèques, au lieu de les laisser cantonnées à la gestion de leurs supports collections ?
Cela ne passera évidemment pas sans accommodements, sans concessions, sans négociations avec de multiples partenaires (lisez ce remarquable article de S.I.Lex, et cet autre du même, bien plus compétent que moi en la matière !). Mais le principe proposé, exigeant en termes de résultats, impose l’évidence de cet objectif essentiel : donner accès au citoyen, et pas seulement au consommateur. Pour les bibliothèques, la question du monopole n’est pas seconde, elle est autre.
P.S. : à cause de ou grâce à Google, on parle surtout des livres. Pitié, n’oublions pas les revues et magazines, les livres et les DVD, ou plutôt, pour être logique, l’accès public à leurs contenus, numérisés ou non !!
Bonjour,
J’ai un grand respect pour vous et pour la vision bibliothéconomique que vous développez dans votre blog (je tenais à le dire à titre de préambule, parce que c’est vrai). J’ai énormément appris sur le métier de bibliothécaire en vous lisant.
Vous me citez par ailleurs à plusieurs reprises dans ce billet d’une manière aimable et j’en suis très honoré.
Mais votre texte contient un certain nombre d’approximations et de confusions sur le plan juridique, que je ne peux pas laisser passer sans réagir. Surtout que ces approximations ont des conséquences directes sur les conclusions que vous avancez.
Je commence par les erreurs et confusions « mineures », mais tout de même gênantes.
– Les articles sur les droits que vous citez (et pour lesquels vous me remerciez) ne sont pas issus de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 mais de la Déclaration Universelle de 1948.Il aurait été bien surprenant de voir les hommes de 89 consacrer le droit à l’éducation ou à la culture – droits typiques de seconde génération.
– « les projets louables de type Open archives sont plus préoccupés par leur masse critique »
Je pense que vous devez confondre avec L’Internet Archive ou l’Open Content Alliance… voire les deux ! L’Open Archive Initiative est tout autre chose …
– « soit ces œuvres numérisées ne sont pas libres de droits, et elles n’ont aucun droit de les mettre en ligne (ou alors seulement d’en permettre la consultation sur des postes dédiés, et encore dans les seules institutions dépositaires du dépôt légal). »
C’est faux. Ou plutôt c’était vrai jusqu’à cet été, car l’IABD a fait modifier l’exception conservation par le biais d’un amendement introduit de haute lutte dans la loi Hadopi pour permettre à tout service d’archives, de musée ou de bibliothèques de reproduire et de diffuser sur place une oeuvre à des fins de conservation. Et peu importe qu’elle soit titulaire du dépôt légal ou non (vous devez confondre avec une autre exception qui figure dans le Code du patrimoine …). Et ça marche d’ailleurs aussi à Lyon.
Autre approximation, plus grave cette fois.
– « la seule chose qui soit patrimoniale dans nos collections, ce sont les codex de papier ou plus rarement de parchemin. leur contenu (le savoir) n’est pas régi par des textes relevant des bibliothèques, mais par ceux – beaucoup plus larges – relevant du droit d’auteur. »
Affirmation très incomplète.
Vous ne vous placez que du point de vue de la propriété intellectuelle.
Or les documents numérisés relèvent aussi de ce qu’on appelle le droit des données publiques et il existe des textes qui donnent aux institutions publiques un droit de regard sur leur réutilisation, pas forcément pour les faire payer, mais pour poser des conditions garantissant que ne s’efface pas leur caractère public (voyez la Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 relative à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques et l’ordonnance du 6 juin 2005).
Le nouveau Code Général de la Propriété des Personnes Publiques considère également que les livres anciens, rares ou précieux, conservées dans les bibliothèques relèvent du régime de la domanialité publique et ne peuvent donc pas faire l’objet d’une aliénation au profit d’un tiers. Je vous recommande de lire à ce propos l’article de Thibault Solheilac « Les bibliothèques numériques, un domaine public immatériel », AJDA, 2008, no 21, 16 juin 2008, p. 1133. Il indique clairement qu’une bibliothèque ne peut vraisemblablement pas faire n’importe quoi quand elle signe un partenariat de numérisation avec un partenaire privé.
Cela signifie deux choses 1) Oui, les institutions publiques ont certains droits sur les oeuvres qu’elles numérisent, même quand celles-ci appartiennent au domaine public, 2) Mais elles ont aussi des devoirs, et d’abord celui de préserver le caractère public de ces données, notamment lorsqu’elles engagent des partenariats avec le privé. C’est la problématique par exemple – très complexe – dans laquelle Légifrance est engagée avec les éditeurs de bases de données juridiques.
– Sur les oeuvres orphelines, nous sommes en profond désaccord !
Certes à l’heure actuelle, il n’existe pas en droit français de solutions pour réutiliser légalement une oeuvre orpheline. Du coup, ces oeuvres, très nombreuses – sûrement des millions – restent indisponibles pour quiconque, bibliothèques comme entreprises privées. C’est justement ce vide juridique qui a donné à Google toute sa puissance dans cette affaire. Le Règlement que la firme est en train de négocier aux Etats-Unis dans le cadre de son procès a justement pour but de lui conférer un droit exclusif de numériser et commercialiser les oeuvres orphelines aux Etats-Unis. Et cela s’applique par le jeu des conventions internationales aussi bien aux oeuvres publiées en Amérique que partout ailleurs dans le monde.
Aux Etats-Unis, des projets de lois ont pourtant bien été introduits au Congrès ces dernières années, mais ils n’ont pas pu aboutir à cause de l’opposition des titulaires de droits. En Europe, la Commission alerte depuis des années sur le problème des oeuvres orphelines et sur l’obstacle qu’elles opposent à la numérisation. Mais les Etats n’ont pas su – ou voulu – donner de suite à ces recommandations.
Du coup, ce que la loi publique n’a pas su faire, une loi privée – qui ressemble fort à un privilège – risque de l’accomplir pour aboutir à la constitution d’un monopole dans la distribution commerciale de ces ouvrages orphelins.
C’est ce droit exclusif conféré en dehors du cadre législatif à un acteur privé qui soulève le plus de problème dans cette affaire. Que Google nous offre une piste pour remettre en circulation les oeuvres orphelines, très bien. Mais qu’il obtienne en cela un droit exclusif, empêchant tous les autres acteurs – publics ou privés – d’agir dans ce domaine, voilà une dérive majeure dont les conséquences à long terme peuvent s’avérer désastreuses.
Au coeur de la proposition de l’IABD que vous désapprouvez, il y a justement ce souci de prévenir les tendances monopolistiques de l’accord.
Plutôt que de voir cette part très importante du patrimoine mondial tomber dans l’escarcelle d’un seul, pourquoi ne pas libérer les droits sur ces oeuvres en utilisant une partie de l’emprunt national ? On peut par ce moyen obtenir un effet très puissant qui « soldera » ce passif qui grève ,notre patrimoine et le laisse occulté. Ces oeuvres pourraient alors être mises à la disposition de tous, à toutes fins – commerciales ou non. Et bien entendu une telle solution passe par l’adoption d’une loi, car seul le législateur a le pouvoir d’opérer une telle modification, mais ce sera alors le résultat d’un vote démocratique et non d’un rapport de force contentieux !
Quant au problème des oeuvres orphelines dans le futur, relisez bien la déclaration de l’IABD. Il est proposé qu’une partie des sommes soient justement consacrées à la création d’un système de gestion des droits pour éviter que l’orphelinat littéraire ne se reproduise à l’avenir. Système de gestion qui est déjà prévu au niveau européen, mais qui est sous-financé et au sein duquel les bibliothèques auront certainement un rôle important à jouer.
Les propositions de l’IABD vous désolent. Soit …
Mais de mon côté, je suis désolé de suggérer aux lecteurs de votre billet de bien prendre en compte les approximations et erreurs juridiques que j’ai relevées dans votre raisonnement et de se demander si tant d’imprécisions n’affectent pas la valeur de votre propos.
Ce qui me désole, c’est qu’au fond comme tant d’autres, vous confondiez la partie patrimoniale du projet Google Livres avec la partie portant sur les oeuvres sous droits. Énormément de gens font cette confusion …
Croyez-bien que j’aurais souhaité ne pas écrire un tel commentaire (le premier en plus que je laisse sur votre blog).
Mais l’enjeu est trop important …
Une telle occasion de régler le problème des oeuvres orphelines en France ne se présentera peut-être plus jamais.
Calimaq
Commentaire par calimaq — jeudi 10 septembre 2009 @ jeudi 10 septembre 2009
Cher Calimaq,
Votre billet me prouve qu’il est toujours hasardeux de se lancer dans des démonstrations juridiques sans être juriste, et je réponds à votre message sur ses différents points :
– la référence à la Déclaration de 1789 est d’autant plus stupide que je vous citais : c’est rectifié dans le texte ;
– les projets de type Open archives : je ne parlais pas de l’Initiative, mais des organismes mettant en œuvre des entrepôts fondés sur cette initiative, comme le fléchait mon lien. Je maintiens donc mes réserves non sur le principe et l’Initiative, mais sur les modalités peu ergonomiques de ces projets ;
– le libre accès sur place aux œuvres numérisées n’est effectivement pas limité aux bibliothèques dépositaires du dépôt légal, je bats ma coulpe. En revanche, l’élargissement que vous signalez n’est pas, à ma connaissance, lié à un amendement de cet été, mais à la loi DADVSI (code de la propriété intellectuelle, article L122-5 alinea 8) ;
– les droits des bibliothèques sur les contenus : tout à fait d’accord sur le fait que les livres relèvent de la domanialité publique et que les bibliothèques ont le devoir d’en protéger le caractère public, et donc ne peuvent pas faire n’importe quoi avec. Mais effectivement, comme vous le soulignez, je ne me plaçais là que du point de vue de la propriété intellectuelle, question au cœur de mon billet ;
– concernant les œuvres orphelines, je ne nie pas que « il n’existe pas en droit français de solutions pour réutiliser légalement une œuvre orpheline ». C’est pourquoi j’appelais non à un rachat de droits comme le propose l’IABD, mais à faire intervenir le législateur pour que les œuvres orphelines soient dans tous les cas accessibles à partir des bibliothèques, sous toutes leurs versions : c’est un peu l’argument qui vaut, à ma connaissance, en matière de succession : si une personne décédée n’a pas d’héritier (donc que ses biens demeurent orphelins), c’est l’Etat qui hérite.
Enfin, je comprends votre préoccupation (qui est aussi la mienne) concernant les risques monopolistiques de l’accord Google-éditeurs, et je sais bien que les bibliothèques ne sont pas étrangères à cette question, ne serait-ce que parce que ce sont leurs collections qui ont alimenté le gigantesque réservoir de Google (et je pensais bien aux œuvres sous droits, non aux numérisations d’œuvres libres de droits). Mais ce billet voulait insister sur cette autre importance du moment actuel en matière d’accès public à l’information, vu du point de vue législatif et réglementaire. Et la suggestion de l’IABD d’utiliser l’emprunt public (dont j’ai déjà lu maintes suggestions d’emploi… aux frais des citoyens qui devront bien payer pour rembourser) me parait obscure : à qui les droits seront-ils rachetés ? aux seuls éditeurs français ? quid des éditeurs étrangers, puisque vous dites que l’accord américain Google-éditeurs américains s’appliquerait au monde entier ou presque ?
Car reste pour moi cette inconnue (ce qui prouve sans doute que je ne devrais pas me hasarder sur des terrains juridiques ?): j’ai bien examiné la convention de Berne, et je ne comprends pas comment l’accord de Google, qui ne concerne pour l’essentiel que les œuvres originaires des États-Unis, pourrait s’appliquer « par le jeu des conventions internationales aussi bien aux oeuvres publiées en Amérique que partout ailleurs dans le monde ». Là, j’ai besoin d’une explication détaillée.
Commentaire par bcalenge — dimanche 13 septembre 2009 @ dimanche 13 septembre 2009
[…] récents pumpkin's status on … sur Google va-t-il tout dévorer…Le patrimoine au déf… sur Google va-t-il tout dévorer…Filons de S.I.Lex #5… sur Google va-t-il tout […]
Ping par Google va-t-il tout dévorer ? « DLog (supplt à www.lahary.fr/pro) — lundi 14 septembre 2009 @ lundi 14 septembre 2009
Je suis content de voir que vous avez publié à nouveau ce billet et je regrette le ton de mon commentaire initial s’il vous a conduit un moment à supprimer un texte que vous aviez écrit. Ce n’était pas mon intention.
Concernant les oeuvres orphelines et la proposition de l’IABD, je ne veux pas surenchérir (tendance hélas trop courante sur les commentaires de blogs). Nous restons donc en désaccord. J’espère peut-être un jour avoir l’occasion de discuter avec vous de vive voix de ce sujet pour vous convaincre du bien-fondé de la solution IABD.
Par contre, je peux peut-être vous apporter quelques éléments sur la portée internationale du Règlement Google Livres.
Tout découle de la nature très particulière du procès intenté par les titulaires de droits à l’encontre de Google aux Etats-Unis. Il s’agit en effet d’une procédure qui n’existe pas en France : la class action (ou recours collectif). Dans ce type de contentieux, un ou des demandeurs vont formuler une requête au nom d’un groupe de personnes qu’elles représentent, en vue d’obtenir une réparation auprès d’un tiers.
Par exemple, lorsqu’un médicament défectueux cause des dommages à un très grand nombre de personnes, quelques unes d’entre elles seulement peuvent agir en justice au nom des autres, à condition que leur situation soit suffisamment représentative. Si elles parviennent à l’emporter, les réparations sont calculées en fonction de l’ensemble de la population affectée et reparties équitablement entre elles. En plus de cela, le droit américain permet aux parties en litige de s’entendre par le biais d’un règlement pour trouver une solution négociée plutôt que d’aller jusqu’au bout du procès.
C’est exactement ce qui s’est passé avec le procès Google Book Search.
La Guilde des Auteurs et l’American Association of Publishers ont attaqué Google en justice pour violation du copyright. Ils ont donné à leur plainte la forme d’une class action, s’instituant par là représentants de l’ensemble des titulaires de droits concernés par les agissements de Google.
Or Google n’a trouvé dans les fonds des bibliothèques partenaires uniquement des livres publiés aux Etats-Unis, mais des ouvrages en provenance du Monde entier.
Du coup, l’action en justice a englobé tous les titulaires de droits détenteurs d’un copyright aux Etats-unis. Et c’est là qu’entrent en jeu les conventions internationales. Car disposent d’un copyright valable aux Etats-Unis tous les titulaires de droits ressortissant d’un Etat partie à la Convention de Berne, c’est à dire la très grande majorité des pays dans le monde.
Du coup par une sorte deffet viral, le procès n’a plus concerné les seuls ouvrages américains, mais la quasi intégralité de la production éditoriale mondiale.
Et c’est là que Google a réussi un tour de force extraordinaire, digne de la manoneuvre d’Austerlitz !
Ereintés par des frais de justice astronomiques et pas tout à fait certains de l’emporter si le procès allait à son terme, les auteurs et éditeurs américains parties au procès ont choisi de négocier dans le cadre d’un Règlement, pour trouver une issue contractuelle au litige. C’est le fameux règlement Google Book qui suscite tant de polémiques depuis des mois.
Or la portée générale de la class action fait que ce Règlement va s’appliquer à toutes les personnes concernées s’il est avalisé par le juge américain : c’est à dire à la quasi totalité des titulaires de droits dans le monde.
Et voilà comment, tel un judoka, Google est parvenu à retourner l’attaque qui lui était portée, en s’appuyant sur une espèce de faille du système …
Stratégiquement, je trouve cela génial.
Sur le fond, je suis beaucoup plus réservé et de nombreux commentateurs estiment qu’il y a en l’espèce détournement irrégulier de la procédure de recours collectif, qui ne devrait pas pouvoir être utilisée pour produire des effets aussi puissants.
C’est précisément ce que le juge américain du Tribunal de New York, Dennis Chin, doit à présent déterminer en acceptant ou non ce règlement.
Verdict en principe, le 7 octobre.
Commentaire par calimaq — lundi 14 septembre 2009 @ lundi 14 septembre 2009
[…] Le patrimoine au défi du numérique : un dilemme biaisé pour les bibliothèques ? « Bertrand Cale… bccn.wordpress.com/2009/09/06/le-patrimoine-au-defi-du-numerique-un-dilemme-biaise-pour-les-bibliotheques – view page – cached Le patrimoine au défi du numérique : un dilemme biaisé pour les bibliothèques ? — From the page […]
Ping par Twitter Trackbacks for Le patrimoine au défi du numérique : un dilemme biaisé pour les bibliothèques ? « Bertrand Calenge : carnet [bccn.wordpress.com] on Topsy.com — lundi 14 septembre 2009 @ lundi 14 septembre 2009
Merci, Calimaq, pour ces explications plutôt complexes mais exprimées clairement.
Je ne suis pas juriste, vous l’avez deviné, mais dans cette opération comment comprendre l’alinea 3 de l’article 5 de la Convention de Berne :
« La protection dans le pays d’origine est réglée par la législation nationale. Toutefois, lorsque l’auteur ne ressortit pas au pays d’origine de l’œuvre pour laquelle il est protégé par la présente Convention, il aura, dans ce pays, les mêmes droits que les auteurs nationaux. » ? Dans le cas des oeuvres publiées (au moins pour la première fois) en France, c’est bien de notre législation qu’il s’agit, primant sur celles portant sur toutes les rééditions et reproductions, non ? Ou je dis une bêtise ? L’hypothèse d’une solution législative au moins nationale à la disponibilité d’exploitation des oeuvres orphelines par les bibliothèques n’ouvrirait-elle pas une issue, dans la mesure où c’est la législation de la première édition qui prime ?
D’autant que l’alinéa 2 de l’article 6bis stipule :
« Les droits reconnus à l’auteur en vertu de l’alinéa 1) ci-dessus sont, après sa mort, maintenus au moins jusqu’à l’extinction des droits patrimoniaux et exercés par les personnes ou institutions auxquelles la législation nationale du pays où la protection est réclamée donne qualité. »
et que l’article 9 précise :
« (1) Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques protégés par la présente Convention jouissent du droit exclusif d’autoriser la reproduction de ces œuvres, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit. [là, c’est pour la version numérisée]
(2) Est réservée aux législations des pays de l’Union la faculté de permettre la reproduction desdites œuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. « [et là, ce pourrait être pour la version numérisée par les bibliothèques]
Je suis comme vous lassé des invectives et des impératifs catégoriques. Mais nous n’engagerons les bons combats qu’en comprenant bien tous les enjeux.
Le mien est non tant de préserver les bibliothèques en tant que telles, que de garantir, autant que faire se peut, l’espace de l’information librement disponible aux citoyens…
Commentaire par bcalenge — lundi 14 septembre 2009 @ lundi 14 septembre 2009
Bonsoir tous les deux et merci de cette utile conversation devant tous ceux qui s’y intéresseront.
Je n’interviens que sur trois points précis.
a) L’exception obtenue par l’IABD : elle s’est faite en deux temps. Dans la loi DADVSI, une exception de reproduction « à des fins de conservation ou préserver les conditions de la communication sur place ». Mais le fait que la communication puisse en être la fin n’entrainait pas une exception (c’est-à-dire un droit sans demander l’autorisation aux ayants droit) de communication sur place. C’est pourquoi l’IABD est revenue à la charge sur la loi Hadopi 1 et a obtenu une exception explicite de coummunication (sur place uniquement). Voir http://www.iabd.fr/spip.php?rubrique22.
b) La position interassociative sur le Règlement Google (http://www.iabd.fr/spip.php?rubrique26) est très exactement soutenue par « 12 associations membres de l’IABD », dans le respect des 5 autres qui ne se sont pas prononcées ou se sont prononcées contre.
c) Si l’on veut débattre sérieusement, j’excluerais la remarque suivante : « Il est toujours assez amusant de voir bibliothécaires ou chercheurs, habituellement si dédaigneux de la gestion publique (sauf pour obtenir plus de crédits) se préoccuper de la dilapidation d’un patrimoine si précieux… On voudra bien faire crédit aux associations concernées de ne pas tomber dans ce travers, qui peut avoir une certaine validité sociologique. Et pour ma part cette allusion me laisse de marbre.
Cela me fait penser à cette remarque de Camille Pascal dans son point de vue Google, la bibliothèque nationale et le syndrome du moine copiste paru dans Libération du 7 septembre 2009 : « Alors, pourquoi tant de suspicions ? Le crime de Google se résume en deux mots : c’est une entreprise américaine. L’anticapitalisme et l’antiaméricanisme – qui souvent ne font qu’un – des élites intellectuelles françaises sont si profonds qu’ils suffisent à boucler le procès de la start-up californienne devenue multinationale. »
Commençons à discuter sérieusement entre gens qui ne sont ni antiaméricains ni dédaigneux de la gestion publique.
Bien cordialement
Commentaire par Dominique Lahary — lundi 14 septembre 2009 @ lundi 14 septembre 2009
En cas d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle, la loi applicable est en principe celle du pays où la protection est revendiquée.
Voyez ici : http://www.lexinter.net/JF/loi_applicable_a_une_obligation_extra_contractuelle_resultant_d%27une_atteinte_a_un_droit_de_propriete_intellectuelle.htm
Un exemple illustre bien cette règle : les héritiers de John Huston ont obtenu gain de cause devant les tribunaux français pour contester la colorisation d’un film sur le fondement du droit moral perpétuel qui existe dans notre loi.
http://www.droit-auteur.com/jurisprudence_general_divers2-1.htm
Ils n’auraient pas pu l’emporter devant les juges américains, car il n’existe rien de tel aux Etats-Unis. Le choix du pays où l’on revendique la protection détermine donc bien le droit applicable au litige.
Dans le cas du Google Book, l’Author’s Guild et l’AAP ont attaqué devant les tribunaux américains, c’est donc le droit US qui s’applique (toute l’affaire consiste d’ailleurs à savoir si la numérisation opérée par Google relève ou non du « fair use », notion typiquement américaine).
Chez nous, de l’autre côté de l’Atlantique, les éditions La Martinière, le SNE et la SGDL ont attaqué Google devant le TGI de Paris : c’est le droit d’auteur français qui s’appliquera (du moins en théorie, car on est peut-être pas au bout de nos surprises avec ce procès …)
Les paragraphes de la Convention de Berne que vous citez disent d’ailleurs cela :
“La protection dans le pays d’origine est réglée par la législation nationale. Toutefois, lorsque l’auteur ne ressortit pas au pays d’origine de l’œuvre pour laquelle il est protégé par la présente Convention, il aura, dans ce pays, les mêmes droits que les auteurs nationaux.”
Cela signifie qu’un auteur étranger doit jouir des mêmes droits que les nationaux lorsqu’il agit en justice dans un autre pays que le sien. Et donc qu’on doit lui appliquer la loi du pays de la même façon que s’il était ressortissant de l’Etat où la protection est demandée.
Ce n’est donc pas la loi de la première édition qui prime et une même oeuvre peut se voir appliquer différentes lois en fonction des pays où des procès ont lieu.
Concernant les oeuvres orphelines, je tiens à préciser une chose : je suis complètement pour qu’une solution législative soit trouvée en France et qu’elle permette aux bibliothèques d’agir dans ce domaine.
Je l’ai même déjà écrit et je ne cesse de le répéter depuis :
http://bbf.enssib.fr/blog/2008/05/13/utilisation-des-oeuvres-orphelines-quelles-perspectives-pour-les-bibliotheques-francaises
Mais ce n’est pas contradictoire avec une utilisation de l’emprunt pour libérer les droits en masse. Car il ne sera pas possible de toute façon d’obtenir un droit à numériser gratuitement des œuvres orphelines. Ce n’est d’ailleurs certainement pas envisageables dans le cadre des conventions internationales.
La question fondamentale est la suivante : doit-on traiter le problème de l’orphelinat littéraire oeuvre par oeuvre (et dans dix ans nous y serons encore !) ou ne doit-on pas régler le problème « en bloc » une bonne fois pour toutes pour solder ce passif et repartir sur des bases saines.
L’emprunt national permettrait d’en finir avec le poids mort des oeuvres orphelines en France. Nul ne pourrait plus tenter de s’arroger un droit exclusif sur elles; Elles seraient au contraire disponibles pour tous;
N’est-ce pas ce que vous appelez un espace de l’information librement disponible pour les citoyens ?
Mais je comprends que cette proposition puisse vous surprendre.
C’est le propre de l’audace de surprendre au début !
Commentaire par calimaq — mardi 15 septembre 2009 @ mardi 15 septembre 2009
[…] Le patrimoine au défi du numérique / B. Calenge (en lien avec l’affaire Google Books, avec quelques liens) https://bccn.wordpress.com/2009/09/06/le-patrimoine-au-defi-du-numerique-un-dilemme-biaise-pour-les-b… […]
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