Ceux qui auront suivi les billets précédents (ici et là) pourraient s’étonner de voir oubliée l’offre documentaire de la bibliothèque. Que nenni ! La bibliothèque est toujours espace d’appropriation de contenus… à condition de soumettre également cette offre à la règle du contexte. Et les contenus nécessitent des contenants, peut-être parfois différents dans leur forme, leur disposition ou leur disponibilité.
Aérer voire diminuer
Commençons par les collections les plus matérielles : les livres, disques et autres DVD. Les bibliothèques (publiques) doivent trouver un juste équilibre entre les espaces grandissants des publics utilisateurs et la nécessaire présence – concrète autant que symbolique – des savoirs et créations matérialisés par les documents proposés en libre accès. Compte tenu des réalités contemporaines, ce juste équilibre me semble plaider en faveur d’une réduction volumétrique des documents offerts au butinage :
- Question de place d’abord : si on multiplie les espaces de travail, ou plus simplement de détente et de séjour, il est évident qu’il faut amenuiser l’espace occupé par les étagères. J’ai vu une petite bibliothèque disposant de près de 35 000 documents ne laisser à l’usage de la consultation ou du séjour qu’une unique table avec 4 chaises !! Plus de publics désirés = moins de documents proposés (à surface égale bien entendu).
- Question d’usages ensuite : il est des mètres linéaires dont la pertinence offerte au butinage mérite réflexion. Les mètres linéaires occupés par ces encyclopédies migrées sur Internet d’abord, mais aussi les mètres linéaires jamais parcourus, compulsés ni empruntés, dont le maintien en place relève parfois de l’incantation symbolique.
Par curiosité, je me suis replongé dans la ‘bible’ des programmations de bibliothèques municipales (‘Bibliothèques dans la cité’, éd. du Moniteur, 1996 – hélas épuisé depuis belle lurette). J’ai été frappé par la séparation drastique des fonctions : pour une commune de 30 000 habitants, on consacre 245 m² aux fonctions d’accueil et animations, 602 m² pour accumuler 28 600 documents et 80 abonnements destinés aux adultes, et 354 m² pour 15 400 documents et 20 abonnements destinés aux enfants. Il me semble impératif d’évoluer vers une meilleure imbrication des fonctions et surtout vers un allègement de ces recommandations volumétriques (ou plutôt d’envisager des surfaces plus grandes à volumétrie documentaire égale). Non pour diminuer les efforts d’acquisition (de documents matériels ET de ressources en ligne), mais pour au contraire envisager une adaptation plus conforme aux usages : sans doute plus d’espace disponible pour les gens (pas pour mettre plus de livres ! ), un report de nombre de contenus à actualisation rapide vers des ressources en ligne, un accroissement du nombre de magazines proposés, etc.
Ouvrir et libérer
Cela va de pair avec l’acceptation volontaire de la réalité d’Internet comme pourvoyeur de connaissances : accès wifi facilités, abonnements à des ressources en ligne, …
Mais aussi avec une libéralisation des contraintes de l’appropriation des documents matériels : pourquoi ne pas libérer les carcans des limites d’emprunt, ceux des contraintes induites par les heures d’ouverture ( boites de retour 24h sur 24, voire distributeurs automatiques de livres à toute heure !). Tenons compte d’abord des usages !
Repositionner les contenus
L’ambition encyclopédique des bibliothèques (mesurée à l’aune de leurs moyens et de leurs publics) mérite non d’être battue en brèche mais plutôt modulée différemment à l’heure des informations de flux. Éliminons des étagères les codes juridiques et les dictionnaires de médecine, pour orienter les publics vers les ressources en ligne. Amenuisons la documentation technique imprimée et apprenons à nous orienter (et orienter les publics) vers ce qui est disponible sur Internet. Bien sûr, cela ne signifie pas réduire la collection imprimée aux seules ressources indisponibles sur le web ! Là encore, il faut tenir compte des usages : un essai se découvre plus aisément sous forme imprimée même s’il existe sous forme numérique, la personne dépourvue d’accès à Internet appréciera de pouvoir emprunter un manuel, etc. Mais tenons compte du fait que 60 % des foyers français disposent d’une connexion domiciliaire à Internet… et qu’on peut espérer que la bibliothèque offre largement cette opportunité aux autres ! Et puis, si les publics s’emparent de la bibliothèque, il leur faut de la place…
Surprendre
L’enquête du Credoc montrait pour les publics interrogés l’importance de la recommandation et de la découverte. Cela passe bien sûr par la sélection de textes susceptibles de répondre à la curiosité, plus que strictement savants ou érudits (au moins dans le libre accès). Mais je crois beaucoup à la capacité des bibliothèques à mettre en scène ces contenus : corpus originaux, conférences, lectures, tout cela est devenu impératif pour faire s’approprier les contenus, intriguer, passionner. Et cela peut se faire de façon ludique autant que savante (voyez par exemple l’abécédaire de la BnF), s’installer dans les espaces de façon impromptue (voyez ce happening inattendu à la bibliothèque de Limoges, à l’occasion du décès de Michaël Jackson : j’adore, et surtout je note l’enthousiasme des commentaires !), mêler l’intime et le spectaculaire (à Lyon, une exposition « Archives de l’infâmie« , sur Foucault, comprend une ‘bibliothèque Foucault’ où l’on peut s’installer, lire, et même emprunter les livres proposés). Si le programme culturel est souvent considéré comme événement lourd, il est surtout appelé, me semble-t-il, à entrer dans la quotidienneté des espaces et de l’activité. Et je suis Yves Aubin lorsqu’il réclame l’élaboration d’espaces imaginaires au sein de la bibliothèque : encore une fois ne pas se contenter de dédier aux manifestations des espaces spécifiques et distincts, mais animer l’ensemble des espaces documentaires publics.
Accompagner
Puisque le texte n’existe pas sans contexte, contextualisons-le avec les bibliothécaires eux-mêmes : c’est notre meilleur atout. Au-delà du service d’orientation bibliographique, il faut avancer à visage découvert, ou plutôt à compétences offertes. Organiser la réponse aux utilisateurs, c’est d’abord les accompagner : les espaces numériques ont ceci de fascinant qu’ils ne se contentent pas de proposer matériels et logiciels, mais d’abord proposent une aide à l’appropriation de ces derniers, que ce soit sous forme d’assistance individuelle ou d’ateliers. Les autres services ‘pédagogiques’ ont un bel avenir : savoir débrouiller une recherche dans les arcanes de la mémoire locale, organiser son travail pour un devoir ou un exposé, connaître les ficelles de la recherche d’emploi, ‘emprunter un bibliothécaire‘, etc. Expérimenter le savoir est une façon majeure de se l’approprier : j’aurais aimé que des services comme Ebulliscience naissent d’abord dans les bibliothèques…
Bref contextualiser…
Vous aurez compris que, sans manquer de révérence aux textes, j’estime professionnellement essentiel les modalités de leur contact avec les publics que nous servons. Et ces modalités sont, au sein des bibliothèques, établies par les bibliothécaires : l’emplacement du classement donne du sens au livre, la conférence sur un texte lui donne du sens, , les conseils bibliothécaires lui donnent du sens, l’aide à l’appropriation du texte lui donne du sens, comme les relations entre textes établies au sein d’un corpus créent des itinéraires de pensée originaux.
Il ne s’agit pas ici de suivre des modes ou des appétits de consommation, mais bien de s’inscrire délibérément du côté de nos publics : il n’est pas d’abord de textes dans une bibliothèque, il est surtout des lecteurs en quête de sens.
Il ne suffit pas de clamer l’éminence de telle pensée documentairement incarnée, il faut établir l’éminence de l’espace d’échange et de débat publics que peut (doit ?) être la bibliothèque au cœur de la cité.
J’exagère ?
« des surfaces plus grandes à volumétrie documentaire égale »
Un (louable) principe qui devrait s’appliquer également dans la conception des interfaces logicielles, afin d’encourager une véritable appropriation des documents, mais de plus en plus difficile à obtenir sur les médias mobiles, malgré l’augmentation de la définition des écrans.
Commentaire par Alain Pierrot — jeudi 16 juillet 2009 @ jeudi 16 juillet 2009
Je souscrit à toutes les propositions sans réserve. Il conviendra à chaque bibliothèque selon sa taille et ses moyens de cheminer dans cette direction. Les musées et les centres de vulgarisation scientifique sont d’ailleurs en avance sur nous dans ce domaine et nous servir d’inspiration. Je suis toujours fasciné par les efforts fait dans les expositions de vulgarisation scientifiques, bien plus ludiques et interactives que nos pauvres panneaux d’exposition avec parfois quelques vidéos ou extraits sonores… Voir l’exemple de cette belle exposition sur le numérique vue aux Champs Libres à Rennes http://ff.im/5kPEI
Commentaire par Xavier G. — vendredi 17 juillet 2009 @ vendredi 17 juillet 2009
Bonjour !
J’ai retrouvé vos carnets de notes et ai proposé quelques commentaires sur notre site :
« »La question du service humain dans des lieux identifiés. » Citations et annotations d’extraits de récents carnets de notes de Bertrand Calenge, notes de lecture de Jacqueline Cimaz et panneaux didactiques de l’expérimentation B2i-Adultes. Où on évoque aussi Mouvances, les flux et une répétion de lecture … » http://www.saint-apollinaire-de-rias.fr/rubrique.php3?id_rubrique=114#a-1113
En espérant que la longueur des citations ne pose pas de problème.
Nous cherchons ce que vous avez écrit sur le numérique, intéressées, certes, par la relation livre papier/livre numérique (les niches d’utilisation, complémentaires, à faire émerger…) mais surtout inquiètes de voir du simplement numérisé qui n’utilise pas les ressources que pourrait apporter le numérique, notamment par l’interactivité, dans l’écriture et la lecture et les relations aureur/ lecteur (d’où notre projet pour la Fête de la Science).
Y at-il eu quelque chose de publié ?
Avec nos remerciements
J.Cimaz
Commentaire par Cimaz Jacqueline — lundi 27 juillet 2009 @ lundi 27 juillet 2009
[…] bibliothèque dans le contexte numérique 1 , 2 et 3 / B. Calenge (série de 3 […]
Ping par XG_BlogNotes » Archive » Lettre d’e-veille mai – juin – juillet 2009 — lundi 27 juillet 2009 @ lundi 27 juillet 2009
@ Jacqueline Cimaz. Merci vivement pour votre intérêt. Pour répondre à votre question, je ne suis sans doute pas le plus qualifié en matière de relations entre livre imprimé et livre numérique (même si je l’aborde largement dans mon dernier livre : Bibliothèques et politiques documentaires à l’heure d’Internet. J’ai commis un billet sur ce sujet dans ce blog : https://bccn.wordpress.com/2008/10/14/livre-imprime-et-livre-numerique/. Mais je vous recommande surtout de rendre visite, voire de vous abonner si ce n’est déjà fait, au blog La Feuille, d’Hubert Guillaud : http://lafeuille.homo-numericus.net/.
Bien cordialement, et bonjour à toute l’équipe de St Apollinaire de Rias !!
Commentaire par bcalenge — mardi 28 juillet 2009 @ mardi 28 juillet 2009