Bertrand Calenge : carnet de notes

lundi 13 juillet 2009

Texte et contexte : (2) Quel contexte ?

Filed under: Non classé — bcalenge @ lundi 13 juillet 2009
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La question m’a été posée récemment : devant une stagnation des entrées et une baisse des prêts (évolutions qu’on craint structurelles plus que conjoncturelles), vers quelles solutions se tourner ?  Faudrait-il rajeunir les collections ? ouvrir davantage ? réviser la politique de tarification ? etc. ? La question visait notamment les adolescents et  jeunes adultes…

En réfléchissant avec mes collègues, je me suis rendu compte que les pistes de réponse les plus prometteuses n’étaient guère documentaires au sens strict du terme.

Bien entendu, pour parler contexte, insistons sur le fait qu’on abordait la question d’une médiathèque ouverte sur la ville, sans dimension estudiantine ni érudite, et aux fonctions de conservation extrêmement réduites.

Passons sur cette évidence qu’est une large amplitude horaire d’ouverture (encore qu’il faille l’adapter au rythme du quartier), sur cette autre évidence qu’est le confort des lieux et leur ergonomie, et encore sur cette autre évidence qu’est l’attention souriante de l’accueil. (Encore que ces trois « évidences » ne le sont pas toujours…).

Les enquêtes conduites m’amènent à recommander également trois points importants aujourd’hui (parmi 500 000 autres !), réalisables sans investissements démentiels :

Une connexion wifi

Au jour d’aujourd’hui, même ceux qui lisent des livres le font avec un ordinateur à portée de la main. A fortiori si on est étudiant ou lycéen. Multiplier les postes informatiques dans un établissement n’est pas suffisant, du moins tant que ces postes sont bridés tant en temps d’utilisation qu’en possibilités d’appropriation (clés USB bloquées, navigateur imposé – et encore dans la version standard et sans les outils et plugins facilitant le travail, etc.). L’explosion des netbooks à moins de 300 euros  rend ces derniers de plus en plus répandus ; or on personnalise « son » netbook : navigateur préféré avec les plugins idoines, configuration de chat ou de micro-blogging, messagerie perso, favoris, organisation de ses fichiers de travail comme de loisirs, etc.
Nom d’un chien, qu’attend-on pour généraliser les accès wi-fi dans les bibliothèques, afin de laisser (d’encourager ?) les visiteurs à s’approprier le lieu et son environnement documentaire en y apportant leur « chez-soi » ? Cela ne fera pas moins lire les gens, et leur donnera la possibilité d’annoter, de découvrir, et d’emmener avec eux un peu de ce qu’ils auront capté dans et grâce à la bibliothèque.
Et puis, pourquoi même ne pas proposer aux oublieux de leur vendre des clés USB pour qu’ils puissent ramener leurs travaux chez eux ? Voire prêter ou louer quelques netbooks ?
(et merci aux grincheux « wifiphobes » d’aller voir ailleurs s’ils n’ont pas d’autres moulins à vent ondes à combattre…).

La possibilité de travailler en petits groupes ouverts

Les bibliothécaires se méfient des groupes, susceptibles d’être bruyants voire ‘incivils’ surtout lorsque ce sont des adolescents et jeunes adultes. Ils savent bien néanmoins que nombre de lycéens et étudiants ne savent pas travailler autrement qu’en étant « groupir ». Alors on s’ingénie à proposer des espaces dédiés, bien isolés derrière leurs vitres (eh oui, pas de murs pleins, faut les surveiller !), les ‘salles de travail en groupe’. L’expérience que j’ai de ces salles me rend plus que mitigé à leur égard : vagues no man’s lands, indécis dans leur composition documentaire, sous-utilisés (on ne consacre pas la salle pour 4 lycéens) ou à l’inverse ghettos redoutés (on y flanque 4 groupes de jeunes étrangers les uns aux autres pour qu’ils dégagent les places au profit des solitaires, tout en les surveillant comme des piranhas dans leur bocal), dépourvu de tout environnement documentaire signifiant, elles occupent de la surface utile sans l’être vraiment (utiles).

Permettez-moi de plaider pour que la question du travail en groupe, si répandu aujourd’hui, soit traitée dans les espaces publics ‘généraux’ de la bibliothèque. En ménageant des niches ici ou là, psychologiquement isolées par un ou deux rayonnages, et équipées de tables conviviales (vive les tables rondes ou ovales !), on autorise une appropriation des lieux à la mode de ces groupes… Bien sûr cela crée un léger brouhaha, bien sûr il faut parfois aller invectiver l’ado trop bruyant, mais baste ! Les lieux où j’ai vu tenter ce mixage m’ont toujours émerveillé par leur sérénité, l’harmonie des cohabitations, et surtout le visible bien-être des jeunes auxquels on permettait – enfin –  d’être avec leurs copains.

Des espaces résolument tournés vers la détente confortable

La conception des espaces d’une bibliothèque vise souvent à tenter d’optimiser les espaces documentaires, bien sûr contraints par l’inévitable réduction des surfaces imposée par les contraintes budgétaires. Alors on ‘rentabilise’ jusqu’au moindre mètre carré, en déplaçant ici les périodiques, en diminuant la surface de la salle de travail en groupe (voir ci-dessus), etc.
J’aurais plutôt tendance (aujourd’hui) à aller à contre-courant. Lire n’est pas nécessairement chose sérieuse, et la lecture (comme l’audition ou le visionnage) réclame une diversité de contextes et de postures. Alors oui, gâchons des mètres carrés, et proposons fauteuils confortables près des machines à café – mieux ouvrons un café -, proposons des terrasses intérieures sans autre objet que de s’installer et d’être bien (tiens, on peut rajouter des quotidiens sur les tables). Bref rejoignons ce concept de « la bibliothèque living-room de la cité ». Sur ce point, mes observations d’urbain rejoignent mes anciennes pratiques de ‘rural’, et je ne partage pas l’avis de Didier Guilbaud quand il voit cette dimension conviviale réservée aux visiteurs des villages pendant que le lecteur urbain « remplira son caddie et fréquentera son supermarché de la culture » : les urbains que j’observe sont ô combien demandeurs de ce ‘living-room’, espace paisible et convivial, à mi-chemin entre le travail et leur domicile, contraint par ‘les autres’ mais en même temps ‘chez eux’.

Changer d’angle…

Tout cela n’est pas très politique documentaire, me direz-vous (ni très original…). Eh bien si (pour la pol doc au moins ; je bats ma coulpe quant au manque d’originalité) : à mon sens, la bibliothèque n’est pas lieu d’accumulation et de transmission des savoirs, mais lieu de développement de connaissances. Or la connaissance n’est pas dans les livres, elle est émergence personnelle : le plus extraordinaire livre du monde ne vaut, pour un bibliothécaire, que s’il est approprié par des personnes. Et si c’est cette appropriation que nous recherchons, nous devons être attentifs non seulement aux œuvres, mais aussi et surtout aux personnes que nous servons. Et donc construire un cadre d’appropriation pas tant soucieux de la valeur des œuvres que des usages de la population. C’est le sens des trois simples exemples cités plus haut…

Question de contexte, non ?

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5 commentaires »

  1. […] à trouver de nouvelles logiques opérationnelles mais dans le fait de les rendre “manageables”Texte et contexte : (2) Quel contexte ? « Bertrand Calenge : carnet de notesquels services à valeur ajoutée proposer aujourd’hui aux usagers des bibliothèques pour les […]

    Ping par bookmark from diigo 07/14/2009 | Relation, transformation, partage — mercredi 15 juillet 2009 @ mercredi 15 juillet 2009

  2. Lu et approuvé, de bout en bout et à 100% !

    Commentaire par JC Brochard — mercredi 15 juillet 2009 @ mercredi 15 juillet 2009

  3. Evidemment j’interviens (avec 2 billets de retard) pour critiquer ce avec quoi je ne suis pas d’accord. (Promis, je mets une approbation sur un ou 2 billets que j’approuve totalement, mais je suis sûr que c’est là que je vais être censuré.)

    J’ai eu à Valence une expérience très positive des salles de travail fermées en groupe. Il s’agit de petites salles pour au maximum une dizaine de personnes, certaines peut-être moins. Je me souviens d’y avoir vu des gens rire à gorge déployée sans rien entendre. Que ces salles soient vitrées est utile particulièrement pour que les gens qui sont à l’intérieur ne soient pas enfermés, qu’ils aient toujours à l’esprit qu’ils sont dans la bibliothèque, et pour qu’un comparse puisse les retrouver (car le RV directement à la bibliothèque est à encourager, non ?). Mais le fait que ces salles soient fermées permet d’aller plus loin dans la permissivité (je me rends compte que c’est un terme employé généralement dans un sens négatif, c’est au contraire très positif ici, je ne me situe pas dans une logique libéral-policière). Quelques (beaucoup) d’années plus tard, il me semble que ces salles devraient être équipées, sinon d’un rétroprojecteur (à réserver sans doute à une salle de formation qui puisse accueillir 30 à 40 personnes), du moins d’un ordinateur avec écran suffisamment grand pour que le groupe puisse le regarder en même temps. En revanche les collections physiques me paraissent devoir être en dehors de ces salles, les membres des groupes peuvent se déplacer… ce qui est l’occasion aussi de côtoyer d’autres usagers et de faire des demandes aux bibliothécaires.

    Plus généralement il me semble utile de distinguer l’espace des collections physiques où l’usager vient se servir des espaces d’activités des usagers, les mêmes documents pouvant éventuellement servir différemment, et les usagers pouvant à bon droit avoir des comportements incompatibles. Concrètement c’est la différence de niveau sonore qui rend incompatible et avoir des espaces bruyants, (à peu près) calmes et silencieux me parait très souhaitable si l’on en a la place. Les espaces plus ou moins calmes représenteront la plus grande partie ouverte au public de la bibliothèque, et ceux des activités les plus variées. Ce niveau sonore intermédiaire est forcément celui des lieux dédiés à la présentation physique des collections, mais aussi celui des questions aux bibliothécaires, des feuilletages de documents permettant les commentaires croisés, des rencontres, de la détente entre séances de travail, … mais, de mon point de vue il doit y avoir place dans la bibliothèque pour le silence et le bruit de la convivialité (plus ou moins) laborieuse.

    Commentaire par Colvert — mercredi 22 juillet 2009 @ mercredi 22 juillet 2009

  4. @ colvert. Vous avez raison, bien sûr, et comme toujours, cher Colvert ! (Soit dit en passant, je n’ai pas souvenir de vous avoir jamais censuré !…). Les espaces dédiés sont une excellente chose… quand on a la place : et je remarque que, dans un certain nombre de cas – pas toujours, c’est vrai -, en cas d’espaces contraints on privilégiera toujours l’exclusion des groupes ou leur cantonnement défiant. C’est contre cette défiance que je m’insurge.

    Prenons un exemple : un groupe d’une dizaine de jeunes avec son enseignant s’empare – ou se voit attribuer – la salle de travail en groupe (dans laquelle il y a, ô miracle, un vidéo projecteur !). Arrivent 5 lycéens qui veulent travailler ensemble (et c’est plus fréquent que les profs qui accompagnent un groupe): qu’en fait-on ? On les exclue, ou on on les tolère dans ces semi-espaces discrets ? Je parlais non d’envahissement des espaces relativement calmes, mais de ‘niches’ semi-isolées (peut-être n’ai-je pas été assez explicite…). Peut-être ce que vous appelez des ‘zones intermédiaires’ ?

    La diversité des usages n’impose pas la même diversité d’espaces cloisonnés (même si ces derniers sont pertinents, je vous l’accorde), mais des aménagements rendant possible cette diversité au sein de l’espace collectif… et surtout une acceptation de celle-ci auprès des bibliothécaires.

    Commentaire par bcalenge — lundi 27 juillet 2009 @ lundi 27 juillet 2009

  5. […] bibliothèque dans le contexte numérique 1 , 2 et 3 / B. Calenge (série de 3 […]

    Ping par Lettre d’e-veille mai – juin – juillet 2009 « XG_BlogNotes — lundi 20 août 2012 @ lundi 20 août 2012


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